L’étrange cas d’Émilise Lessard-Therrien, ou pourquoi lutter pour les nationalisations

C’est un raz-de-marée caquiste qui a déferlé sur la province lors des élections le 3 octobre dernier. Cependant, il semble plutôt étrange que même la circonscription de Rouyn-Noranda-Témiscamingue soit passée au bleu poudre. Après le scandale de la Fonderie Horne, difficile de comprendre que la CAQ ait arraché le siège de la députée sortante de Québec solidaire, Émilise Lessard-Therrien. Le parti au pouvoir aide une multinationale à donner le cancer, et c’est pourtant la députée solidaire, qui a dénoncé la situation, qui sort perdante. Comment expliquer cet étrange résultat?

  • Hélène Bissonnette
  • jeu. 20 oct. 2022
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Photo : Émilise Lessard-Therrien/Facebook

C’est un raz-de-marée caquiste qui a déferlé sur la province lors des élections le 3 octobre dernier. Cependant, il semble plutôt étrange que même la circonscription de Rouyn-Noranda-Témiscamingue soit passée au bleu poudre. Après le scandale de la Fonderie Horne, difficile de comprendre que la CAQ ait arraché le siège de la députée sortante de Québec solidaire, Émilise Lessard-Therrien. Le parti au pouvoir aide une multinationale à donner le cancer, et c’est pourtant la députée solidaire, qui a dénoncé la situation, qui sort perdante. Comment expliquer cet étrange résultat?

À Rouyn-Noranda, la santé publique et les citoyens sont préoccupés depuis très longtemps par l’impact néfaste de la Fonderie Horne sur la concentration dans l’air d’arsenic et d’autres métaux lourds, et la condamnation des sols. Dans le quartier voisin de la Fonderie, les habitants vivent en moyenne 5 ans de moins que le reste des Québécois. Or, en juin dernier, nous avons appris que le ministère de la Santé caquiste a freiné la publication d’un rapport démontrant que l’incidence du cancer du poumon est 30% plus grande à Rouyn-Noranda qu’ailleurs au Québec. QS a attaqué la CAQ pour sa complaisance envers la Fonderie. Le gouvernement a autorisé celle-ci à émettre dans l’air jusqu’à 100 nanogrammes d’arsenic (ng) par mètre cube (m3), soit un taux 33 fois plus élevé que la norme québécoise.  

Émilise Lessard-Therrien a dénoncé la CAQ de façon acerbe : « Les gens de ma région n’oublieront pas le 3 octobre prochain que la CAQ a manœuvré pour leur cacher des informations sur la qualité de l’air qu’on respire. » Nombreux auraient pu penser que la CAQ serait détestée dans la région. Au début de la campagne électorale, nous avons même appris que le gouvernement refusait, à la demande de la Fonderie Horne, de dévoiler les détails concernant l’ampleur de la contamination des sols à Rouyn-Noranda. Une autre cachotterie pour protéger la multinationale Glencore, propriétaire de la Fonderie. 

Pourtant, c’est le candidat caquiste Daniel Bernard qui a été élu dans la circonscription.  Cet ancien député libéral sous Jean Charest – un autre qui a copiné avec l’entreprise pour la laisser polluer – est lobbyiste pour l’Association minière du Québec, laquelle cherche à faire baisser les restrictions environnementales. Son mandat de lobbyiste a (techniquement) pris fin neuf jours après l’élection! Si la solidaire a maintenu un résultat similaire aux dernières élections (32%), la CAQ est allée chercher les votes qu’avaient obtenus les autres partis en 2018, et a obtenu 45% des voix. Mais qu’est-ce qui explique l’étrange défaite de QS?

La Bonnefemme Sept Heures

Cet été, Émilise Lessard-Therrien a questionné Benoît Charest en période de questions à l’Assemblée nationale : « Est-ce que [le ministre de l’Environnement] veut exiger la norme de 3 ng pour la population à Rouyn-Noranda? » Ce à quoi le ministre a rétorqué : « Si [la députée] exige le 3 ng, elle exige la fermeture de l’entreprise. Est-ce que c’est ce qu’elle souhaite pour sa région? » Les termes du débat ont été ainsi fixés par la CAQ : si nous demandons plus à Glencore, l’entreprise risque de fermer, et de faire perdre de bons emplois et nuire à la stabilité économique de la région.

Par la suite, dans le cadre d’une campagne de peur contre QS, la CAQ s’est présentée, non pas comme le parti qui nous laisse avoir le cancer, mais comme celui qui veut protéger les bons emplois à Rouyn-Noranda. À quelques jours du scrutin, après avoir dit que Glencore ne peut pas atteindre la cible de 3 ng de concentration d’arsenic, François Legault, en bon populiste, a affirmé :  « C’est la population qui va décider. Est-ce qu’ils acceptent la proposition de l’entreprise [de diminuer ses émissions d’arsenic à 15 ng] ou elle préfère fermer l’entreprise? C’est la population de Rouyn-Noranda qui va décider, ce ne sont pas des gens de Montréal, de Québec solidaire. » Il sous-entendait au passage que QS n’est pas du côté du peuple ou ne voudrait pas l’écouter. 

Le discours de la CAQ ressemble à celui de la Chambre de commerce et d’industrie de Rouyn-Noranda qui a en 2019 inscrit un mandat comme lobbyiste pour amener la députée solidaire « à nuancer ses déclarations publiques et à être moins alarmiste à propos de la problématique de l’arsenic ». Le candidat local de la CAQ a même dénoncé ceux, dont Lessard-Therrien, qui sont alarmés par la situation : « Rouyn, ce n’est pas Tchernobyl ». Même si c’est la CAQ qui a littéralement caché des faits, le problème serait plutôt du côté des gens comme Lessard-Therrien, qui aurait soi-disant nui à l’image de la région. 

La Fonderie restera?

Ce que les résultats montrent, c’est que la rhétorique « des jobs ou de l’air sain » de la CAQ a fonctionné. Mais comment se fait-il que QS n’ait pas réussi à contrer cette rhétorique? La réalité est que le parti n’a présenté aucune garantie aux travailleurs de la Fonderie ni aux habitants de la région que l’entreprise ne fermerait pas si une norme plus stricte était imposée. 

Pendant la campagne, le porte-parole Gabriel Nadeau-Dubois a soutenu que l’entreprise ne fermerait pas si on lui impose de nouvelles normes environnementales : « Je vous le dis, moi, je suis convaincu que ça n’arrivera pas parce que la Fonderie Horne, c’est une opération rentable. Glencore est une entreprise rentable. Ils ont les moyens de respecter la norme québécoise. » Avec un revenu net de 9,1 milliards de dollars américains en 2021, il est clair que Glencore a tous les moyens de payer, d’autant plus qu’elle a profité cette année de l’envolée des cours de l’énergie. Mais là n’est pas le problème.

Les grandes entreprises sont sans scrupules et n’hésitent pas à recourir à des moyens drastiques pour ne pas être restreintes dans leurs activités lucratives. Nous avons affaire, dans le cas échéant, à un monstre capitaliste qui est passé maître dans la fraude, la corruption et l’exploitation du travail des enfants. Qui plus est, le fondateur de Glencore a été soupçonné de fraude, corruption, délit d’initié et d’extorsion, et a été sur la liste des personnes les plus recherchées par le FBI.  

En outre, les géants comme Glencore n’agissent pas strictement en fonction de la rentabilité immédiate de leurs activités. La classe capitaliste comprend très bien la lutte qui se joue entre la classe ouvrière et elle. Même une petite entaille à la puissance des géants capitalistes pose le risque d’être un exemple et d’encourager davantage d’attaques contre les capitalistes.. Ceux-ci passent donc à l’offensive à la moindre contrainte, que ce soit des taxes plus élevées, la syndicalisation de leurs travailleurs ou des normes environnementales plus sévères. Les fermetures et les délocalisations sont souvent la solution simple pour les capitalistes lorsque des travailleurs ou des gouvernements leur mettent de la pression. 

Nous n’avons pas besoin de chercher bien loin pour voir ce stratagème à l’œuvre. En novembre 2019, Glencore elle-même a fermé sa fonderie de Belledune, au Nouveau-Brunswick, pour casser la grève qui y durait depuis six mois. Également, l’entreprise a fermé une partie de sa mine Raglan au Nunavik en 2021 pour faire pression sur le syndicat local. 

Il y a quelques années, lorsque le gouvernement colombien a décidé de limiter en partie les activités d’une des plus grandes mines à ciel ouvert au monde, détenue par Glencore, en raison de sérieux risques environnementaux, l’entreprise a poursuivi le gouvernement. Peu après, en 2021, Glencore a mis fin aux activités d’une de ses divisions en Colombie, qui était pourtant rentable. Pour justifier cette décision, Glencore a même spécifiquement mentionné  « des défis croissants en ce qui concerne l’obtention de plusieurs approbations clés de la part des agences gouvernementales et d’autres parties prenantes clés. » Cela nous ramène au problème à Rouyn-Noranda : être trop sévère avec l’entreprise, c’est effectivement risquer des pertes d’emplois. 

Un dilemme capitaliste

Malheureusement, ce que Québec solidaire a promis aux travailleurs de Rouyn-Noranda reste un vœu pieux, et nous pouvons comprendre la crainte de ceux-ci. Si un gouvernement – de gauche comme de droite – impose des restrictions à la Fonderie, il n’y a aucune garantie que les propriétaires ne vont pas répliquer en ralentissant les activités ou en mettant la clé dans la porte. Dans les paramètres du système capitaliste, une telle garantie n’existe pas. Dans ce contexte, même Stéphane Larente, le président du Syndicat des travailleurs de la Mine Noranda (STMN–CSN) qui représente les travailleurs de la Fonderie Horne, s’en est pris à la députée solidaire, affirmant en juillet dernier : « Elle n’aura pas mon vote. » QS s’est vraisemblablement mis bien des travailleurs et leurs familles à dos. Mais ce scénario n’était pas inévitable. 

Le choix entre l’économie et l’environnement n’est un dilemme que parce que les grands leviers de l’économie, sous le capitalisme, sont entre des mains privées.  « On est pris entre l’arbre et l’écorce », a affirmé le président du STMN–CSN, ce qui résume bien le dilemme pour les travailleurs. Comme le sort des travailleurs dépend sous le capitalisme de ce que leur donnent les patrons, il n’est pas surprenant que certains en viennent à défendre, sciemment ou non, les intérêts de leurs exploiteurs, au risque de leur propre santé, lorsque leur gagne-pain est en jeu. Comme aucune solution de rechange au cul-de-sac actuel n’a été proposée, ni par QS ni par les syndicats, un climat nocif a pu s’installer où les travailleurs de la Fonderie ont été dépeints par d’autres travailleurs comme les méchants pollueurs et ont reçu des menaces. « Nous ne sommes pas des criminels, seulement des travailleurs », a alors clarifié le président du syndicat!

Cette situation est absurde et QS aurait pu aisément couper court à ce faux dilemme, mais il aurait fallu proposer de rompre avec la logique capitaliste en proposant la nationalisation sans compensation de la Fonderie Horne et en la plaçant sous le contrôle des travailleurs. En fin de compte, on ne contrôle pas ce qu’on ne possède pas. Exproprier Glencore est la seule façon de mettre en œuvre un plan de réorganisation de la production qui puisse assurer un environnement sain tout en garantissant les emplois. 

Alors que la Fonderie Horne est dépeinte comme une « créatrice de richesse » importante pour la région, la réalité est que ce sont les travailleurs qui ont permis depuis des décennies aux propriétaires de la Fonderie Horne de s’enrichir. Les profits de la Fonderie dépendent du travail exploité des gens de la région, comme les montagnes de profits de Glencore proviennent du travail volé à des milliers de travailleurs partout dans le monde. Pollution, cancer, pillage de ressources : Glencore est un parasite sur la société. Avec un discours audacieux anti-capitaliste qui s’attaque à ce parasite et à la classe capitaliste plus largement, QS aurait pu déjouer la rhétorique caquiste et exposer la CAQ comme le parti qui défend le patronat contre les travailleurs. 

Pour un programme socialiste

Émilise Lessard-Therrien a critiqué qu’avec la CAQ, « les profits de la multinationale sont plus importants que la santé des gens ». C’est bien vrai. Or, il en sera toujours ainsi sous le capitalisme. Même un gouvernement solidaire, s’il refusait de sortir du cadre du capitalisme, serait pris avec la contradiction entre les besoins humains et la logique du profit. 

Le cas de Rouyn-Noranda nous montre pourquoi il est nécessaire que QS et le mouvement ouvrier luttent pour les nationalisations et défendent un projet de société radicalement différent de celui du cul-de-sac capitaliste. Seule une société socialiste, où la production est gérée démocratiquement par les travailleurs, permettra d’assurer le respect des besoins environnementaux, sanitaires et sociaux. Défendre la nationalisation sous contrôle démocratique des grandes entreprises polluantes est un premier pas dans cette direction. 

Malheureusement, QS s’éloigne de ce programme plutôt que de s’en approcher. Nous l’avions vu l’an dernier quand Ruba Ghazal avait fait savoir que le parti ne défendait plus la nationalisation des installations hydroélectriques de Rio Tinto, contrairement à sa plateforme électorale de 2018. Cela s’inscrit dans un virage vers la modération du discours et du programme. Mais le résultat du 3 octobre montre vers où cela nous mène : la stagnation. À vouloir ménager la chèvre et le chou, en défendant le capitalisme avec quelques réformes, QS ne parvient pas à défendre réellement les intérêts des travailleurs et, par le fait même, à combattre la droite. C’est ce que le cas d’Émilise Lessard-Therrien nous montre.