Le 15 mars dernier à Montréal, 530 syndiqués de la CSN chez Rolls-Royce Canada (RRC) ont été mis en lockout, pendant qu’ils discutaient en assemblée pour un mandat de grève. Suite à l’annonce, les travailleurs ont voté à 94% en faveur de la grève. Malgré les tentatives de négociations, la situation n’a pas évolué depuis. Les lockoutés continuent de braver le froid en piquetant devant leur usine d’entretien de moteurs d’avion. 

Les syndiqués, qui sont sans convention collective depuis 2020, demandent notamment l’élimination des clauses « orphelines » des régimes de retraite et d’assurances collectives, l’amélioration des horaires de travail et la bonification des congés. Ils réclament une augmentation salariale de 5% par année pendant cinq ans. Si un tel chiffre peut sembler élevé, il faut se rappeler que l’inflation se trouve à 5,7% cette année, et que rien ne permet de savoir quand elle reviendra à un niveau plus normal.

L’employeur tient coûte que coûte à faire reculer les conditions des travailleurs et presser le citron pour aller chercher la moindre goutte de profits. Il demande même un gel de salaire pour les années 2020 et 2021. Les actions anti-syndicales de l’employeur, notamment la suspension d’un représentant syndical, avaient déjà poussé les travailleurs à déclencher une grève en novembre dernier.

Évidemment, les patrons utilisent l’argument des pertes de l’industrie aéronautique pendant la pandémie. En 2021, la maison mère de Rolls-Royce avait licencié 7000 employés pour compenser ses mauvais résultats en 2020. Mais la rentabilité est revenue en 2021, la compagnie déclarant des profits de 514 millions de livres sterling. Cet argent, entièrement produit par les efforts des travailleurs, n’ira pourtant pas dans leurs poches. Warren East, le PDG sortant de la multinationale, lui, a vu sa rémunération passer de 1,1 million de livres sterling pour l’année 2020 à 3,95 millions en 2021. Quand l’économie va mal, c’est les travailleurs qui perdent. Quand l’économie va bien, c’est les patrons qui gagnent. 

Les négociations entre les syndiqués et la partie patronale demeurent au point mort depuis le début du lockout, et ce n’est pas très étonnant. Jusqu’à date, les patrons ont réussi à maintenir les opérations. En effet, en plus des cadres, des briseurs de grève parviennent à traverser les piquets de grève, malgré la présence des lockoutés. Scandaleusement, d’autres employés de la compagnie, mais appartenant à un autre syndicat, la section locale 2468 de l’AIMTA, traversent la ligne de piquetage. 

En agissant ainsi, ils nuisent non seulement à leurs collègues syndiqués CSN, mais à eux-mêmes. Tant que la production roule, le lockout reste soutenable pour le patron, jusqu’à ce que les lockoutés soient éventuellement forcés d’accepter les conditions médiocres de la partie patronale. Une défaite des syndiqués de la CSN enverrait le message que le patronat peut lockouter n’importe quel des syndicats pour obtenir ce qu’il veut. Une telle défaite créerait une pression à la baisse sur les conditions de travail de l’ensemble des travailleurs de chez Rolls-Royce. De plus, les briseurs de grève ruinent la solidarité entre les syndicats de Rolls-Royce, et les syndiqués CSN risquent de ne pas vouloir appuyer leurs collègues de l’AIMTA lors des prochaines grèves. C’est pourquoi il est crucial que tous les travailleurs respectent les piquets les uns des autres. Tous les travailleurs ont les mêmes intérêts dans la lutte contre le patronat. Une défaite pour les uns est une défaite pour les autres.

Devant cette situation, le président du syndicat, Frédéric Labelle, a envoyé une lettre au président de la section locale 2468 pour lui demander des explications. En attendant, les briseurs de grève continuent de traverser les piquets. Visiblement, il ne suffit pas d’essayer de convaincre les briseurs de grève. Il faudrait leur barrer le chemin. 

Les syndicats au Québec et dans le reste du Canada n’osent plus souvent appliquer des piquets de grève durs. Cela permet au patronat d’utiliser des briseurs de grève comme bon lui semble. Même si ceux-ci sont censés être illégaux, les tribunaux et la police ne font pas grand chose. Même quand les tribunaux interviennent, ce n’est que bien plus tard, quand le conflit est terminé et que les scabs ont eu le temps de faire des dégats. Au contraire, la police de Montréal a aidé les scabs à traverser les lignes de piquetage à l’usine Rolls-Royce. Cela montre bien que la loi et la police ne sont pas du bord des travailleurs, mais servent avant tout à défendre la propriété privée et les profits des riches comme les propriétaires de Rolls-Royce.

Tant que le mouvement syndical n’osera pas défendre ses piquets de grève, les scabs pourront continuer à traverser en toute impunité, et le droit de grève n’existera que sur le papier.

Cette question est d’autant plus importante en cette époque d’inflation galopante. Le niveau de vie des travailleurs s’érode et il devient urgent de se battre pour des hausses de salaire importantes. Des clauses de rajustement au coût de la vie devraient être exigées. Mais les patrons ne les concèderont pas de bonne volonté. La nécessité de faire la grève se pose donc à de plus en plus de syndicats. Mais si les patrons peuvent remplacer les grévistes par des scabs, les grèves ne sont pas efficaces. Les piquets de grève doivent être durs, et ne laisser passer aucun scab, aucun gestionnaire, aucun camion, rien. Rien ne doit bouger sans l’autorisation des travailleurs. Nous devons ramener la tradition militante indispensable des piquets durs dans nos luttes.

C’est de cette façon que les syndicats, auparavant illégaux, ont conquis la reconnaissance légale, et c’est de cette façon que nous pourrons gagner les prochaines luttes.

Solidarité avec les grévistes de Rolls-Royce Canada!

Piquet de grève, on ne passe pas!