Ontario : La menace de grève générale défait la loi spéciale, mais les négos ne sont pas finies

Pour la première fois, des travailleurs canadiens ont forcé l’abrogation d’une loi spéciale de retour au travail. La lutte inspirante des 55 000 travailleurs de l’éducation de l’Ontario a permis de remporter une importante victoire partielle.

  • Alex Grant
  • ven. 11 nov. 2022
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Pour la première fois, des travailleurs canadiens ont forcé l’abrogation d’une loi spéciale de retour au travail. La lutte inspirante des 55 000 travailleurs de l’éducation de l’Ontario a permis de remporter une importante victoire partielle. Le gouvernement pensait écraser les travailleurs en rendant préventivement leur grève illégale, en leur imposant un contrat et en violant leurs droits constitutionnels avec la clause dérogatoire. Mais le régime de Doug Ford a plutôt provoqué une grève illégale qui était en voie de se transformer en grève générale à l’échelle de tout l’Ontario. Face à l’immense pouvoir des travailleurs, le gouvernement a cédé et a accepté de retirer la loi. Nous devrions reconnaître qu’il s’agit d’un coup important porté à l’utilisation par les gouvernements capitalistes de lois spéciales pour casser les grèves, tout en reconnaissant que la lutte du personnel de soutien des écoles n’est pas terminée et que les travailleurs n’ont toujours pas de convention collective.

Le fait qu’un mouvement illégal de grève générale puisse surgir en l’espace d’une semaine montre la colère latente qui règne dans la classe ouvrière. Les travailleurs de l’éducation de l’Ontario n’ont rien de spécial, et il n’y a rien de particulièrement radical dans leur direction syndicale. Ces travailleurs sont confrontés aux mêmes problèmes que tous les travailleurs : des décennies d’érosion salariale due à l’austérité gouvernementale et des entreprises, et la perspective de s’appauvrir en raison de l’inflation galopante. Une telle lutte aurait pu éclater littéralement dans n’importe quel secteur de la classe ouvrière canadienne. Mais il est tout à l’honneur du personnel de soutien des écoles organisé au sein du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP) d’avoir ouvert la voie.

Comment la grève s’est intensifiée

L’escalade rapide de ce conflit est vraiment stupéfiante. Le dimanche 30 octobre, le SCFP a annoncé qu’il allait déclencher une grève légale le vendredi 4 novembre. Le SCFP demandait une très modeste augmentation de 3,25 dollars/heure (environ 11%) chaque année du contrat de trois ans. Cela ne ferait que compenser les travailleurs pour la valeur qu’ils ont perdue au cours de la dernière décennie et leur permettrait d’arrêter l’érosion de leurs salaires par l’inflation actuelle. À une époque où les prix augmentent et où les entreprises font des profits excessifs, il est juste que les travailleurs ne s’appauvrissent pas. Leur préavis de grève était plus que justifié par le fait que le gouvernement n’a offert que deux pour cent par année, une offre misérable qui ne s’appliquait même pas à tous les travailleurs.

Immédiatement après que le SCFP ait donné un préavis de grève, le ministre de l’Éducation Stephen Lecce a annoncé une nouvelle loi retirant le droit de grève aux travailleurs de l’éducation. Cette législation dite de « retour au travail » est devenue un phénomène courant dans les conflits de travail au Canada et a progressivement érodé le droit de grève. Cependant, cette loi était particulièrement pernicieuse. En général, une loi de retour au travail soumet un contrat à l’arbitrage. Bien que l’arbitrage soit une violation massive des droits démocratiques des travailleurs et conduit généralement à une mauvaise convention, cette loi ne permettait même pas cela. La loi aurait pluttôt imposé un contrat sans aucun autre avis des travailleurs ou de leur syndicat. Ce contrat imposé aurait limité les augmentations de salaire à 2,5%, soit environ 5% de moins que l’inflation, tout en réduisant considérablement les dispositions relatives aux congés d’invalidité de courte durée.

La loi prévoyait également des amendes de 500 000 dollars par jour pour les syndicats, et de 4 000 dollars par jour pour les travailleurs individuels qui défieraient la loi et partiraient en grève illégale. L’insulte finale est venue avec l’utilisation sans précédent de la clause dérogatoire pour passer outre la Charte canadienne des droits et libertés. En 2015, la Cour suprême du Canada a statué que le droit de grève était une composante de la liberté d’association protégée par la Constitution. La clause dérogatoire signifiait qu’il ne pouvait y avoir aucune contestation juridique de la loi donc que les travailleurs n’avaient aucun recours légal.

Ces événements ont mis la direction syndicale au pied du mur, sans possibilité de sauver la face. Par le passé, face à une loi de retour au travail, les bureaucraties syndicales, et même certains gauchistes, n’ont cessé de dire qu’il n’y avait rien à faire. Ils disaient « on ne peut pas défier la loi ». Ils se sont contentés de s’en remettre à l’arbitrage et à une contestation devant la Cour suprême, dont l’examen par les tribunaux pouvait prendre jusqu’à dix ans. Cela réussissait à démobiliser les travailleurs et conduisait à la défaite.

Les marxistes ont toujours soutenu que tant qu’un groupe de travailleurs ne défie pas une loi de retour au travail, le droit de grève ne vaut rien. On nous a souvent traités d’utopistes, bien que le mouvement syndical n’existerait pas aujourd’hui si les travailleurs n’avaient pas été prêts à défier les lois injustes qui rendaient les grèves et les syndicats illégaux.

Cependant, l’absence d’arbitrage ou de recours juridique ne laissait aucune issue aux dirigeants. Il fallait choisir entre une capitulation abjecte et une lutte décisive. Après un vote de grève à 96% et un taux de participation de 83%, la pression sur les dirigeants syndicaux était immense. Les travailleurs ne pouvaient supporter de perdre un cinquième de leurs revenus pendant une convention imposée de quatre ans.

Dans une dernière tentative désespérée pour apaiser le gouvernement, la direction du syndicat a réduit de moitié la revendication salariale pour la ramener à environ 6%. Ce faisant, ils ont violé leur engagement à une négociation ouverte (« open bargaining »). Mais ce recul a eu l’effet inverse et n’a fait que renforcer le refus du gouvernement de négocier quoi que ce soit. La faiblesse a invité l’agression. Cela souligne l’importance du contrôle du mouvement par les travailleurs de la base à chaque étape, pour empêcher les erreurs et les reculs des dirigeants.

N’ayant pas d’autre choix, le syndicat a donc organisé une grève illégale le vendredi 4 novembre.

De la grève illégale à la grève générale

Nous avons eu droit à une manifestation impressionnante devant l’Assemblée législative de l’Ontario à Toronto. Plus de 10 000 travailleurs et sympathisants ont défilé contre la violation des droits des travailleurs. Ils étaient unis à d’autres piquets de grève plus petits dans toute la province. La loi de retour au travail de Doug Ford a eu l’effet inverse de celui escompté et a entraîné la fermeture complète du système scolaire ontarien. C’était la première fois qu’une loi spéciale était défiée depuis une génération.

Cependant, une question importante restait en suspens. S’agirait-il d’une seule journée de protestation ou du début d’une grève illégale illimitée? L’aile droite du syndicat était sûrement en faveur de la démobilisation au cours de la fin de semaine. À leur crédit, la présidente du Ontario School Board Council of Unions (OSBCU), Laura Walton, et le président du SCFP Ontario, Fred Hahn, ont répondu à la pression des travailleurs et ont annoncé qu’il s’agirait d’une grève illégale illimitée. Il a suffi d’une petite once de leadership de la part de ce qui est habituellement une bureaucratie conciliante pour obtenir une victoire historique. La promesse de défier indéfiniment et à ne reprendre le travail que lorsque les travailleurs le décident a été le point de bascule.

Une fois que les travailleurs de l’éducation se sont courageusement engagés dans la lutte, la question s’est posée de savoir si on les laisserait se battre seuls et isolés. Seraient-ils terrorisés jusqu’à la soumission par des amendes qui s’élèveraient à des centaines de millions de dollars par jour? 4 000 dollars par jour, c’est 10% du salaire annuel du travailleur moyen de l’éducation!

Les dirigeants syndicaux se sont rencontrés au cours de la fin de semaine dans des réunions que l’on peut imaginer tendues. Mais le dimanche soir, des rumeurs ont commencé à circuler selon lesquelles il y aurait une conférence de presse le lundi matin qui annoncerait une grève générale dans tout l’Ontario la semaine suivante.

Une fois de plus, il est impossible de surestimer la nature sans précédent de ces développements. Pendant des décennies, on a dit aux militants ouvriers qu’ils ne pouvaient pas faire de grève illégale et définitivement pas de grève générale. Mais en une semaine, toutes ces excuses bureaucratiques conservatrices ont été jetées dans les poubelles de l’histoire par la puissance brute de la classe ouvrière.

Les travailleurs de l’éducation n’étaient pas non plus isolés dans leur lutte. Le SCFP a rapporté que 75 000 personnes avaient utilisé son site Web pour envoyer des messages de protestation au gouvernement. Un sondage a révélé que 62% des Ontariens s’opposaient au gouvernement, et ce pourcentage montait à 68% chez les parents. Ce chiffre est incroyable si l’on considère le fait que Ford et Lecce prétendaient défendre les intérêts des parents. Soixante et onze pour cent des répondants souhaitaient que le gouvernement négocie une meilleure entente et 78% ont déclaré que les travailleurs de l’éducation n’étaient pas assez payés. En outre, 48% ont déclaré qu’ils soutiendraient une action de grève de solidarité illégale, et 65% des membres des syndicats du secteur privé et 70% de ceux du secteur public y étaient favorables. Essentiellement, il s’agit d’un vote positif pour que les membres de ces syndicats se mettent eux-mêmes en grève.

Lorsque l’aube s’est levée sur les grévistes illégaux qui dressaient des piquets de grève lundi matin, il y avait une réelle perspective de solidarité de masse dans un mouvement qui pourrait potentiellement faire tomber le gouvernement.

L’humiliant recul de Ford

Dans l’attente d’une annonce syndicale de plans de grève générale, Ford et Lecce ont organisé une conférence de presse à neuf heures du matin. Dans une tirade décousue et incohérente contre le SCFP, Ford a annoncé qu’il abrogeait la clause dérogatoire, à condition que le SCFP retire ses piquets de grève. Cela a entraîné une confusion généralisée quant à savoir s’il s’agissait d’une ruse ou d’une véritable offre.

Les représentants syndicaux ont exigé que Ford mette son offre par écrit et ont retardé leur conférence de presse pour l’examiner. Finalement, avec près de deux heures de retard, des dizaines de dirigeants syndicaux se sont présentés devant les caméras. Il est significatif que le groupe de syndicats présents représente à la fois le secteur public et le secteur privé, y compris les syndicats de la construction qui avaient précédemment soutenu les conservateurs de Ford sur la base de nouveaux projets d’infrastructure.

La perspective de la normalisation du recours aux lois de retour au travail et à la clause dérogatoire avait alors uni tous les secteurs du mouvement syndical contre l’éradication du droit de grève et de négociation. Même les syndicats québécois parlaient de se rendre à Toronto pour se joindre à la lutte, un autre événement sans précédent étant donné les divisions historiques entre le Canada anglais et le Québec. Il semblait que la grève générale potentielle aurait atteint tous les secteurs de la classe ouvrière.

Le président national du SCFP, Mike Hancock, a annoncé que le gouvernement avait cédé. Il s’était engagé par écrit à ce que l’ensemble du projet de loi de retour au travail, y compris le contrat imposé et la clause dérogatoire, soit abrogé comme s’il n’avait jamais été adopté. Personne n’aurait à payer d’amende et les parties retourneraient à la table des négociations. En signe de bonne foi, le syndicat devait retirer les piquets de grève illégaux. Laura Walton a ensuite déclaré que le syndicat conservait le droit de reprendre la grève si nécessaire.

Il est essentiel que nous comprenions l’importance de cet événement qui aurait été impossible sans des grèves illégales de masse et la menace d’une grève générale. Pour autant que nous puissions en juger, aucune loi de retour au travail n’a jamais été abrogée de la sorte auparavant. Cela montre le pouvoir des travailleurs.

Cependant, il est également important de comprendre qu’il ne s’agit que d’une victoire partielle contre la violation du droit de grève. Ce n’est pas encore une victoire complète contre les bas salaires et l’inflation. Telle est la prochaine étape de la lutte.

Avec quelles tactiques pouvons-nous gagner?

Les dirigeants syndicaux affirment que l’abrogation de la loi est une grande victoire. Dans une entrevue à la radio, Laura Walton a déclaré que les travailleurs ont le vent en poupe et qu’ils sont prêts à reprendre le piquetage si nécessaire. Le SCFP Ontario a envoyé un message à ses supporters : « Demain, les travailleurs de l’éducation seront de retour au travail et nous serons de retour à la table [de négociation, NDLR]. Nous serons prêts à rappeler aux conservateurs de Ford que, s’ils ne sont pas prêts à négocier une bonne entente, les membres auront, et pourront exercer, le droit de grève au besoin. Et nous rappellerons aux conservateurs de Ford que l’ensemble du mouvement syndical sera une fois de plus prêt à manifester son appui de toutes les manières nécessaires jusqu’à ce qu’une entente soit conclue. »

En discutant avec les travailleurs sur les lignes, il apparaît que le sentiment de la majorité écrasante était le soulagement que la loi ait été défaite et que les gens n’aient pas à s’inquiéter d’amendes de 4000 dollars.

Mardi matin, Ford s’est de nouveau présenté devant les caméras et a docilement remercié le SCFP, affirmant que le gouvernement présenterait une meilleure offre aux travailleurs.

Il est clair que le momentum est du côté des travailleurs et que le gouvernement est en position de faiblesse. Même les commentateurs de droite le pensent. Un éditorial du Globe and Mail exprimait la frustration des bourgeois ainsi :

« Le changement de cap du gouvernement Ford était nécessaire, mais il s’accompagne de mauvais effets secondaires. Si le but de cet exercice était de modérer les revendications salariales du secteur public, comment tout ce qui a été fait jusqu’à présent permet-il d’y parvenir? Aucunement.

Le gouvernement Ford s’est plutôt affaibli, a sapé son propre appui public et a incité les syndicats du secteur public, déjà enhardis, à réclamer de fortes augmentations salariales. Tout cela, en seulement une semaine de travail à Queen’s Park. »

Il faudrait un changement massif de l’opinion publique pour que Ford envisage à nouveau d’utiliser une telle loi contre les travailleurs.

Alors que la majorité des travailleurs étaient soulagés, il y avait aussi une petite couche avancée de travailleurs qui voulaient continuer la grève illégale. À l’extrême gauche, il existe un débat à savoir si la fin de la grève illégale était une erreur ou même une trahison de la part de la direction du syndicat.

Nous souhaitons sincèrement saluer les travailleurs avancés pour leur instinct de classe combatif qui les pousse à vouloir poursuivre la grève illégale. Nous pensons que ces travailleurs ont tout à fait raison d’être sceptiques quant aux motivations des bureaucraties syndicales qui cherchaient n’importe quelle excuse terminer et compromettre la lutte. Cependant, nous conseillons également à ces travailleurs militants de ne pas prendre trop d’avance sur le reste de la classe et de se retrouver isolés et vaincus.

Il est nécessaire pour les couches les plus conscientes de leur classe d’entraîner la masse des travailleurs et de les éduquer par l’expérience de la lutte. Contrairement aux révolutionnaires, la masse de la classe ouvrière n’apprend pas dans les livres, mais dans les événements du monde réel. Les gens étaient préparés à une grève illégale, et à une grève générale, pour le renversement de la loi dictatoriale. Mais ils ne sont pas nécessairement préparés à des actions aussi radicales pour une augmentation de salaire – surtout lorsqu’il existe potentiellement une voie légale pour obtenir une telle augmentation. Ce qui est vrai pour la masse des membres du syndicat le serait aussi pour l’opinion publique en général.

Si la conférence de presse de Ford avait été une attaque belliqueuse contre les travailleurs au lieu d’un recul, nous aurions pu être confrontés à un scénario très différent. S’il avait dit qu’il allait infliger des amendes et emprisonner 55 000 travailleurs de l’éducation, cela aurait jeté de l’huile sur le feu et le mouvement de grève générale aurait probablement explosé en un mouvement de masse visant à faire tomber le gouvernement. C’est ce qui s’est produit en France en 1968, lorsque le président De Gaulle a accusé les étudiants en grève d’être des enfants qui foutent le désordre. Dans un tel scénario, mettre fin à la grève reviendrait à donner une bouée de sauvetage à un régime chancelant.

Mais Ford a fait marche arrière. Et malgré le fait que les marxistes aient avancé le slogan « FAISONS TOMBER FORD », ce n’est pas l’état actuel de la conscience de la masse des travailleurs. La poursuite d’une grève illégale à ce stade ne peut être comprise que comme une tentative de faire tomber le régime. Si l’avant-garde ne pouvait pas entraîner avec elle la majorité du syndicat et de l’opinion publique dans une telle lutte, elle transformerait une victoire partielle en isolement et en défaite. Dans ce contexte, nous déconseillons toute action aventuriste, tout en surveillant de près la direction du syndicat pour éviter toute marche-arrière ou toute violation du contrôle de la base. Il ne doit pas y avoir de démobilisation et les travailleurs doivent être prêts à retourner aux piquets de grève à tout moment.

Luttons pour 3,25 dollars l’heure!

Les négociations ont repris avec le gouvernement et la loi devrait être abrogée lundi prochain. La majorité des travailleurs veulent voir ce que l’employeur a à offrir. Nous devons rappeler à tout le monde que 3,25 dollars de l’heure est en fait une demande incroyablement modeste du syndicat qui ne fait que ramener les travailleurs au niveau où ils étaient il y a dix ans et empêcher que leur salaire ne soit érodé par l’inflation. Il ne peut absolument pas y avoir de retour en arrière sur les 11% – tout montant inférieur à 3,25 dollars/heure est une réduction de salaire!

Nous devons exiger une négociation complètement ouverte et le contrôle de la base. Nous ne devons pas oublier l’erreur que les négociateurs ont commise en réduisant les demandes salariales la veille de la grève illégale. Si ce gouvernement affaibli ne donne pas aux travailleurs ce dont ils ont besoin, les travailleurs doivent immédiatement retourner aux piquets de grève. Toute discussion sur l’arbitrage doit être rejetée de façon catégorique. Il ne doit y avoir aucun accord en coulisse entre la bureaucratie syndicale et le gouvernement.

Il est vrai que le démantèlement des piquets de grève présente le danger de démobiliser les membres, mais ce danger peut être atténué si la mobilisation et l’éducation sur la nécessité de la lutte sont constantes. Le gouvernement n’est plus du tout en position de pouvoir introduire des lois spéciales et les travailleurs ont montré que sans eux, les écoles ne peuvent pas fonctionner. Cette approche est le moyen de montrer concrètement à la masse des travailleurs la nécessité de la lutte. Si les gens voient que le gouvernement n’est pas sérieux, ils peuvent apprendre ces leçons par eux-mêmes et réaliser l’unité nécessaire à la victoire. La couche avancée peut également entraîner la masse sans être isolée. Nous pouvons utiliser les victoires précédentes et la puissance démontrée des travailleurs comme argument contre toute bureaucratie qui tenterait de capituler. Nous pouvons dire qu’on nous a dit que les grèves illégales et les grèves générales étaient impossibles, mais la combativité de la base a montré que rien ne peut vaincre le pouvoir des travailleurs unis. Ce sont ces tactiques qui sont nécessaires pour gagner.

Loi spéciale = grève générale!

Il est grand temps que le mouvement syndical fasse pression pour rendre impossible le recours aux lois spéciales de retour au travail. Les travailleurs de l’éducation de l’Ontario ont montré que la défiance de masse et la menace d’une grève générale sont ce qu’il faut pour arrêter l’érosion du droit de grève. Cette expérience doit être généralisée à l’ensemble du mouvement syndical canadien. Il faut rappeler aux gens qu’il n’y a pas eu un seul sou d’amende contre les travailleurs ou les syndicats. Il est nécessaire de consolider la pratique courante selon laquelle tout recours à une loi de retour au travail entraîne une défiance immédiate et l’organisation d’une grève générale.

Il est à noter que 2200 chauffeurs d’autobus du réseau de transport en commun GO transit sont actuellement en grève dans la région du Grand Toronto. En temps normal, cette situation déboucherait rapidement sur une loi, mais le gouvernement est resté remarquablement silencieux après sa défaite aux mains des travailleurs de l’éducation. Cette expérience doit être la norme dans tout le pays.

Inflation et crise capitaliste

La toile de fond de cette lutte est le taux d’inflation le plus élevé des 40 dernières années. Cette inflation élevée n’est pas due aux salaires des travailleurs, qui ont toujours été à la traîne de la hausse des prix, mais à l’impression de monnaie pour financer le sauvetage des entreprises. Dans le passé, lorsque l’inflation était faible, les bureaucraties syndicales pouvaient signer des conventions collectives à 0 ou 1% d’augmentations salariales, que les travailleurs acceptaient à contrecœur. Mais aujourd’hui, alors que les prix des denrées alimentaires et des loyers augmentent de plus de 10%, les travailleurs ne peuvent plus supporter une telle austérité. Les travailleurs exigent inévitablement des dirigeants syndicaux qu’ils se battent pour faire suivre les salaires avec l’inflation, et montrent la porte aux dirigeants inutiles qui ne se battent pas.

Certains se sont demandés pourquoi Ford a pris une mesure aussi belliqueuse que de recourir à la clause dérogatoire. Même le premier ministre libéral canadien Justin Trudeau s’est opposé à la loi ontarienne en la considérant comme une violation de la constitution. Nous ne nous faisons absolument pas d’illusions sur le visage à deux faces qu’est Trudeau. Ses paroles puent l’hypocrisie après avoir utilisé des lois spéciales de retour au travail contre les postiers et les débardeurs de Montréal. Sa préoccupation est en partie de faire son spectacle à des fins électoralistes, afin d’embarrasser ses rivaux conservateurs. Mais il canalise surtout les préoccupations de la classe des milliardaires canadiens qui préféreraient faire taire la classe ouvrière par des subterfuges et des accords de capitulation en coulisse avec la bureaucratie syndicale. Il ne faut pas réveiller le géant endormi qu’est le mouvement syndical, comme vient de le faire la brute Doug Ford.

Cependant, la prétendue folie de Ford n’est pas aussi insensée qu’elle en a l’air. Il y a une raison pour laquelle il n’a pas simplement utilisé la méthode traditionnelle de l’arbitrage. Premièrement, avec la décision de la Cour suprême de 2015 confirmant le droit de grève, sans la clause dérogatoire, le recours à la loi spéciale pourrait finir par coûter très cher au gouvernement dans les années à venir – malgré le retard dans les procédures judiciaires. Deuxièmement, l’arbitrage n’aurait pas donné au gouvernement ce dont il a besoin. Ford a déclaré à juste titre que ce qui serait négocié avec les travailleurs des écoles deviendrait un modèle pour le reste du secteur public. Cela pourrait coûter au gouvernement des dizaines de milliards de dollars dans une situation de hausse des taux d’intérêt et de service de la dette plus coûteux. Si l’arbitre accordait un règlement plus élevé, ces hausses de coûts seraient trop grandes. Mais si l’arbitre donnait un règlement faible, aucun groupe de travailleurs n’accepterait l’arbitrage, car ils sauraient à quel point l’accord qu’ils signent est terrible. Par conséquent, la crise capitaliste a forcé Ford à prendre des mesures aussi risquées qui lui sont revenues au visage.

La lutte des travailleurs de l’éducation de l’Ontario n’est que la première salve d’une guerre de classe à venir. Il incombe à l’ensemble du mouvement de soutenir le SCFP afin qu’il obtienne la meilleure entente possible, qui pourra à son tour devenir un modèle pour le reste des travailleurs. Le Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario (SEFPO), qui a rejoint le SCFP dans sa grève illégale, a même déclaré qu’il serait prêt à fermer la province si nécessaire. Une attaque contre un est une attaque contre tous, et une victoire pour les uns est une victoire pour tous les autres. Mais les capitalistes et leurs politiciens n’accepteront pas cette défaite sans broncher. Leur système ne peut se permettre d’offrir des salaires décents aux travailleurs et ils chercheront à repousser chaque gain des travailleurs. Éventuellement, ils pourraient même être prêts à provoquer les travailleurs jusqu’à la grève générale. D’où la nécessité de ne pas se contenter de lutter pour de meilleurs salaires contre l’inflation capitaliste, mais de renverser le système capitaliste qui crée toute cette inflation. Nous devons nous battre pour une direction socialiste du mouvement ouvrier qui puisse garantir un contrôle démocratique des travailleurs sur nos syndicats et éviter les trahisons dans la lutte. Nous devons nous battre pour une société socialiste où les travailleurs ne seront pas constamment attaqués par les patrons. Cette victoire partielle nous montre qu’il n’y a pas de pouvoir plus grand que celui de la classe ouvrière. La tâche est de construire un mouvement qui puisse amener les travailleurs au pouvoir.