Subvention salariale : gros profits, grosse hypocrisie

Dernièrement, les patrons et les chroniqueurs des grands médias capitalistes ont vivement critiqué la prestation canadienne d’urgence (PCU). Pour eux, elle coûterait trop cher et inciterait les gens à ne pas travailler. Mais alors qu’ils se plaignent des miettes données aux travailleurs sans emploi pour survivre, les capitalistes n’ont pas le moindre scrupule quand vient le temps de s’en mettre plein les poches aux frais des contribuables grâce à la la subvention salariale d’urgence (SSUC).

  • Olivier Turbide
  • ven. 21 mai 2021
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Crédit : Timothy Neesam/Flickr

Dernièrement, les patrons et les chroniqueurs des grands médias capitalistes ont vivement critiqué la prestation canadienne d’urgence (PCU).  Pour eux, elle coûterait trop cher et inciterait les gens à ne pas travailler. Mais alors qu’ils se plaignent des miettes données aux travailleurs sans emploi pour survivre, les capitalistes n’ont pas le moindre scrupule quand vient le temps de s’en mettre plein les poches aux frais des contribuables grâce à la la subvention salariale d’urgence (SSUC).

La SSUC a été adoptée au début de la pandémie avec comme but affiché d’aider les entreprises à ne pas licencier leurs employés pendant la crise sanitaire en payant une partie de leurs salaires. En pratique, la SSUC constitue un cadeau aux capitalistes. La prétention selon laquelle le programme est censé aider à garder les travailleurs en emploi est démentie par l’utilisation qui en est faite.

La subvention salariale à la rescousse des « hedge-funds »

Avec un coût de 110,6 milliards de dollars sur deux ans, la SSUC constitue l’un des programmes les plus dispendieux de l’histoire du Canada. Pourtant, il est très difficile de savoir quelles entreprises ont reçu, quand elles ont reçu et comment elles ont utilisé tout cet argent donné par les contribuables. En effet, sous prétexte de protéger leurs « renseignements confidentiels », le gouvernement refuse de rendre publiques la plupart des données sur les entreprises qui reçoivent la subvention.

Malgré tout, en comparant des données provenant de plusieurs sources, une récente enquête du Globe and Mail a pu révéler des informations choquantes.

La SSUC a en effet entre autres été versée à des grands fonds d’investissements spéculatifs, des « hedge-funds ». Sur une liste de 300 magnats de la finance, l’enquête a pu en identifier 80 qui ont reçu la subvention. Le gouvernement subventionne donc des entreprises richissimes dont le modèle d’affaires consiste littéralement à jouer à la bourse comme au casino. Certaines de ces entreprises se sont même vantées d’avoir connu une année record de profits en 2020.

Par exemple, Timelo Investment Management Inc. a reçu la subvention malgré qu’elle ait déclaré avoir généré des rendements de presque 30% durant l’année. JM Fund Management Inc. ne s’est pas gênée de piger dans les fonds publics alors qu’elle a connu ses meilleurs rendements depuis 2016. Pour l’industrie des fonds d’investissement spéculatifs en général, 2020 a été la meilleure année en une décennie.

Si ces entreprises profitables sont admissibles, c’est la plupart du temps parce qu’elles ont connu un très bref ralentissement dans leurs revenus pendant la première vague, pour ensuite voir leurs profits remonter grandement tout le reste de l’année.

C’est le cas, par exemple, de Fiera Capital Corporation, une autre grande société de gestion de placements qui gère environ 180 milliards de dollars. Lorsque ses revenus ont légèrement baissé entre mars et juin, elle a pu empocher 2,9 millions de dollars en subvention salariale. Mais ses revenus sont ensuite remontés en flèche, ce qui a permis à l’entreprise de payer 100 millions de dollars en dividendes et en bonus pour ses dirigeants.

Il avait déjà été révélé que des compagnies qui ont reçu la SSUC se sont permises de payer des dividendes à leurs actionnaires, de procéder à des rachats d’actions, de payer des bonis à leurs dirigeants, etc. Bell Canada, un autre exemple parmi tant d’autres, a reçu 122,8 millions de dollars de subvention salariale pour ensuite payer des dividendes à ses actionnaires et procéder au licenciement de centaines d’employés.

Ce que cela démontre, c’est qu’on ne peut pas faire confiance aux entreprises pour conserver les emplois. Si elles en ont la possibilité, elles préféreront toujours gonfler leurs profits plutôt que de payer des salaires.

Une subvention pour les créanciers

Mais ce n’est pas tout. Le Globe and Mail a aussi découvert que la subvention, dans bien des cas, a servi à des entreprises en faillite à rembourser leurs créanciers. Son enquête a recensé 32 entreprises parmi les bénéficiaires de la subvention salariale qui avaient déjà amorcé des démarches pour faire faillite entre janvier 2019 et le début du confinement en mars 2020. Un autre 130 entreprises ont reçu la subvention pour ensuite faire faillite durant le reste de l’année 2020. La subvention, censée « protéger » les emplois, a donc été versée à des compagnies qui s’apprêtaient à faire disparaître ces emplois de toute façon.

Le seul but d’une entreprise en processus de faire faillite, c’est de se « liquider » pour rembourser le plus possibles ses créanciers. Cela veut dire que, dans ce cas-ci, la subvention salariale n’a pas servi à sauver des emplois de travailleurs dans le besoin, mais simplement à renflouer directement les coffres des créanciers. Le tout, sur le dos des contribuables!

Hypocrisie

Étrangement, tout cela n’a pas empêché le fondateur de Timelo Investment Management Inc., Jean-François Tardif, d’aller critiquer en ondes les bénéficiaires de la PCU, qu’il accuse hypocritement de créer de l’instabilité en allant jouer à la bourse avec l’argent du gouvernement.

Dans la même veine, La Presse publiait récemment un torchon dans lequel des patrons se plaignaient du fait que les jeunes seraient « exigeants et difficiles » parce qu’ils préfèrent la PCU à se faire exploiter au travail. Les voix s’élevant pour critiquer la PCU comme étant « trop généreuse » et « irresponsable » n’ont certainement pas manqué. Ces mêmes patrons, pendant ce temps, empochent la subvention salariale en toute quiétude.

Bref, quand le gouvernement donne de l’argent aux travailleurs, les capitalistes traitent ceux-ci de « paresseux » et de « profiteurs », mais quand c’est à leur tour de vivre des subventions, ils considèrent cela tout à fait naturel et ne se gênent pas pour en abuser.

Non aux plans de sauvetage des entreprises

Le gouvernement a clairement démontré que lorsqu’il parle de « sauver l’économie », il parle en fait de sauver les profits des grands capitalistes et de ses amis à Bay Street.

S’il voulait réellement sauver les emplois et la qualité de vie des travailleurs, il nationaliserait sous le contrôle de ceux-ci les entreprises en difficulté, à la place de renflouer les coffres des patrons profiteurs qui n’ont rien à faire de leurs employés. Si les entreprises privées qui reçoivent la SSUC préfèrent engraisser leurs profits plutôt que de payer des salaires, pourquoi alors les laissons-nous être en charge de l’économie? Les capitalistes démontrent jour après jour avec plus de clarté qu’ils ne sont rien d’autres que des parasites vivant de l’exploitation des travailleurs.

Avec la pandémie, mêmes les conservateurs qui traitaient avec mépris les employés des épiceries et de la restauration rapide se sont mis du jour au lendemain à les qualifier de « héros » sur toutes les tribunes. Par-là, ils ont admis ouvertement que ceux qui font rouler toute l’économie, ce ne sont pas les patrons profiteurs, mais bien les travailleurs eux-mêmes. Les travailleurs n’ont pas besoin des patrons. Si leurs entreprises sont en difficulté, elles devraient être expropriées afin de sauver les emplois – et non être renflouées à coup de milliards qui se retrouvent dans les poches des plus riches.

Tout ce que les capitalistes ont à offrir, c’est le chaos économique, la précarité et l’exploitation. Plus un sou d’argent public ne devrait aller dans leur poche. Nous devons fermement nous opposer aux plans de sauvetage des entreprises, qui ne sont que des chèques en blanc faits aux capitalistes. La seule façon de vraiment sauver les emplois, c’est de nationaliser les entreprises sous le contrôle démocratique des travailleurs.