La situation politique à travers l’État canadien est caractérisée par un fond de mécontentements qui éclate en explosions sporadiques. Tous ces mouvements sont des manifestations de la sous-entendue crise du système. Pour aider à armer les travailleurs et les jeunes dans les luttes avenirs, La Riposte publie nos perspectives politiques pour 2013 – Thèses sur la lutte des classes dans l’État canadien. Nous acceptons les réactions de chacun ; s‘il vous plaît contactez nous à lariposte@marxiste.qc.ca.

Thèses sur la lutte des classes

dans l’État canadien

Une colère qui enflamme la société

1. La politique est caractérisée par les humeurs contrariées et non formulées de la population qui fait surface sous forme d’explosions sporadiques. Le mouvement Occupy, qui avait été prédit par les marxistes, a semblé surgir spontanément pour ensuite disparaître tout aussi rapidement. La merveilleuse grève de 2012 des étudiants au Québec, qui a joué un rôle important dans la défaite des libéraux de Jean Charest, a réussi à mobiliser des centaines de milliers de personnes en plus de susciter des manifestations inspirantes au son des casseroles. Présentement, l’oppression accumulée, qui sont ressentie par les gens des Premières Nations s’est exprimée par le mouvement Idle No More. Tous ces mouvements sont des manifestations de la crise sous-jacente du système.2. Même s’ils ne sont pas explicitement associés par des liens organisationnels, tous ces mouvements ont plusieurs aspects en commun. Premièrement, les jeunes y sont considérablement impliqués et de manière massive. Deuxièmement, leur critique dénonce implicitement l’organisation de la société dans son intégralité. Et troisièmement, il y a un élément significatif de ‘’spontanéité’’ dans chacun de ces mouvements.  Ces points communs ne sont pas dus au hasard.3. Les jeunes ressentent la crise du système beaucoup plus sévèrement et donc, ils sont souvent les premiers à réagir. En raison de l’absence d’habitude, de routine et de défaites des luttes passées, les jeunes sont bien plus sensibles au malaise sous-jacent de la société et enclins à la changer.  Ceci est un phénomène international. Actuellement, le mouvement de grève générale et la radicalisation concomitante de l’opinion publique en Grèce a été initié par une révolte de la jeunesse qui a été déclenchée lorsque la police a abattu un étudiant de 15 ans, Alexandros Grigoropoulos, en décembre 2008. En Espagne, le mouvement des jeunes, les indignados, de 2011 a mis en branle la crise actuelle du régime. Il ne faut pas oublier non plus que les révolutions du monde Arabe ont aussi été amorcées par la jeunesse.4. Jusqu’à maintenant, la spontanéité a joué un rôle important. Cela peut sembler en contradiction avec  les marxistes qui soulignent l’importance de l’organisation de masse de la classe ouvrière. La réalité est qu’il y a une pression immense d’accumulée dans le système. Cette pression recherche désespérément un exutoire. Malheureusement, les organisations existantes, à travers lesquelles les travailleurs et travailleuses et les jeunes peuvent lutter et exprimer leurs intérêts, ont été intégrées au système. La direction réformiste et bureaucrate de ces organisations et des partis prétendument  aux services des travailleurs et travailleuses, fait tout ce qui est en son pouvoir afin d’affaiblir la lutte des gens qu’ils sont sensés représenter. Or, la crise sociale et économique progresse, et le mouvement qu’elle voit naître cherche une ouverture pour progresser. C’est pourquoi les mouvements Occupy, celui des Casseroles et celui d’Idle No More vont de l’avant, de manière indépendante et en dehors des organisations de masse.5. Néanmoins, la spontanéité a ses limites. Ce qui apparaît soudainement peut se dissiper tout aussi rapidement sans l’aide d’une structure stable pour le fortifier. Dans les premiers stades, la spontanéité peut mener à un élan et à une force incroyable.  Le caractère dispersé et pluriel du mouvement signifie que tous peuvent y identifier sa cause particulière. Par contre, la lutte révolutionnaire n’est pas si simple. La réaction a appris comment composer avec ces mouvements sans dirigeants, en ayant recours à la répression et la ruse. Les concessions opportunes sont souvent utilisées afin de séparer la masse de ses couches avancées, ou encore, l’État attend stratégiquement que le mouvement s’essouffle par lui-même. Le peuple ne peut manifester que pour un temps limité avant d’être ramené à ses contraintes quotidiennes. Ce phénomène est d’autant plus accentué, que les masses ne voient pas d’issue, de voie menant à la victoire. Ça a été le cas du mouvement Occupy et cela aurait pu aussi être le cas du mouvement étudiant du Québec où les attaques répétées et l’oppression continue du gouvernement Charest ont redonné vigueur au mouvement qui a vu un débouché dans l’élection provincial. Les limites de la spontanéité ont été démontrées dans les révolutions Arabes. Après avoir défait le régime, il n’y avait pas de mécanismes en place par lesquels le peuple révolutionnaire pouvait prendre le pouvoir. C’est dans un tel contexte que les éléments islamistes ont comblé ce vide organisationnel. Le peuple doit maintenant payer le prix de ces révoltes et sacrifices avant même que la révolution ne soit terminée.6. Jusqu’à ce jour, la classe ouvrière canadienne ne s’était pas engagée dans la lutte de manière déterminée. Ce n’est évidemment pas parce que les travailleurs et travailleuses sont satisfait-es. Les affronts à  la classe ouvrière sont continus. Les employé-es d’Air Canada, de Poste Canada, du Canadien Pacifique et les enseignant-es de l’Ontario, pour n’en citer que quelques-un-es, ont été confronté-es à l’imposition de contrats et au retrait du droit de grève. Cela a mené à des manifestations massives et même au débrayage victorieux des travailleurs et travailleuses d’Air Canada. Par contre, sans exception, les dirigeant-es syndicaux ont été incapables, ou réticents, à prendre les mesures nécessaires pour mettre en échec les attaques contre la classe ouvrière. Ils se sont tous inclinés devant l’autel de la loi bourgeoise et tous ces mouvements ont été interrompus avant même d’avoir pu prendre leur envol. Il y a un vieux proverbe dans le mouvement des travailleurs et travailleuses qui dit  »la faiblesse invite à l’agression ». La faiblesse actuelle, au sommet du mouvement, est utilisée par les gouvernements de droite pour renforcer leur avantage. Le  »droit au travail » ainsi que d’autres réglementations antisyndicales surgissent comme une vraie possibilité pour le mouvement ouvrier.7. Néanmoins, les bourgeois sont fort avisés et agissent avec précaution. Ils sont habitués de faire affaire avec des bureaucrates lâches qui abandonnent lorsqu’ils sont confrontés à une lutte authentique.  Cependant, s’ils poussent les travailleurs et travailleuses à bout, ces derniers et ces dernières peuvent tasser leurs dirigeants. Cela peut prendre du temps et il est impossible de prédire quand exactement les travailleurs et les travailleuses prendront en main l’arme de la lutte que leur offre les mouvements de la jeunesse — ça pourrait être dans 6 mois, 12 mois ou même 5 ans. On ne sait pas quand le mouvement va percer, mais en attendant, il faut s’attendre à des soulèvements intermittents. Dû au manque de dirigeant révolutionnaire de la classe ouvrière, le mouvement sera nécessairement prolongé, avec plusieurs défaites et même des périodes réactionnaires et décevantes. Par contre, le développement général vers une lutte plus intense, révolutionnaire, demeure inchangé parce que le système capitaliste n’offre aucune autre porte de sortie pour la classe ouvrière.

Aucune issue économique sous le capitalisme

8. Les marxistes ne sont pas des déterministes économiques. Les circonstances économiques teintent le développement de la lutte des classes dans un sens général, mais les détails de chaque lutte sont indépendants de l’économie. La relation entre l’économie et la lutte des classes est dialectique et non pas linéaire. En général, une société qui peut développer ses moyens de production peut aussi se permettre des concessions qui favorisent la stabilité. Une société qui ne le peut pas, embarque dans une période de déclin et de crise.9. Nous ne croyons pas qu’il y ait une perspective raisonnable de croissance économique au Canada assez suffisante pour s’étendre à une nouvelle période de réformes avantageuses pour la classe ouvrière. Ce point de vue est partagé par les stratèges du capital. Par exemple, Don Drummond, l’ancien économiste-en-chef de la banque Toronto-Dominion, a expliqué qu’il n’envisageait pas de taux de croissance dépassant les 2% pour « l’avenir proche ». La bourgeoisie ne prévoit ni croissance, ni réformes; elle prévoit plutôt des coupures et des mesures d’austérité pour la prochaine décennie, voire pour plus longtemps encore.10. Plutôt que pessimiste, comme le disent certains réformistes, cette prédiction de 2% de Drummond et Cie serait même trop optimiste. Il est fort possible que l’économie canadienne ne se rende même pas à ce modeste taux de croissance.11. La dette des ménages au Canada se situe présentement à plus de 160% du revenu annuel de ceux-ci, et cela a été un des facteurs dans le déclassement récent de la note de crédit des plus grandes banques canadiennes. Les bas taux d’intérêts provoqués par l’effondrement financier mondial de 2008 ont mené à une bulle immobilière dans les plus grandes villes Canadiennes. Il y a 120 gratte-ciels qui sont soit prévus ou en cours de construction à Toronto. C’est le plus haut taux d’activité sur la planète, avant la ville de Mexico qui se classe deuxième avec 30 projets de construction. Vancouver, Toronto et d’autres villes Canadiennes continuent d’avoir les logements les moins abordables au monde. En ce moment, il paraîtrait que les ventes immobilières sont en baisse, mais les prix eux ne baissent pas pour autant. La situation ne peut se maintenir indéfiniment, et tôt ou tard, une «rectification» est inévitable. Le recule de l’activité économique et de l’embauche dans le domaine de la construction pourrait être le prochain choc projetant le Canada dans une nouvelle récession.12. Les commentateurs ont été optimistes quant à l’économie Américaine qui, espérant un redressement économique, était censé avoir un effet similaire sur le Canada. Mais dans les faits cela ne s’est jamais concrétisé. Le PIB des États-Unis a en fait chuté de 0.1% au quatrième trimestre en 2012 — plus d’un point entier de pourcentage inférieur aux attentes. Cela constitue, en partie, l’expression de la crise économique mondiale qui persiste, avec l’Europe qui est en mauvaise posture.13. Le gouverneur sortant de la Banque du Canada, Mark Carney, a réprimandé les entreprises canadiennes de faire des réserves de plus 500 milliards $ en « argent mort », qui devraient être investis pour relancer l’économie. Ce manque d’investissement représente environ le tiers (32%) du PIB canadien. Un taux quatre fois supérieur à celui américain. Au fond, les entreprises canadiennes empochent tout l’argent des crédits d’impôt du gouvernement et font semblant de stimuler l’économie globale, sans investir dans celle-ci pour autant.14. Cette accumulation d’argent est parfaitement logique dans ce système insensé de capitalisme libre-marché. L’économiste de la Banque Royale du Canada, David Onyett-Jeffries, expliquait récemment: « Dû au haut degré d’incertitude constant à propos de la tournure de l’économie mondiale, il est donc raisonnable que les firmes décident de maintenir une somme d’argent relativement large en tant qu’amortisseur au cas où ils seraient pris de cours lorsque la prochaine crise fera une réapparition. » En d’autres mots, les capitalistes n’ont aucune foi en leur propre système et cela s’exprime dans la langue la plus importante : celle de l’argent. Les capitalistes n’investissent pas pour le plaisir, ils le font pour le profit. Sans l’espoir qu’un investissement leur sera rentable, le système est paralysé. Ceci est la plus claire des remises en cause possible du système.15. Beaucoup de choses ont été dites sur la stabilité des banques au Canada. En effet, elles sont assurées à travers la société canadienne d’hypothèques et de logement (SCHL) qui appartient au gouvernement. Un fait peu connu est que les banques du Canada ont reçu 125 milliards $ en subventions secrètes par le biais du SCHL après la crise financière de 2008. Si on se fie à leurs évaluations boursières, cet argent aurait été suffisant pour nationaliser le secteur banquier au Canada de manière efficace. Par contre, cette largesse du gouvernement n’a pas empêché les banquiers de se récompenser avec des bonus de plusieurs milliards de dollars pendant qu’ils tétaient l’argent du peuple. Du point de vue des travailleurs et des travailleuses qui font face à l’austérité, l’injustice de la situation est évidente. Cependant, cela a des conséquences importantes sur la stabilité du système en tant que tel.16. Dans l’éventualité d’un nouvel effondrement du marché immobilier, joint à une montée du chômage et à l’augmentation des faillites (dû au taux historiquement élevé de la dette domestique), les banques du Canada risquent une pression énorme. Par contre, le SCHL garantie ces grosses banques de ne pas être déficitaires. Cela a été défini comme ‘’la privatisation des profits et la nationalisation des pertes’’. Les mauvaises dettes sont ainsi déplacées aux contribuables, augmentant conséquemment considérablement la dette du gouvernement. Le ratio dette-PIB canadien est déjà très haut, mais cette progression serait suffisante pour l’augmenter à des niveaux record, entraînant une crise économique sans précédent.17. Selon le magazine The Economist, voici comment le taux global de dette par rapport au PIB canadien (fédéral + provincial + municipal + dette de société d’État) se compare à d’autres économies:

Espagne : 73%

États-Unis : 75%

Allemagne : 83%

Canada : 87%

France : 90%

Royaume-Uni : 91%

Italie : 121%

Grèce : 158%

Japon : 225%

18. Les hauts taux de dettes en cours sont responsables de la vague d’austérité qui déferle au niveau international. Cette tendance n’exclut pas le Canada. Une dette élevée, combinée avec une note de crédit réduite, augmente le coût d’entretien de la dette plus que tous autres services gouvernementaux. Les capitalistes ne peuvent tout simplement pas ignorer ce fait. Dans l’éventualité d’un autre renflouement (par des emprunts renouvelés), le Canada pourrait se retrouver dans une situation bien plus désastreuse qu’en ce moment.19. Toutes les perspectives économiques sont conditionnelles à l’égard du temps et de leur proportion. Ceux qui prétendent pouvoir prédirent comment l’économie va se développer sont souvent les mêmes qui s’adonnent à la vente pyramidale. Dans l’analyse qu’ils donnent, il n’y a pas de  »crise finale » du capitalisme. Pour eux, le système capitaliste saura toujours trouver une porte de sortie, d’une manière ou d’une autre. Par contre, cette affirmation n’épuise pas la question.  »D’une manière ou d’une autre » ne veut pas dire qu’une croissance peut être atteinte d’une manière simple, automatique, rapide ou sans peine. La dernière grande crise du capitalisme (1929) a seulement été résolue après une décennie de dépression, le massacre de 50 millions d’âmes et l’éradication potentielle de la civilisation. On ne sait pas quelles mesures vont être nécessaires pour que la bourgeoisie puisse rééquilibrer le système, mais nous sommes convaincus que la construction d’une nouvelle société sera bien moins douloureuse et coûteuse que l’entretien du profit comme motivation.

Simplement taxer les riches n’est pas une solution

20. En 1960, le trotskiste britannique Ted Grant a analysé la vague de prospérité de l’après-guerre afin de déterminer si les taux de croissance élevés de cette période entraînaient une rectification de l’analyse marxiste de l’économie capitaliste.  »Y aura-t-il un déclin? » reste un classique marxiste jusqu’à ce jour. Ted a analysé les idées de Keynes afin de savoir si elles représentaient une solution. Dans son temps, les idées de Keynes de  »mesures de relance de l’économie » étaient perçues comme la réponse définitive à Marx et le mécanisme par lequel les déclins (et les croissances) pourrait être évité. Ted a démontré que ces idées étaient fausses et que la méthode marxiste demeurait valide — ce qui a ensuite été prouvé par l’hyperinflation et la récession (la stagflation) des années 1970.21. Récemment, il semble que les idées keynésiennes regagnent en popularité dans certains domaines académiques et dans la gauche en général. Ces idées se résument dans le slogan :  »Imposons les riches! » Certain-es, qui s’identifient comme marxistes, ont même répété cela. Nous croyons que ce slogan est erroné et peut mener à des confusions réformistes.22. Comment résoudre l’inégalité et la crise dans le système? Les économistes soi-disant  »du côté de la demande » (les Keynésiens) indiquent que la faiblesse du marché est dû au fait que les masses ont des niveaux de vie bas. Si le marché pouvait être stimulé, alors la crise serait résolue. Ils proposent de taxer les bourgeois pour réduire l’inégalité et augmenter la capacité d’achat des gens, afin d’augmenter le marché. Les économistes  »du côté de l’offre » (les néoclassiques) déclarent que si on enlevait l’argent des riches, cela réduirait le surplus nécessaire pour les investissements, ce qui aurait comme conséquences de réduire le taux de profit et de déclencher une nouvelle baisse de la production de richesse.23. Les économistes classiques suggèrent des mesures d’austérité et la croissance de l’exploitation pour rétablir le taux de profit. Les keynésiens répondent que cela ne fera que réduire davantage la capacité d’achat des gens et aggravera le problème. C’est exactement ce qui est en train de se produire en Grèce et dans d’autres pays du sud de l’Europe.24. Les deux camps ont raison dans leur critique de l’autre, mais aucun des deux n’ont une vue de la situation dans son ensemble. L’économie implique en même temps l’offre et la demande et le système en entier est affecté si quelque chose y est modifié. Essayer de stimuler l’économie en imposant les riches, c’est l’équivalent économique d’un homme qui essaie de se soulever par ses lacets. Si on taxe les riches, ils ne vont pas investir. Dans certaines juridictions où ils ont essayé  ça, il y a même des preuves qu’avec l’évasion fiscale, la comptabilité créative et le déménagement de juridiction, que le revenu provenant des taxes a en fait baissé!25. Ayant échoué à taxer les riches, les keynésiens se tournèrent vers l’utilisation du financement à perte, ce qui n’amène qu’une charge de dettes insoutenable. Certains disent qu’on ne doit pas s’inquiéter de la dette. Nous encourageons ces gens à mener une expérience et à cesser le paiement du montant minimum dû sur leur carte de crédit ou leurs paiements hypothécaires. Ils seront rapidement éduqués! La perspective selon laquelle nous ne devons pas nous soucier de la dette, car elle se réduira en tant que pourcentage du produit national brut, est basée sur des projections de croissance incroyablement optimistes. Par essence, les réformistes ont plus foi au système capitaliste que les capitalistes eux-mêmes. En se basant sur les calculs de Don Drummond ou d’un autre économiste classique, la solution s’avère être l’austérité ou une dette à l’italienne. Les marxistes ne croient pas que Drummond soit trop pessimiste. Il est même possiblement trop optimiste à l’égard du capitalisme.26. Lorsque la taxation et le financement à perte s’avèrent être des options à rejeter, il ne reste plus que l’impression de monnaie, servant à déprécier les valeurs monétaires et amenant une hyperinflation qui érode la condition des masses. L’inflation est l’héritage des keynésiens des années 1970. Ce qui est étonnant c’est que, ne trouvant pas d’autre façon de sortir de la crise, certains bourgeois envisagent sérieusement de recourir à l’impression de monnaie, sous l’euphémisme de «facilitation quantitative». Ils avaient auparavant dit ne plus jamais vouloir recourir à l’impression de monnaie. Il s’agit d’un symptôme de la gravité de cette crise et de l’impasse à laquelle sont confrontés les capitalistes.27. Les marxistes ne sont pas opposés à la taxation des riches. Nous ne faisons qu’indiquer le fait qu’il est impossible de régler le problème par la simple taxation progressive sans y combiner la nationalisation de l’élite économique sous un contrôle démocratique des travailleurs. Le problème se situe dans la logique du système dans son entièreté, non seulement en regard de l’offre et de la demande. La seule solution envisageable est de remplacer l’économie basée sur le profit, qui mène inévitablement à la surproduction et à des crises, par une économie basée sur la satisfaction des besoins humains. De cette façon, les forces productives pourront planifier la production en fonction des besoins de tous. Il est impossible de ne pas tenir compte de ce fait.

Les organisations de masse de la classe ouvrière

28. Les marxistes accordent beaucoup d’importance aux organisations de masse de la classe ouvrière. Les idées qui sous-tendent cette conception ont été développées dans le programme de transition de Trotski, dans La maladie infantile du communisme, le gauchisme de Lénine et par Ted Grant durant la période d’après-guerre. L’histoire joue un rôle prépondérant dans le développement de la conscience de classe, et peu importe si certains gauchistes veulent « un nouveau départ », car les masses ne voient pas les choses de cette façon. Ted Grant a expliqué que lorsque les masses entrent dans la lutte politique, ils tendent à le faire au sein de leurs organisations de masse traditionnelles, c’est-à-dire leurs syndicats, les partis travaillistes sociaux-démocrates et le mouvement communiste dans certains pays où le communisme fut une tendance de masse. La masse de la population n’entend rien aux idées des petits groupes, aussi correctes soient-elles.29. En entrant dans les organisations de masse, les travailleurs radicaux et la jeunesse vont découvrir une bureaucratie bien campée sur ses positions et mariée au capitalisme. Trotsky expliquait que, sans cette bureaucratie, les capitalistes n’arriveraient pas à maintenir leur règne. Malgré cela, ces organisations reçoivent toujours un appui énorme de la classe ouvrière. La percée électorale du NPD en 2011 s’explique par cette connexion de la masse ouvrière avec son parti. Elle est survenue malgré le faible programme du parti, et non grâce à lui. Seuls les marxistes avaient prévu et expliqué d’avance ces développements : tous les autres commentateurs, journalistes, intellectuels et sectaires croyaient que le NPD recevrait au maximum 20% des appuis. Ils ont tous été surpris et confus alors que l’analyse marxiste nous avait préparés à analyser et intervenir selon ces développements dès le lendemain des élections. Ce fut une victoire due à la prévoyance.30. La vague d’émotion suivant la mort de Jack Layton, alors que plus de 20 000 personnes étaient présentes à ses funérailles, fut un exemple encore plus clair du lien entre la conscience de masse et le NPD. Les mots dessinés à la craie dans le square Nathan Philips étaient d’une teneur incroyablement progressiste, et parfois même révolutionnaire. Comment pourrions-nous expliquer cela s’il n’y avait aucun lien entre les masses et le parti ? Une fois de plus, seule la tendance marxiste a pu analyser et se connecter à ce sentiment sans compromettre sa critique. Tous les autres restèrent silencieux.31. Par contre, il est généralement vrai que les travailleurs militent au sein de leurs organisations de masse et que la lutte sera inévitablement cristallisée dans ces structures. Ce n’est pas un processus automatique. La situation est ironique puisque, alors que le capitalisme traverse sa pire crise depuis des générations et que les organisations de masse n’ont jamais eu de pire leadership de droite pro-capitaliste, la gauche organisée dans la social-démocratie n’a jamais été aussi mal en point. L’une des raisons pouvant expliquer cette situation repose dans le fait qu’avec la crise, il ne semble pas y avoir d’argent pour effectuer des réformes sous le capitalisme. Cela se répercute alors sur la réception par les masses de la plateforme des réformistes de gauche, qui devient utopique sous les conditions actuelles. Actuellement, le règne des libéraux comme Thomas Mulcair est un obstacle aux travailleurs et à la jeunesse qui voudraient rejoindre le parti. Tant que cette situation ne changera pas, nous croyons que les plus grands développements se produiront à l’extérieur du NPD, soit par le mouvement ouvrier, soit par des événements spontanés.32. Tant qu’il forme l’opposition officielle, la plus grande priorité du parti est de maintenir son unité et d’éviter les scissions internes, ce qui accentuerait la domination de la bureaucratie monolithique. Un jour ou l’autre, inévitablement, la crise économique discréditera les partis capitalistes et propulsera le NPD au pouvoir. C’est une étape nécessaire dans l’éducation de la masse de la population : les gens doivent voir par eux-mêmes ce que l’aile droite de la social-démocratie peut faire. Dans des situations de crise, et à cause de leur refus de quitter le système, les réformistes seront obligés de prendre la responsabilité de l’austérité capitaliste. C’est ce qui est arrivé au gouvernement travailliste britannique dans les années 70, ou dans les années 90 au gouvernement néo-démocrate de Bob Rae en Ontario. Tout effort d’implanter des réformes en faveur des travailleurs reçoit une féroce opposition de la part des capitalistes et de leurs médias. Nous pouvons d’ailleurs même nous attendre à des grèves d’investissement, des contraintes au crédit voire même à du sabotage. Toutes les forces qui, au pouvoir, tendent à promouvoir l’unité sont celles qui causeront les divisions après leur chute. Il est important de concevoir les organisations de masse comme des structures dynamiques et contradictoires. D’un côté, il y a le leadership bureaucratique pro-capitaliste et, de l’autre, les subordonnés qui sont le lien avec le reste de la classe ouvrière. Cette lutte dialectique va de pair avec la lutte des classes dans la société. C’est précisément ce lien entre la conscience de masse et les organisations de masse que les bourgeois craignent et détestent.33. Notre analyse est occasionnellement mal interprétée et réduite (parfois délibérément) à : «Les organisations de masse vont inévitablement vers la gauche». Ceci n’est pas, et n’a jamais été notre position. Notre analyse ne prédit aucun mouvement à gauche inévitable; nous prévoyons une polarisation inévitable au sein des organisations de masse où la compétition entre les classes est cristallisée (bourgeois contre prolétaires). Il y a toujours des conflits et des divisions en perspective, à droite comme à gauche. Le gouvernement travailliste britannique des années 70 s’est effondré après que ses mesures d’austérité aient provoqué une vague de grèves dans le secteur public en 1979, ce qui fut appelé l’hiver du mécontentement. Cela a discrédité le leadership aux yeux des travailleurs au sein du parti et a précipité la séparation de l’aile droite du parti, qui a formé le SDP.  La division de la droite a propulsé la gauche au pouvoir avec une bonne présence de marxistes. Le parti adopta la position de nationaliser les 25 plus grands monopoles du pays lors de l’élection de 1983. Au Canada, un développement similaire est survenu avec la formation du «  Waffle », un groupe marxiste radical au sein du NPD. En réponse à la crise de la fin des années 60 et du début des années 70, une tendance semi-révolutionnaire appelant au socialisme et à des nationalisations à grande échelle a réussi à obtenir 37% des appuis au congrès du parti de 1971. Il est nécessaire pour les tendances marxistes révolutionnaires d’être présents afin d’assister les travailleurs radicalisés dans leur choix des meilleures tactiques et idées pour vaincre la minorité bureaucratique.34. En Europe, nous avons vu la montée d’organisations de gauche telles Die Linke en Allemagne, Izquierda Unida en Espagne, le Front de Gauche en France et SYRIZA en Grèce. Certains se sont demandé d’où viendrait le SYRIZA canadien, et si cela ne serait pas contraire à notre accent mis sur les organisations de masse. Cela vient d’une compréhension superficielle de l’histoire de ces pays : toutes ces formations sont issues du mouvement communiste, qui est une tradition de masse dans ces pays. Quelques-unes de ces organisations incluent des gens issus de divisions au sein d’anciens partis de gauche. Un exemple à l’opposé de celui-ci serait le destin misérable des formations qui n’ont aucun lien avec les organisations de masse traditionnelles, comme RESPECT en Angleterre ou la NPA française. On ne peut pas simplement dire que la même chose survient de la même manière partout où l’on se trouve. Chaque situation doit être analysée pour déterminer les points communs et les différences qui sont présents.  Il est important de ne pas idéaliser les petites tendances de gauche. Le leadership de SYRIZA, par exemple, se dirige vers la droite parce qu’il subit plus de pressions de la classe dominante à mesure qu’il s’approche du pouvoir. La montée de la gauche n’abolit pas le besoin de construire consciencieusement une tendance révolutionnaire : il le renforce. Pour répondre à la question d’où viendra le SYRIZA canadien, nous croyons que les travailleurs se radicaliseront et que cela s’exprimera par la création d’une aile gauche dans le mouvement ouvrier et dans le NPD, comme seul parti ayant une tradition de masse dans le Canada anglais.35. Le mouvement ouvrier lui-même est dans un état lamentable. Constamment attaqué, à la limite de la capitulation, le leadership est complètement perdu dans cette nouvelle époque d’austérité. Il ne cesse de s’accrocher à ses succès des années 60, comme si cette période représentait la façon dont les choses devraient être. En rétrospective, nous pouvons voir que c’était le boom d’après-guerre qui a permis certaines réformes, qui auraient en d’autres cas été des aberrations pour les capitalistes. L’état naturel du capitalisme est celui de l’austérité et de l’exploitation crasse. Cette contradiction entre la réalité matérielle et l’idéologie du leadership du mouvement ouvrier ne peut continuer indéfiniment.36. Dans la période où s’amorçait la grande récession, les leaders syndicaux ont fait l’autruche. Ils ont conseillé aux travailleurs d’accepter les coupes, de garder leur calme, que tout allait bientôt rentrer dans l’ordre. Malheureusement pour les travailleurs, cette approche défaitiste ouvrit la porte à de nouvelles agressions comme des propositions ayant trait au «  droit au travail » ou à l’abolition de la formule Rand. De nos jours, les unions tiennent le discours opposé. De « rien à signaler », elles sont passées à « le ciel nous tombe sur la tête ». Certains parlent de la destruction du mouvement ouvrier. Des sections des syndicats sont paniquées par l’idée qu’une éventuelle baisse de 50% des cotisations voudrait dire que les structures syndicales seraient vulnérables aux coupes des capitalistes. En tant que marxistes, nous croyons nécessaire d’avoir un sens des proportions; nous ne pouvons ni ignorer la crise, ni courir partout comme une poule sans tête. Ces deux attitudes ont mené à des conclusions réactionnaires. Par exemple, en Ontario, la peur du « droit au travail » sous les conservateurs de Hudak a mené les dirigeants syndicaux à choisir le moindre mal et faire élire les libéraux de Wynne, malgré leurs récentes attaques sur les professeurs et le secteur public en général. Le message de la bureaucratie est : « Nous accepterons l’austérité pour les travailleurs, mais ne touchez pas à nos comptes de dépenses ! » N’importe quelle coupe est acceptable pour eux tant que les droits politiques de l’appareil syndical sont maintenus. Cela mine les syndicats, car les travailleurs ne voient pas le but de payer des cotisations pour accepter l’austérité.37. Même si l’abolition de la formule Rand constitue une attaque importante qui doit être contestée par des actions de masse, le mouvement ouvrier n’est pas au bord de la destruction. Seul un mouvement fasciste de masse peut détruire le mouvement ouvrier, et l’alarmisme ne fait que désarmer les travailleurs. Premièrement, il n’est pas garanti que les bourgeois vont pousser ces contre-réformes. Il y a une division entre les néoconservateurs qui veulent profiter de leur avantage et les éléments avec une meilleure vision à long terme qui sont plus prudents. Ils voient de telles actions comme de la provocation qui enragerait les travailleurs et mènerait à la destitution des chefs syndicaux de droite qui supportent présentement le capitalisme. Ces attaques ne sont pas gagnantes électoralement, comme le démontre le faible taux d’approbation du parti de Hudak et d’autres partis de droite. Deuxièmement, même si ces attaques étaient réussies, les relations de travail au Canada ne feraient que tomber au niveau de celles des États-Unis. Oui, les syndicats américains sont moins forts que les Canadiens, mais ils restent la force la plus puissante dans la société américaine. Margaret Thatcher avait rendu illégal le « Closed Shop » dans les années 1980, mais le combat contre cette attaque avait politisé plusieurs travailleurs et la baisse des cotisations redoutée n’avait pas eu lieu. Ces attaques préparent le  terrain à la mobilisation de masse et au renouveau du mouvement ouvrier. Même si les marxistes font de l’agitation et disent que nous devons nous battre maintenant, nous sommes trop faibles pour être une voix décisive dans la lutte.38. De plus en plus, l’état bourgeois utilise des méthodes anti-démocratiques pour imposer l’austérité – des législations de retour au travail, des contrats forcés, des limites sur le rassemblement et le piquetage, des détentions de masse et de la brutalité policière. Les étudiants Québécois ont montré qu’en pratique le seul moyen de défaire l’oppression étatique est la défiance de masse. Les travailleurs et leurs organisations doivent apprendre de cette leçon, sinon il n’y aura que des défaites. Cette leçon nous démontre la nature concrète de l’état. Chaque fois que les capitalistes utilisent ces outils, ils s’usent en laissant entrevoir que nous ne vivons pas dans une société libre où tous sont égaux devant la loi. Un jour, une section importante de la classe ouvrière défiera les lois anti-démocratiques et cela aura un effet radicalisant sur l’ensemble du mouvement ouvrier. La logique de confrontation mènera à des actions solitaires imprévisibles comme à des grèves générales. Tant que l’austérité continuera, il y a un potentiel pour que la lutte généralisée s’étende à l’ensemble de la société. Tout ce qu’il faut, c’est un petit groupe de travailleurs prêt à passer à l’action.

Tourmente au Québec

39. Durant plus d’une décennie, le peuple du Québec a cherché l’issue à l’impasse de la société. La vieille dichotomie fédéralisme/nationalisme, qui avait dominé les débats depuis les années 70, n’est plus suffisante. Il y a eu de soudains revirements dans l’opinion publique, tant à gauche qu’à droite, avec la montée et la chute des organisations politiques. Objectivement, il y a là une opportunité fantastique pour la création d’un parti ouvrier qui unirait tous les secteurs de la classe ouvrière pour éliminer les anciennes divisions. Toutefois, tant qu’un tel parti ne sera pas formé, les oscillations sociales demeureront, de plus en plus rapides et violentes.40. La grève étudiante au Québec fut un important pas en avant et a révélé la profondeur de la grogne existant dans la société. Elle a aussi démontré le potentiel des associations entre les organisations de masse traditionnelles des travailleurs et la jeunesse. La défaite des Libéraux est un résultat direct de la mobilisation de masse, des centaines de milliers de gens dans la rue avec leurs bannières rouges dans les quartiers ouvriers de Montréal. En réponse à ce mouvement, le Parti Québécois fut forcé de faire campagne à gauche.  Le parti a réussi à obtenir une victoire minoritaire qui n’a résolu aucune des questions à la base de la crise.41. La question nationale au Québec n’est pas disparue; elle côtoie la lutte de classe. Cela a été démontré lors de l’élection provinciale de 2012 alors que tant les libéraux que le PQ ont utilisé la question nationale pour tenter d’éclipser le mouvement étudiant et l’austérité capitaliste. Les libéraux et les médias anglophones chauvinistes ont tenté de créer l’hystérie face au gouvernement péquiste à venir, en convainquant les gens que le PQ ne respecterait pas les droits des immigrants et des anglophones, ceux-ci ne pouvant alors être défendus que par le PLQ. La fusillade au rassemblement de la victoire du PQ n’a servi qu’à alimenter les tensions. Malheureusement, cette stratégie de la division nationale fut en partie efficace et permit aux libéraux de s’emparer de la majorité de l’île de Montréal. Il est ironique qu’ils aient eu autant de succès là où la grève étudiante était à son plus fort.42. Québec Solidaire représente une opportunité importante pour la formation d’un véritable parti de masse des travailleurs au Québec. 6000 nouveaux membres se sont joints à QS durant la grève étudiante, et le nombre de votes en faveur du parti ainsi que le nombre de sièges qu’il a récoltés a doublé lors des dernières élections. Il lui reste toutefois à s’unir avec le mouvement des travailleurs, chose que le leadership du parti semble ne pas vouloir ou ne pas savoir comment faire. Inexplicablement, lors de l’élection de 2012, la seule manifestation que le parti a organisée fut sur le thème de l’indépendance du Québec. La gratuité scolaire, le plein-emploi, les logements sociaux, ou n’importe quel autre sujet aurait mieux permis d’établir une distanciation avec le PQ, et d’étouffer les dires selon lesquels QS ne forme que l’aile gauche du PQ. Les actions de QS suivent les buts de la bourgeoisie québécoise, soit de taire des projecteurs les questions de classe et diviser le vote de la classe ouvrière. La coalition avenir Québec (CAQ) a été capable de recevoir d’importants appuis en évitant la division nationale à droite. Malheureusement, les leaders de QS n’ont pas encore compris qu’une stratégie analogue à gauche pourrait fonctionner. Malgré tout cela, QS reste l’option première des masses, faute d’alternative.43. Le NPD fédéral au Québec n’est pas encore une organisation traditionnelle de masse pour la classe ouvrière. Les syndicats restent à l’extérieur du parti, et la faction de Mulcair leur semble hostile. Le leadership du parti a fait tout en son pouvoir pour ne pas avoir à s’impliquer dans la lutte sociale qui se déroulait au Québec – particulièrement au sein du mouvement étudiant. La bureaucratie du parti à soulever l’idée de créer une aile provinciale du NPD au Québec, ce qui heureusement a été écarté pour l’instant. Alors qu’un parti de gauche (QS) existe déjà, nous pensons que la fondation d’un NPD provincial explicitement fédéraliste serait un pas en avant dans la division du vote et des forces de gauche. Ceci étant dit, nous sommes en faveur que le NPD s’implique dans la politique provinciale. Nous appelons le NPD, les syndicats québécois et Québec solidaire à former un front uni contre l’austérité, comme première étape de la création d’un nouveau parti uni des travailleurs unissant ces trois sections. C’est dans les traditions de ces organisations – QS est né de la fusion de l’Union des forces progressistes et d’Option citoyenne, alors que le NPD vient du mouvement « New party » qui a uni le Canadian labour congress et la Co-operative commnonwealth federation.44. Les nationalistes bourgeois du gouvernement péquiste sont inaptes à résoudre les problèmes auxquels font face la jeunesse et les travailleurs du Québec. Même les minces réformes qu’ils ont été obligés d’implanter pour gagner le pouvoir, par exemple le gèle des frais de scolarité, sont maintenant menacées. À travers la logique du système capitaliste, il n’y a pas d’autres choix que l’austérité; ce qui est d’autant plus vrai au Québec en raison de sa dette élevée et de son secteur manufacturier en déclin. Une nouvelle confrontation des étudiants et du mouvement ouvrier contre le PQ est en cours de préparation. C’est un triste drame qu’une semaine seulement après le budget d’austérité du PQ, le leadership de QS discutait d’une potentielle alliance souverainiste avec le Parti québécois et Option nationale, au lieu de créer une alliance des forces anti-austérité! Québec solidaire devrait être le premier au front pour s’allier contre le PQ – avec les travailleurs qui s’opposent à l’austérité et les étudiants combattant pour la gratuité scolaire. Cela pourrait paver la voie à une avancée significative vers le jour où ce gouvernement minoritaire tombera. De la même manière, le mouvement étudiant doit aller au-delà de l’antiparlementarisme et doit se salir les mains en militant pour un parti qui supporte la gratuité scolaire; ce serait une avancée clé. Mais comme toujours, ceux qui doivent être les premiers à rompre leurs liens avec les partis bourgeois sont les syndicats. Lorsque les travailleurs organisés bougeront, la situation changera.

Que veulent dire les marxistes par leadership?

45. Trotsky introduit le programme de transition avec la phrase suivante : « La situation politique mondiale dans son ensemble se caractérise principalement par une crise historique pour la direction du prolétariat. » Ce point reste un élément clé de notre analyse.46. La crise de la direction revêt plusieurs formes. La forme la plus évidente s’illustre dans les capitulations des dirigeants syndicaux et sociaux-démocrates. Récemment, des dizaines de milliers d’enseignants de l’Ontario étaient sur le point de prendre des mesures de grève sauvage contre un contrat d’austérité imposé de manière non-démocratique. Ces travailleurs, qui étaient à la droite du mouvement et appuyaient le gouvernement libéral seulement 12 mois auparavant, étaient maintenant prêts à aller massivement en grève illégale et affronter le risque de recevoir des amendes et même des peines d’emprisonnement. Cela montre avec quelle rapidité la conscience peut changer par la force des événements. Cependant, à 16h30, le jour où la grève devait être déclenchée, les dirigeants syndicaux ont annulé le débrayage. Le retour en arrière par la direction a mené directement à la défaite de la lutte contre le contrat imposé. Scandaleusement, il a été découvert par la suite que les dirigeants du syndicat des enseignants avaient donné de l’argent pour la campagne de la direction du Parti libéral. Quiconque ose insinuer que la défaite des enseignants était due en quelque sorte au manque de conscience des travailleurs, professe la pire calomnie imaginable.47. Sur le front politique, nous avons vu Thomas Mulcair, le chef fédéral du NPD, soutenir pour l’essentiel la stratégie des Conservateurs pour gérer les manifestations du mouvement Idle No More. (Faisant face à un contrecoup, il a tenté depuis de se distancer de ces affirmations.) Le NPD d’Ontario a également soutenu les libéraux et leur budget d’austérité en échanges de quelques miettes. Tous ces gestes sont non seulement une trahison, mais affaiblissent également le soutien du parti dans la population. Ironiquement, cela provient de la faction bureaucratique, qui considère la victoire électorale comme la chose la plus importante en politique. De telles trahisons sont trop nombreuses pour en faire le compte et se poursuivent depuis les années 1930.48. La débâcle du leadership des travailleurs a mené certaines sections plus jeunes du mouvement à des conclusions semi-anarchistes et à refuser le leadership. Ceci est compréhensible, compte tenu des circonstances. Par exemple, imaginez la réaction des étudiants du Québec quand ils ont découvert que certains chefs syndicaux québécois cherchaient à dissuader les syndicats canadiens de soutenir le mouvement, sous prétexte qu’il était voué à l’échec! Malheureusement, les organisations de travailleurs et leurs directions bureaucratiques ne peuvent être simplement ignorées. Nous avons expliqué précédemment les immenses réserves dans le soutien que ces organisations ont auprès de la classe travailleuse. Le rejet « anarchiste » des organisations de masse et de leur direction est un symptôme précoce des premières étapes du mouvement, qui a tendance à disparaître au fur et à mesure que le mouvement grandit. Il n’y a pas moyen d’éviter le combat pour gagner la bataille de la démocratie dans les organisations de travailleurs. Abandonner cette lutte équivaudrait à abandonner la masse de travailleurs et la jeunesse au contrôle des bureaucrates, tout en laissant isolés les militants les plus radicaux.49. La lutte des travailleurs pour se débarrasser du leadership bureaucratique n’est pas facile et n’arrive pas facilement, ni en ligne droite. Toutefois, s’il était impossible pour les travailleurs de venir à bout du leadership démocratique au sein de leurs propres organisations, nous devrions en conclure qu’il est impossible aux travailleurs de bâtir une nouvelle société – une tâche beaucoup plus grande. Souvent, le leadership dans un mouvement est renouvelé par une série d’approximations progressives. Les anciens chefs qui ont révélé leur débâcle sont mis de côté et remplacés par d’autres plus près des membres. Ensuite, les limites de ces nouveaux chefs sont révélées dans l’action. À l’occasion, des bureaucrates avec de l’ancienneté pourront détecter le changement sous leurs pieds et se déplacer à gauche pour conserver leur position. Dans d’autres cas, des individus, sous la pression de l’expérience de la masse peuvent vraiment se déplacer à gauche. L’histoire présente des exemples de ces tendances. Quand des révolutionnaires marxistes conscients et organisés sont présents, ces développements peuvent se produire beaucoup plus rapidement – mais cela peut seulement être accompli par des explications patientes et en remportant un véritable mandat véritablement démocratique parmi les subordonnés « rank-and-file ». Il n’y a pas de raccourci dans cet effort.50. Le rejet du leadership est une autre forme que peut prendre la crise de la direction. D’une certaine manière, cette mésinterprétation de la lutte de classes peut être plus dangereuse que la trahison totale de la direction. La base peut distinguer les bureaucrates dans le processus de la lutte. Cependant, des militants honnêtes qui se basent sur des idées fausses peuvent mener à des défaites, ce qui peut avoir comme conséquence d’affaiblir le mouvement et de démoraliser les masses, en leur faisant perdre confiance. Par exemple, le leadership de la Classe avait résolument choisi de s’opposer à la hausse des frais de scolarité, et comprenait que seule la création d’un mouvement de masse les mènerait au succès. Il est ironique qu’ils aient nié faire preuve de leadership en affirmant n’être que de simples porte-paroles. Ce n’est qu’un débat sémantique et montre à quel point le langage est galvaudé. On confond leadership et dictature bureaucratique – c’est-à-dìre mauvais leadership. L’alternative à un mauvais leadership n’est pas l’absence de leadership. C’est plutôt un bon leadership, et le renommer ne change pas son essence, cela ne fait que causer de la confusion. Le mantra « Nous ne sommes pas des leaders, nous sommes des porte-paroles » a été utilisé par la droite comme prétexte à l’inaction lors de grèves.. Les dirigeants-es de la CLASSE ont travailé sans relâche, dans une perspective réfléchie, et ont mobilisé la base pour gagner un mandat démocratique. La minorité consciente avait une stratégie qu’elle pensait bonne pour arriver à la victoire, et elle a été élue sur cette base. Lorsque les idées de la minorité furent adoptées démocratiquement par la majorité, grâce à un exercice de discussion libre et de débat, ces idées ont gagné en légitimité. Ceci est un exemple fantastique d’un bon leadership qui n’est pas en opposition avec la masse, mais qui au contraire entre en relation dialectique avec elle.51. L’idéologie révolutionnaire des dirigeants-es de la CLASSE, combinée au fait qu’ils dirigeaient une organisation étudiante de masse reconnue pour sa tradition d’assemblées générales démocratiques, a mené à une explosion de la lutte. Malheureusement, c’est ici que les limites de leur idéologie sont apparues. La tâche la plus importante du mouvement étudiant est de se joindre aux travailleurs-es. Le rapport de force des étudiants-es seuls-es est minime. La principale force des étudiants-es réside dans la capacité de répandre la lutte à la classe ouvrière. Toutefois, cette tactique n’a été mentionnée que du bout des lèvres. Des résolutions furent votées pour que le mouvement intervienne sur les lieux de travail, mais rien ne fut organisé concrètement pour répandre le mouvement aux travailleurs-es. Ici réside une autre conséquence de la crise du leadership. Ceux qui disent que : « les étudiants ne l’ont pas fait de leur propre chef ». La réplique qui suppose que  »les étudiants ne l’ont pas fait pour eux-mêmes » est une révocation de la direction et signifie en fait que les masses devraient être blâmées pour la défaite des hauts dirigeants. Cette opinion ignore aussi le fait que les rangs ont fait passé plusieurs résolutions indiquant à leurs  »représentants » d’organiser de tels évènements. La confusion a pris de l’ampleur lorsque Jean Charest est passé en mode électoral, dans le but d’écraser le mouvement. Néanmoins, Gabriel Nadeau-Dubois, après avoir démissionné de son poste de porte parole de la CLASSE, révéla le fond de ses pensées :

[Il y a] une gauche étudiante qui refuse tout dialogue, tout lien avec les partis politiques. Au point que lorsque les élections sont arrivées, la CLASSE a eu comme position de ne pas avoir de position : « nous ne tiendrons pas compte du contexte électoral ». Ce que je trouve problématique, parce que c’est nier la conjoncture dans laquelle de toute façon les mouvements sociaux évoluent… [D]ans les faits, il y a beaucoup de militants étudiants sur les campus qui s’investissent dans Québec solidaire. On l’a vue lors des élections : la position du congrès de la CLASSE, qui disait « on ignore les élections et on appelle à poursuivre la grève », s’est trouvée rejetée par les étudiants mobilisés depuis des mois, dès les premières Assemblées Générales à la rentrée. Ils ont voté l’inverse : « il y a des élections, on nous donne l’opportunité de renverser le gouvernement, rentrons en classe ». Donc ça a été une forte désillusion montrant le décalage entre une certaine extrême-gauche dans les structures du mouvement étudiant et un bon nombre des nouveaux militants formés par la grève, même très mobilisés, pour qui il était temps de traduire politiquement le mouvement. Il n’y a donc pas eu de traduction organisée de cette volonté dans l’espace publique, ce qui a été quelque peu malaisant pour la CLASSE.

52. Nadeau-Dubois nous fait une bonne synthèse de la situation. En réalité, la victoire contre la hausse des frais de scolarité et l’annulation de la loi 78 se sont déroulées sans les éléments les plus conscients de la CLASSE, et non grâce à eux. Nous soulignons ce point, non pour gagner des points inutiles dans un débat (nous n’avons rien sauf de l’admiration pour ces militants honnêtes qui ont accompli plus que les générations précédentes), mais nous voulons souligner le fait qu’il faut aller au-delà d’une simple volonté et d’un engagement à lutter. Les idées, les méthodes et l’organisation sont aussi vitales, si la base militante veut mener les masses à la victoire. Il n’existe aucun mot pour qualifier cela, à l’exception d’une direction.53. Le leadership de la classe ouvrière ne peut pas apparaître spontanément ou automatiquement; il doit être construit, habituellement sur une période de quelques décennies. Avec une combinaison d’éducation et de pratique, les meilleurs militants-es de la classe ouvrière viennent au premier plan. Les militants-es sont endurcis par la collision de leurs idées avec d’autres tendances politiques : le conservatisme, le libéralisme, le réformisme, le sectarisme et les idées du monde académique. Unir ces individus dans une organisation commune aide ces étudiants-es militants-es à comprendre la classe ouvrière; les jeunes combattants apprennent ainsi de ceux qui étaient présents dans les luttes précédentes; les militants-es des nations impérialistes apprennent des expériences de ceux qui vivent dans les pays dépendants, et vice-versa. Notre but est d’unir les meilleurs éléments de classe, non seulement dans les grandes villes et au niveau national, mais aussi au niveau international. Ainsi, dialectiquement, l’unité internationale est supérieure à la somme des parties. Nous ne nous excusons pas pour l’utilisation des termes « idées correctes » et « bonnes méthodes », car au lieu de cela, nous nous basons sur l’expérience de 200 ans de luttes ouvrières. Ayons un débat ouvert sur des idées claires et non à savoir si nous devons être confiants de ce que nous pensons. Par expérience, nous avons appris que ceux qui n’ont pas confiance en eux-mêmes ne seront jamais en mesure de gagner la confiance des masses. L’optimisme est un trait essentiel de tout vrai révolutionnaire, et l’optimisme est la seule conclusion scientifique possible, dans une vision à long terme de l’histoire. Lénine l’a très bien dans « Que faire? » :

« Nous avançons en un groupe compact dans un chemin périlleux et difficile, en nous tenant fermement les uns les autres par la main. Nous sommes encerclés de tous côtés par les ennemis et nous devons avancer sous leurs feux en quasi-permanence. Nous avons combiné, par une décision adoptée librement, dans l’objectif de combattre l’ennemi, et non pas pour battre en retraite dans les marécages voisins, les habitants qui, dès le tout début, nous ont reproché de nous être séparés en un groupe exclusif et d’avoir choisi la voie de la lutte plutôt que celle de la conciliation. Et maintenant certains d’entre nous commencent à s’écrier : Laissez-nous aller dans les marécages! Et quand nous les encourageons à avoir honte, ils répliquent : Comme vous êtes rétrogrades! N’avez-vous pas honte de brimer notre invitation à emprunter un meilleur chemin! Oh oui, messieurs! Vous êtes libres non seulement à nous inviter, mais d’aller vous-mêmes où que vous vouliez, même dans le marécage. En fait, nous pensons que le marécage est votre place, et nous sommes prêts à vous porter toute l’assistance requise pour vous y rendre. Toutefois lâchez nos mains, ne vous accrochez pas à nous et ne salissez pas le grand mot liberté, puisque nous sommes aussi ‘libres’ d’aller où nous voulons, libres de nous battre pas seulement contre le marécage, mais aussi contre ceux qui se tournent vers le marécage! »

54. Ceux qui n’apprécient pas la théorie de la crise du leadership, que ce soit consciemment ou inconsciemment, arrivent aux conclusions suivantes : si les défaites ne sont pas dues à un mauvais leadership, alors on ne peut qu’en déduire que ce sont les travailleurs qui sont à blâmer pour ces défaites – à savoir que « leur conscience est trop faible ». Cette conclusion profondément pessimiste laisse les bureaucrates prendre de l’avance et n’est pas non plus confirmée par une évaluation honnête de l’histoire. Les travailleurs et les jeunes ont essayé plusieurs fois de changer la société et leurs organisations, mais devant des traîtres, ou même devant des éléments occasionnellement honnêtes, mais encore confus, ils n’ont pas réussi. Il faut apprendre les compétences nécessaires pour lutter contre la bureaucratie et de les exposer – en formulant des exigences concrètes aux bureaucrates et la construction d’une direction alternative basée sur les bonnes méthodes militantes et démocratiques. Il est important de comprendre comment la conscience de classe se développe – non en ligne droite, mais avec fracas, comme on l’a vu chez les enseignants de l’Ontario. Il existe une relation dialectique entre le leadership et la conscience. Si nous suivons les anarchistes dans leur impatience et que nous boycottons différentes formes de luttes, nous laissons les masses être induites en erreur en toute impunité. Parfois, une incapacité à comprendre le rôle du leadership est liée à une forme de déterminisme économique – « les conditions ne sont pas mûres », « les travailleurs vivent trop dans le confort », etc, ou à une dépendance sur la spontanéité des masses. Ceci va à l’encontre de la réalité d’aujourd’hui, comme en témoigne l’augmentation des inégalités et de l’austérité. Nous avons déjà expliqué les limites de la spontanéité; poussée trop loin certains arguments deviennent de simples excuses pour ne pas avoir à accomplir la lourde tâche de construire une organisation révolutionnaire, ici et maintenant. Cette incapacité à comprendre le leadership vient d’un profond pessimisme face à la classe ouvrière.

Pas de place pour le pessimisme

55. Une évaluation honnête des conditions au Canada et au niveau international ne nous laisse pas de temps pour nous décourager. Tout au contraire. Nous continuons d’être inspirés par la capacité des travailleurs à se battre, comme on l’a vu dans le mouvement des étudiants du Québec. Toutefois, ces mouvements ne sont qu’un avant-goût de ce qui reste à venir, quand la classe ouvrière entrera dans la scène de l’histoire, et ce, d’une manière décisive. En raison de l’absence d’une direction, et de la faiblesse des forces du vrai marxisme révolutionnaire, ce processus sera de longue durée. Le capitalisme n’est pas capable de fournir une solution pour sortir de la crise actuelle, à court ou à moyen terme. Les travailleurs et les jeunes n’auront donc pas d’autres choix que de se battre. Dans ces conditions, toutes les organisations et les théories seront mises à l’épreuve. Cela donne l’occasion à une tendance révolutionnaire de présenter les idées et les méthodes qui peuvent aider les travailleurs à atteindre la victoire. Il y a un besoin urgent de résoudre la contradiction entre la profondeur de la crise et le leadership des organisations de la classe ouvrière. La tendance marxiste doit être construite de sorte qu’elle puisse être une option valable pour les travailleurs. Jusqu’à ce qu’elle le soit, la crise se poursuivra.Première ébauche en février 2013Modifié en mars 2013 ; mai 2013Vous pouvez aussi consulter :PERSPECTIVES POUR LA RÉVOLUTION : Perspectives canadiennes 2011