Source: Raysonho @ Open Grid Scheduler / Grid Engine,
et Cameron Strandberg/Wikimedia commons

Selon un récent rapport publié par Banking on Climate Chaos, en 2022, la Banque Royale du Canada est devenue le plus grand contributeur financier de l’industrie des combustibles fossiles sur la planète. La Banque a investi 54,4 milliards de dollars dans les combustibles fossiles, dont 10,8 milliards dans l’expansion des capacités de production. Depuis 2020, elle a augmenté ses investissements de plus de 100%, devançant d’autres géants bancaires comme Wells Fargo, Citibank, JP Morgan et Bank of America.

Simultanément, dans ses déclarations publiques, elle tente de promouvoir une image d’institution responsable qui joue son rôle dans la lutte contre la crise climatique. Les rapports publiés sur son site Web font souvent référence aux « cibles de zéro émission nette », à « l’investissement responsable » et même à une « révolution verte ». En même temps, depuis la signature de l’Accord de Paris en 2016, la Banque Royale a investi plus de 338 milliards de dollars dans les combustibles fossiles, ce qui en fait l’un des plus grands piliers financiers du désastre climatique au monde. Malgré tout ce discours vert, dans la pratique, elle n’a jamais quitté l’étreinte étroite de ses amis barons du pétrole et de ses partenaires commerciaux.

La conséquence de cet investissement continu dans les combustibles fossiles n’est rien de moins qu’un désastre mondial, et la Banque Royale a été critiquée à juste titre par les groupes et les activistes environnementalistes pour son rôle dans la perpétuation du réchauffement climatique. Toutefois, ces mêmes groupes n’ont pas grand-chose à offrir quand vient le temps de proposer des solutions concrètes et réalisables à la crise climatique. Il est extrêmement rare qu’ils parviennent à reconnaître que le réchauffement climatique est une crise intrinsèquement liée au système capitaliste et que la seule véritable solution au désastre climatique est la réorganisation socialiste de la société.

Zéro redevabilité nette

Si l’on se fie aux dires de la Banque Royale, elle contribue déjà à bâtir un avenir plus vert. La Banque s’est publiquement engagée à atteindre un bilan zéro émission nette d’ici 2050, et entre temps, à réduire les émissions de gaz à effet de serre de ses activités de 70% d’ici 2025. Elle a présenté ces chiffres comme la preuve de son engagement dans la lutte contre le changement climatique, mais que signifient-ils réellement?

Ses promesses d’atteindre « zéro émission nette » ne tiennent pas compte de la grande majorité de l’empreinte écologique de la Banque Royale. Les plans visant la carboneutralité prennent en compte uniquement les pratiques de la Banque Royale en tant qu’entreprise indépendante et isolée. Ils prennent en compte tout ce qui est lié au fonctionnement régulier de la banque elle-même – ses succursales, ses bureaux, ses centres d’appel – et laissent de côté l’élément central de toute banque dans la société capitaliste : ses investissements.

Il ne s’agit pas d’une omission bureaucratique. Le capital financier canadien est profondément lié aux industries des ressources naturelles dans le pays et dans le monde entier, et en particulier à l’industrie des combustibles fossiles. Si la Banque Royale venait à désinvestir entièrement des combustibles fossiles ou, d’ailleurs, de tous ses autres investissements nuisibles à l’environnement, cela affecterait profondément ses marges de profit et sa capacité à être compétitive à l’échelle mondiale. Il n’est pas dans son intérêt de limiter ses propres investissements, pas plus que dans celui du reste du capitalisme canadien.

Conformément à son plan visant la carboneutralité, la Banque Royale pourrait dépenser quelques centaines de millions de dollars pour rendre ses bureaux et ses succursales locales écologiques tout en continuant à injecter des centaines de milliards de dollars dans le secteur des combustibles fossiles, et elle atteindrait tout de même ses soi-disant objectifs en matière de climat. Tout ce modèle de la « carboneutralité » représente une vision complètement myope de ce que constituent des pratiques commerciales « durables ».

Et même si ses cibles sont insignifiantes, la Banque se prépare déjà à les rater!

Dans son rapport sur le climat de 2022, elle fait de leur mieux pour donner une explication illisible :

« De par leur nature même, les déclarations prospectives nous obligent à formuler des hypothèses et sont soumises à des risques et incertitudes inhérents, qui entraînent la possibilité que nos prédictions, prévisions, projections, attentes ou conclusions ne se révèlent pas exactes, que nos hypothèses ne soient pas correctes et que nos objectifs, notre vision, nos engagements, nos buts, nos cibles et nos stratégies visant à atténuer et à s’adapter aux risques et aux opportunités liés au climat ne se réalisent pas… Nous conseillons aux lecteurs de ne pas accorder une confiance indue à ces déclarations, car un certain nombre de facteurs de risque pourraient faire en sorte que nos résultats réels diffèrent matériellement des attentes exprimées dans ces déclarations prospectives. » [nous  soulignons; notre traduction] 

On ne peut que s’émerveiller de la capacité de l’auteur à dire si peu avec tant de mots! Ce qu’il lui a fallu un très long paragraphe pour éviter de dire pourrait être résumé plus facilement en une seule ligne : « Ne vous attendez pas à ce que nous tenions nos engagements! »

Les engagements en faveur du climat et les discours sur les « investissements responsables » que la Banque Royale a tenus ces dernières années ne sont rien d’autre que des aspirations vagues qu’elle rejette dès qu’ils empiètent sur sa capacité à faire des profits. Nous l’avons déjà vu, et pas seulement avec la Banque Royale. En 2021, le journal The Guardian écrivait que « malgré le nombre record d’engagements pris par les entreprises en matière de climat, une analyse de 9300 sociétés cotées en bourse […] a révélé qu’elles sont toujours en voie de dépasser leurs “budgets carbone” ».

Loin d’être une exception, la Banque Royale représente la règle!

En tête de file

L’hypocrisie est difficile à digérer, mais dans le contexte des banques canadiennes, elle ne sort pas de l’ordinaire. La Banque Royale n’est pas la seule à financer généreusement les barons du pétrole, elle est simplement en tête de file. Les autres grandes banques canadiennes, les Big Five, ont également augmenté leurs investissements dans les combustibles fossiles au cours des deux dernières années, et elles figurent toutes parmi les 20 plus généreux contributeurs financiers de l’industrie des combustibles fossiles dans le monde.

Entre 2020 et 2022, la Banque Scotia a augmenté ses investissements d’environ 23 milliards de dollars à 40 milliards de dollars, la Banque TD de 24 milliards de dollars à 39 milliards de dollars, la Banque de Montréal de 21 milliards de dollars à 26 milliards de dollars, et la CIBC de 14 milliards de dollars à 24 milliards de dollars. Au total, les Big Five ont investi près de 190 milliards de dollars dans les combustibles fossiles au cours de la dernière année seulement.

La raison est évidente. Alors que l’économie mondiale est au bord de la récession et que les multinationales licencient des dizaines de milliers de travailleurs en prévision des temps difficiles qui s’annoncent, les grandes compagnies pétrolières font d’énormes bénéfices. Les plus grandes compagnies pétrolières occidentales (BP, Chevron, Equinor, Exxon Mobil, Shell et TotalEnergies) ont réalisé collectivement 219 milliards de dollars de profits l’année dernière. À l’échelle mondiale, on estime que l’industrie des combustibles fossiles a réalisé un chiffre d’affaires de 5400 millards de dollars. Pour tout banquier anxieux qui contemple les signes avant-coureurs d’une récession mondiale, l’occasion de faire de l’argent facile est irrésistible. L’industrie des combustibles fossiles est une source d’argent facile, même si cette source est empoisonnée.

Le rôle de l’État canadien

Malgré tous les signes d’une catastrophe climatique imminente, les banques qui tirent les ficelles de l’économie canadienne sont indifférentes aux dégâts qu’elles causent et qui détruisent la planète. Si la classe dirigeante s’obstine à foncer tête baissée dans la destruction de l’environnement, comment pouvons-nous l’en empêcher?

Les auteurs du rapport Banking on Climate Chaos fournissent une liste de toutes les caractéristiques qu’ils considèrent qu’une « transition juste et équitable » devrait inclure : « l’amélioration de l’accès à l’énergie pour tous », « la création de nouveaux emplois en investissant dans des formes d’énergie moins destructrices », « le recyclage professionnel pour les travailleurs affectés par la transition », « la mise en place d’une politique de tolérance zéro pour la violence envers les défenseurs du climat, des forêts et des droits de la personne », etc. Cette liste aborde de nombreuses questions importantes liées à la réorganisation de l’économie sur une base durable, mais elle présente une faiblesse majeure : dans le cadre du système économique actuel, elle est absolument utopique.

Qui convaincra ces banquiers avides de profit de payer pour cette transition qui donne la priorité aux droits des travailleurs et des communautés locales? Ce sont ces mêmes investisseurs qui jettent de l’huile sur les feux de forêts qui ravagent actuellement le pays. Une autre force est nécessaire pour réaliser toute forme de transition, sans parler d’une « transition juste et équitable »», et sur cette question, les groupes et les militants écologistes commettent la même erreur que celle qui a hanté le mouvement environnementaliste pendant des décennies.

Un stratège principal en matière d’énergie à Greenpeace Canada est d’avis qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter :

« En continuant à investir 99% de leurs ressources financières énergétiques dans les combustibles fossiles, les banques font partie du problème. Si elles ne le font pas d’elles-mêmes, nous devons exiger de nos élus qu’ils les obligent à faire partie de la solution. »

Il est facile d’oublier que « nos élus » sont aussi ceux qui sanctionnent et, dans certains cas, financent le comportement criminel de la classe dirigeante canadienne. N’oublions pas que ce sont « nos élus » qui ont renfloué les coffres des cinq grandes banques canadiennes à hauteur de centaines de milliards de dollars pour les sauver de l’effondrement économique en 2008 et en 2020, alors que la classe ouvrière canadienne faisait face à des licenciements, à des réductions de salaire et à d’autres mesures similaires. Nous ne pouvons que spéculer sur le nombre de milliards de dollars qui sont passés directement des poches du gouvernement fédéral aux mains des barons du pétrole sous forme d’investissements dans les combustibles fossiles.

L’État canadien n’est pas, comme de nombreux universitaires et militants bien intentionnés peuvent l’imaginer, un juge neutre siégeant au-dessus du reste de la société canadienne, établissant les règles et jouant l’arbitre entre la classe capitaliste et les travailleurs. Il est le serviteur dévoué des capitalistes canadiens. En Ontario, Doug Ford a choisi de détruire des parties de la ceinture de verdure pour satisfaire la cupidité des promoteurs immobiliers. En Alberta, Danielle Smith est partie en guerre contre la taxe carbone du gouvernement fédéral pour défendre les « pauvres barons du pétrole sans défense ». Ces cas ne sont pas des exceptions; il ne s’agit pas de quelques pommes pourries dans un gouvernement autrement fonctionnel, mais d’exemples de la nature de classe de l’État.

L’État canadien ne nous sauvera pas de ce désastre, il défendra plutôt le droit des capitalistes canadiens à l’aggraver. C’est à nous, les travailleurs et la jeunesse, de prendre ce problème en main.

Atténuer la catastrophe climatique

La crise climatique s’aggrave d’année en année. L’Amérique du Nord et l’Europe ont connu des vagues de chaleur extrême et des feux de forêt; une vague d’inondations a dévasté le Pakistan, déplaçant des centaines de milliers de travailleurs et de jeunes pakistanais; et en ce moment même, une sécheresse dans la Corne de l’Afrique conduit des millions de personnes au bord de la famine. Le pire est encore à venir et ceux qui subissent le prix de la destruction de la planète ne sont jamais ceux qui sont réellement responsables de cette destruction.

Toute cette débâcle démontre une fois de plus le manque de vision de la classe capitaliste au Canada et dans le monde entier. Ils voient des profits à court terme leur pendre au bout du nez, mais ne vont pas plus loin. Pour ces profits, ils sont prêts à mettre en péril l’avenir de toute l’humanité. Nous tous, les milliards de travailleurs et de jeunes du monde entier qui souffrons pour leurs profits, sommes incapables de les arrêter tant que les industries responsables de la crise actuelle resteront aux mains des barons du pétrole, des banquiers et des autres profiteurs qui nous ont conduits au bord de la catastrophe.

Pour véritablement s’attaquer à la crise climatique, nous devons rompre avec la recherche de profits qui guide l’investissement et l’organisation de la production dans la société. Nous devons remettre les banques, les industries des combustibles fossiles et tous les autres principaux leviers de l’économie entre les mains des travailleurs afin que nous puissions démocratiquement déterminer notre propre avenir et tracer notre propre voie dans notre transition vers un avenir durable. Nous, la classe ouvrière, sommes les seuls à pouvoir résoudre la crise climatique.