Crédit : Wikimedia Commons (Markrosenrosen)

Au Canada et au Québec comme dans le reste du monde, le portrait d’un monde en crise absolue s’offre à nous. Le système capitaliste pourrit sur place, et son déclin s’exprime par une crise sur tous les plans : explosion du coût de la vie, effondrement des services publics, crise du logement, guerres et tensions impérialistes, catastrophes environnementales, etc. L’urgence de mettre fin à ce système est ressentie par un nombre grandissant de jeunes et de travailleurs. 

Les marxistes de Fightback/La Riposte socialiste, la section canadienne et québécoise de la Tendance marxiste internationale, s’organisent pour accomplir cette révolution. Nous avons tenu notre congrès annuel à Toronto du 20 au 22 mai dernier, avec 250 participants d’à travers le pays. Nous y avons entre autres discuté des perspectives pour la révolution au Canada.  Le présent document est le fruit de ces discussions. Tout comme aucun état-major n’entre en guerre sans avoir au préalable étudié attentivement les champs de bataille possibles, les armées ennemies et les scénarios de déroulement des opérations, les révolutionnaires sérieux doivent étudier les développements dans le paysage politique pour se préparer à la guerre des classes qui s’annonce.


Au Canada, la misère et la désillusion règnent. Personne n’est heureux. La vague d’unité nationale de 2020 observée pendant les premiers temps de la pandémie a été remplacée par le cynisme, la colère et la polarisation. Les institutions, les partis et les bureaucraties tiennent, mais seulement parce qu’il n’y a pas encore de force organisée pour les renverser. Sous la surface, leurs fondations s’effritent. Le malaise est généralisé, mais cette détresse n’est que le précurseur d’une explosion. L’insatisfaction ne peut durer éternellement sans trouver inévitablement une forme d’expression. Le document qui suit vise à suivre ces processus afin d’armer idéologiquement les travailleurs socialistes et la jeunesse révolutionnaire, et les préparer à la tempête qui s’annonce.

De nombreux sondages montrent qu’une majorité de Canadiens pensent que le pays va dans la mauvaise direction. Plus de 50% d’entre eux sont en colère contre la façon dont le Canada est géré et 67% sont d’avis que le pays est brisé. Cette situation contraste avec celle de 2020, où les gouvernements surfaient sur une vague d’unité nationale patriotique alors qu’ils mettaient en place des mesures de lutte contre la pandémie. En 2020, 58% des personnes interrogées pensaient que le gouvernement allait dans la bonne direction, alors que fin 2022, 65% estimaient que le pays était sur la mauvaise voie. 

On trouve des sondages similaires pour les dirigeants politiques fédéraux et provinciaux, qui ont presque tous bénéficié d’un sursaut de popularité en 2020, avant d’être considérés avec cynisme aujourd’hui. Justin Trudeau, par exemple, bénéficiait d’un taux d’approbation stratosphérique de 63% en mai 2020, alors que début 2023, il était détesté par presque autant de personnes. Certains comme Jason Kenney (Alberta) et Brian Pallister (Manitoba) n’ont pas pu survivre et sont tombés en disgrâce. Le sentiment général est l’insatisfaction à l’égard des dirigeants actuels, sans enthousiasme à l’égard des solutions de rechange. 

Les taux de participation historiquement bas aux élections sont une autre manifestation du malaise. La « démocratie » bourgeoise connaît une crise grandissante de légitimité. Dans les années 1960, 1970 et 1980, le taux de participation aux élections fédérales avoisinait les 75%. Mais depuis le début du 21e siècle, il oscille autour de 60%. La situation dans les provinces et les municipalités est encore pire. Par exemple, seuls 43,5% des électeurs ont voté lors des élections de 2022 en Ontario. Les partis qui gouvernent le font sur des bases de plus en plus fragiles, Justin Trudeau n’ayant l’appui que de 20% des électeurs. Pendant ce temps, Doug Ford, en Ontario, cherche à faire adopter des politiques qu’il a gardées secrètes sans même obtenir l’appui de 18% de l’électorat. 

Certaines personnes disent que ces sondages ne veulent rien dire. L’ironie de la chose, c’est que ceux qui disent cela sont souvent eux-mêmes désillusionnés. Si un sondage qui dévoile une majorité qui pense que le pays va « dans la mauvaise direction » est insignifiant, un sondage indiquant que le pays va « dans la bonne direction » n’est-il pas tout aussi insignifiant? Il est vrai que les gens peuvent s’opposer au statu quo pour des raisons de gauche comme de droite, et ces sondages ne disent pas ce que les gens veulent comme solution. Mais la première tâche de notre analyse est de déterminer si le « centre » libéral est fort ou faible. Tout indique un affaiblissement et un rejet du statu quo, ainsi qu’une polarisation croissante vers la gauche et la droite.

L’explication de ce phénomène est évidente. Sur le plan économique, il y a eu un transfert massif de richesses des pauvres vers les riches et ce processus s’accélère. Les campements de fortune sont de plus en plus présents dans toutes les villes du Canada. Des files d’attente de plus en plus longues se forment à l’entrée des banques alimentaires, dans des scènes qui rappellent les années 1930. L’impression d’un effondrement est généralisée.

Pendant la pandémie, on a dit aux travailleurs que « nous sommes tous dans le même bateau ». Cependant, l’aide accordée aux différentes classes montre d’énormes disparités. La droite adore diaboliser les bénéficiaires de la Prestation canadienne d’urgence (PCU) de 2000 dollars par mois, en s’en prenant à tous les travailleurs qui ont commis la moindre erreur dans leur demande. En revanche, elle passe sous silence les sommes bien plus importantes de l’argent des contribuables qui ont été accordées aux entreprises. La valeur finale de la PCU/PCRE était de 103 milliards de dollars, tandis que le coût de l’aide sociale aux entreprises s’élève à 786 milliards de dollars. Souvent, ces sommes n’ont servi qu’à gonfler les dividendes, les primes des dirigeants et les programmes de rachat d’actions. En outre, l’Agence du revenu du Canada annule régulièrement les dettes des entreprises, alors qu’elle ne fait preuve d’aucune indulgence à l’égard des travailleurs. 

Dans le sillage de la pandémie, les travailleurs doivent maintenant subir une inflation historiquement élevée. L’augmentation du coût de la vie appauvrit les travailleurs en baissant leur salaire réel. En 2021, les travailleurs du secteur privé ont reçu une augmentation de salaire de 3% en moyenne, tandis que l’inflation a été de 4,8%. En 2022, les salaires ont augmenté de 5,1%, l’inflation de 6,8%. Ainsi, les salaires des travailleurs perdent près de deux pour cent de leur valeur chaque année. De manière anecdotique, l’écart salarial semble être encore plus important pour les travailleurs syndiqués et du secteur public, qui n’ont reçu que deux ou trois pour cent d’augmentations en 2022.

De l’autre côté de la ligne de classe, la bourgeoisie se porte très bien. Au deuxième trimestre de 2022, les bénéfices des entreprises se sont élevés à 441 milliards de dollars. Cela représente une augmentation de 130% en deux ans! Pendant que les travailleurs perdent leur pouvoir d’achat, les salaires des PDG ont augmenté de 31,2% en 2021, pour atteindre une moyenne de 14,3 millions de dollars par an.

L’incroyable disparité entre les profits des entreprises et le niveau de vie de la population a été mise en évidence par le scandale d’un paquet de cinq poitrines de poulet vendu 37 dollars, alors que Loblaws avait augmenté sa marge de profit de 10% pour la porter à 30,8%. 

Tous ces facteurs se combinent et alimentent le mécontentement, la colère et la polarisation.

Prévoyance marxiste contre étonnement capitaliste

L’inflation est devenue la principale préoccupation de la classe ouvrière. Les sondages montrent que c’est le principal problème pour 61% de la population. Le fait que l’augmentation du coût de la vie se concentre également sur l’alimentation et le logement rend cette question incroyablement urgente pour les travailleurs.

Après 30 ans d’inflation relativement faible, la classe dirigeante comprend rapidement que l’augmentation rapide des prix érode la cohésion sociale. Tiff Macklem, gouverneur de la Banque du Canada, l’a même reconnu en déclarant : « Cela fait longtemps que nous n’avons pas connu une forte inflation et nous redécouvrons qu’elle corrode le tissu social. Elle met les gens en colère. Les gens se sentent floués. C’est l’un des grands problèmes de l’inflation et c’est une raison importante pour laquelle nous devons la faire baisser. » Du point de vue de la classe dirigeante, le risque d’inflation l’emporte sur le risque de ralentissement économique. Cela explique pourquoi la Banque du Canada poursuit des politiques qui risquent de provoquer une récession telle l’augmentation des taux d’intérêt, qui sont passés de 0,25 à 4,5% en l’espace d’un an. Cependant, en raison de leur position de classe, les capitalistes sont condamnés à ne jamais pouvoir comprendre d’où vient l’inflation.

Aujourd’hui, Macklem accuse les salaires des travailleurs d’être à l’origine de la hausse des prix, et ce, bien que les salaires aient toujours été inférieurs à l’inflation. Ignorant ce fait, Macklem continue de faire référence à une inexistante « spirale salaires-prix » comme cause de l’augmentation des prix, et demande aux patrons de faire baisser les salaires. 

Se basant sur une conception simpliste de l’offre et de la demande, la Banque du Canada attribue également l’inflation élevée aux problèmes de chaînes d’approvisionnement et à une « économie en surchauffe », tout en ignorant complètement les milliards de dollars injectés dans l’économie sous la forme de cadeaux aux entreprises pendant la pandémie.

Nous sommes en droit de nous interroger sur les motivations et les compétences du banquier en chef du Canada. La version initiale de notre document de perspectives d’il y a deux ans avait été rédigée en mars 2021. Dans ce document, nous expliquions en détail la crise inflationniste à venir et ses causes. Pendant l’été 2021, alors que l’inflation n’était que de 3,1%, Tiff Macklem minimisait le problème :

« Aucun des facteurs qui ont fait grimper les prix n’est susceptible de durer. Nous ne devrions donc pas réagir de manière excessive à ces hausses de prix temporaires […]. L’inflation devrait revenir à l’intérieur de notre zone cible l’année prochaine, à mesure que les entreprises s’attaqueront à ces facteurs temporaires et que les personnes qui ont perdu leur emploi pendant la pandémie reviendront sur le marché du travail. » (Financial Post, 29 juillet 2021)

Deux semaines plus tard, la Banque du Canada continuait de nier la menace et publiait une déclaration selon laquelle l’inflation était « transitoire ». Elle a même continué sur cette lancée jusqu’en octobre 2021, affirmant à nouveau que l’inflation était transitoire et due à des « circonstances uniques » liées à la pandémie.

Pendant ce temps, La Riposte socialiste affirmait ce qui suit au début de l’année 2021 :

« [L]es dépenses gouvernementales ne sont pas une solution permanente à la crise du capitalisme et ne font que retarder l’inévitable, aggravant ultimement la situation en ajoutant toutes sortes de distorsions comme l’inflation et la dette massive. […] »

« Mais la théorie économique de base stipule que si on imprime de l’argent, comme le fait la Banque du Canada à raison de 5 milliards de dollars d’“assouplissement quantitatif” par semaine, on dilue la valeur de l’argent et on cause de l’inflation. Les faibles taux d’intérêt et les dépenses de relance sont censés avoir un effet similaire. En outre, le financement par le déficit entraîne une augmentation du coût du service de la dette. Mais les partisans de la MMT et ceux qui souhaitent défier les lois économiques de base soulignent qu’il y a eu peu d’inflation et que le coût du service de la dette a en fait diminué pendant la pandémie. Comment expliquer cela? »

« L’absence d’inflation est en fait un autre exemple de la crise de surproduction. Pendant la première période de la Grande Dépression, de 1929 à 1933, il y a eu une déflation massive. Les gouvernements ont adopté une approche de laissez-faire économique et ne sont pas intervenus. L’effondrement de la demande a entraîné une réduction des prix de 10% chaque année. Aujourd’hui, l’absence d’inflation malgré les mesures de relance massives du gouvernement semble être due aux forces contradictoires de la faible demande et de la réduction de la valeur de l’argent qui s’annulent mutuellement. À terme, lorsque l’offre se rééquilibrera avec la demande, les pressions inflationnistes s’affirmeront. C’est un cas où le temps n’arrangera pas les choses. Bien que l’inflation générale ait été limitée, les plans de sauvetage et l’assouplissement quantitatif ont entraîné une inflation massive des prix des actions et des biens immobiliers, augmentant la richesse des riches, tandis qu’il y a une inflation sectorielle des prix alimentaires, diminuant la richesse des pauvres. »

Tandis que les représentants du capitalisme ne voyaient rien venir et ne comprenaient rien, nous, marxistes, éduquions nos membres et nos sympathisants à l’avance et nous préparions à l’inflation inévitable et durable à venir. C’est un exemple clair de ce que le révolutionnaire russe Léon Trotsky expliquait, à savoir que le marxisme est la victoire de la clairvoyance sur l’étonnement.

Le retour du protectionnisme

La crise de la COVID-19 a massivement perturbé l’économie mondiale, entraînant une inflation généralisée. Mais la pandémie a surtout accéléré l’effritement du tissu déjà fragile du commerce mondial. Les confinements ont perturbé les chaînes d’approvisionnement et le déconfinement a créé d’énormes déséquilibres, avec une augmentation de la demande supérieure à l’offre pour de nombreuses marchandises. À cela s’est ajoutée la guerre en Ukraine, qui a exposé et accru les tensions entre les puissances impérialistes. Dans ce monde de plus en plus instable, tous les pays sombrent dans le nationalisme économique et le protectionnisme à un degré ou à un autre.

Les tendances protectionnistes sont présentes dans le monde entier depuis un certain temps déjà. Elles se sont exprimées de la manière la plus flagrante dans la montée en puissance de Donald Trump et de son « Make America Great Again », ainsi que dans le vote en faveur du Brexit en 2016. Les bourgeois les plus clairvoyants ont regardé avec horreur la montée des populistes de droite qui parlaient d’une position plus agressive à l’égard de leurs partenaires commerciaux et de la rupture de ce que l’on appelle « l’ordre fondé sur des règles ».

Mais aujourd’hui, les populistes de droite ne sont plus les seuls à être favorables au protectionnisme. Les libéraux, défenseurs habituels du libre-échange, ont évolué vers le protectionnisme en paroles et en actes. Le président américain Joe Biden a fait passer sa mal-nommée « loi sur la réduction de l’inflation » (Inflation Reduction Act) qui prévoit des incitatifs pour les entreprises à produire leurs véhicules électriques avec des minéraux critiques provenant d’Amérique du Nord ou d’alliés des États-Unis. Emmanuel Macron, président français et figure emblématique du libéralisme, a appelé à un « Buy European Act » (« Loi Achetez européen »).

Au Canada, le gouvernement libéral s’est également engagé dans cette voie. La ministre des Finances, Chrystia Freeland, parle d’« amilocalisation » (« friendshoring »), un euphémisme pour désigner l’application de mesures protectionnistes contre les pays qui ne sont pas nos « amis ». La première cible de cette approche est la Chine.

Le gouvernement canadien a récemment ordonné à trois minières canadiennes exploitant des mines de lithium au Chili et en Argentine de couper leurs liens avec leurs investisseurs chinois. Une autre mesure visant la Chine est l’interdiction aux sociétés d’État d’investir dans les minéraux critiques canadiens. Après avoir massivement augmenté ses échanges avec la Chine dans les années 1990, le Canada suit aujourd’hui l’exemple des États-Unis en prenant des mesures plus protectionnistes à son égard. La politique à l’égard de la Chine devient de plus en plus hostile; Freeland a qualifié ce pays de « puissance mondiale de plus en plus perturbatrice ».

Certains capitalistes canadiens sont tout à fait conscients des dangers d’une tentative de « découplage » entre l’économie canadienne et l’économie chinoise, et s’inquiètent de la stabilité du système. Dennis Darby, président-directeur général des Manufacturiers et Exportateurs du Canada, a fait le commentaire suivant : « Je n’ai jamais vu une telle transition. Toutes les entreprises essaient de suivre la rondelle. » Il ajoute : « Nous dépendons de la Chine et de l’Asie du Sud-Est pour la fabrication [depuis des décennies]. Elles [les entreprises] n’iront nulle part. On ne peut pas arrêter soudainement. »

Une fois que le protectionnisme s’installe, il est difficile de prédire où il s’arrêtera. L’augmentation des tarifs douaniers entraîne des représailles au coup pour coup. Dans les années 1930, les mesures protectionnistes ont contribué à transformer le krach boursier de 1929 en une profonde dépression longue d’une décennie. Aujourd’hui, la classe dirigeante au Canada, aux États-Unis et dans le monde entier est en voie de mettre fin au libre-échange tel que nous le connaissons. Les bourgeois les plus clairvoyants savent qu’il s’agit d’un jeu dangereux, mais ils n’ont rien d’autre à proposer.

Le protectionnisme aggravera l’inflation, alors que les marchandises plus coûteuses d’ici remplaceront les marchandises moins coûteuses produites à l’étranger. Mais aussi, ce qui était abordable pour le travailleur moyen pourrait devenir un luxe. Il perturbera également les chaînes d’approvisionnement des entreprises, ce qui pourrait ralentir ou arrêter la production dans certaines industries et donc accélérer la récession, dont presque tout le monde s’accorde à dire qu’elle frappera en 2023.

Récession

Dans de précédents documents, nous avons expliqué que la question clé de cette crise, comme de toutes les autres, est : « qui va payer? » Cette question a été le moteur de la majorité des révolutions dans l’histoire de l’humanité, y compris la Révolution française. Les capitalistes font des pieds et des mains pour essayer d’éviter les répercussions de la crise. Mais au bout du compte, cela est impossible.

Cependant, la classe dirigeante peut échapper temporairement aux symptômes de la crise, mais seulement en donnant à la crise une forme différente. C’est ce qu’explique Marx dans le Manifeste du Parti communiste : « Comment la bourgeoisie surmonte-t-elle ces crises? [En préparant] des crises plus générales et plus formidables et [en diminuant] les moyens de les prévenir. » Les bourgeois ont beau tourner autour du pot, ils ne peuvent échapper à la question de savoir qui va payer, et à la lutte des classes qui en découle.

Pour échapper aux conséquences de la crise de surproduction, qui est devenue une crise organique du capitalisme, les patrons ont eu recours à des dépenses publiques massives, à l’assouplissement quantitatif et à l’endettement. Cela a permis d’éviter une spirale déflationniste comme celle des années 1929-1933 où des milliers de banques et d’entreprises avaient fait faillite et où le chômage était monté en flèche. Mais le résultat de ces dépenses est l’inflation. Ainsi, au lieu de payer par le biais du chômage, les travailleurs paient par le biais de prix plus élevés. D’une manière ou d’une autre, la crise ne peut être évitée – c’est un choix entre la peste et le choléra.

Cependant, en prenant des mesures pour éviter et retarder superficiellement les symptômes de la crise, les bourgeois ont créé toute une série de facteurs aggravants. À l’inflation s’ajoute le poids massif de la dette accumulée. Le ratio de la dette au PIB a presque doublé entre 2007 et 2022. Actuellement, la dette publique combinée s’élève à environ 3000 milliards de dollars. Auparavant, les économistes réformistes nous informaient que la dette n’était pas un problème, les taux d’intérêt bas allégeant le coût du remboursement de la dette. Les marxistes les ont calmement informés que la dette et le déficit provoqueraient de l’inflation, ce qui entraînerait une hausse des taux d’intérêt et une explosion des coûts du service de la dette. Une fois de plus, les marxistes ont eu raison à 100%. 

Les intérêts sur la dette publique ont considérablement augmenté, passant d’environ 1% du PIB en mars 2021 (24 milliards de dollars) à 2,6% en mars 2022, absorbant ainsi 7% des recettes publiques. Depuis lors, les taux d’intérêt sont passés de 0,25% à 4,5%. Chaque augmentation de 1% des taux d’intérêt se traduit par des paiements supplémentaires de 10 milliards de dollars pour le gouvernement fédéral et d’un montant similaire pour les provinces. Le Canada est déjà le vingtième pays le plus endetté de la planète, avec un ratio dette/PIB de 112,9%. Ce n’est pas aussi grave que les États-Unis (128,1%) et l’Italie (150,9%), mais c’est pire que le Royaume-Uni (95,3%) et le Sri Lanka (103,1%), tous deux confrontés à une crise économique et politique. 

Pire encore, la plupart des économistes estiment que l’augmentation des taux d’intérêt freinera suffisamment les investissements et la demande pour entraîner une récession mondiale en 2023. Le Canada ne sera pas exclu de cette dynamique. Et la situation est déjà en train de se dégrader. La croissance au Canada n’était que de 0,1% en octobre 2022, le PIB a stagné en novembre et s’est contracté de 0,1% en décembre. 

Bien que l’inflation ait cessé de monter, rien ne garantit qu’elle reviendra à ses niveaux habituels lorsque la récession frappera. L’inflation a été particulièrement persistante dans les secteurs de l’alimentation et du logement. Les travailleurs seront donc confrontés au double choc d’une augmentation du chômage et d’une hausse des coûts des biens de première nécessité. 

Les familles ouvrières risquent fort d’être confrontées à la stagflation et à l’augmentation du coût de leur dette en raison des taux d’intérêt élevés. Les ménages canadiens doivent aujourd’hui 1,83 dollar pour chaque dollar de revenu personnel, un chiffre historiquement élevé. Au deuxième trimestre de 2022, cela représentait 13,5% du budget des ménages, mais ce chiffre est passé à 14% au troisième trimestre. À ce rythme, une fraction croissante du revenu des ménages sera absorbée par les remboursements des prêts hypothécaires et des cartes de crédit.

L’augmentation des coûts de remboursement des dettes a pour effet d’accroître le nombre de faillites. Les chiffres montrent déjà que les faillites personnelles sont en hausse. Au troisième trimestre de 2022, elles ont augmenté de 22,5% par rapport à la même période de l’année précédente. La situation ne fera qu’empirer à mesure que les gens perdront leur emploi à cause de la récession. Cela aura un impact sur le marché résidentiel, qui a été l’un des principaux moteurs de l’emploi et de l’activité économique au cours de la dernière décennie. Selon les prévisions, le marché résidentiel devrait chuter de 30% par rapport à son niveau record d’ici le milieu de l’année 2023, en raison de l’augmentation des taux d’intérêt et donc du coût des prêts hypothécaires. Mais les faillites personnelles pourraient avoir pour effet de faire éclater de manière décisive la bulle immobilière qui s’est formée. Les familles en faillite seront obligées de vendre leur maison à un prix réduit. Ainsi, la cause devient l’effet et l’effet devient la cause, avec la possibilité d’une spirale descendante de faillites et de baisse des prix de l’immobilier, entraînant d’autres pertes d’emploi, d’autres faillites, et ainsi de suite.

Du côté du gouvernement, toute récession aggravera le ratio dette/PIB et réduira également les revenus disponibles pour rembourser sa dette. La réaction spontanée face à une telle situation est de réduire les dépenses pour équilibrer le budget. Mais il n’est pas garanti qu’une telle politique d’austérité soit efficace sur le plan économique, car des pays comme la Grèce montrent que les coupes réduisent souvent le PIB plus rapidement qu’elles ne réduisent la dette.

Malgré cela, le consensus est de se détourner des mesures de « relance » et des déficits au profit de budgets équilibrés pour gérer la dette croissante. La ministre des Finances, Chrystia Freeland, a prévenu qu’elle allait adopter une « approche fiscalement prudente », ce qui est synonyme de coupes et de budgets équilibrés. Le spectre de l’austérité et des coupes dans les services publics plane sur la classe ouvrière. Alors qu’auparavant, on allait de mal en pis, aujourd’hui, on va de mal en pis à encore pis. On peut difficilement exagérer l’effet que tout cela aura sur la conscience de classe.

L’objectif de l’analyse ci-dessus n’est pas de prédire chaque mouvement de l’économie et chaque réaction de la classe dirigeante en matière de politique fiscale et monétaire. La classe capitaliste pourrait choisir d’adopter une politique inflationniste de faibles taux d’intérêt et de déficits, ou une politique déflationniste de taux d’intérêt élevés et d’austérité. L’intérêt des perspectives est de montrer que chacune de ses actions sera erronée, car la crise ne découle pas de telle ou telle mesure gouvernementale, mais de l’échec du système de production privée pour le profit, qui ne peut pas développer les moyens de production.

Que les capitalistes choisissent une politique déflationniste ou inflationniste, le résultat final sera le même : c’est la classe ouvrière qui paiera. Hausse des prix des produits de première nécessité due à l’inflation; chômage dû à la récession et aux suppressions d’emplois dans le secteur public; détérioration des services due à l’austérité; augmentation du coût du service de la dette et des faillites en raison des taux d’intérêt élevés : tous ces facteurs pèsent lourdement sur la population. Pour la classe ouvrière, les contradictions du système ne peuvent être résolues que par la lutte des classes.

Effets psychologiques de la crise

S’il est une chose que l’on peut dire de la psychologie humaine, c’est qu’elle est intrinsèquement conservatrice. Les gens n’aiment pas le changement. Pour les travailleurs, le changement est presque toujours synonyme de mauvaises choses. Ils regardent vers un passé prétendument meilleur avec des lunettes teintées de rose. La conscience est en retard sur la réalité objective. Ironiquement, c’est ce conservatisme de la conscience humaine qui crée la nécessité d’une révolution. La conscience finit par rattraper la réalité avec fracas.

De plus en plus, la population comprend que la crise actuelle n’est pas une aberration temporaire. Toute personne âgée de moins de 30 ans a passé toute sa vie d’adulte dans des conditions de crise sociale, économique et environnementale. Cela a des effets considérables sur la psychologie.

Au cours de la période qui a suivi la Seconde Guerre mondiale, la classe ouvrière des pays capitalistes avancés s’est habituée aux réformes et aux progrès réguliers. Les relations entre les classes se sont assouplies et la conscience de classe s’est également adoucie. Cette situation contraste fortement avec la période de 1917 à 1939, où la classe ouvrière avait été endurcie par l’expérience de la guerre, de la dépression, de la révolution et de la contre-révolution. Le Canada, qui a réalisé de nombreuses réformes dans l’après-guerre, est l’un des pays où les illusions sur le progrès réformiste dans le cadre du capitalisme sont les plus prononcées.

Mais aujourd’hui, de plus en plus, la psychologie des masses rattrape les événements et de plus en plus de personnes développent le point de vue qui prévalait dans les années 1930. Dans un premier temps, ce changement psychologique se manifeste par une polarisation. Le « centre » libéral est de plus en plus intenable; les gens se tournent vers des solutions anti-establishment pour faire face à la crise.

La polarisation, par nature, signifie un effondrement du centre et une concentration des forces à la fois à droite et à gauche. La polarisation s’est exprimée à plusieurs reprises à la droite de l’échiquier politique : le Parti populaire du Canada de Maxime Bernier a obtenu 5% des voix lors des élections de 2021, le Convoi de la liberté des anti-vaccins avait 30% d’appuis dans la population en février 2022, et maintenant nous avons la montée du populiste de droite Pierre Poilievre à la tête du Parti conservateur du Canada.

Fait significatif, tandis que les jeunes votent traditionnellement pour le NPD, des sondages récents ont placé Poilievre comme le politicien le plus populaire parmi les jeunes hommes. Selon un sondage Angus Reid de septembre dernier, Poilievre obtiendrait le vote de 48% des hommes âgés de 18 à 34 ans. Ce revirement est dû à la modération et à la faillite de la direction du NPD, ce qui amène les jeunes hommes à trouver une solution de rechange au statu quo d’une manière très confuse en la personne de Poilievre. Heureusement, seulement 23% des jeunes femmes soutiennent le leader conservateur, ce qui montre les meilleurs instincts de classe de ce groupe opprimé.

Toutefois, comme nous l’avons répété à maintes reprises, la polarisation n’est pas équilibrée. La prépondérance des sentiments anti-establishment se situe à gauche et non à droite, en particulier chez les jeunes. C’est ce que montrent un certain nombre de sondages qui révèlent des opinions progressistes. L’idée d’augmenter les impôts sur les riches obtient régulièrement une majorité extrême dans les sondages – l’un d’entre eux, réalisé en octobre, a révélé que 80% des Canadiens soutiennent une telle mesure. 

Un million de jeunes communistes au Canada

Ironiquement, l’exemple le plus clair de la polarisation à gauche est illustré par un sondage réalisé par l’Institut Fraser. L’Institut Fraser est un think tank libertarien qui n’a aucun intérêt à amplifier l’appui au communisme ou au socialisme. C’est pourtant exactement ce que font les résultats de ce sondage.

Le sondage révèle que parmi les 18-34 ans, 13% sont d’accord pour dire que le communisme est le système économique idéal. Si l’on ne retient que les 18-24 ans, le chiffre est de 17%. Ces chiffres signifient que plus d’un million de jeunes au Canada soutiennent le communisme en tant que système économique idéal!

Par ailleurs, l’appui au socialisme se situe à 50% chez les jeunes, ce qui est plutôt normal. Ce chiffre est inférieur à celui d’un sondage réalisé en 2019, qui indiquait que 58% des Canadiens avaient une opinion positive du socialisme. Alors que l’intérêt pour le « socialisme » semble stagner, il y a maintenant un groupe important qui considère le communisme comme la voie à suivre.

On ne saurait trop insister sur l’importance symptomatique d’un tel sondage. Ce qui est encore plus étonnant, c’est qu’il n’existe aucune force politique sérieuse et bien établie qui plaide en faveur du communisme ou du socialisme. La bureaucratie du NPD et la direction de Québec solidaire évitent soigneusement le « mot en S », sans parler du communisme. Imaginez ce que seraient ces chiffres s’il existait une organisation communiste de masse au Canada!

Le sondage de l’Institut Fraser ne s’arrête pas au Canada. En ce qui concerne le communisme, 20% des jeunes Américains le considèrent comme le système idéal, et ce chiffre monte à 29% chez les jeunes Britanniques.

À bien des égards, cela peut être considéré comme une preuve empirique très précise de l’état de la conscience de classe dans ces trois pays. La crise du capitalisme est particulièrement aiguë en Grande-Bretagne, un pays en plein désarroi avec une forte baisse du niveau de vie depuis la crise de 2008, aggravée par une inflation de plus de 10%, et un gouvernement conservateur détesté qui s’en prend constamment aux travailleurs et à la jeunesse. Les États-Unis ne sont pas loin derrière. Mais le Canada, comme nous l’avons déjà souligné, a évité le pire de la crise de 2008. L’austérité y a été moins forte et, bien que le niveau de vie diminue effectivement, c’est à partir d’un point plus élevé. Les différents stades de la crise se reflètent très bien dans les différences d’appui au communisme dans les trois pays.

Ce que nous pouvons dire, c’est que le chaos en Grande-Bretagne et les crises politiques aux États-Unis et leur impact sur la conscience annoncent notre avenir ici au Canada. Au fur et à mesure que la crise s’aggravera, de plus en plus de jeunes se tourneront vers le communisme.

La jeunesse d’aujourd’hui n’a rien à voir avec les générations précédentes. Les trentenaires et les plus jeunes n’ont connu, durant leur vie consciente, qu’un capitalisme en crise quasi permanente. Ils ont été éveillés à la politique à un degré ou à un autre au cours d’une période comprenant la crise de 2008 et l’austérité qui a suivi, le terrorisme, Donald Trump et ses imitateurs dans d’autres pays, la crise de la COVID-19, la flambée du prix des logements et une catastrophe environnementale qui empire sous nos yeux. Les jeunes n’ont vu pratiquement aucune réforme pendant toute leur vie d’adulte. Comment cela ne pourrait-il pas conduire ces personnes vers une solution de rechange radicale, socialiste ou communiste?

Mos maiorum 

Les historiens de l’Antiquité citent un facteur important dans l’effondrement de la République romaine. En plus de toutes les règles explicites de la République, il y avait aussi des règles non écrites qui assuraient la stabilité du système. Ces règles non écrites étaient connues sous le nom de « mos maiorum », ce qui se traduit approximativement par « coutumes ancestrales ». Ces coutumes entre les différents partis politiques maintenaient la lutte politique dans certaines limites, de sorte que le système dans son ensemble soit préservé. Au cours de la dernière crise de la République, les acteurs politiques violaient de plus en plus ces lois non écrites, contribuant à la chute de l’édifice tout entier.

La violation du mos majorum moderne est une caractéristique de toutes les principales « démocraties » bourgeoises. Nous l’avons vu sous Trump, qui a ignoré tout le décorum de la présidence américaine, qui a refusé de reconnaître les résultats de l’élection de 2020 et dont les partisans ont organisé une émeute au Capitole. Au Brésil, le populiste de droite Bolsonaro imite Trump au meilleur de ses capacités. En Grande-Bretagne, l’aile la plus enragée du Parti conservateur a réussi à remporter le vote du Brexit et a poussé pour une sortie « dure » de l’Union européenne. Ces personnes ont violé toutes les normes de la politique et les ont poussées à leur limite.

Le Canada n’est pas à l’abri de ces violations croissantes des normes politiques. C’est ce qu’a noté un des journaux bourgeois les plus sérieux qui soient, The Economist. Dans un article intitulé « La bombe à retardement sous la démocratie canadienne », on explique le danger qui vient avec l’existence et l’utilisation croissante de la « clause nonobstant ». Cette dernière octroie au parlement fédéral ou aux législatures provinciales le pouvoir d’outrepasser des droits qui sont protégés par la Charte canadienne des droits et libertés, tels que la liberté d’expression, la liberté d’association, le droit à la protection contre les fouilles, perquisitions ou saisies abusives, la liberté de réunion pacifique, etc. 

The Economist affirme : 

« Le Canada n’a toujours pas produit un Donald Trump, mais il se peut qu’il ait des défenses constitutionnelles plus faibles qu’aux États-Unis, si un tel personnage venait à apparaître. La Section 33 [la clause nonobstant] crée une vulnérabilité au recul démocratique qui se produit ailleurs […] ».

Dans un autre article, le journal explique « [qu’il] est naïf d’assumer qu’une faille constitutionnelle ne sera pas utilisée abusivement au mépris des libertés fondamentales. » La normalisation de ce qui ne devait être qu’une option nucléaire exceptionnelle inquiète les défenseurs les plus clairvoyants du capitalisme.

Justin Trudeau a lui aussi exprimé ses craintes quand le premier ministre ontarien Doug Ford a essayé d’écraser la grève des travailleurs de l’éducation en utilisant la clause nonobstant pour protéger l’adoption d’une loi de retour au travail. Il s’est plaint que « les Canadiens eux-mêmes devraient être extrêmement préoccupés par le fait que les gouvernements provinciaux utilisent de plus en plus la clause nonobstant de manière préventive pour suspendre leurs droits et libertés fondamentaux », ajoutant : « La Charte des droits et libertés ne doit pas devenir une suggestion. L’indignation que nous observons actuellement dans tout le pays… je pense que c’est un moment de réflexion pour tous les Canadiens. »

L’ex-chef du Parti conservateur Erin O’Toole, qui a été évincé par une révolte au parti durant le Convoi de la liberté, a exprimé un sentiment similaire et fait part des préoccupations de Bay Street concernant la partisanerie excessive et l’érosion des soi-disant traditions démocratiques du Canada. Critiquant les drapeaux « F*** Trudeau » qui apparaissent de plus en plus dans les manifestations et événements conservateurs, O’Toole explique :

« M. Trudeau était mon opposant politique et non pas mon ennemi. Ces drapeaux et la rhétorique hyper-agressive qui les accompagnent souvent sont tranquillement en train normaliser la rage et d’endommager notre démocratie. »

Puis il ajoute : 

« La prolifération de ce type de démonstrations politiques au cours des dernières années est le signe que nous sommes en train de lentement nous désensibiliser aux cascades politiques et à la rhétorique agressive, qu’ils viennent de la gauche ou de la droite. En fait, les extrêmes semblent profiter mutuellement de ce qu’ils recadrent le débat autour des motivations des leaders politiques. »

O’Toole ajoute que « ce ton de division et de méfiance est lentement en train de devenir la nouvelle norme en politique ». Mais O’Toole n’offre aucune solution claire quant à ce qui pourrait être fait pour ramener le « débat politique » dans les normes acceptables pour la démocratie bourgeoise.

Les violations les plus notables des règles non écrites sont l’utilisation débridée de la clause nonobstant, le recours routinier à des lois de retour au travail, ainsi que les démarches entreprises dans les provinces de l’Ouest canadien pour ne pas reconnaître l’autorité du gouvernement fédéral et des tribunaux fédéraux. Ce n’est pas par principe que les bourgeois les plus intelligents s’opposent aux contournements des règles pour mettre en œuvre des politiques de droite. Ce qui les préoccupe, c’est que les travailleurs remarquent l’hypocrisie et qu’ils se mettent à se dire que les règles ne devraient pas s’appliquer à eux non plus. Si la clause nonobstant peut être utilisée pour imposer des politiques aux travailleurs, pourquoi ne pourrait-elle pas être utilisée pour imposer des politiques aux patrons?

Dans l’Ouest canadien, les gouvernements provinciaux de l’Alberta et de la Saskatchewan foncent tout droit vers une collision constitutionnelle avec le gouvernement fédéral au sujet de la réglementation environnementale, des émissions de gaz à effet de serre et des taxes carbone qui auront un impact sur l’industrie du pétrole et du gaz. La première ministre albertaine Danielle Smith a passé la Loi sur la souveraineté de l’Alberta dans un Canada uni dans la législature provinciale début décembre de l’année dernière. Cette loi donnera au gouvernement Smith le pouvoir de passer outre les tribunaux et de défier « toute initiative fédérale ». 

Le Parti saskatchewanais du premier ministre Scott Moe est aussi en voie de légiférer dans la même direction dans cette province avec le Saskatchewan First Act (la loi « la Saskatchewan d’abord »). Avec cette loi, dans la pratique, c’est le Parti saskatchewanais, pas les tribunaux, qui décidera de ce qui est constitutionnel et de ce qui ne l’est pas pour tout ce qui touche aux ressources naturelles et à l’industrie du pétrole et du gaz en Saskatchewan. Les gouvernements de la Saskatchewan et de l’Alberta sont tous deux en train de mettre à l’épreuve la viabilité de la Confédération canadienne.

Au Québec, le gouvernement de la CAQ de François Legault a invoqué la clause par deux fois ces dernières années. Il a utilisé la clause nonobstant quand il a fait passer la Loi 21 qui bannit le port des symboles religieux pour des travailleurs du secteur public, puis encore en 2022 quand il a fait passer la Loi 96 sur l’utilisation du français dans les services publics et les écoles. Legault joue clairement sur la nostalgie du populisme de Maurice Duplessis de façon à susciter « l’unité nationale » pour couper court à la lutte des classes.

Si la Confédération canadienne n’est pas au seuil de l’effondrement imminent, elle s’érode tout de même lentement sous la pression de la crise du capitalisme. Comme l’a dit The Economist, tout cela constitue une « bombe à retardement » au cœur de la Constitution canadienne. Ces forces populistes de droite travaillent activement à scier la branche de la légalité bourgeoise sur laquelle elles sont assises. Elles jouent avec le feu et contribuent à discréditer le système aux yeux de la classe ouvrière.

La Constitution et les tribunaux sont des institutions bourgeoises par définition et elles ont été créées précisément pour défendre l’ordre bourgeois et assurer l’hégémonie capitaliste. La lutte révolutionnaire de la classe ouvrière pour transformer la société n’aboutira pas si elle demeure dans les confins légaux de la société qu’elle essaie de renverser. Qui plus est, au moment de la prise du pouvoir, la classe ouvrière devra complètement renverser ces structures et ces lois, et créer de nouvelles structures et institutions révolutionnaires, amorçant ainsi la transformation socialiste de la société.

Ce n’est pas la tâche de la classe ouvrière que de résoudre les problèmes constitutionnels de la Confédération. La tâche historique de la classe ouvrière est le renversement du capitalisme. La Constitution et la Confédération canadienne, toutes deux bourgeoises, seront remplacées par une société fondée sur la démocratie ouvrière, une forme supérieure de démocratie.

Le spectre d’un gouvernement Poilievre

L’incapacité du NPD à offrir une solution de rechange anti-establishment fait planer le spectre d’un gouvernement de droite populiste sous Pierre Poilievre. S’il est vrai que nous avons dit que la polarisation penche à gauche, l’absence d’une expression organisée des sentiments de gauche donne un avantage électoral à la droite. Les populistes de droite n’ont pas froid aux yeux et sont donc bien mieux organisés que la gauche, elle qui craint sa propre ombre et qui se lie au statu quo libéral. Le leadership du Convoi de la liberté, composé de parfaits idiots, avait au moins le mérite d’être audacieux dans ses idées et ses actions. Sans être aussi crasse, Poilievre exploite lui aussi la même colère. 

Poilievre s’en prend à « l’élite financière », affirmant que « on a le sentiment que tout est brisé » et critiquant sans relâche le gouvernement Trudeau qui appauvrit la « classe ouvrière ». Il est même allé jusqu’à dénoncer « une petite élite financière qui jouit de l’accès à tous ces billets de banque qui sont imprimés, qui achète et accapare la propriété foncière, et qui la loue à une classe en pleine croissance de locataires permanents; des gens qui ne seront jamais en mesure de s’acheter une maison ». Sa critique principale du gouvernement Trudeau est sa politique financière qui aurait mené à ce qu’il appelle la « Justinflation ». Cette rhétorique commence à faire sentir ses effets, avec nombre de sondages plaçant désormais les conservateurs en avance sur les libéraux.

Crédit : Wikimedia Commons (Manning Centre / Jake Wright)

Poilievre a aussi profité de ce que le NPD s’attache aux libéraux. Ceci, nous l’avons vu clairement lorsqu’en avril 2022, Jagmeet Singh, le chef du NPD, a tweeté que « dans un système libéral et conservateur – truqué en faveur des riches – l’inégalité a crû pendant la pandémie ». Poilievre a répondu : « Oui, le “système” est truqué en faveur des riches, mais vous ÊTES le système, Jagmeet. La politique de votre coalition fait gonfler la richesse des riches et le coût de la vue pour le reste. Vous écrasez la classe ouvrière que le NPD soutenait autrefois. Assumez-le ou mettez fin à votre coalition dès maintenant. »

La prochaine élection fédérale n’est pas prévue avant octobre 2025. Cependant, puisque nous avons présentement un gouvernement minoritaire, une élection pourrait être déclenchée avant. Avec un gouvernement minoritaire fatigué, soutenu par le NPD, et la montée des conservateurs dans les sondages, Poilievre pourrait très bien prendre le pouvoir.

Le mouvement ouvrier et la gauche au Canada doivent apprendre les leçons de la victoire électorale de Donald Trump aux États-Unis en 2016. Ce que les marxistes expliquaient à l’époque, c’est que le secret du succès de Trump résidait dans sa capacité à exploiter un sentiment anti-establishment qui s’était développé alors que le système ruinait de plus en plus la vie des gens. Après deux mandats d’une présidence Obama marquée par la dégradation des conditions de vie, il y avait un sentiment de colère croissant contre le Parti démocrate et contre l’establishment capitaliste en général. Le démagogue Trump avait mobilisé une rhétorique populiste contre « le système », Wall Street et les démocrates, et avait même parlé de défendre la « classe ouvrière ». 

Au Canada, nous faisons face à une situation très similaire. Après avoir initialement surfé sur une vague de colère dirigée vers les conservateurs, Justin Trudeau est au pouvoir depuis presque six ans et les « beaux jours » ont fait place à des nuages noirs. La situation économique n’est pas rose, c’est le moins que l’on puisse dire, et l’inflation pousse de plus en plus de Canadiens à faire appel aux banques alimentaires. L’organisation caritative Second Harvest prévoit que le nombre de visites dans les banques alimentaires atteindra 8 millions par mois en 2023. En outre, la fatigue règne de plus en plus par rapport à l’usage purement symbolique par le gouvernement libéral des politiques identitaires, qui ne sert qu’à camoufler ses véritables politiques. Nous pouvons en voir un autre exemple avec la proposition de nommer une personne autochtone à la tête de la GRC – comme si cela allait changer la nature de cette aile terriblement raciste et répressive de l’État. 

Nous devrions nous méfier des arguments de type « moindre mal » qui sont destinés à devenir plus communs. Au fur et à mesure que le spectre d’un gouvernement Poilievre se précise, il y aura beaucoup de discours alarmistes élaborés pour pousser les gens dans les bras des libéraux détestés. Avec le NPD qui est lié aux libéraux et sans perspective à court terme pour que cette situation évolue, Poilievre a de bonnes chances de surfer sur la vague de colère et de sortir vainqueur de la prochaine élection.

Un gouvernement Poilievre signifierait un changement qualitatif par rapport aux politiques et à l’approche des libéraux de Trudeau jusqu’à présent, qui ont évité une lutte des classes aigüe en ayant recours à des déficits budgétaires. Poilievre est un libertarien qui chercherait immédiatement à équilibrer les comptes par des mises à pied dans le secteur public, un programme généralisé d’austérité et une guerre contre la classe ouvrière.

Pour toute une génération, la dynamique de la politique canadienne était principalement concentrée sur les événements à l’échelle provinciale. Le tempo de la lutte des classes a été très inégal de province en province récemment. Une province peut être au bord de la grève générale alors que sa voisine est tout à fait paisible! Mais un gouvernement Poilievre pave la voie à ce que la politique fédérale prenne l’avant-scène. Une lutte pancanadienne contre l’austérité des conservateurs devient une perspective envisageable. Une telle chose s’est produite sous le gouvernement libéral de Pierre-Elliott Trudeau, quand il a mis en place une politique détestée de contrôle des salaires et des prix. Cela avait déclenché une grève générale d’une journée en 1976 dans laquelle 1,2 million de travailleurs canadiens avaient participé. On ne peut exclure un tel scénario sous l’austérité vicieuse qu’un gouvernement Poilievre mettrait en place.

Cependant, une victoire des libéraux aux prochaines élections reste possible. En général, il est dangereux d’essayer de prédire le résultat des élections avec une quelconque certitude. Il demeure qu’une quatrième victoire pour Trudeau ne signifie aucunement la poursuite des déficits budgétaires et  de l’apaisement de la classe ouvrière. Avec le fardeau croissant du service de la dette, les libéraux au pouvoir ne manqueront pas de mener une politique d’austérité. Rappelons que le pire programme fédéral d’austérité dans l’histoire canadienne a été mis en œuvre sous le gouvernement libéral de Jean Chrétien dans les années 90. Que ce soit sous les libéraux ou les conservateurs, l’austérité est à l’ordre du jour, avec la lutte des classes qui en découle.

Un NPD superflu

Dans ce processus de crise, de polarisation de masse, de discrédit des institutions capitalistes et de montée de la conscience socialiste et communiste parmi la jeunesse, le NPD s’est positionné comme la dernière ligne de défense du statu quo. Dans le communiqué de presse annonçant son entente avec les libéraux, le NPD a écrit ceci : « Il est dans la nature même de la politique de proposer des visions contradictoires, mais personne ne profite de la polarisation croissante et du dysfonctionnement parlementaire qui empêchent d’obtenir ces résultats pour les Canadiens. » La tentative du NPD de faire obstacle à la polarisation nous rappelle la légende du roi Canute qui aurait ordonné à la marée de refluer, et il n’y a aucun doute que les résultats pour le NPD seront les mêmes.

La pire expression de la défense par le NPD de la normalité bourgeoise consiste en son entente « de soutien et confiance » avec les libéraux de Trudeau. L’accord est censé rester en vigueur jusqu’à 2025 et il représente une capitulation complète du parti en échange d’à peu près rien.

L’accord était basé sur de vagues promesses concernant les soins dentaires, les soins pharmaceutiques, une loi anti-briseurs de grève, le logement, les soins de longue durée et une taxe sur les profits excédentaires. Mais il est clair que les libéraux n’ont aucune intention d’implanter quelque programme substantiel que ce soit et qu’ils se contenteront d’y substituer des versements d’argent temporaires. Le NPD, à son tour, fait de son mieux pour présenter sa soumission misérable comme une sorte de victoire. Mais avec le virage à l’équilibre budgétaire et à l’austérité, cet accord fragile sera poussé jusqu’à ses limites.

Il est difficile d’exagérer à quel point le NPD n’en retire rien. Les 500 dollars de « soutien ciblé aux ménages » ne s’appliquent qu’aux familles qui gagnent moins de 35 000 dollars nets par année, ou 20 000 dollars pour les locataires individuels.

Le plan dentaire, censé être la plus grande réussite de cet accord, s’élève à 650 dollars de paiement direct par année pour couvrir les frais de santé dentaire des enfants de moins de 12 ans dont la famille gagne moins de 90 000 dollars par année et n’a pas d’assurance dentaire. Cette couverture est censée s’élargir aux 13-18 ans, aux aînés et aux personnes en situation de handicap d’ici 2025 – d’ici là, les libéraux se seront probablement tournés vers l’austérité, s’ils sont même encore au pouvoir. Les familles devront postuler via l’Agence du revenu du Canada pour recevoir cet argent. Considérant que la bureaucratie d’État est incapable de livrer les passeports, les chèques d’assurance emploi ou de traiter les demandes d’immigration dans des délais raisonnables, il n’y a pas l’ombre d’un doute que beaucoup seront dissuadés par la perspective de vivre cet enfer bureaucratique. Plus important encore, le fait que ce soit un versement direct ponctuel et non un véritable programme rend toute la chose moins rentable et très facile à démanteler par les gouvernements futurs.

Le NPD s’est lié au statu quo pour quelques miettes que les libéraux auraient probablement offertes avec ou sans l’appui du NPD.

En janvier, Jagmeet Singh, chef du NPD, a laissé entendre que si les libéraux ne proposaient pas un projet de loi d’assurance-médicaments cette année, cela mènerait à la rupture de l’accord. L’accord entre les deux partis dit qu’un projet de loi appelant à ce qu’une « Agence canadienne des médicaments » élabore « un formulaire national de médicaments essentiels et un plan d’achat en gros d’ici la fin de l’entente » doit être déposé d’ici fin 2023. Mais cet engagement est si vague que les libéraux pourraient bien être en mesure de tenir parole tout en imposant des restrictions budgétaires. De cette façon, le NPD se trouverait à appuyer le tournant libéral vers l’austérité en échange d’une autre promesse vide.

Crédit : Wikimedia Commons/OFL Communications Department

Le NPD est confronté à un choix ridicule. Il devra soit maintenir son appui aux libéraux et ainsi se rendre responsable de leur tournant vers l’équilibre budgétaire et l’austérité, soit faire tomber le gouvernement, ce qui soulèverait la question de savoir ce qui aurait changé entre-temps. Personne ne comprendrait pourquoi le NPD a appuyé les libéraux sans rien obtenir en retour. Une fois l’élection venue, personne ne sentirait le besoin de voter NPD puisqu’en votant NPD, on se retrouve avec les libéraux de toute façon. 

On peut entrevoir la dynamique de la prochaine élection avec Poilievre qui concentre le vote de protestation contre le statu quo pendant que les libéraux concentrent le vote en faveur de l’establishment. Dans cette équation, à quoi sert le NPD? Et la question d’importance pour les marxistes : pourquoi les travailleurs radicalisés ou la jeunesse décideraient-ils de rejoindre le parti?

Le Nouveau Parti (pas si) démocratique

La défense du statu quo libéral par le NPD est combinée à une répression de toute voix de gauche parmi les membres. Cela fait planer l’incertitude quant à l’avenir du parti.

L’exemple le plus flagrant est ce qui est arrivé au sein du NPD britanno-colombien à l’automne 2022. La démission du premier ministre et chef du NPD, John Horgan, a déclenché une course à la chefferie. Anjali Appadurai, une militante environnementaliste qui avait été critique du gouvernement néo-démocrate, s’est présentée sur une plateforme de réformes progressistes à la Jeremy Corbyn ou Bernie Sanders. Sa campagne a été décrite par les médias comme une campagne de « rébellion » et elle était perçue comme l’opposition de gauche à la clique Horgan-Eby. Mais dans une manœuvre antidémocratique scandaleuse, elle a été disqualifiée de la course à la chefferie sur la base des accusations les plus douteuses. 

La raison de sa disqualification était claire. Le nombre de membres du parti avait chuté presque de moitié pendant le mandat de John Horgan comme premier ministre pour atteindre 11 000 membres. Appadurai aurait recruté entre 10 000 et 14 000 nouveaux membres, alors que le candidat de l’establishment David Eby n’en avait recruté que 6000. Il est plus que probable qu’elle aurait remporté la victoire, et la bureaucratie néo-démocrate ne pouvait pas le permettre. Il a été révélé que, scandaleusement, les hauts placés du NPD ont fait appel au Congrès du travail du Canada pour les aider à lutter contre Appadurai! 

Au bout du compte, ils ont obtenu ce qu’ils voulaient avec Eby couronné chef du NPD et premier ministre, et ce sans le désagrément d’avoir à faire voter qui que ce soit. Eby a indiqué clairement qu’il n’avait aucunement l’intention de rompre avec le statu quo quand il a affirmé : « Les Britanno-Colombiens ne devraient pas s’attendre à des changements radicaux si je réussis. »

Heureusement pour les capitalistes et les propriétaires dans la province, la bureaucratie du NPD britanno-colombien a écrasé avec succès la « rébellion » de gauche et préside aujourd’hui à la pire crise du logement de l’histoire de la province, entre autres choses. Bien qu’Appadurai ait affirmé qu’elle resterait dans le NPD et appelé ses partisans à « lutter de l’intérieur » du parti, on peut supposer que les milliers de personnes qui étaient enthousiasmées par sa campagne ont quitté le parti dégoûtés.

En Ontario, la bureaucratie du NPD de l’Ontario a fait tout en son pouvoir pour mettre à l’écart et discréditer Jessa McLean, une ex-candidate et militante ouvertement socialiste. McLean avait aussi été candidate à la présidence du parti, récoltant 30% des voix. La bureaucratie a refusé qu’elle se présente de nouveau aux élections, lui préférant un candidat parachuté dans sa circonscription, ignorant ainsi le droit des membres du parti de choisir leur propre candidat. Ensuite, elle a été dénoncée puis expulsée par la bureaucratie prétendument pour antisémitisme et harcèlement, alors qu’elle n’avait fait que critiquer la direction du parti.

Au niveau fédéral, la députée de gauche Niki Ashton a été écartée et démise de toutes ses fonctions dans le caucus parlementaire en utilisant le prétexte de son voyage en Grèce en 2021, lorsqu’elle a visité sa grand-mère malade pendant le confinement. Quand elle a été accusée d’antisémitisme pour avoir organisé un événement avec l’ex-chef du Parti travailliste britannique, Jeremy Corbyn, la bureaucratie du NPD n’a rien fait pour la défendre. En fait, les dirigeants néo-démocrates mettent proactivement les candidats pro-Palestine à l’écart depuis des années, et avalent tout rond la calomnie selon laquelle toute critique de l’État d’Israël est de l’antisémitisme.

La direction du NPD, tant au fédéral qu’au provincial, semble avoir appris une ou deux choses du Parti travailliste britannique. En 2015, Jeremy Corbyn avait gagné la course à la chefferie du parti en tant que socialiste autoproclamé, ce qui avait pris la bureaucratie de droite du parti entièrement par surprise. Il aura fallu quatre années de salissage, de mensonges et de coups de poignard dans le dos par l’aile droite pour finalement se débarrasser de lui. Le nouveau chef du parti, Keir Starmer, mène depuis une guerre contre la gauche, expulsant les socialistes et annonçant qu’il ne serait plus jamais permis à Corbyn de se représenter. S’il est vrai que la situation n’est pas aussi intense au sein du NPD, la disqualification d’Appadurai montre que le NPD a appris que la démocratie est trop dangereuse et qu’en conséquence il ne laissera aucune figure de gauche, socialiste, ou anti-establishment se présenter. Le Nouveau Parti « démocratique » porte bien mal son nom. On pourrait ajouter que le NPD n’est pas particulièrement nouveau non plus!

Il en résulte qu’à un moment où l’intérêt pour le socialisme et même le communisme atteint des sommets, en particulier parmi la jeunesse, la direction du NPD fait tout en son pouvoir pour réduire au silence et purger les quelques éléments de gauche et socialistes au sein des membres. Alors que le parti devrait lutter contre l’establishment, dénoncer le capitalisme et mobiliser la jeunesse et les travailleurs, sa direction semble surtout vouloir attaquer les socialistes et se rapprocher des libéraux de Trudeau. Même si des jeunes voulaient rejoindre et militer au parti, il n’y a rien pour eux – pas de réunions, pas de congrès des jeunes du parti, rien. Sans surprise, l’enthousiasme pour le NPD est réduit à néant.

La déconnexion s’est même transmise aux travailleurs syndiqués, soit la base traditionnelle du parti. Des sondages récents ont montré qu’il n’est pas plus probable pour le membre moyen d’un syndicat que pour le citoyen moyen de voter NPD. Un sondage en particulier montre que parmi les travailleurs syndiqués du secteur public, le NDP obtiendrait 26% des voies, devancé par les conservateurs avec 34%. Dans le secteur privé, les intentions de vote des travailleurs syndiqués sont à un misérable 14% pour le NPD, bien loin derrière les conservateurs et les libéraux!

Le cul-de-sac du réformisme

Un autre exemple de la banqueroute de la direction néo-démocrate est la politique étrangère, où le parti a tourné loin vers la droite.

Il n’y a qu’à regarder ses positions sur l’intervention canadienne dans la guerre en Ukraine pour s’en rendre compte. Par le passé, le NPD était vu comme le parti anti-guerre et il proposait une critique pacifiste des aventures impérialistes à l’étranger. Dans les années 80, par exemple, le NPD revendiquait que le Canada se retire de l’OTAN, et l’ancien chef du parti, Jack Layton, était si critique de la guerre de 2001 en Afghanistan qu’il s’était vu décerner le sobriquet de « Taliban Jack » de la part des conservateurs.

Aujourd’hui, la bureaucratie du NPD a jeté toute rhétorique anti-guerre par la fenêtre et elle suit la parade impérialiste. Quand le gouvernement Trudeau a annoncé qu’il dépenserait 70 milliards de dollars sur de nouveaux avions de chasse, tout ce que le NPD a trouvé à critiquer était que les libéraux auraient pu trouver un contrat plus avantageux et que les armes devraient être fabriquées au Canada pour protéger les emplois canadiens dans l’industrie de la défense! Ça ne s’invente pas.

À l’échelle provinciale, le NPD a été tout aussi mauvais, et on peut facilement le voir avec l’Alberta et la Colombie-Britannique.

En Alberta, en dépit de la crise du gouvernement de l’UCP (Parti conservateur uni) et de la chute de Jason Kenney, le NPD albertain ne parvient pas à susciter l’enthousiasme. Les résultats des sondages sont toujours à égalité et la populiste de droite Danielle Smith pourrait fort bien gagner l’élection de 2023. [Depuis l’écriture de ce document, les élections ont confirmé cette perspective, Danielle Smith ayant été réélue.] C’est parce que, sur les questions fondamentales, le NPD n’a pas de position différente.

La cheffe néo-démocrate Rachel Notley a adopté des positions politiques quasi identiques à son homologue de droite sur les questions clés. Par exemple, sur la question du programme de transition équitable du gouvernement fédéral, Notley et Smith se sont disputé le titre de « la plus fervente défenseuse de l’industrie pétrolière ». Notley, il est vrai, s’est opposée à la Loi sur la souveraineté de l’Alberta, mais pas parce que c’était un projet réactionnaire qui visait à attiser le sentiment de désaffection de l’Ouest canadien et à diriger la colère contre Ottawa. Le problème principal qu’elle voyait avec la loi, c’est qu’elle ne serait pas bonne pour les affaires! Tous les arguments du NPD étaient axés sur ses effets néfastes pour l’investissement. En préparation à l’élection provinciale, la campagne de Notley a été inaugurée à la Chambre de commerce de Calgary. Le parti est occupé à convaincre les barons du pétrole qu’il peut être un partenaire plus fiable qui pourra mieux gérer le capitalisme que l’UCP. Il croit que la modération et le compromis représentent la voie à suivre. Notley a même remercié Jason Kenney pour les « services » qu’il a rendus après sa démission! 

Le seul exemple de réformistes présentement au pouvoir, c’est le NPD en Colombie-Britannique. La liste des trahisons de ce gouvernement est longue et déplorable : de la répression contre la Première Nation Wet’suwet’en à la rupture de ses promesses sur l’exploitation des forêts anciennes, en passant par l’incapacité à construire des logements sociaux pour résoudre la crise du logement et l’attaque sur les travailleurs du secteur public syndiqués par le BCGEU.

Si les réformistes sont si décevants, c’est parce qu’ils obéissent à la logique qui découle du refus de rompre avec le capitalisme. Dans cette époque de crise du capitalisme, le réformisme est intenable et il détruit ses propres bases. C’est un réformisme uniquement capable de contre-réformes. Cela n’est pas dû aux bonnes ou mauvaises intentions et aux convictions des dirigeants réformistes. Il s’agit simplement des conséquences logiques de leur politique. C’est ce qu’on entend quand on dit que la trahison est inhérente au réformisme.

Un processus similaire commence chez Québec solidaire, le parti réformiste du Québec. Le parti s’est établi comme élément reconnu du paysage politique avec ses 12 députés après sa victoire dans l’élection partielle de 2023 à Montréal.

Malheureusement, la direction de QS prend un tournant de plus en plus modéré. Au lieu de se présenter clairement comme une solution de rechange anti-establishment et anticapitaliste, elle continue d’essayer de collaborer avec la CAQ à l’Assemblée nationale. Pour paraître plus « raisonnable », elle a renoncé à sa position de longue date en faveur de la gratuité scolaire, prétendant que ce serait impossible à accomplir dans un premier mandat. Ses propositions en matière d’environnement sont désormais des mesures fondées sur le marché : mécanismes de plafonnement et d’échange de droits d’émission et taxe carbone, deux mesures essentiellement libérales. Pendant la campagne électorale, la proposition solidaire de combattre l’inflation à travers des coupes mineures dans la TVQ était presque identique à celles des libéraux et du PQ. Il en est résulté une stagnation du parti et même une perte de votes par rapport à 2018.

En plus de se modérer, QS se montre incapable de combattre le nationalisme réactionnaire de droite de la CAQ. En tant que nationalistes de gauche, ils enchaînent les concessions à la droite – QS semble croire que les bases électorales de la CAQ et du PQ sont cimentées derrière les préjugés qui sont véhiculés par les deux partis, et donc le parti plie constamment, s’imaginant pouvoir les gagner ainsi. Le parti n’a pas offert une opposition systématique à la Loi 21 de la CAQ. Il a aussi voté avec la CAQ en faveur de la Loi 96, une mise à jour de la fameuse Loi 101, malgré le fait qu’elle interdit aux immigrants arrivés au Québec depuis plus de six mois de recevoir des services dans une langue autre que le français, et malgré qu’elle ait été clairement conçue pour faire diversion et pour servir de provocation contre les minorités. Confrontée à ce processus de modération et de concessions au nationalisme, la gauche de QS a largement baissé les bras. Des dizaines de militants sont simplement partis, et ceux qui sont restés n’ont pas ou presque pas de présence et d’opposition organisées.

Si QS suit les traces du NPD dans sa trajectoire vers la droite, le parti n’est pas aussi profondément engagé sur le chemin. Cependant, pour le moment, il semble peu probable que l’un ou l’autre des partis soit l’épicentre d’un mouvement de radicalisation de masse. Cette banqueroute des organisations réformistes est liée au cynisme général à l’égard de la politique électorale. Ce dernier est également lié au rejet général des institutions bourgeoises. Il est très peu probable à court terme que les luttes de masse se déroulent sur le front électoral.

Et quand la lutte des classes est bloquée sur une partie du champ de bataille, elle est poussée vers un front différent, plus favorable. Le centre le plus probable de la lutte des classes au cours de la prochaine période sera extra-parlementaire, soit sur le front syndical, soit autour de mouvements de masse contre l’oppression et les injustices du système capitaliste.

Il est évidemment essentiel que nous n’écartions pas complètement la lutte politique et même la lutte parlementaire. Tôt ou tard, il est presque garanti que le mouvement de masse des travailleurs aura son expression parlementaire. C’est un stade inévitable du conflit de classe. Mais il ne s’agit pas d’un terrain de lutte à court ou moyen terme. Des mouvements de masse et des grèves de masse vont se manifester et éventuellement, ces mouvements auront leur reflet dans la sphère politique. Mais ceci est deux stades au-delà d’où nous nous situons présentement, c’est-à-dire au tout début de la lutte extra-parlementaire de masse. Il reste à voir si le conflit de classe dans la société sera reflété à l’intérieur de QS ou du NPD, ou dans des formations politiques entièrement nouvelles. Il nous faut suivre les processus tels qu’ils se déroulent, sans aucun schéma préconçu.

Le front syndical

Pour la première fois depuis une génération, on assiste à une reprise de la lutte des classes sur les milieux de travail. Pendant des décennies, la bureaucratie syndicale a réussi à étouffer la lutte syndicale. Mais aujourd’hui, cette entrave absolue au mouvement est battue en brèche, de sorte qu’elle n’est plus qu’une entrave relative. Des luttes importantes éclatent, comme celle des travailleurs de l’éducation de l’Ontario, et les représentants les plus corrompus des cliques bureaucratiques au sommet du mouvement sont évincés au profit de dirigeants très légèrement à gauche.

Les statistiques commencent à montrer une augmentation du nombre de grèves. Le nombre de jours-personnes non travaillés pour cause de grève a été de 2 155 612 en 2022, le chiffre le plus élevé depuis plus d’une décennie et presque le double de la moyenne pour cette période.

La raison de cette recrudescence des piquets de grève est facile à identifier. L’inflation a généralement tendance à provoquer des grèves. Il s’agit clairement du principal sujet de négociation dans la majorité des conflits qui ont eu lieu. Comme nous l’avons expliqué précédemment, au cours des dernières années, les salaires ont été inférieurs à l’inflation d’environ 2% par an. Les travailleurs exigent donc que leur niveau de vie cesse d’être érodé.

Au cours de la période précédente de faible inflation, la bureaucratie syndicale pouvait s’en tirer en vendant à ses membres des conventions collectives à 0 ou 1% d’augmentation car, comme il ne s’agissait que d’une modeste érosion, les travailleurs n’en étaient pas satisfaits, mais estimaient qu’ils n’avaient pas d’autre choix. Mais face à une inflation de 6%, les travailleurs n’avaleront pas un contrat à 1% d’augmentation. Les bureaucrates sont donc contraints de se battre ou de perdre leur poste et d’être remplacés par d’autres dirigeants plus proches de la base. Ainsi, nous assistons aux débuts d’une régénérescence du mouvement syndical à partir d’un très bas niveau.

Un exemple de cette régénérescence est l’expulsion des représentants des bureaucraties les plus à droite, incarnées par des gens comme Jerry Dias chez Unifor et Smokey Thomas du Syndicat des employés de la fonction publique de l’Ontario (OPSEU). Ces traîtres de classe ont été parmi les principaux promoteurs du « vote stratégique » pour les libéraux, avant d’apparaître sur la même plateforme que Doug Ford. Unifor faisait également partie de l’équipe de négociation libérale pour la nouvelle version de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA). Il est significatif que tous deux aient été évincés après avoir été impliqués dans des scandales de corruption totalisant des millions de dollars.

En remplacement de la vieille droite, nous avons assisté à la montée de personnalités telles que JP Hornick au sein d’OPSEU et Laura Walton au sein du Conseil des syndicats des conseils scolaires de l’Ontario (CSCEO, affilié au Syndicat canadien de la fonction publique, SCFP), entre autres. L’élection de ces personnalités est une manifestation de la pression de la base. Il est important que nous réalisions que ces dirigeants ne sont pas identiques aux vieux gangsters dinosaures de la droite, mais nous ne devons pas non plus nous faire d’illusions sur ces réformistes de la gauche la plus molle qui soit. La plupart de ces nouveaux dirigeants « de gauche » faisaient partie intégrante de l’ancienne bureaucratie de droite. La différence est que, contrairement à la droite, ils peuvent occasionnellement être contraints par la pression de la base à passer à l’action.

Certaines personnes au sein du mouvement disent qu’il ne faut pas critiquer les dirigeants de gauche. En réalité, si nous enlevons la pression sur les dirigeants de gauche, ils capituleront inévitablement devant la vieille bureaucratie de droite. Par conséquent, pour obtenir quoi que ce soit de bon de cette « gauche », il est crucial de critiquer avec véhémence ses vacillations ou ses reculs, tout en l’appuyant chaque fois qu’elle fait un réel pas en avant. Ce n’est que s’ils sentent le souffle chaud des travailleurs exigeant de la combativité qu’ils seront poussés à se battre.

La grève des travailleurs de l’éducation en Ontario

La grève des travailleurs de l’éducation de l’Ontario de 2022 représente un tournant dans la situation et mérite une analyse détaillée. Les 55 000 travailleurs syndiqués au SCFP ont réussi à vaincre la loi de retour au travail du gouvernement, protégée par la clause nonobstant. Il s’agit d’une victoire historique et sans précédent, du jamais vu depuis des générations.

Au cours des dernières décennies, seuls les marxistes ont dit qu’il était possible de faire échec aux lois de retour au travail par un mouvement de défiance de masse, et seuls les marxistes ont proposé de transformer cette défiance en grève générale. On nous a répété que c’était impossible. En réalité, il est désormais évident que non seulement c’était possible, mais que c’est le seul moyen pour les travailleurs de gagner. Et surtout, la grève des travailleurs de l’éducation montre le pouvoir immense de la classe ouvrière, si seulement ce pouvoir est libéré et non freiné par une bureaucratie corrompue.

Comme pour la plupart des luttes récentes, l’élément déclencheur a été l’inflation. En ce sens, les travailleurs de l’éducation de l’Ontario ne sont pas différents des autres secteurs de la classe ouvrière.

Une certaine mythologie a été créée sur la façon dont la direction de gauche « radicale » de Laura Walton a réussi à mobiliser ces travailleurs, mais la réalité est que cette mobilisation a été très limitée. S’il est vrai que Walton et ses collègues de la direction du CSCEO ont davantage mobilisé la base qu’à l’habitude en préparation de la grève, leurs efforts d’organisation n’ont rien eu de particulièrement novateur ou de révolutionnaire. Cependant, le fait de donner aux travailleurs de la base plus d’espace pour exprimer leurs opinions et pour se mobiliser sans que la bureaucratie ne s’impose à tout coup était quelque chose d’entièrement nouveau pour les membres de la base du syndicat, ce qui a galvanisé l’appui des travailleurs à la grève. Ce travail a toutefois été inégal; bien peu a été fait dans le local 4400 du SCFP à Toronto.

Ce travail a également rendu la direction autour de Walton plus sensible à l’humeur des travailleurs de la base. Les travailleurs étaient prêts à se battre : le vote en faveur de la grève était de 96% avec un taux de participation de 83%. Déterminés à lutter et refusant de reculer, les travailleurs ont pu faire pression sur Walton et consorts pour qu’ils s’engagent dans la voie de l’illégalité. Mais la différence avec d’autres luttes n’était pas tant la mobilisation des travailleurs par la direction que le fait que la direction n’ait pas activement trahi les travailleurs dès le départ.

La vérité est qu’une telle lutte aurait pu éclater dans n’importe quel secteur de la classe ouvrière. Les travailleurs de l’éducation n’ont rien de vraiment spécial. Si nous disons cela, ce n’est pas pour dénigrer la lutte héroïque des travailleurs du SCFP, mais pour souligner que ce genre de lutte est le produit de la situation générale et pourrait facilement survenir dans d’autres milieux de travail.

Partant de simples revendications d’indexation des salaires à l’inflation et de rattrapage salarial après une décennie d’érosion, le conflit s’est approfondi pour mener à une menace de grève générale en l’espace de deux semaines. Cela démontre bien la nature turbulente de notre époque. Au début du mois d’octobre 2022, un pessimiste aurait pu facilement dire que rien ne se passait. Un marxiste aurait répondu : patience! C’est ce que le marxiste britannique Ted Grant voulait dire lorsqu’il parlait de s’attendre à des « virages brusques et des changements soudains » et que « les événements, les événements, et encore les événements » allaient changer la conscience des masses.

Alors que les lois de retour au travail étaient autrefois une option extrême, elles sont devenues habituelles pour toute grève qui commence à avoir un impact. Au cours des dernières décennies, le droit de grève au Canada a été érodé à un tel point que nous avons le droit de débrayer uniquement si la grève est inefficace. Face aux lois de retour au travail, les bureaucraties syndicales se plaignent, mais refusent d’organiser les travailleurs pour les défier. Elles font plutôt appel aux tribunaux pour donner l’impression d’agir, laissant la loi briser la grève dans l’immédiat. Des années plus tard, la cour tranche (parfois) que la loi de retour au travail était illégale, mais cela ne change rien puisque la grève est finie depuis des années. Bien qu’il ne soit jamais facile de défier la loi, il fallait bien que quelqu’un, quelque part, le fasse. Et c’est ce qui s’est passé.

Avec le recul, il est clair que le gouvernement Ford est allé trop loin en recourant à la clause nonobstant pour protéger sa loi de retour au travail, mais il y avait une certaine méthode dans cette folie. Compte tenu de l’arrêt rendu en 2015 par la Cour suprême, selon lequel le droit de grève est un élément constitutif de la liberté d’association, le gouvernement de l’Ontario ne pouvait pas se permettre de risquer de perdre devant les tribunaux. Il ne pouvait pas non plus se permettre de recourir à l’arbitrage obligatoire, car les travailleurs de l’éducation établissaient un précédent pour l’ensemble du secteur public. Si l’arbitre rendait une bonne décision, le gouvernement n’aurait pas pu se le permettre, et s’il rendait une mauvaise décision, cela signifierait que d’autres syndicats refuseraient de recourir à l’arbitrage obligatoire. Le gouvernement n’avait pas d’autre choix que de promulguer une loi de retour au travail, protégée par la clause nonobstant, et d’imposer un contrat par la loi. Nous voyons ici que c’est la crise du capitalisme qui est la cause fondamentale de ce conflit.

Ford n’aurait pas pu prévoir le débrayage illégal des travailleurs. Les politiciens capitalistes se sont habitués à la soumission et à la capitulation des dirigeants syndicaux depuis des décennies. Mais cette situation représentait une menace existentielle pour l’appareil syndical. S’il n’y a pas de droit effectif à la négociation, et encore moins à la grève, la bureaucratie syndicale n’a aucun rôle à jouer. Par conséquent, les dirigeants du SCFP n’ont plus eu d’autre choix que de se battre quand le gouvernement a rejeté leur ultime effort de conciliation, qui consistait à réduire leur revendication salariale de 11,7 à 6%.

Laura Walto. Crédit : OPSEU/Facebook

L’incroyable pression exercée par la base a contraint les dirigeants à ne pas se contenter de manifestations symboliques d’un ou deux jours, mais à déclarer la grève illégale illimitée. Ce fut le point de basculement qui, à son tour, a créé l’élan nécessaire pour que le reste du mouvement syndical soutienne l’appel à la grève générale. Une fois encore, il convient de souligner que les mêmes personnes qui ont annoncé la grève générale disaient depuis des années aux militants socialistes qu’une telle chose était impossible.

Le gouvernement Ford a été totalement pris au dépourvu. Il ne s’y attendait pas et a été contraint à un recul humiliant. Pour la première fois dans l’histoire du Canada, une loi de retour au travail et un contrat imposé ont été renversés, mais seulement à la condition que les piquets de grève soient levés.

La question de savoir s’il était correct de démanteler les piquets de grève a fait l’objet de nombreuses discussions au sein de la gauche. Les différents aspects du débat sur cette question tournent généralement autour de l’opinion subjective de l’auteur sur l’opportunité ou l’inopportunité d’une grève générale. Un tel subjectivisme n’est pas marxiste. Subjectivement, nous sommes tous en faveur de la grève générale. Mais la question est de savoir si objectivement, dans les conditions du moment, cela était possible.

Si Ford n’avait pas reculé et avait au contraire intensifié la répression et les amendes infligées aux travailleurs, la grève générale serait devenue une certitude et se serait transformée en un mouvement de masse visant à faire tomber la loi spéciale et le gouvernement. Mais la loi n’était plus sur la table, et il y avait la perspective d’une reprise des négociations légales normales. Les travailleurs de l’éducation et l’ensemble de la classe ouvrière n’avaient manifestement pas envie d’une grève générale sur la seule question des salaires, d’autant plus que cette lutte pouvait maintenant se poursuivre par des moyens légaux. Par conséquent, même si la direction du syndicat avait été marxiste, elle aurait dû comprendre la conscience objective et prendre une pause tactique mineure afin de préparer une future avancée à partir d’une position plus forte.

Malheureusement, les travailleurs de l’éducation n’étaient pas dirigés par des marxistes, et la faction marxiste de la section locale 4400 du SCFP de Toronto n’était pas encore assez forte pour faire bouger le syndicat dans son ensemble. La direction de gauche de Laura Walton a été écartée par la direction de droite du SCFP national autour de Mark Hancock. Du point de vue de la bureaucratie, Walton a commis l’erreur de dire à quel point elle était déçue de l’entente de principe qui n’accordait qu’un dollar de l’heure de plus, tandis que la bureaucratie de Hancock a fait tout ce qui était en son pouvoir pour présenter cette capitulation comme une grande victoire. Un article de Breach Media a révélé l’attitude de Hancock face à l’évolution de la grève : « Je pense que nous avons trop bien motivé les travailleurs », a-t-il déclaré devant un rassemblement de bureaucrates du SCFP. Cela exprime la psychologie de la bureaucratie syndicale mieux que n’importe quel livre marxiste ne peut l’enseigner.

Un déferlement unilatéral de propagande a été organisé pour convaincre les travailleurs qu’ils étaient faibles, alors qu’ils n’avaient jamais été aussi forts avec cette victoire partielle historique. Les travailleurs ont été placés dans des réunions Zoom sans droit de parole et on leur a répété que le ciel leur tomberait sur la tête s’ils ne signaient pas cet accord de capitulation. Aucun travailleur n’a été autorisé à répondre à la démobilisation et à la démoralisation bureaucratiques. Au final, la leader « de gauche » Laura Walton, après avoir gardé le silence, a voté pour ce contrat en dessous de l’inflation. Cela souligne l’importance de ne pas se faire d’illusions sur la gauche molle. Tragiquement, ce qui était une victoire historique contre la loi de retour au travail s’est soldé par un contrat décevant. Cela souligne la nécessité d’une organisation révolutionnaire au sein du mouvement syndical.

Cependant, la partie décevante ne doit pas nous faire oublier le caractère inspirant de ce moment historique en général. Les implications de la lutte des travailleurs de l’éducation de l’Ontario pour le mouvement à travers le pays sont immenses. Les travailleurs du SCFP ont montré que la loi, les amendes et les contrats imposés pouvaient être mis en échec par une désobéissance de masse. Cela rend plus difficile pour les gouvernements capitalistes de mettre en œuvre une loi de retour au travail et pour les bureaucraties syndicales de vendre le mouvement en disant que la désobéissance est impossible. Les travailleurs ont également montré qu’il était possible d’organiser une grève générale avec un préavis d’une semaine! Cette grève aurait bénéficié de la participation des syndicats de métier de droite qui avaient précédemment soutenu Doug Ford, ainsi que de délégations de solidarité en provenance du Québec, avec la perspective de fermer les ports de Montréal et de Vancouver.

Le régime de Ford a été pris au dépourvu et surpris. Mais à l’avenir, la droite ne sera pas aussi mal préparée. La crise exige qu’elle s’en prenne encore plus à la classe ouvrière. La lutte des travailleurs de l’éducation crée un précédent, et ouvre la porte à une grève générale en réponse aux prochaines attaques de ce genre. Mais à l’avenir, le gouvernement ne reculera pas nécessairement. Les enjeux gagnent en importance, ce qui prépare d’énormes combats.

Nous ne pouvons pas oublier la perspective économique que nous avons esquissée. L’inflation et la crise généralisée seront le moteur des futures luttes de masse. Les capitalistes ne peuvent pas se permettre de faire des concessions, et les travailleurs ne peuvent pas se permettre de ne pas mettre du pain sur la table. Ces conflits donneront naissance à de nouvelles directions radicales et combatives. Les révolutionnaires doivent se préparer à intervenir dans ces mouvements, à apprendre des travailleurs et, à leur tour, à enseigner aux travailleurs que la cause fondamentale de chaque lutte est le système capitaliste lui-même.

Les contradictions du leadership et le rôle des marxistes

Le Programme de transition de Léon Trotsky commence par la déclaration suivante : « La situation politique mondiale dans son ensemble est principalement caractérisée par une crise historique de la direction du prolétariat. » Cette crise reste la contradiction clé de la société. La crise objective que nous avons décrite ci-dessus pourrait être résolue si la classe ouvrière disposait d’une direction révolutionnaire consciente des tâches à accomplir pour sortir de l’impasse. Malheureusement, le facteur subjectif, c’est-à-dire la direction des organisations de la classe ouvrière, a une conscience capitaliste qui ne trouve pas d’issue.

Tant que cette contradiction ne sera pas résolue, le mouvement stagnera, entraînant beaucoup de souffrances aux travailleurs. 

Cependant, cette vérité de base peut être interprétée de manière mécanique. Le schéma ressemble à peu près à ceci : 1) la crise du capitalisme force les travailleurs à lutter; 2) la direction réformiste en faillite mène chaque lutte à une défaite inévitable; 3) les marxistes critiquent la direction en faillite et développent leurs forces; et 4) finalement, les marxistes deviennent suffisamment nombreux pour mener le mouvement à la victoire. Ce schéma nous conduit à la conclusion inévitable qu’aucun mouvement ne gagnera jamais s’il n’est pas dirigé par des marxistes révolutionnaires.

Cette conclusion démoralisante et fataliste est une caricature du marxisme qui part d’une vérité générale correcte et l’impose à chaque situation concrète. Elle peut conduire à la passivité face au mouvement vivant, les révolutionnaires le considérant comme voué à l’échec en raison de la faiblesse de la tendance marxiste. La grève des travailleurs de l’éducation a démontré la fausseté de cette idée. Dans cette grève, qui n’était pas menée par des marxistes, la classe ouvrière a remporté une victoire partielle historique. Il est absolument crucial de ne pas sous-estimer le pouvoir de la classe ouvrière. Aucune bureaucratie n’est plus forte que la classe, et si c’était le cas, la lutte serait vraiment sans espoir.

Par une série d’approximations successives, les travailleurs sortent de leurs organisations les anciens dirigeants qui ont failli à leur tâche, et les remplacent par de nouveaux dirigeants plus proches de la classe. Ces nouveaux dirigeants sont à leur tour mis à l’épreuve, et ceux qui ne sont pas à la hauteur sont également mis à l’écart. Les vieux dirigeants de droite peuvent être poussés loin vers la gauche, les bureaucrates de droite peuvent être remplacés par ceux de gauche, et de nouvelles personnalités peuvent surgir de nulle part. Les marxistes peuvent commencer à jouer un rôle dans ce processus dans la mesure où nous sommes bien organisés et où nous avons appris comment rejoindre les travailleurs.

Nous devons comprendre le développement dialectique de la conscience de classe et son reflet dans la direction du mouvement ouvrier afin de ne pas être pris au dépourvu dans les événements à venir.

Le retour d’une forte inflation pourrait être le grand choc qui révèlera la faillite des dirigeants syndicaux et ouvrira la voie à la transformation des syndicats. En luttant contre la dégradation constante de leurs conditions de travail, les travailleurs chercheront inévitablement une nouvelle direction, une direction capable de leur obtenir de meilleures conventions collectives et qui n’aura pas peur des tactiques combatives nécessaires pour les obtenir.

Nous avons vu un exemple de ce processus récemment aux États-Unis, par exemple, lorsque la Fraternité des ingénieurs de locomotives et des agents de train, forte de 28 000 membres, a évincé son président. Cette décision a été prise après que l’administration Biden a retiré le droit de grève aux cheminots, puis a collaboré avec la direction du syndicat pour s’assurer que les travailleurs acceptent une mauvaise convention collective.

Ce processus est encore plus prononcé en Grande-Bretagne, où la crise du capitalisme est beaucoup plus avancée qu’au Canada. Dans ce pays, la gauche a réussi à gagner la direction de deux des plus grands syndicats du pays, Unison et Unite. Les dirigeants syndicaux ont été poussés à déclarer qu’ils seraient prêts à organiser des grèves illégales pour faire échec aux lois antisyndicales des conservateurs.

Cela montre que les syndicats, même lorsqu’ils semblent irrémédiablement dégénérés en surface, restent en fin de compte soumis à la pression de la classe ouvrière et finissent par refléter la radicalisation de la base.

Il ne s’agit pas seulement de l’élection de dirigeants syndicaux de gauche pour évincer les dirigeants de droite. Dans certains cas exceptionnels, même des éléments de droite du mouvement syndical peuvent changer sous la pression des événements et adopter une position audacieuse en faveur des travailleurs. C’est le cas de Tony Benn en Grande-Bretagne, qui était à l’aile droite du Parti travailliste dans les années 1950. Mais après avoir été ministre dans un gouvernement travailliste de droite, il a constaté par lui-même qu’il est impossible de « civiliser » le capitalisme. Il est devenu socialiste et le principal représentant de la gauche du Parti travailliste dans les années 1980.

Il est impossible de prédire le cours exact de la lutte des classes au Canada. Mais la lutte à venir ébranlera profondément la bureaucratie existante. Elle obligera les travailleurs à porter un regard critique sur leurs dirigeants, et de nouveaux dirigeants plus en phase avec l’humeur de plus en plus radicale émergeront. Cela ouvre la possibilité de voir émerger une direction de gauche dans les syndicats, une direction composée de personnes plus proches de la base, prêtes à rompre avec le syndicalisme d’affaires, peut-être même avec une vision ouvertement anticapitaliste et socialiste.

Une direction de gauche dans le mouvement syndical jouerait un rôle très contradictoire. Tout d’abord, nous ne pouvons pas avoir comme perspective que les dirigeants syndicaux, même ceux de gauche, trahiront toujours. Comme l’expliquait Trotsky en 1926 :

« La possibilité de trahison est toujours contenue dans le réformisme. Mais cela ne veut pas dire que le réformisme et la trahison sont une seule et même chose à chaque instant. Pas tout à fait. Des accords temporaires peuvent être conclus avec les réformistes chaque fois qu’ils font un pas en avant. » (nous soulignons)

Nous ne pouvons pas avoir une vision fataliste de la lutte des classes, où les dirigeants trahissent constamment, quelles que soient les circonstances et la situation, à moins qu’ils ne soient des marxistes révolutionnaires. Il s’agirait là d’une conception assez vulgaire de la relation entre la classe et ses dirigeants.

La grève des travailleurs de l’éducation en Ontario, décrite plus haut, est un exemple typique du rôle contradictoire de la direction du mouvement ouvrier, en particulier de sa variété de gauche. Sous la pression massive de la colère des travailleurs et sans autre choix, la direction autour de Laura Walton a joué un rôle positif en défiant la loi de retour au travail. Peut-on dire qu’ils ont « trahi » à ce moment-là? Pas du tout. Même lorsque les piquets de grève sont tombés en échange du retrait du projet de loi 28, on ne peut pas parler de trahison en soi. Le mot perdrait alors tout son sens, et l’on pourrait tout aussi bien dire que tout dirigeant de la classe ouvrière trahit toujours, sauf lorsqu’il mène une révolution socialiste.

Mais cette même direction sous Walton a ensuite joué un rôle négatif en se laissant mener par la droite et en contribuant à imposer une mauvaise convention aux travailleurs. Cela s’explique par le fait qu’en tant que réformistes de gauche, ils regardent constamment par-dessus leur épaule et voient la droite et les patrons, et ne sont pas convaincus que la classe ouvrière est forte et peut gagner.

Dans la période de lutte des classes qui s’annonce, l’emprise du syndicalisme d’affaires conservateur sera ébranlée, surtout par la nécessité objective pour la classe ouvrière de lutter pour sa survie. Il s’agira d’une période très contradictoire, au cours de laquelle des dirigeants de gauche émergeront et mèneront la lutte, mais seront ensuite jugés insuffisants en raison de leur conception insuffisamment réfléchie de la manière de libérer la classe ouvrière.

Le rôle des marxistes dans ce processus est d’expliquer patiemment que toutes les attaques ne sont qu’un aspect de la crise générale du capitalisme. Tout en soutenant la gauche dans les syndicats contre les syndicalistes d’affaires de droite, et chaque fois qu’ils font un pas en avant pour défendre les travailleurs, nous expliquerons également les limites d’une perspective réformiste de gauche lorsque des erreurs sont commises. Ce n’est qu’avec cette attitude patiente que la voix du marxisme peut rejoindre les travailleurs au fur et à mesure qu’ils passent par l’expérience de la lutte des classes, et que nous pourrons un jour établir le marxisme comme une force de masse dans le mouvement ouvrier.

Optimisme révolutionnaire

Au milieu du malaise qui règne dans la société et dans le mouvement, certains ont reproché aux marxistes d’être optimistes. Il est permis de se demander comment ces personnes peuvent espérer construire quoi que ce soit en étant si malheureuses.

Au sein de la gauche canadienne, ou de ce qui reste de la gauche, au lieu de l’optimisme et de l’enthousiasme, on trouve l’insatisfaction, le pessimisme et le désespoir. Les articles, les discours et les conférences de personnalités ou d’organisations de gauche, socialistes et anarchistes soulignent toujours à quel point la période actuelle est difficile pour la gauche.

Par exemple, au Québec, l’organisation anarcho-syndicaliste IWW, qui était il y a quelques années l’organisation la plus visible et la plus nombreuse de la gauche radicale, a publié un article l’été dernier qui commençait ainsi :

« Depuis quelques années, nous vivons une crise du militantisme. Bon nombre d’organismes ont du mal à recruter de nouveaux adhérents et à les mobiliser. Nous n’avons qu’à regarder notre propre taux d’adhésion, qui fluctue au gré des saisons, et les difficultés rencontrées lorsque vient le temps de mener une action pour réaliser que la IWW subit, elle aussi, les effets cette même crise. » [sic]

Un autre exemple de l’état d’esprit de la gauche est la conférence des « socialistes démocratiques » qui s’est tenue en octobre 2022 à l’université Simon Fraser de Vancouver. Cette réunion a attiré des personnalités telles que l’économiste de gauche Jim Stanford, l’ex-candidat à la direction du Parti vert Dimitri Lascaris et le député néo-démocrate Matthew Green. Le compte-rendu de la conférence témoigne du scepticisme, du pessimisme et du manque de confiance à l’égard des idées socialistes qui y régnaient. Nous trouvons le commentaire suivant dans l’introduction du compte-rendu :

« En ces jours lugubres et terrifiants du début de l’année 2023, il est bon de garder à l’esprit que la quête d’un monde fondamentalement différent est toujours en vie parmi nous. Personne ne peut dire où elle va. La plupart des socialistes que nous connaissons n’hésitent pas à se qualifier d’écosocialistes, d’anti-impérialistes et d’anticapitalistes. Le mouvement change en même temps que nous. Une période difficile nous attend, c’est certain. » (nous soulignons)

Puis, l’article se conclut ainsi :

« Aucun des orateurs n’a fait preuve d’utopisme exagérément optimiste (!). Plusieurs ont avoué souffrir de pessimisme. De nombreux thèmes, de la politique étrangère à la transformation de l’État colonialiste, en passant par la conciliation entre participation démocratique et planification économique, n’ont pas pu être abordés de manière satisfaisante. Mais ils ont montré que la gauche canadienne manque, non pas d’imagination politique ou de vitalité intellectuelle, mais d’une voix proportionnée dans l’arène publique. » (nous soulignons)

Heureusement que personne n’a été trop optimiste dans son « utopisme »! Combien de fois avons-nous entendu que les socialistes sont « utopistes »? Et pourtant, ce compte-rendu d’une réunion de socialistes nous informe que, Dieu soit loué, personne n’a fait preuve d’« utopisme ». On se demande bien qui a pu être assez enthousiasmé par cette réunion pour vouloir militer et adhérer à une organisation socialiste. Mais il ne s’agit pas d’exemples isolés. L’état d’esprit qui règne au sein de la gauche en est un de cynisme, de défaitisme et de démoralisation.

Crédit : La Riposte socialiste

Il existe chez les jeunes un sentiment que, faute d’une opposition organisée, il n’y a pas d’issue. Il existe même un terme pour cela : le « doomerisme » (de l’anglais « doom », signifiant condamnation, destin tragique). Une grande partie de la jeunesse est affligée par une anxiété croissante quant à son avenir. Le désastre environnemental en particulier amène de nombreuses couches de la jeunesse à penser que nous sommes « condamnés ». Nombre d’entre eux sont opposés au capitalisme, mais ils pensent que rien ne peut être fait pour y mettre fin.

Auparavant, les marxistes devaient travailler dur pour convaincre les gens que le capitalisme ne pouvait pas être réformé. Le débat portait sur l’opposition entre le socialisme et le capitalisme. Mais aujourd’hui, il n’est vraiment pas difficile de convaincre la plupart des jeunes que le système capitaliste ne fonctionne pas pour le bien de l’humanité et qu’il doit être renversé. Le principal débat est de savoir si cela est possible. Le débat oppose le socialisme au doomerisme.

Il faut dire que certains éléments de la gauche jouent un rôle déplorable dans ce débat. Au lieu d’apporter confiance et enthousiasme aux jeunes qui rejettent le capitalisme, ils se servent du peu d’influence qu’ils ont pour alimenter et renforcer le scepticisme, l’anxiété et le désespoir qui existent au sein de la jeunesse en particulier.

D’où vient le pessimisme de ces gauchistes? À la base, il provient d’un manque total de confiance dans la classe ouvrière. Au fond, ils ne pensent pas que la classe ouvrière soit suffisamment puissante, intelligente et créative pour changer la société. Ils ont tendance à toujours exagérer la puissance de la droite, ne mettant de l’avant que cet aspect de la polarisation à laquelle nous assistons. Ils ne pensent pas que les travailleurs veulent se battre et sont prêts pour le militantisme. Ils pensent également que les travailleurs ne sont que du bétail qui a besoin d’être sous les ordres de diplômés universitaires en veston-cravate.

Contrairement à ces gauchistes, les marxistes sont d’incorrigibles optimistes révolutionnaires. Quelle est la racine de cet optimisme?

Premièrement, il repose sur l’impasse totale du système capitaliste lui-même. Ce système n’a pas d’avenir. En tirant l’humanité vers le bas, il ne peut que créer des couches de plus en plus larges de travailleurs qui voudront se battre pour changer le monde. Nous sommes extrêmement pessimistes quant à l’avenir du capitalisme, mais cela nous rend optimistes quant à la lutte des classes et à l’avenir socialiste de l’humanité.

Deuxièmement, nous avons une confiance absolue dans la capacité de la classe ouvrière à changer la société. Les travailleurs ne sont ni stupides ni arriérés. En réalité, la classe ouvrière est la classe la plus créative de la société. Pas une roue ne tourne, pas une ampoule ne brille, pas un téléphone ne sonne sans la permission des travailleurs.

La classe ouvrière se réveille lentement après des décennies où les relations entre les classes s’étaient adoucies. Il ne s’agit pas d’un processus automatique ou simple. Mais combien d’années d’inflation élevée et de bas salaires peuvent-elles s’écouler avant que la cocotte-minute n’explose? À mesure que la crise s’aggrave, les travailleurs vont s’endurcir et perdre leurs préjugés réformistes. La classe ouvrière se rajeunit également, avec des millions de jeunes radicaux qui entrent sur le marché du travail. Nous pouvons déjà en voir les résultats embryonnaires aux États-Unis avec les campagnes de syndicalisation chez Starbucks et Amazon. Il n’y a pas de force plus puissante que la classe ouvrière une fois qu’elle est organisée. Que personne ne vienne vous dire que les travailleurs ne se soulèveront pas.

Finalement, notre optimisme repose sur notre croyance en la justesse des idées et des perspectives marxistes. Le mouvement marxiste a régressé au cours des dernières décennies, principalement pour des raisons objectives telles que le boom de l’après-guerre. Nous avons été réduits à une petite minorité. Mais cela ne nous effraie pas et ne nous démoralise pas le moins du monde. Le capitalisme perd rapidement sa base de soutien. À travers leurs luttes, la classe ouvrière et la jeunesse apprendront que le réformisme, l’idée de réformer le système capitaliste, est la pire des utopies. La crise du capitalisme révèlera aux yeux des masses la justesse des idées marxistes. Il n’y a jamais eu de meilleur moment pour être marxiste qu’aujourd’hui!

La taille des forces du marxisme n’est pas encore à la hauteur de notre enthousiasme et de notre optimisme. Bien que la lutte des classes soit inévitable, nous sommes encore trop petits pour être capables de diriger la classe ouvrière. Nous devons intervenir dans le mouvement ouvrier, en proposant patiemment des revendications transitoires qui font le lien entre les besoins actuels de la classe ouvrière et la nécessité de la transformation socialiste de la société.

Au Canada, la situation actuelle est marquée par un malaise et un mécontentement qui n’ont pas encore débouché sur une lutte des classes ouverte. Mais les nuages s’amoncellent. Cette situation devrait nous inciter à bâtir d’urgence La Riposte socialiste/Fightback pour en faire le parti révolutionnaire dont la classe ouvrière a besoin. Nous nous préparons à la lutte des classes qui s’annonce, les yeux ouverts, avec une confiance totale dans la classe ouvrière et en nous-mêmes pour mener à bien une révolution socialiste de notre vivant. Rejoignez-nous dans ce combat historique!