Perspectives 2021 de La Riposte socialiste : La tempête à l’horizon et les tâches des marxistes

Le document suivant a été débattu, amendé et adopté par les camarades de Fightback/La Riposte socialiste lors de notre récent congrès national. Il s’agit d’une analyse importante de la lutte des classes au Canada et de la voie à suivre pour atteindre le socialisme. Nous espérons que tout le monde le lira et discutera de son contenu avec nous.

  • La rédaction
  • mar. 1 juin 2021
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Crédit: texaus1/Flickr

Le document suivant a été débattu, amendé et adopté par les camarades de La Riposte socialiste/Fightback lors de notre récent congrès national. Il s’agit d’une analyse importante de la lutte des classes au Canada et de la voie à suivre pour atteindre le socialisme. Nous espérons que tout le monde le lira et discutera de son contenu avec nous.


La COVID-19 a exacerbé toutes les contradictions de la société capitaliste et a créé une situation incomparable dans l’histoire mondiale. L’effondrement économique déclenché par la pandémie est sans précédent par son ampleur et sa portée, et ses conséquences ne se sont pas encore totalement fait sentir. Tout cela s’est ajouté à un contexte mondial déjà caractérisé par la volatilité sociale et la polarisation politique. Toute cette situation revêt des implications révolutionnaires.

Face à cette situation, la classe capitaliste s’est tournée vers l’État pour sauver le capitalisme. Elle a ouvert les robinets d’argent pour renflouer le système, empêcher un effondrement total et atténuer les pires contradictions de classe. À Davos, les stratèges du capital se sont tous convertis à l’intervention gouvernementale par des dépenses et à une soi-disant « Grande réinitialisation » pour établir un nouveau contrat social afin d’éviter la révolution. Au Canada, les libéraux de Trudeau ont déployé un programme de sauvetage d’une ampleur inégalée.

Cependant, même si les bourgeois parviennent à stabiliser temporairement la situation économique, ce qui n’est nullement garanti, il y a beaucoup de matière combustible dans la société. Une seule étincelle pourrait mettre le feu aux poudres. L’hypocrisie des riches pendant la pandémie et l’augmentation massive des inégalités créent une situation dans laquelle la haine de classe peut facilement éclater en guerre de classe ouverte. À cela s’ajoute le fait que les dépenses gouvernementales ne sont pas une solution permanente à la crise du capitalisme et ne font que retarder l’inévitable, aggravant ultimement la situation en ajoutant toutes sortes de distorsions comme l’inflation et la dette massive.

L’objectif de ce document est double. Premièrement, nous cherchons à exposer les tendances générales dans la société canadienne, tant politiques qu’économiques, afin de fournir aux militants un cadre général pour comprendre l’époque dans laquelle nous vivons. Deuxièmement, nous cherchons à armer les militants avec les arguments nécessaires pour gagner la classe ouvrière au programme de la révolution socialiste comme seul moyen de surmonter la crise actuelle.

Nous ne sommes pas tous dans le même bateau

La COVID-19 aura des effets qui dureront une génération, et elle aurait eu un impact sérieux sur n’importe quelle société à n’importe quel moment de l’histoire. Mais le virus n’a pas frappé n’importe quelle société. Il a frappé un capitalisme faible et malade dans sa période de décadence sénile. Il a frappé une société où la polarisation des classes se développait déjà et où la conscience socialiste s’est développée parmi de larges couches de travailleurs et de jeunes. La manière dont les capitalistes ont traité la pandémie laissera une trace dans la conscience des travailleurs pour les générations à venir.

Les propagandistes du capitalisme aiment  dire que « nous sommes tous dans le même bateau ». Nous sommes certainement tous touchés, mais certainement pas dans le même bateau. Dans tous les pays, les couches les plus pauvres et les couches racisées de la population sont les plus touchées par les infections, les décès et les pertes d’emploi. En particulier, 70% des personnes qui ont perdu leur emploi au début de la pandémie étaient des femmes de la classe ouvrière. Des statistiques similaires sur l’impact disproportionné de la pandémie sur les couches particulièrement opprimées de la classe ouvrière pourraient être ajoutées à n’en plus finir. Pendant ce temps, la classe dirigeante peut, en toute sécurité, récolter ses profits dans le confort de ses manoirs sans avoir besoin d’interagir avec la classe ouvrière normale qui fabrique et livre les choses dont les riches profitent.

Alors que les capitalistes et les cols blancs biens payés peuvent limiter leur exposition au virus, les travailleurs les plus pauvres n’ont pas ce luxe. Toutes sortes de facteurs comme le racisme et la pauvreté servent à aggraver la pandémie. Tout d’abord, le fait d’être contraint d’effectuer un travail « essentiel » dans les secteurs industriel, de l’entreposage, des services et des transports, avec une distanciation sociale et de l’équipement de protection insuffisants, accentue la propagation. Les bas salaires obligent les travailleurs à faire du covoiturage ou à s’entasser dans les transports en commun, ce qui accentue la propagation. Le travail par équipes et les horaires insuffisants obligent les travailleurs à avoir deux ou trois emplois, ce qui accentue la propagation. Les bas salaires signifient également des logements exigus, de nombreuses personnes vivant dans de petits espaces dans des tours d’habitation sans pouvoir garder une distance sécuritaire dans les ascenseurs. Le refus des patrons et des gouvernements d’accorder des congés de maladie payés oblige également les travailleurs à choisir entre propager potentiellement le virus ou rester à la maison et ne pas avoir l’argent pour payer le loyer.

Si les conditions sociales du capitalisme entraînent une augmentation des taux d’infection chez les travailleurs, les immigrants et les personnes de couleur, elles augmentent également la létalité du virus. La pauvreté, le racisme, les mauvais logements, le travail par équipes et les conditions précaires entraînent une mauvaise alimentation, des habitudes de sommeil irrégulières et une dégradation générale de la santé. Cela entraîne à son tour une dégradation du système immunitaire. Nous voyons ici comment le capitalisme tue, littéralement.

De façon scandaleuse, certains politiciens de droite qui repoussent les appels à appliquer des mesures de santé publique ont eu le culot de mettre le blâme sur les « pratiques culturelles » de certains groupes ethniques qui auraient des « grosses familles ». Ces politiques racistes de type « dog-whistle » ont été largement rejetées par la population, mais des attaques similaires n’ont pas été sans conséquences. La Colombie-Britannique a connu une hausse massive des crimes haineux anti-asiatiques, qui ont augmenté de 717% à Vancouver entre 2019 et 2020. Pendant la même période, 1100 attaques anti-asiatiques ont été recensées à travers le Canada. Cette tendance se poursuivra avec l’aggravation de la crise, qui encouragera davantage la classe dirigeante à désigner les minorités comme boucs émissaires.

Lors de la première vague de la pandémie, il y a eu des pénuries massives de personnel et d’équipement de protection. Cette situation était particulièrement aiguë dans le secteur des soins de longue durée, où les syndicats avaient soulevé la nécessité d’embaucher davantage de travailleurs à des salaires plus élevés et à des heures à temps plein. Des milliers de personnes sont mortes. Plusieurs éclosions importantes ont également éclaté sur des lieux de travail, notamment à l’usine de viande Cargill et parmi les travailleurs agricoles étrangers temporaires. Après la première vague, le virus s’est calmé au cours de l’été et l’occasion s’est présentée de prendre les mesures nécessaires pour arrêter la deuxième vague. Mais en raison de l’appât du gain des capitalistes et de la cupidité comptable de leurs gouvernements, rien n’a été fait!

Les décès de la deuxième vague sont clairement la responsabilité de toutes les entreprises, de tous les politiciens et de tous les médias qui ont fait passer les profits avant la santé. De façon scandaleuse, en Ontario, encore plus de personnes âgées sont mortes dans les centres de soins de longue durée lors de la deuxième vague, malgré des directives parfaitement claires sur ce qu’il fallait faire. Au lieu d’augmenter les salaires et d’embaucher plus de travailleurs, ils ont adopté des lois pour protéger les propriétaires privés de toute poursuite. Sur les lieux de travail, il y a eu une résistance systématique à tout ce qui pouvait limiter les profits et protéger les travailleurs. Chaque action prise a été trop peu, trop tard.

Mais tout cela a été préparé à l’avance. Le Canada, comme tous les autres pays impérialistes occidentaux, coupe continuellement le financement des services sociaux depuis les années 1970. Le Canada a imposé des décennies de coupes dans les soins de santé et la santé publique malgré des avertissements clairs qu’une pandémie était inévitable. Même le fait que le Canada ait été un centre d’infection pour l’épidémie de SRAS n’a pas conduit à une préparation accrue. Une telle myopie est symptomatique d’un système décrépit et en décomposition, d’une classe dirigeante qui n’a aucun espoir en l’avenir, ni en elle-même.

Au lieu d’investir dans une société meilleure pour le bien de tous, la classe capitaliste a exigé que tout ce qui rend la vie à moitié vivable soit démoli au profit des « dures exigences du paiement au comptant ». Un demi-siècle d’austérité sous une forme ou une autre a entraîné un transfert massif de richesses des pauvres vers les riches. Les coupes dans les soins de santé ont été particulièrement préjudiciables lors de la pandémie, mais le couperet est également tombé sur tout le reste. La privatisation réduit les services sociaux et offre une nouvelle possibilité de faire du profit et de briser les syndicats. Cela a pour effet de décimer le salaire social de la classe ouvrière. En échange, des réductions d’impôts sont accordées aux riches et aux entreprises.

Les gens pourraient peut-être pardonner aux bourgeois leur myopie et leur manque de préparation avant la crise s’ils avaient ensuite pris les mesures nécessaires pour régler la catastrophe en cours. Mais une fois de plus, les profits à court terme ont été placés avant les vies humaines. Cependant, cette fois-ci, ils ne pouvaient plus plaider l’ignorance.

Le parasitisme de la bourgeoisie

Une autre conséquence de cette situation a été une incroyable concentration des richesses pendant que la majorité souffre. Les 1% les plus riches contrôlent désormais plus de 25% des richesses, un chiffre jamais atteint depuis 1929. Mais contrairement à 1929, où les inégalités se sont atténuées avec la crise, aujourd’hui les riches profitent de la catastrophe! Après la Grande Dépression et la Seconde Guerre mondiale, la part de la richesse des 1% les plus riches est tombée à environ 10%. Mais aujourd’hui, on rapporte que la richesse de Jeff Bezos et d’Elon Musk a augmenté de plusieurs milliards pendant la pandémie. La classe des milliardaires canadiens fait également de bonnes affaires, pendant que des gens meurent à cause de l’échec des mesures de santé publiques qui donnent la priorité aux profits.

Avant la pandémie, il y a eu le scandale des entreprises canadiennes assises sur des milliards de dollars de liquidités non investies. Mark Carney, lorsqu’il était gouverneur de la Banque du Canada, a soulevé cette question en 2012 et a songé à inciter les patrons à investir dans la production. À l’époque, l’argent mort canadien représentait à peine 500 milliards de dollars. Après cela, Carney a été prié de se taire et les grandes entreprises médiatiques ont collaboré pour faire oublier le scandale. Mais pendant qu’ils ont continué à fermer les yeux sur la situation, des recherches menées par www.marxist.ca ont montré que le magot a continué à croître jusqu’à atteindre 1000 milliards de dollars en 2019.

L’existence d’un tel magot dément toutes les affirmations selon lesquelles « il n’y a pas d’argent » pour l’éducation gratuite, l’assurance-médicaments, la garde d’enfants, le logement social, l’eau potable dans les réserves, les retraites et les autres besoins des travailleurs. L’argent existe, mais le système capitaliste exige qu’il soit enfermé dans un coffre-fort, loin de la classe ouvrière.

Cependant, l’année 2020 n’a pas été une année comme les autres. Au beau milieu de la pandémie, alors qu’il n’y avait pas d’argent pour les équipements de protection, pas d’argent pour le dépistage et le traçage, pas d’argent pour hausser le salaire et embaucher plus de personnel dans les centres de soins de longue durée, alors que des milliers de travailleurs mouraient littéralement pendant que les patrons encaissaient leurs profits dans le confort, ils ont ajouté un montant sans précédent de 500 milliards de dollars sur la pile d’argent mort. L’argent amassé par les entreprises canadiennes a augmenté plus de cinq fois plus vite que le taux scandaleux précédent, passant de 1000 milliards de dollars à plus de 1500 milliards de dollars en une seule année.

Les apologistes de l’entreprise privée protestent en disant que ces entreprises sont simplement prudentes et qu’elles veillent à leurs intérêts privés. Pourquoi investiraient-elles dans la production si ces marchandises ne peuvent trouver d’acheteur? Mais voilà exactement le problème! Leurs actions sont la conséquence logique d’un système conçu pour le profit privé et non pour le bien commun. Nous ne critiquons pas simplement les actions égoïstes de chaque capitaliste individuel, nous dénonçons le système qui permet que cela se produise en premier lieu. La catastrophe actuelle a balayé tout semblant de légitimité du capitalisme.

Nous sommes témoins d’une situation politique sans précédent qui défie toute analogie. À quelle époque de l’histoire de l’humanité a-t-on assisté à une crise sociale, politique, économique et sanitaire généralisée alors que l’élite dirigeante augmentait ses richesses? Nous laissons cette question aux historiens. Mais les résultats d’une contradiction aussi flagrante seront certainement révolutionnaires.

Retarder l’inévitable

Les stratèges bourgeois les plus clairvoyants sont parfaitement conscients de la précarité de la situation. Cela a été démontré lors du Forum économique mondial en janvier de cette année. Agissant comme une sorte de cerveau collectif pour la bourgeoisie internationale, le Forum économique mondial, qui se tient normalement à Davos (Suisse) chaque année, réunit des chefs de gouvernement et des PDG de grandes sociétés multinationales. Habituellement un parangon de l’idéologie du marché libre, le forum de cette année a été marqué par une adhésion sans réserve aux politiques keynésiennes auparavant considérées comme taboues.

Pour reprendre les mots de Darren Walker, président de la Fondation Ford, « si l’on veut que le capitalisme se maintienne, il faut enfoncer un clou dans l’idéologie propagée par Milton Friedman ». Bien que ce soit certainement la tendance dans tous les grands pays capitalistes, cela ne pourrait pas être plus clair au Canada où le gouvernement accumule une dette à hauteur de 20% du PIB par an. Cependant, il serait bien naïf de croire que cela va réussir à « sauver le système ».

Précédemment, nous avons caractérisé la cause sous-jacente de la crise comme une combinaison de surproduction et de dette. La surproduction peut être résolue de deux manières : soit en développant le marché, soit en réduisant la capacité de production. Aujourd’hui, le PIB annuel est nettement inférieur au sommet atteint en 2019 et même les projections les plus optimistes ne prévoient pas de retour au niveau de 2019 avant 2022 ou 2023. Même le retour au niveau de 2019 ne résoudra pas la crise, car le marché sera toujours en retard sur ce qu’il devrait être en termes de croissance normale et d’expansion démographique. Pour éviter la catastrophe, les niveaux de PIB devraient atteindre un niveau équivalent à une croissance d’environ 2% pour chaque année après 2019. Il y a donc peu d’espoir que l’augmentation de la demande résolve immédiatement la crise.

Qu’en est-il du côté de l’offre? Rien ne prouve que la capacité de production ait été réduite de manière appréciable. Pour cela, il faudrait des fermetures d’usines en masse. Paradoxalement, en raison du renflouement des entreprises par le gouvernement, le taux de faillite a en fait diminué pendant la pandémie. Cela s’explique par le fait que les entreprises espèrent, contre toute attente, que les aides gouvernementales leur permettront de surmonter la tempête et de redevenir rentables. Mais la réalité est qu’un grand nombre de ces entreprises sont déjà mortes, mais refusent de mourir. Les entreprises dites « zombies » existent sur le papier et engloutissent des milliards de dollars de l’État, mais elles sont assurées de s’effondrer dès que les chèques d’aide sociale cesseront d’être postés.

Par conséquent, la seule conclusion à laquelle nous pouvons aboutir est que l’offre potentielle est largement supérieure à la demande réelle. Cela signifie que la trajectoire générale à venir ne sera pas l’investissement et l’augmentation de l’emploi, mais le désinvestissement et l’augmentation du chômage. Trois millions d’emplois ont été perdus entre février et avril 2020, mais la reprise de la première vague a culminé à 500 000 emplois sous le niveau de février et a ensuite repris une trajectoire descendante. Le pire n’est pas derrière nous, le pire est à venir. Et nous n’avons pas encore pris en compte l’effet exacerbant de la dette.

Le poids mort de la dette

Toutes les inquiétudes concernant la dette ont été oubliées avec la catastrophe actuelle. Le gouvernement fédéral devrait accuser un déficit budgétaire d’environ 400 milliards de dollars en 2020, ajoutant près de 20% au ratio dette/PIB. Mais des dépenses aussi massives ne peuvent se poursuivre indéfiniment et elles ne font que retarder l’inévitable.

Les grands médias et la droite ont fait beaucoup de bruit au sujet des paiements d’urgence de la PCU/PCRE aux travailleurs sans emploi, mais la réalité est que 80 à 90% de ces fonds sont allés aux entreprises. Le montant total de la PCU est inférieur à 100 milliards de dollars, tandis qu’entre 700 et 800 milliards de dollars ont été offerts aux entreprises. Il a été difficile de déterminer les chiffres exacts de ces mesures, car le gouvernement a refusé de fournir une comptabilité complète et certains de ces fonds sont même gardés secrets délibérément pour éviter tout embarras politique. De manière scandaleuse, de nombreuses entreprises ont absorbé les largesses du gouvernement, comme les subventions salariales, tout en licenciant des travailleurs et en versant des dividendes et des primes aux dirigeants.

Comme le montre le phénomène des entreprises zombies, les milliards de dollars consacrés à l’aide sociale aux entreprises ne résolvent pas la contradiction sous-jacente. Parmi les entreprises qui reçoivent du soutien sous la forme de subventions salariales, de subventions au loyer, de prêts sans intérêt et à remboursement conditionnel, et d’autres subventions secrètes, la moitié n’a pas besoin de ce soutien et empoche l’argent, tandis que l’autre moitié est constituée de zombies qui attendent de mourir.

Ce financement par le déficit n’est même pas keynésien, car très peu de cet argent est consacré aux investissements publics. Aucune route, aucun pont, aucun hôpital ni centre de loisirs n’est construit. Il n’y a même pas de dépenses importantes dans l’entretien. Les aides directes aux entreprises ne font rien pour améliorer la productivité de la main-d’œuvre après la pandémie. Au lieu de cela, tout ce que nous obtenons est un amas d’argent mort improductif.

Ils mettent en œuvre ces mesures de financement public sans précédent dans le sillage d’un endettement public massif. Pendant des décennies avant le krach financier, les gouvernements du monde entier avaient déjà eu recours à des mesures pour gonfler la bulle : soit directement par le financement par le déficit et des subventions de l’État, soit indirectement par des taux d’intérêt bas et l’assouplissement quantitatif. Même la maigre croissance observée avant la récession de 2008-2009 n’a été possible que grâce à l’utilisation d’outils que la classe dirigeante n’aurait normalement utilisés que pour sortir d’une crise.

Le résultat est qu’aujourd’hui, face à cette nouvelle crise encore plus profonde, la classe dirigeante est à court de munitions; son arsenal est vide. Les politiciens et les décideurs politiques ont donc été contraints de recourir à des mesures extrêmement désespérées pour sauver leur système.

Le fait que les politiciens bourgeois traditionnels flirtent avec des idées comme la Théorie monétaire moderne (MMT, de l’anglais Modern Monetary Theory) nous indique à quel point ils sont désespérés. Les partisans de la MMT affirment que la dette n’est qu’une illusion qui peut être surmontée si seulement la « volonté politique » existe. Ils suggèrent que les gouvernements, par l’intermédiaire des banques centrales, devraient simplement continuer à imprimer de l’argent pour financer les dépenses publiques, et cesser complètement de se préoccuper des dettes.

Mais la théorie économique de base stipule que si on imprime de l’argent, comme le fait la Banque du Canada à raison de 5 milliards de dollars d’« assouplissement quantitatif » par semaine, on dilue la valeur de l’argent et on cause de l’inflation. Les faibles taux d’intérêt et les dépenses de relance sont censés avoir un effet similaire. En outre, le financement par le déficit entraîne une augmentation du coût du service de la dette. Mais les partisans de la MMT et ceux qui souhaitent défier les lois économiques de base soulignent qu’il y a eu peu d’inflation et que le coût du service de la dette a en fait diminué pendant la pandémie. Comment expliquer cela?

L’absence d’inflation est en fait un autre exemple de la crise de surproduction. Pendant la première période de la Grande Dépression, de 1929 à 1933, il y a eu une déflation massive. Les gouvernements ont adopté une approche de laissez-faire économique et ne sont pas intervenus. L’effondrement de la demande a entraîné une réduction des prix de 10% chaque année. Aujourd’hui, l’absence d’inflation malgré les mesures de relance massives du gouvernement semble être due aux forces contradictoires de la faible demande et de la réduction de la valeur de l’argent qui s’annulent mutuellement. À terme, lorsque l’offre se rééquilibrera avec la demande, les pressions inflationnistes s’affirmeront. C’est un cas où le temps n’arrangera pas les choses. Bien que l’inflation générale ait été limitée, les plans de sauvetage et l’assouplissement quantitatif ont entraîné une inflation massive des prix des actions et des biens immobiliers, augmentant la richesse des riches, tandis qu’il y a une inflation sectorielle des prix alimentaires, diminuant la richesse des pauvres.

Les coûts du service de la dette ont diminué sur une dette totale plus importante, précisément en raison de l’assouplissement quantitatif et de la crise de l’économie réelle. L’assouplissement quantitatif est administré par la banque centrale qui rachète des dettes, faisant ainsi baisser les taux d’intérêt. En outre, le manque d’occasions d’investissements productifs signifie que l’achat de dettes sur le marché des obligations est l’un des seuls moyens de gagner de l’argent. Mais cela a pour effet de faire baisser encore plus les taux d’intérêt. On parle même de taux d’intérêt négatifs, où le créancier est pénalisé pour avoir prêté de l’argent et le débiteur est avantagé! Le maelström capitaliste a certainement tout chamboulé. Mais lorsque tout reviendra à l’équilibre, le navire se remettra à l’endroit, laissant les meubles et l’équipage sens dessus dessous.

La classe dirigeante est divisée sur la manière de réduire ces dettes. Les keynésiens affirment que la « croissance » via des mesures de relance résoudra le problème. Ils ont comme référence le boom d’après-guerre, duquel ils se souviennent avec nostalgie. Mais une telle perspective est exclue, car aucune des conditions d’un tel essor n’est réunie. 

Les partisans de la MMT soutiennent essentiellement que les dettes n’ont pas d’importance, tandis que les couches conservatrices plus traditionnelles mettent en garde contre le danger d’avoir de tels niveaux d’endettement et appellent à l’austérité. Mais aucune de ces options ne résoudra le problème. La MMT ne fait que créer d’autres distorsions sur le marché, ce qui conduit finalement à de l’hyperinflation, qui n’est qu’une autre façon d’augmenter le coût de la vie pour la classe ouvrière. À l’inverse, des mesures d’austérité s’abattant sur la classe ouvrière affaibliraient la demande des consommateurs tout en perturbant le délicat équilibre politique que la classe dirigeante tente si désespérément de corriger.

En fin de compte, c’est la contradiction entre la surproduction et les énormes niveaux de surcapacité dans le monde qui est à l’origine de la crise actuelle. Quelles que soient les mesures mises en œuvre par les capitalistes, elles ne font que retarder l’inévitable.

Y aura-t-il un boom?

Bien qu’aucune des mesures mises en place par les capitalistes ne constitue une solution à la crise du système, il serait incorrect d’écarter toute possibilité de boom économique. Si la tendance générale est à la baisse, de petites périodes de croissance demeurent possibles. À ce sujet, la question de la reprise économique après la pandémie a fait l’objet de nombreuses discussions dans les médias et parmi les économistes. Les commentateurs bourgeois optimistes pensent qu’il y aura une reprise en « V » grâce à la demande accumulée.

Il est vrai que si des millions de personnes se sont appauvries à cause de la pandémie, il existe aussi une couche de la classe moyenne qui a pu se débrouiller assez bien pendant la pandémie. Ces gens ont travaillé en grande partie à domicile et, au Canada du moins, ont vu leurs revenus augmenter grâce aux mesures de soutien de Trudeau. Ils n’ont pas pu dépenser autant d’argent qu’ils l’auraient fait normalement pour des restaurants, des soirées au cinéma ou au bar, des vacances à l’étranger, etc. Lorsque la pandémie sera enfin terminée, ils auront hâte de reprendre ces activités et de dépenser cet argent. Ces dépenses, combinées aux injections massives d’argent par l’État, pourraient entraîner une légère remontée de l’économie, et même une remontée prononcée.

Cependant, il est important de comprendre que même une telle reprise ne restaurera pas l’équilibre que le capitalisme a perdu. Même une modeste reprise de l’activité économique et une légère baisse du chômage auraient pour effet immédiat de réactiver la lutte économique, les travailleurs s’efforçant de regagner tout ce qu’ils ont perdu au cours de la période précédente. En outre, l’augmentation des dépenses chez les couches supérieures de la société, qui ont économisé de l’argent lors de la pandémie, favorisera l’inflation, ce qui aura des répercussions sur les couches inférieures de la société, qui ont subi les pires effets de la crise. Nous reviendrons sur le potentiel de lutte des classes plus loin dans ce document.

Ici, une compréhension du cycle de boom-dépression du capitalisme devient importante. Comme Trotsky l’a expliqué au troisième congrès mondial de l’Internationale communiste :

« L’alternance des crises et des périodes de développement, avec tous leurs stades intermédiaires, forme un cycle ou un grand cercle du développement industriel. Chaque cycle embrasse une période de 8, 9, 10, 11 ans. Si nous étudions les 138 dernières années, nous nous apercevrons qu’à cette période correspondent 16 cycles. A chaque cycle correspond par conséquent un peu moins de 9 ans : 8,5 / 8. Par suite de ses contradictions intérieures, le capitalisme ne se développe pas en suivant une ligne droite, mais en zigzaguant : tantôt il se relève, tantôt il baisse. C’est précisément ce phénomène qui permet de dire aux apologistes du capitalisme : «Puisque nous assistons, après la guerre, aux relèvements et aux crises qui alternent, il s’ensuit que tout va pour le mieux dans le monde capitaliste». Cependant, la réalité est tout autre. Le fait que le capitalisme continue à subir les mêmes fluctuations prouve tout simplement qu’il n’est pas encore mort et que nous n’avons pas encore affaire à un cadavre. Tant que le capitalisme n’aura pas été brisé par une révolution prolétarienne, il vivra les mêmes périodes de hausse et de baisse, il connaîtra les mêmes cycles. Les crises et les améliorations sont propres au capitalisme dès le jour de sa naissance ; elles l’accompagneront jusqu’à sa tombe. Mais pour définir l’âge du capitalisme et son état général, pour pouvoir se rendre compte s’il se développe, s’il a atteint son âge mûr ou bien s’il touche à sa fin, il faut d’abord analyser le caractère des cycles en question, tout comme on juge de l’état de l’organisme humain d’après la façon dont il respire ; tranquillement ou en haletant, profondément ou à peine, etc. »

Il est remarquable de constater à quel point ces lignes s’appliquent à la situation actuelle. Bien sûr, la pandémie de COVID-19 n’est pas la même chose que la Première Guerre mondiale. La pandémie n’a pas détruit l’Europe ni causé un nombre de morts aussi élevé que la Première Guerre mondiale. La pandémie a aggravé une crise qui avait déjà commencé et a entraîné une dislocation économique considérable à de nombreux niveaux, ce qui aura un impact durable pendant un certain temps. Comme pendant la période qui a suivi la Première Guerre mondiale, les apologistes du capitalisme nous assurent aujourd’hui que, puisque le cycle de boom-dépression se poursuivra après les confinements, le capitalisme s’est « rétabli » et que nous vivons à nouveau dans le meilleur des mondes capitalistes.

En étudiant le caractère du cycle de boom-dépression depuis la période précédente jusqu’à la période actuelle, nous pouvons déterminer l’état général de la santé du capitalisme. Le capitalisme connaît trois types distincts de périodes de développement : les périodes de croissance et d’essor, les périodes de stagnation et les périodes de déclin et de crise. Dans les périodes d’essor, les crises sont brèves et superficielles, tandis que les booms sont durables et profonds. Dans les périodes de déclin capitaliste, les crises sont prolongées et profondes tandis que les booms sont peu profonds, superficiels et de nature principalement spéculative. Dans les périodes de stagnation, les booms et les dépressions se produisent avec la même profondeur et la même intensité générales, et tendent à s’annuler mutuellement, laissant la courbe du développement capitaliste plate.

Quelle est la nature de l’époque actuelle? Si nous examinons le cycle de boom-dépression, nous pouvons constater que le capitalisme présente une respiration laborieuse. Il se pourrait même qu’il s’agisse des râles d’un mourant. Une chose est sûre : le capitalisme ne respire plus vigoureusement comme c’était le cas pendant l’essor de l’après-guerre, de 1948 à 1974. Il est très clairement entré dans une période de déclin. 

Les booms du début des années 2000 qui ont précédé la grande récession de 2008 étaient plutôt superficiels. La récession de 2008 avait représenté la pire crise économique depuis la Grande Dépression. La soi-disant reprise qui a suivi la récession de 2008 a effectivement été la plus longue de l’histoire, mais elle a également été extraordinairement faible, et peut difficilement être qualifiée de boom. En vérité, le capitalisme est dans un marasme depuis 2008. Et après cette « reprise », le capitalisme est maintenant entré dans une autre crise, celle-ci encore plus grande et plus profonde que la crise de 2008.

Si le capitalisme passe d’une crise extrême à une autre, avec seulement des « reprises » superficielles entre ces crises, alors nous pouvons dire avec certitude que le capitalisme est entré dans une crise organique et une période de net déclin. Pour l’avenir, nous pouvons nous attendre à ce que les booms de la prochaine période soient essentiellement courts et peu profonds, et que les récessions soient profondes et graves. En ce sens, la période à venir ressemblera davantage à la crise de l’entre-deux-guerres (1914-1945) qu’à l’essor historique de l’après-guerre (1948-1974).

Le fait est que la crise actuelle est indissociable de la pandémie de coronavirus, ce qui rend impossible toute prédiction concrète. C’est pourquoi les prévisions des différents économistes et experts ne sont en réalité que des conjectures. La seule certitude est que tous les principaux indicateurs, de la productivité du travail à l’utilisation de la capacité, p. ex., indiquent une tendance générale à la baisse.

Cela signifie-t-il qu’un boom ou une reprise quelconque est totalement impossible? On ne peut écarter la possibilité d’une reprise économique après la pandémie. En fait, une certaine forme de reprise est inévitable un jour ou l’autre. Le système capitaliste a toujours connu des phases de boom et de dépression et, tôt ou tard, s’il n’est pas renversé par la classe ouvrière, une issue à cette situation sera également trouvée. Mais de quel type de reprise s’agira-t-il? Sera-t-elle le début d’une longue période de croissance et de prospérité, comme la reprise de l’après-guerre, ou ne sera-t-elle qu’un interlude temporaire entre une crise et la suivante, comme dans les années 1920 et 1930?

Ce qui est bien plus probable qu’une reprise en « V » est une reprise en « K » après la pandémie, qui sera une continuation de la même tendance que nous avons vue se développer pendant la crise de la COVID – les riches continueront à s’enrichir et les pauvres à s’appauvrir. Une telle « reprise » ne peut qu’empirer la crise sociale et économique, et ne peut permettre une période de croissance et d’essor.

Le capitalisme a fondamentalement perdu son équilibre, et une reprise en « K » ne permettra pas au capitalisme de rétablir cet équilibre. Pour l’instant, les capitalistes sont préoccupés par le maintien de l’équilibre social. Ils tentent d’empêcher une explosion sociale par le bas avec une injection massive d’argent par l’État. Cela explique les dépenses de sauvetage du gouvernement Trudeau et les 12 000 milliards de dollars injectés dans le système à l’échelle mondiale par le biais de l’État.

Les développements dans les forces productives sont contradictoires et stagnants. Les nouvelles technologies n’augmentent pas le niveau de vie général et n’améliorent pas les conditions de travail. En fait, elles tendent à aggraver les choses. De plus, il existe toute une série de nouvelles technologies qui sont perpétuellement « à l’horizon », comme l’automatisation et l’intelligence artificielle. Ces nouvelles technologies ne sont pas mises en œuvre de manière généralisée et leur développement est en fait freiné parce que les capitalistes comprennent intuitivement que la société ne sera pas en mesure de faire face au chômage de masse qu’elles entraîneraient. Ils comprennent également que le remplacement des travailleurs par des machines réduit également la demande, ce qui limite le marché et entraîne une baisse des investissements et, finalement, de la surproduction.

La crise de la COVID a accéléré des processus qui étaient déjà en cours, et qui ne feront que s’amplifier après la fin de la pandémie. La montée du protectionnisme et l’effondrement des chaînes d’approvisionnement mondiales; l’automatisation et la menace du « chômage technologique »; l’accroissement des inégalités et la concentration des richesses entre les mains des patrons des « Big Tech » : toutes ces tendances étaient clairement observables avant 2020, et continueront à s’affirmer dans les années à venir.

La question fondamentale n’est pas de savoir s’il y aura un boom ou une dépression après la fin de la pandémie. Il y aura inévitablement des booms et des dépressions à l’avenir, tant que le capitalisme continuera d’exister. Mais les booms seront peu profonds et faibles et les dépressions profondes et graves. La courbe générale du développement capitaliste connaîtra une tendance à la baisse pendant un certain temps au cours de la période à venir.

La question fondamentale est en fait de savoir si le capitalisme sera capable de développer les forces productives. Ce qui est clair, c’est qu’étant entré dans une période de déclin organique, le capitalisme ne peut plus développer les forces productives comme il l’a fait dans le passé. C’est l’un des aspects fondamentaux de la crise et cela indique le déclin terminal du système dans son ensemble.

La propriété privée des moyens de production et l’État-nation forment les obstacles fondamentaux au développement des forces productives. Au cours de l’essor de l’après-guerre, le capitalisme a pu trouver divers moyens de surmonter partiellement et temporairement ces entraves. Cela s’est fait en grande partie par l’expansion massive du commerce mondial et, dans une moindre mesure, par le mécanisme des dépenses et dettes de l’État.

Dans la période qui a suivi l’essor de l’après-guerre, le capitalisme a pu trouver divers débouchés pour retarder la crise abjecte : l’introduction du capitalisme en Chine a joué un rôle majeur à cet égard, mais aussi diverses bulles spéculatives (la bulle Internet, la bulle immobilière, les booms spéculatifs dans les pays dits « tigres asiatiques » et les BRICS, etc.). Avec la crise généralisée et tous les pays dans une profonde crise économique, ces options ne sont plus disponibles comme débouchés viables pour le système.

Qui va payer?

La question centrale reste : qui va payer? En dernière analyse, ce sera soit la classe ouvrière, à travers l’austérité et des attaques contre son niveau de vie, soit la classe capitaliste, qui résistera bec et ongles à toute tentative de réduire ses profits.

La tentative de maintenir l’équilibre social a porté la dette à des niveaux sans précédent, ce qui perturbe encore plus l’équilibre économique. Cela perturbe à son tour l’équilibre social dans une boucle de rétroaction dialectique. Un jour ou l’autre, la bourgeoisie et ses représentants politiques seront contraints d’essayer de rétablir l’équilibre économique. Ils devront faire quelque chose pour acquitter la dette qui s’est accumulée – ce qui signifiera mettre fin à l’aide sociale aux entreprises et récupérer les prestations du temps de la pandémie telles que la PCRE. Cela signifiera des attaques contre les salaires et les services sociaux. Le passage de dépenses d’inspiration keynésienne à une froide austérité de la part des capitalistes ne peut que provoquer une explosion sociale. Il suffit de regarder l’Alberta pour s’en rendre compte.

La réalité de la situation est que, quoi que fassent les capitalistes, ils seront incapables de rétablir l’équilibre économique et social de la société capitaliste. De plus, toute mesure qu’ils prendront ne fera que créer un déséquilibre supplémentaire.

La pleine ampleur de la crise n’est pas non plus connue à l’heure actuelle. Les dépenses publiques ont partiellement masqué le portrait complet des répercussions économiques de la crise. Selon l’idéologie capitaliste, les profits sont censés être une récompense pour l’investissement et le développement des forces productives de la société et l’État est censé rester en dehors du chemin. Mais comme il n’y a pas de profits productifs à faire, l’État garantit les profits par le biais de l’aide aux entreprises et de l’impression de monnaie à hauteur de 5 milliards de dollars par semaine. Le capitalisme échoue selon ses propres critères.

Le résultat de la suppression des subventions publiques ne sera pas un véritable boom, mais le chaos économique. Le seul résultat sera une spirale descendante de hausse du chômage, d’effondrement continu de la demande et de chute des investissements. En fin de compte, les patrons essaieront de faire payer les travailleurs pour les cadeaux qui ont été faits aux patrons, et le résultat sera explosif – et mènera ultimement à la révolution.

Les capitalistes feront tout leur possible pour faire peser le fardeau du coût de la pandémie sur ceux qui ont le plus souffert de la pandémie. Une croissance modeste pourrait même donner aux travailleurs plus de confiance pour se battre. Le  ressentiment sera nourri par le fait que les 25% les plus riches ont vu leurs revenus et leur taux d’emploi augmenter pendant la pandémie tandis que les trois quarts les plus pauvres ont dû faire face à des baisses de salaire et à un chômage accru. Tout cela ne peut qu’encourager une explosion de la lutte des classes.

Et pourtant, certains pensent qu’on peut éviter la question de savoir qui va payer. Certaines de ces personnes se disent même socialistes. Les partisans de la théorie monétaire moderne (MMT) et du revenu minimum garanti (RMG) tentent d’ignorer les lois de la physique et la lutte des classes qui en découle. La richesse matérielle ne peut pas être créée à partir de rien. Les objets qui satisfont les besoins humains doivent être faits de matière réelle, et les personnes qui fabriquent ces articles ou fournissent des services doivent être nourries avec de la vraie nourriture. L’argent en soi n’est pas de la richesse ou de la valeur. L’argent ne se mange pas, ne peut servir d’abri et ne garde pas au chaud en hiver. L’argent n’est que la mesure de la valeur. Imprimer plus d’argent ne crée pas plus de richesse que passer des pouces aux centimètres ne produit plus de longueur, ou des Celsius aux Fahrenheit plus de chaleur, ou des heures aux minutes plus de temps.

En général, ce sont les sections de la gauche qui sont démoralisées quant à la possibilité de gagner la lutte des classes qui ont adopté la revendication d’un RMG. Même les libéraux ont flirté avec cette idée l’automne dernier avant de l’abandonner. La distribution à grande échelle de chèques de 2000 dollars par mois avec la PCU/PCRE a popularisé la question. Mais le RMG ne règle pas non plus la question de la lutte des classes et de qui paie.

Tout d’abord, nous devons préciser que si nous n’étions pas en faveur de la PCU comme méthode de soutien aux travailleurs pendant le confinement, nous ne sommes pas non plus en faveur de la retirer aux travailleurs qui en dépendent maintenant pour survivre. Nous ne pouvons pas nous laisser prendre au piège de la propagande de la droite qui s’inquiète désespérément de chaque sou versé aux travailleurs tout en étant totalement ambivalente quant au fait que dix fois plus d’argent va aux entreprises.

Notre revendication en contexte de confinement est le paiement intégral du salaire de tous les travailleurs licenciés, aux frais du patron, un salaire double pour les travailleurs essentiels, également payé par le patron, et le contrôle ouvrier pour déterminer quel travail est et n’est pas essentiel. Tout capitaliste qui dit qu’il ne peut pas se le permettre doit être forcé d’ouvrir ses livres de comptes, car beaucoup d’entre eux semblent n’avoir aucun problème à payer des bonus aux hauts cadres, à verser des dividendes aux actionnaires et à amasser leurs dollars dans leur compte de banque, à hauteur de 500 milliards de dollars l’année dernière. S’ils ne peuvent vraiment pas payer, alors ils doivent être expropriés pour sauver les emplois et la production essentielle.

Cependant, certains pensent que donner 25 000 dollars à chaque Canadien résoudrait la crise du capitalisme, et qu’il s’agit de l’enjeu sur lequel les travailleurs devraient se concentrer. C’est faux. Les partisans de droite du RMG affirment que l’on peut le financer en coupant les programmes sociaux et en les remplaçant par des chèques individuels. Cela aurait pour conséquence d’appauvrir les travailleurs, car la valeur des services sociaux actuellement gratuits est bien plus élevée que l’argent qui serait donné à la place. Le chèque du RMG serait rapidement dépensé sur les frais d’utilisation des services nouvellement privatisés, laissant les travailleurs plus pauvres qu’avant.

Les partisans de gauche du RMG affirment qu’il devrait être payé en taxant les riches. Mais ils présentent cela comme s’il s’agissait d’un simple acte administratif de budgétisation plutôt que de l’effet d’une lutte des classes féroce. Ils ignorent l’expérience des gouvernements sociaux-démocrates comme le NPD de Bob Rae qui ont essayé de mettre en œuvre des réformes et des taxes légères, mais qui ont été contraints de s’attaquer aux travailleurs par la résistance des capitalistes. Une politique qui minimise explicitement la lutte des classes prépare le terrain pour une version néolibérale du RMG, peu importe si elle s’accompagne d’un article universitaire que personne ne lira pour dire qu’elle sera financée par les impôts.

Le fait que l’aile droite du NPD et l’aile gauche des Libéraux fassent la promotion du RMG devrait suffire à nous convaincre qu’il ne s’agit pas d’une solution. Si la crise prend suffisamment d’ampleur, les capitalistes ne manqueront pas de ressortir cette politique de la poubelle afin de distraire tout le monde. Plutôt que de prétendre qu’il existe une solution qui ne passe pas par la lutte, il faut affirmer ouvertement que la lutte représente la seule voie possible. Les travailleurs ne se battront pas pour des politiques abstraites ou pour des plans d’impression d’argent. Cette lutte, pour être victorieuse, doit mobiliser les travailleurs derrière des revendications socialistes claires qui transfèrent directement les richesses des patrons aux travailleurs : des salaires supérieurs à l’inflation, des droits syndicaux, des congés maladie, l’éducation gratuite, l’assurance-médicaments, le logement universel, des garderies, des retraites, etc., le tout payé par l’expropriation des 150 plus grandes entreprises qui contrôlent plus de 80% de l’économie canadienne.

Ceux qui soutiennent le RMG pensent que c’est une option plus facile que la lutte. Ce n’est pas une option facile, c’est une panacée, alors que la lutte est inévitable. Un gouvernement socialiste issu d’une lutte soutenue ne mettrait pas en place un programme de prestation universelle tout en laissant les patrons libres de payer des salaires de misère. La loi du marché dit que les salaires tendent vers la subsistance. Si la moitié de cette subsistance est fournie par le gouvernement, les patrons ne feront que réduire les salaires de moitié. Au lieu de cela, nous piétinerions les droits de propriété actuels de la classe milliardaire parasitaire, qui n’investit même pas son argent, et nous garantirions le plein emploi et des salaires décents pour la majorité laborieuse.

Tôt ou tard, un seuil décisif sera atteint. Les paiements de la PCRE et l’aide sociale aux entreprises ne peuvent être indéfiniment financés par des déficits budgétaires s’élevant à 20% du PIB chaque année. L’inflation et les taux d’intérêt commenceront à augmenter, augmentant ainsi le coût du service de la dette. Il pourrait s’écouler quelques années avant que ce moment ne soit atteint, puisque les conséquences sociales de la suppression des aides aux familles et aux entreprises seront politiquement difficiles à digérer pour le gouvernement, peu importe le parti au pouvoir.

Non seulement cela sera difficile à digérer, mais cela pourrait facilement conduire à une explosion sociale massive. C’est particulièrement vrai pour la PCRE, qui représente un programme plus étendu que les programmes similaires des autres pays occidentaux. Comme le disait Milton Friedman, « rien n’est plus durable qu’un programme gouvernemental temporaire ». Avec un million de pauvres bénéficiant toujours de ce programme, toute tentative de le supprimer pourrait facilement déclencher un mouvement de masse. C’est la principale raison pour laquelle Trudeau continue de repousser l’inévitable, en prolongeant le programme encore et encore.

Cependant, ces mesures d’aides doivent être supprimées à un moment donné. Plus ce moment est retardé, plus la crise sera grave.

Comment la colère va-t-elle s’exprimer

Le but des marxistes en analysant l’économie n’est pas d’agir comme si nous avions une boule de cristal, ou de spéculer sur les va-et-vient de plus en plus irrationnels du marché boursier. Nous ne recommandons pas aux travailleurs d’utiliser l’application de courtage Robinhood pour réaliser leur émancipation personnelle. L’intérêt d’analyser l’économie est de comprendre son effet sur la conscience des classes et la capacité du système à accorder des réformes. Lénine et Trotsky ont tous deux expliqué au début des années 1920 que s’il n’est pas renversé, le système capitaliste trouvera toujours un nouvel équilibre. Mais cet équilibre préparera lui-même les conditions de catastrophes futures et plus importantes.

Les révolutionnaires ne devraient pas avoir une vision mécanique de la relation entre les conditions économiques et la lutte des classes. La vision simpliste selon laquelle « crise économique = révolution » peut conduire à la démoralisation si une crise économique ne conduit pas immédiatement à une révolution, ou s’il y a de courts intervalles de reprise dans une période générale de déclin. Comme nous l’avons déjà dit, la crise actuelle est sans précédent et toutes les perspectives sont conditionnelles. Les facteurs politiques et subjectifs, y compris le rôle joué par les individus, peuvent souvent être décisifs et l’emporter sur les facteurs économiques et objectifs.

Ce que nous pouvons dire, c’est que nous ne savons pas comment les capitalistes peuvent sortir de la crise actuelle et eux non plus. La tendance économique générale à la baisse signifie que les réformes seront rares et les attaques contre les travailleurs fréquentes. Même si les travailleurs subissent des revers politiques en raison d’une mauvaise direction, les patrons ne seront pas en mesure de consolider leur position grâce à des avancées économiques. Une période prolongée de révolution, de contre-révolution, de guerres et d’instabilité nous attend. En fait, nous sommes déjà dans cette période. Le principal obstacle qui empêche de sortir de cette impasse est la direction des organisations des travailleurs.

Les bureaucrates syndicaux, qui travaillent en toute sécurité depuis leur domicile avec des salaires bien supérieurs à ceux des travailleurs qu’ils représentent, ont activement résisté à toute discussion sur les refus de travailler. Il y a eu des vagues de refus spontanés parmi les enseignants, les travailleurs des transports en commun, de la construction et de la poste, mais ils ont été en grande majorité indépendants des structures syndicales. Souvent, la bureaucratie s’allie à la direction pour faire revenir les travailleurs sur un lieu de travail dangereux tout en renvoyant les problèmes devant un comité qui mettra des mois à agir.

Sous la pression de la base, les dirigeants syndicaux en viennent tardivement à soutenir les revendications en faveur du dépistage de masse, de l’augmentation de la distanciation physique, des congés de maladie et d’autres réformes. Mais ce qui est remarquable par son absence, c’est le soutien aux actions militantes qui pourraient permettre d’obtenir ces réformes. Le mouvement syndical canadien est en retard sur le mouvement syndical américain, qui a connu des grèves d’enseignants contre les ouvertures d’écoles dangereuses et une vague d’autres conflits. En Grande-Bretagne, les enseignants ont menacé de faire grève et ont contraint le gouvernement à une humiliante capitulation.

Cet échec à soutenir toute action directe n’a absolument rien à voir avec un supposé faible niveau de conscience de classe parmi les travailleurs. Les travailleurs sont de plus en plus en colère et prêts à agir. Mais c’est difficile à faire tant que toute mobilisation est étouffée par les dirigeants. Au cours de la pandémie, il y a eu une augmentation notable de la conscience de classe parmi la classe ouvrière. Le taux de syndicalisation est en hausse pour la première fois depuis une génération. Cela est dû en partie au fait que les licenciements ont été plus prononcés dans les lieux de travail non syndiqués, mais il y a aussi des preuves anecdotiques que les campagnes syndicales sont plus fructueuses. La campagne réussie de l’Aquarium de Toronto est un exemple de cette tendance. Au cours de cette campagne, la direction a lancé une opération d’intimidation antisyndicale classique. Habituellement, les travailleurs sont poussés par la peur à voter non, mais cette fois, la campagne a provoqué la colère des travailleurs, de sorte qu’ils ont été plus nombreux à voter oui qu’à signer une carte syndicale. Les travailleurs sont de plus en plus susceptibles de vouloir adhérer à un syndicat si on leur en donne l’occasion.

Cette pression de la base mènera certainement à une explosion du mouvement ouvrier, mais pour l’instant, la bureaucratie fait tout ce qu’elle peut pour serrer les vis de la cocotte-minute de la lutte des classes.

Polarisation politique

L’une des principales caractéristiques de l’époque dans laquelle nous vivons est la polarisation. Ce phénomène est plus ou moins prononcé dans tous les pays. Le Canada n’a pas encore atteint les niveaux de polarisation de la Grande-Bretagne et des États-Unis par exemple, mais il est sur la même voie.

Les universitaires, les libéraux et les réformistes déplorent la soi-disant « montée de l’extrême droite », mais ils ne voient pas l’ensemble du tableau. Une caractérisation plus précise de la polarisation n’est pas la « montée de l’extrême droite », mais l’effondrement du centre. La crise que traverse la société discrédite les représentants du statu quo, car ce statu quo ne répond manifestement pas aux attentes de la majorité de la population. Ce processus ne peut être compris par les universitaires et les libéraux, car c’est précisément leur système et leurs politiques qui sont rejetés pour de très bonnes raisons concrètes. Les réformistes, dans la mesure où ils agissent comme la face gauche du statu quo libéral, sont également rejetés.

Face à la crise du « centre », les gens se tournent vers des solutions anti-establishment. Il peut s’agir d’idées anti-establishment de droite ou de gauche. La droite accuse les immigrants, les réfugiés, ou une sorte d’« autre ». La gauche accuse les riches et ceux qui ont le pouvoir. Les libéraux et les réformistes aiment se concentrer sur le côté droit de la polarisation, car cela les aide à neutraliser la gauche. En réalité, la polarisation n’est jamais de poids égal, et penche fréquemment à gauche. Par exemple, aux États-Unis, 54% de la population totale a soutenu l’incendie du commissariat de police de Minneapolis après le meurtre de George Floyd, tandis que 45% des républicains ont soutenu l’assaut sur le Capitole le 6 janvier 2021. Ces opinions sont toutes deux « insurrectionnelles », de gauche et de droite, mais le côté droit de la polarisation anti-establishment ne représente que 21% de la population contre 54% pour la gauche. Des chiffres similaires sont observés en ce qui concerne la participation aux manifestations de masse.

On aurait tort de banaliser l’existence bien réelle d’individus et d’organisations d’extrême droite, mais il est encore plus inacceptable de surestimer leur pouvoir et leurs appuis dans la société. Les fascistes ne sont pas sur le point de prendre le pouvoir au Canada, aux États-Unis ou ailleurs dans un avenir proche. La soi-disant insurrection du 6 janvier au Capitole était davantage un symptôme de la faiblesse de l’extrême droite que de sa force. La classe dirigeante américaine n’a aucun intérêt à s’engager dans cette voie pour le moment et fait tout ce qu’elle peut pour réprimer le trumpisme. Les capitalistes rejettent l’extrême droite et Trump parce que ceux-ci ont plus pour effet de radicaliser la majorité des travailleurs que de terroriser les gens.

Les organisations ouvrières doivent organiser la défense contre l’extrême droite, mais ceux qui crient que « les fascistes s’en viennent » servent involontairement (ou sciemment) à promouvoir le statu quo. Le résultat d’un tel antifascisme en apparence de gauche est de minimiser le pouvoir des idées anti-establishment de la gauche, tout en effrayant la gauche pour qu’elle s’unisse au statu quo libéral : « Votez Biden pour arrêter le fascisme de Trump! », par exemple. Ironiquement, un tel front populaire avec les libéraux est la seule politique qui soit garantie d’aider la montée de l’extrême droite. Dans une situation où le centre libéral s’effondre, et où la majorité cherche des solutions radicales, si la gauche se range aux côtés du statu quo, la seule solution anti-establishment sera l’extrême droite.

En ce sens, la principale menace de l’extrême droite ne réside pas dans sa capacité à terroriser la classe ouvrière pour la soumettre, mais à terroriser les dirigeants réformistes des organisations ouvrières pour qu’ils concluent une alliance plus étroite avec les représentants du statu quo libéral. Un exemple de cela est le fait que le NPD fédéral a demandé et obtenu que les Proud Boys soient ajoutés à la liste des groupes terroristes à surveiller. D’un côté, c’est un symptôme positif que la présence de l’extrême droite soit prise au sérieux. Mais il est important de la combattre de la bonne manière. Demander à l’État de surveiller les fascistes, alors que la police leur a permis d’agir et que leurs dirigeants se sont révélés être des informateurs de la police, est le comble de la naïveté. La liste des organisations terroristes de l’État canadien ne devrait pas être élargie, elle devrait être abolie. Maintenant que ces forces répressives de l’État ont été légitimées par les représentants du mouvement ouvrier, il est beaucoup plus facile de les utiliser contre la gauche, les syndicats, BLM et les militants autochtones. Mais alors que les Proud Boys bénéficieront de toute la discrétion d’un État complice, tout le poids de l’oppression retombera sur la tête de ceux qui luttent contre le capital.

Le mouvement trumpiste ne disparaîtra pas de sitôt, parce que la crise du capitalisme persiste et que la polarisation à gauche et à droite est là pour rester. Le mouvement des travailleurs doit s’organiser indépendamment des libéraux et de l’État afin de défendre les communautés opprimées contre l’extrême droite. Mais nous devons également rejeter la responsabilité de la catastrophe sociale qui crée la polarisation sur les défenseurs du statu quo libéral. La défense contre l’extrême droite doit être combinée avec une perspective socialiste qui explique les racines capitalistes de la crise. Ce n’est que de cette manière que nous pourrons convaincre ceux qui cherchent une réponse à l’impasse dans laquelle se trouve la société. Étant donné la nature prolongée de la crise, ce débat va persister. Soit s’opposer faiblement à la droite en soutenant un centre défaillant, soit combattre la droite en expliquant l’échec du centre.

La faillite du réformisme

La catastrophe sociale est vouée à se prolonger précisément en raison de la faillite de la direction des organisations des travailleurs. Cela est vrai tant sur le plan de la politique électorale que dans les syndicats. Au cours de la pandémie, les syndicats et le NPD ont été presque totalement silencieux, et se sont contentés de se présenter comme l’aile gauche du gouvernement.

Dans les premiers jours de la pandémie, le NPD avait systématiquement une ou deux semaines d’avance sur ce que les libéraux allaient de toute façon mettre en œuvre. Au lieu de faire payer les patrons, les néodémocrates ont proposé la mesure insuffisante qu’est la PCU. Pire encore, le NPD a été le premier à proposer la subvention salariale aux entreprises. Il s’en est même vanté. La subvention salariale a été le principal mécanisme d’aide sociale aux entreprises, les grandes sociétés recevant des centaines de millions de dollars tout en versant des montants similaires en dividendes et en primes à leurs dirigeants et en licenciant des travailleurs.

Lorsque les libéraux ont vu leur popularité s’effondrer en raison du scandale WE Charity, c’est le NPD qui les a maintenus au pouvoir en échange d’une réforme très mineure pour maintenir la PCU à son ancien niveau. Il est fort probable que les libéraux ont manipulé le NPD en prétendant réduire l’allocation uniquement pour donner au NPD une raison de crier victoire. Le NPD a également « gagné » une concession très mineure en prolongeant de deux semaines le versement de la PCRE aux personnes atteintes de COVID, ce qu’il a appelé une « indemnité de maladie ». Mais par la suite, cette non-réforme a servi d’excuse commode aux gouvernements provinciaux de droite pour refuser d’accorder de véritables congés de maladie payés par les employeurs. Non seulement les gouvernements de droite, mais le gouvernement provincial néo-démocrate en Colombie-Britannique s’est aussi servi de cette excuse.

Le NPD a été presque silencieux au sujet des milliards de dollars accordés aux sociétés dans le cadre des plans de sauvetage. Il propose plutôt un maigre plan de « taxes sur les riches », calculées de façon à être si modestes qu’elles ne feraient aucune différence réelle. Même lorsqu’il propose quelque chose de bien, comme la nationalisation des établissements de soins de longue durée, il en reporte la mise en œuvre d’une décennie. Cela ne sera pas d’un grand secours pour les milliers de personnes âgées qui sont actuellement confrontées à des taux de mortalité nettement plus élevés dans les établissements privés.

Parfois, les néodémocrates semblent avoir encore plus confiance dans les libéraux que les libéraux n’ont confiance en eux-mêmes. Ils disent des choses comme « les libéraux disent les bonnes choses, mais vous avez besoin de nous pour les garder honnêtes ». Pendant que les libéraux tentent d’organiser leur propre défaite pour déclencher des élections, le NPD se bat pathétiquement pour les maintenir au pouvoir. Aucune solution de rechange socialiste aux subventions libérales aux entreprises n’est proposée. Rien n’est dit sur l’expropriation des bénéfices mal acquis par les profiteurs de la pandémie. Sans cette perspective socialiste, il n’est pas surprenant que le NPD ait peu de choses différentes à dire des libéraux.

La capitulation des réformistes est une conséquence inévitable de leur refus de rompre avec le capitalisme. Le réformisme ne tient pas la route dans une période où le capitalisme ne peut pas se permettre de réformes. Mais dans une situation où le capitalisme ne peut réaliser de profits, le seul choix est entre le sauvetage des entreprises et la nationalisation. Si les réformistes rejettent la nationalisation et la production pour les besoins, ils n’ont pas d’autre choix que de garantir les profits des entreprises à partir des fonds de l’État.

Il n’est donc pas surprenant que le NPD suscite peu d’enthousiasme parmi les travailleurs ayant une conscience de classe et les jeunes radicalisés. Bien que le parti conserve son lien organique avec les syndicats, il est peu probable qu’il soit un vecteur de lutte à court terme. Ce manque d’enthousiasme est renforcé par les actions de la bureaucratie du parti qui fait tout pour supprimer toute expression organisée de la gauche. Les candidats pro-palestiniens ont été systématiquement empêchés de se présenter pour le parti. La bureaucratie a également profité d’une erreur mineure commise par la députée de gauche Niki Ashton, qui a rendu visite à sa grand-mère malade, et l’a privée de toutes ses fonctions au sein du caucus. Il est à noter qu’Ashton essayait de pousser le parti à revendiquer les nationalisations et à s’opposer au sauvetage des compagnies aériennes depuis son poste au sein du cabinet fantôme. Au départ, Ashton n’a pas riposté et est restée silencieuse face à cette attaque. Cette faiblesse n’a fait qu’encourager la bureaucratie à être encore plus agressive. Lorsque le National Post a déclenché une campagne de diffamation contre Ashton en soulevant des allégations mensongères d’antisémitisme, la bureaucratie en a profité pour enfoncer le couteau dans la plaie. N’ayant plus rien à perdre, Ashton a commencé à riposter. C’est un développement encourageant qui a rallié la gauche du NPD. Le congrès du NPD fédéral d’avril 2021 a été un baromètre de la lutte des classes au sein du NPD. La bureaucratie a pu maintenir sa domination, Singh recevant un vote de confiance de 87%. L’appareil a utilisé son contrôle pour étouffer le débat et exaspérer la gauche. Mais la gauche n’est pas morte. Les dirigeants du parti ont été incapables d’empêcher la résolution de solidarité avec la Palestine d’être à l’ordre du jour, et elle a obtenu un soutien de 80%. Également, la candidate socialiste à la présidence du parti, Jessa McLean, a obtenu 33% des voix, ce qui représente probablement la mesure la plus précise du rapport de forces au sein du parti.

La nature a horreur du vide et la pression pour que s’exprime politiquement le mécontentement social ne cesse de croître. Normalement, le NPD jouerait le rôle de canaliser ce mécontentement, mais si cette voie est bloquée, l’énergie cherchera d’autres avenues. Un événement symptomatique intéressant a été la quasi-victoire de l’écosocialiste Dimitri Lascaris dans la course à la direction du Parti vert. Les verts ne sont pas un milieu habituellement favorable au socialisme. L’establishment du parti est traditionnellement allié aux libéraux tout en étant hostile au NPD et aux syndicats. Les électeurs verts sont souvent plutôt des petits bourgeois favorables aux petites entreprises, et les sondages d’opinion révèlent qu’ils ont des opinions sociales à la droite des électeurs néo-démocrates et libéraux. La vocation générale du parti est de diviser le vote anti-establishment qui pourrait permettre au NPD de remporter plus de sièges.

Cependant, bien qu’ils n’aient pas la base ouvrière du NPD, les écosocialistes ont réussi à recueillir 45% des voix lors du scrutin final. Ce succès ne peut être attribué au fait que les verts sont une bonne avenue pour la lutte des classes, bien au contraire. Il est survenu parce que les autres canaux plus traditionnels de lutte ont été bloqués. À cette occasion, nous avons conseillé aux écosocialistes de Lascaris de s’unir aux socialistes du NPD et des syndicats, ainsi qu’aux socialistes non affiliés, afin de lutter pour une plateforme socialiste commune dans tous ces forums. Malheureusement, pour l’instant, il semble qu’il ait décidé de maintenir son activité au sein des verts dans l’idée de construire une opposition de gauche loyale à la direction de droite. Cela semble être un mauvais terrain de lutte pour l’avenir, et la bureaucratie des verts pourrait bientôt décider de purger la gauche en utilisant des allégations infondées d’antisémitisme. Mais indépendamment de l’endroit où les partisans de Lascaris finissent, et du rôle qu’ils peuvent jouer dans les développements futurs, la course à la direction des verts a une importance symptomatique considérable. Elle montre qu’il existe une soif croissante de politiques socialistes qui cherche désespérément à s’exprimer, sous quelque forme que ce soit.

Au Québec, les dirigeants de Québec solidaire sont tombés dans le piège de l’« unité nationale » au début de la pandémie, agissant essentiellement comme des ministres non rémunérés du gouvernement de la CAQ. Ils n’ont offert aucune opposition, alors même que le Québec était la plus touchée de toutes les provinces. Cette approche adoptée par les dirigeants de QS a sans aucun doute contribué aux niveaux élevés de popularité du gouvernement Legault.

Face à la colère et à la pression de la base, les dirigeants de QS ont changé de ton et se sont prononcés plus fermement contre le gouvernement, admettant même que leur approche précédente était peut-être erronée. Ils proposent ce qu’ils appellent un « bouclier anti-austérité », c’est-à-dire une série de mesures comprenant la taxation des riches et des grandes entreprises pour financer les services publics. D’autres mesures comprennent l’embauche de 100 000 nouveaux travailleurs du secteur public, notamment dans le domaine des soins de santé. Bien que ces propositions soient plus audacieuses que tout ce qui a été proposé dans les autres provinces, QS laisse entendre que les capitalistes devraient accepter de payer pour la crise et que nous avons simplement besoin de « courage politique » pour adopter de telles mesures. Il est possible qu’en se concentrant sur ces mesures, QS puisse devenir un pôle d’attraction parmi les couches de travailleurs et de jeunes radicalisés par la crise économique. Dans un tel contexte, nous devrions expliquer patiemment comment les capitalistes feront tout pour saboter les plans de QS, et qu’une puissante lutte de classe sera nécessaire pour faire payer les patrons.

Une situation mûre pour des explosions sociales

Contrairement aux États-Unis et à la Grande-Bretagne, le Canada n’a pas connu récemment de soulèvements de masse ou de mouvements de gauche massifs. À une ou deux exceptions près, la lutte des classes a été plutôt calme au cours de la période récente. Les 2000 dollars par mois versés par la PCU ont également contribué à atténuer les effets les plus graves de la crise. Mais les capitalistes seraient extrêmement imprudents de considérer cela comme un exemple de stabilité permanente au Canada.

Comme nous l’avons expliqué plus haut, la question de savoir « qui va payer » sous-tend tous les développements. Mais avant même que cette question n’éclate, il y a beaucoup de matériaux combustibles dans la société. Le mouvement Black Lives Matter aux États-Unis a connu des échos au Canada, où des dizaines de milliers de personnes ont manifesté par solidarité. La lutte des Autochtones a explosé à plusieurs reprises, avec les Wet’suwet’en et le conflit concernant la pêche des Mi’kmaq. Nous avons longuement analysé la lutte contre le racisme et l’oppression des Autochtones dans des documents précédents, nous ne répéterons donc pas cette analyse ici. Mais il est important de souligner qu’une caractéristique récurrente de ces luttes contre l’oppression est une conscience de classe et une solidarité de classe accrues.

Un exemple particulièrement inspirant de solidarité s’est manifesté parmi les travailleurs de la mine de Baffinland, au Nunavut. En réponse aux effets négatifs de l’expansion de la mine, les Inuits locaux ont bloqué la piste d’atterrissage de cette collectivité seulement accessible par avion, laissant 700 travailleurs de la mine en plan. Au lieu de faire preuve d’hostilité à l’égard des Inuits, les travailleurs ont rédigé une impressionnante lettre de soutien, dans laquelle ils déclarent ce qui suit :

« Nous croyons fermement que la compagnie devrait écouter vos revendications et vous donner ce que vous voulez, bien que même cela ne sera probablement pas suffisant. Avec l’histoire horrible qui s’est déroulée dans ce pays, et les façons dont vos voix ont été réduites au silence dans le processus, qu’est-ce qui pourrait être suffisant? »

C’est avec une solidarité de classe comme celle-là que nous pouvons vaincre les patrons et leur État, et elle est de plus en plus répandue.

Il y a une colère palpable qui monte d’en bas et qui pourrait éclater à n’importe quel point de fracture. La crise des évictions ne cesse de s’aggraver et l’itinérance augmente, les villes de tentes devenant monnaie courante dans les grandes et petites villes. La pandémie elle-même, avec le travail dangereux qu’elle entraîne, alors même qu’il manque de congés de maladie, pourrait conduire à une explosion. La violence policière raciste est un problème perpétuel. Les écoles et les universités ne sont toujours pas sécuritaires, et pourtant les étudiants sont contraints de payer le plein tarif. Les fermetures de lieux de travail et les licenciements se multiplient, tandis que les patrons bénéficient de subventions et de primes. Les mouvements de syndicalisation dans les secteurs fortement exploités présentent également un potentiel. Les déficits budgétaires des municipalités pourraient déclencher des luttes parmi les employés municipaux. Et même si les gouvernements retardent l’austérité, les entreprises pourraient profiter de la pandémie pour imposer des reculs dans les conventions collectives, comme on l’a vu avec le lock-out de la brasserie Molson. Si la PCU/PCRE a atténué la lutte, l’annulation du programme pourrait elle-même provoquer une explosion. Il est impossible de prédire si ces problèmes ou d’autres conduiront à une éruption, mais il y a tellement de maillons faibles dans la chaîne que littéralement n’importe quoi pourrait déclencher un conflit de masse.

Alors que les libéraux de Trudeau font tout pour éviter une explosion sociale, la dynamique est souvent différente à l’échelle provinciale. L’exemple le plus flagrant est celui de l’Alberta, où les conservateurs unis (UCP) sous la direction de Jason Kenney ont fait absolument tout ce qui était possible pour contrarier la classe ouvrière et ont fait preuve d’une négligence criminelle dans leur gestion de la pandémie. Un sondage réalisé en janvier 2021 a révélé que seuls 27% des Albertains étaient satisfaits de la gestion de la pandémie par le gouvernement, le pire résultat du pays avec 30 points d’écart!

Au lieu d’investir dans les soins de santé et de réduire la taille des classes, le gouvernement de l’Alberta licencie les travailleurs de la santé et s’attaque aux enseignants. Cette situation a suscité des appels à la grève générale et a même conduit à des grèves sauvages limitées des travailleurs de la santé. Les dirigeants syndicaux tentent de garder le contrôle de la situation, et le NPD albertain sous la direction de Rachel Notley, qui penche à droite, essaie de se dissocier des syndicats, mais cela pourrait ne pas suffire à contenir la colère des travailleurs.

Kenney et l’UCP sont coincés à l’époque révolue de l’Alberta rurale, où les relations de classe étaient peu développées et les profits pétroliers sans fin. Les barons du pétrole qui tirent ses ficelles pensent qu’ils peuvent dicter leur conduite aux travailleurs comme le faisait Ralph Klein, avec l’appui d’un bloc électoral réactionnaire solide. Mais cette Alberta-là a disparu comme les dinosaures. Marx expliquait que les conditions sociales déterminent la conscience sociale, et l’Alberta n’est plus une terre de bétail et de pétrole brut. Au lieu de cela, l’Alberta a une classe ouvrière avancée et cosmopolite avec une conscience de classe développée. Le caractère de la province a été irrévocablement modifié avec la victoire du NPD en 2015 et il est révélateur que, malgré les trahisons du gouvernement néo-démocrate de Notley, le parti ait encore obtenu 33% aux élections de 2019.

La seule chose qui reste de l’« ancienne » Alberta est la détermination furieuse des gens à se battre. Si la classe dirigeante ne se débarrasse pas de Kenney et ne s’engage pas dans une politique de concessions, il semble qu’un conflit décisif soit inévitable. Il est possible qu’il soit trop tard pour que les concessions calment les choses, car même des victoires partielles augmenteraient la confiance des travailleurs dans la lutte pour récupérer ce qui a été perdu. Comme on dit, l’appétit vient en mangeant. Ceux qui, dans l’est du Canada, ont des idées élitistes sur les Albertains « rednecks et arriérés » risquent d’être surpris lorsque l’Alberta se transformera en première ligne de la lutte contre l’austérité. Il est impératif que les forces du marxisme en Alberta se développent et se préparent politiquement à ce conflit.

Les résultats des premiers ministres provinciaux dans les sondages sont généralement liés aux résultats de leur gestion de la pandémie, Kenney arrivant en dernière position. Cependant, la situation au Québec semble défier toute logique. Le premier ministre de droite François Legault a, à tous points de vue, complètement bâclé la gestion de la pandémie. Pourtant, il reste le premier ministre le plus populaire du pays.

Il y a quelques éléments qui peuvent nous aider à expliquer cela. Tout d’abord, la CAQ est un nouveau parti. Pendant des décennies, les deux partis de l’establishment se sont échangés le pouvoir pendant que les conditions de vie des travailleurs se détérioraient. Les libéraux et les péquistes ont tous deux imposé des mesures d’austérité et attaqué les syndicats, tandis que la CAQ, malgré toutes ses fautes, ne s’est pas encore attaquée de manière décisive à la classe ouvrière dans son ensemble. En outre, les libéraux et, dans une moindre mesure, les péquistes, sont encore largement marqués par des scandales de corruption auxquels les gens ne souhaitent pas revenir.

De plus, l’arrivée de la CAQ rompt avec la dichotomie stérile entre fédéralistes et souverainistes qui a marqué le Québec depuis près de 50 ans, ce dont beaucoup se réjouissent. Cela se reflète dans le fait que les électeurs caquistes sont autant divisés sur l’indépendance que le sont les Québécois en général. Si 35% des caquistes voteraient pour l’indépendance et 51% contre, c’est 32% des Québécois en général qui appuient l’indépendance, alors que 56% sont contre.

Cependant, cela ne signifie pas que la question nationale est enterrée. En fait, Legault est un nationaliste convaincu et sa manipulation des sentiments nationalistes au sein de la population francophone est précisément la raison de son accession au pouvoir. Il a temporairement réussi à recréer un nationalisme identitaire de droite semblable à celui qui existait sous le despote Maurice Duplessis pendant la Grande Noirceur.

Plus important encore, au cours des 15 années qui ont suivi sa création, Québec solidaire a suivi une trajectoire régulière vers la droite, modérant sa critique des partis capitalistes. Cela s’est clairement vu pendant la pandémie alors que, comme nous l’avons déjà mentionné plus haut, le parti s’est simplement joint aux trois principaux partis capitalistes dans une unité nationale indigne et a mis en sourdine presque toute critique de la gestion de la pandémie par le gouvernement. À cela s’est ajoutée une dérive plus nationaliste qui a conduit le parti à ne pas être en mesure de s’opposer pleinement à des lois réactionnaires comme la loi 21 islamophobe de la CAQ. Les syndicats aussi ont échoué à monter une opposition sérieuse au gouvernement Legault. Tous ces facteurs se combinent pour expliquer la situation contradictoire du Québec.

Cependant, il serait incorrect de penser que les niveaux de soutien apparemment insurmontables de Legault peuvent durer éternellement. Historiquement, le Québec a connu des moments d’unité nationale suivis en un clin d’œil d’une lutte des classes féroce. Les bourgeois du Québec ont tout intérêt à placer un voile de brouillard nationaliste sur les yeux des travailleurs et des jeunes pour qu’ils oublient que leur principal ennemi est chez eux. Mais cela a ses limites. La dette provinciale a pris une ampleur incontrôlable et Legault, tôt ou tard, tentera de refiler la facture aux travailleurs. La moindre petite fissure dans la situation peut rallumer les flammes de la lutte des classes au Québec.

Comment combattre la crise

Encore et encore et encore, la crise de la société se heurte au système capitaliste de production pour le profit. Sous le capitalisme, tout doit produire un profit. Mais le motif du profit constitue un obstacle absolu qui empêche de résoudre la pandémie et de répondre aux besoins économiques de la société.

La logique du profit a retardé les confinements nécessaires à la gestion de la pandémie. La logique du profit a empêché les investissements nécessaires en matière de personnel et de matériel de protection individuelle dans les établissements de soins de longue durée. La logique du profit a permis aux entreprises non essentielles de rester ouvertes de manière dangereuse, car la fermeture signifie la faillite. La logique du profit impose la propriété intellectuelle et les goulots d’étranglement dans la production de vaccins. En dernière analyse, la logique du profit à court terme nuit aux profits à long terme en prolongeant la pandémie.

Une société qui produirait en fonction des besoins ne connaîtrait aucun de ces problèmes. Les bars et les restaurants confrontés à des consignes nécessaires de fermeture n’auraient pas besoin de générer des bénéfices et pourraient simplement rouvrir lorsqu’ils seraient en sécurité. Les travailleurs de ces secteurs verraient leurs salaires garantis et pourraient être recyclés en traceurs de contacts pendant la crise. Le contrôle ouvrier sur la production véritablement essentielle permettrait de s’assurer que toutes les mesures de sécurité nécessaires sont respectées, au lieu de prendre des raccourcis dans l’intérêt du profit. Un an après le début de la pandémie, on constate des violations systématiques des règles de santé et de sécurité de base, qui provoquent des éclosions massives et des décès.

Mais au-delà de la pandémie, la recherche du profit est aussi un obstacle absolu au développement des moyens de production. Le capitalisme repose sur une contradiction fondamentale : il développe les moyens de production comme s’il n’y avait pas de limites, tout en leur imposant des limites en réduisant le pouvoir d’achat des travailleurs. Le capital doit toujours s’accumuler, et donc doit toujours rapporter des profits, mais il ne peut pas rapporter de profits si les travailleurs ne peuvent pas racheter les produits qu’ils viennent de créer. Le capitalisme crée une crise de surproduction en même temps qu’il crée le chômage et la pauvreté. Il y a trop de richesses pour la production continue de profits, mais pas assez de richesses pour satisfaire les besoins humains.

Les forces productives stagnantes de la société ne peuvent être relancées qu’en les libérant des entraves de l’appât du gain. Cette réalité explique également la faillite totale des réformistes qui ne sont pas prêts à rompre avec le capitalisme. Dans une crise sociale, économique et sanitaire de cette ampleur, la seule autre solution que la nationalisation, le contrôle ouvrier et la production socialiste pour les besoins est l’aide sociale aux entreprises. Si le système capitaliste ne peut pas produire lui-même des profits, il doit se tourner vers l’État pour qu’il les lui donne. Le fait que cela viole toutes les lois du capitalisme importe peu. Tout ce qui compte, c’est que les patrons continuent à faire des profits, même s’ils ont renoncé aux investissements productifs.

À terme, la contradiction entre une logique de profit défaillante soutenue par l’aide aux entreprises et les besoins de la population explosera. Pourquoi ces entreprises devraient-elles être renflouées alors qu’elles licencient des travailleurs? Pourquoi octroient-elles des primes à leurs cadres et des dividendes à leurs actionnaires alors qu’elles refusent d’investir? Pourquoi la valeur des plans de sauvetage des entreprises est-elle supérieure au prix du marché pour nationaliser la production essentielle?

Les contradictions dans les moyens de production provoquent nécessairement la prise de conscience des solutions socialistes. L’échec de la logique du profit fait naître l’idée de la production pour les besoins. À terme, la revendication de la nationalisation, du contrôle ouvrier et d’un plan de production socialiste et démocratique sera perçue comme la seule solution. Les dirigeants réformistes qui n’ont pas de solutions autres que l’aide sociale pour les entreprises seront écartés au profit de ceux qui appellent à la nationalisation. Mais c’est la tâche de l’aile révolutionnaire du mouvement de rendre conscientes les aspirations inconscientes des travailleurs. C’est la tâche qui nous attend pour la période à venir.

La nécessité d’un leadership révolutionnaire

La situation est vraiment sans précédent. Jamais dans l’histoire du système capitaliste il n’y a eu une crise aussi énorme à tous les niveaux combinée à une absence quasi-totale de direction de la classe ouvrière.

Si les socialistes révolutionnaires dirigeaient les organisations de masse de la classe ouvrière, le Canada serait actuellement dans une situation prérévolutionnaire. Le scandale des milliers de milliards de dollars d’argent mort thésaurisé, des renflouements massifs pour les riches, des bonus pour les cadres et des paiements de dividendes, alors qu’il y a des licenciements et des travailleurs qui meurent à cause du profit, est suffisant en soi pour provoquer une révolte spontanée. Mais il faut une organisation pour éduquer les travailleurs sur ces faits et fournir une structure où la colère de classe peut s’exprimer.

Non seulement il n’y a pas de direction qui aide à rendre conscients les désirs partiellement formés des travailleurs, mais les dirigeants existants font tout ce qui est en leur pouvoir pour retenir les travailleurs. Ils mettent fin à toute lutte avant qu’elle ait commencé et disent aux travailleurs qu’ils sont faibles et non forts. Les dirigeants ouvriers sont les principaux partisans du bien-être social pour les entreprises au lieu de la nationalisation, du contrôle ouvrier et du socialisme. Par conséquent, le processus de radicalisation sera prolongé et ardu, et les obstacles à la lutte seront grands. Cela montre bien l’importance d’une direction et d’être organisés.

Il existe une énorme contradiction entre la crise et les tâches nécessaires pour échapper à la catastrophe, qui constituent une donnée objective, et la force subjective de la direction révolutionnaire des travailleurs et des opprimés. La crise du capitalisme forcera les travailleurs à lutter, mais une mauvaise direction signifiera que la plupart de ces luttes seront vouées à la défaite. Cependant, la persistance de la crise ne permettra pas aux capitalistes de stabiliser le système et le cycle se répétera avec de nouvelles explosions de luttes.

Certains universitaires nous disent que la classe ouvrière n’existe plus. Ces mêmes personnes travaillent confortablement à la maison pour le temps de la pandémie, pendant que des travailleurs essentiels, dont beaucoup sont des personnes racisées, viennent leur livrer nourriture et articles achetés en ligne. L’ironie est écoeurante. La réalité est que la classe ouvrière n’a jamais été aussi forte. La force de la classe ouvrière est un autre élément qui limite la capacité de la classe dirigeante à instaurer un équilibre social réactionnaire. L’ancienne base de classe de la réaction rurale a été considérablement réduite. Mais beaucoup de ceux qui ont accepté l’idéologie de la disparition des travailleurs sont les dirigeants ouvriers eux-mêmes. Les travailleurs sont matériellement forts tout en étant idéologiquement faibles.

Cette contradiction entre facteurs objectifs et subjectifs, entre tâches et idéologie, entre force potentielle et manque d’organisation, ne durera pas éternellement. Une idée devient une force matérielle lorsqu’elle s’empare de la conscience des masses. De plus en plus, par une série de rapprochements progressifs, cette contradiction sera résolue. Les vieux dirigeants peu enclins à se battre seront remplacés par de nouveaux représentants reflétant davantage les aspirations de la masse. À leur tour, ces individus seront dépassés par le mouvement de radicalisation et remplacés. Les vieux gauchistes habitués à prêcher dans le désert seront soudainement surpris que des milliers de personnes veuillent écouter leurs idées. Certains leaders anciennement à droite pourraient même être frappés par la popularité des politiques plus militantes et être poussés plus à gauche. C’est ce qui est arrivé à Tony Benn, le leader de la gauche britannique dans les années 1970 et 1980. 

Le processus présenté ci-dessus sera considérablement facilité par l’action des marxistes. Un seul marxiste sur un lieu de travail dont les idées ont été ignorées dans le passé verra tous ses collègues venir à lui pour obtenir des réponses. Notre tâche est de former les travailleurs-révolutionnaires avant que ces développements ne se produisent afin qu’ils puissent répondre à ces questions. Les révolutionnaires doivent savoir apprendre les leçons des luttes passées afin de gagner l’oreille des masses et gagner le droit de diriger. En utilisant des tactiques de front uni pour faire avancer la lutte, les marxistes se battront main dans la main avec les travailleurs militants et apprendront d’eux. Les revendications transitoires seront un pont nécessaire entre la conscience actuelle et les préoccupations actuelles de la classe ouvrière d’un côté et la nécessité de la révolution socialiste et de l’organisation marxiste de l’autre. Chaque injustice individuelle est une manifestation concrète de la crise généralisée du capitalisme dans son ensemble. Les révolutionnaires doivent apprendre à saisir le problème concret qui amène les gens à lutter et à les politiser, puis à les aider à traverser le pont pour qu’ils comprennent les processus généraux. Ces habiletés ne viennent pas automatiquement et sont inséparables de l’effort commun de construction d’une organisation révolutionnaire. 

Tant que nous n’arriverons pas à construire une organisation révolutionnaire qui soit reconnue par la classe ouvrière, le déséquilibre dans la société continuera. Le processus circulaire de révolte, de défaite et de nouvelle révolte continuera. Le système capitaliste continuera à détruire la vie des travailleurs, à encourager le racisme, l’oppression fondée sur le genre, la guerre, la destruction de l’environnement et tout autre mal imaginable. Nous ne pouvons pas permettre que cela continue, nous devons construire une organisation qui puisse aider les travailleurs à renverser ce système pourri.

Au Canada et à l’échelle internationale, la Tendance marxiste internationale a fait de grands bonds en avant. De plus en plus de travailleurs et de jeunes comprennent que les luttes isolées ne suffisent plus et voient la nécessité de s’unir dans une organisation révolutionnaire commune armée des idées du marxisme. Plus tôt que nous le pensons, les marxistes pourraient commencer à devenir un facteur dans l’équation de la lutte des classes. Mais seulement si nous travaillons maintenant à former les révolutionnaires qui peuvent relier le programme achevé du marxisme avec les aspirations inachevées et inconscientes des masses. Rejoignez notre lutte pour renverser le capitalisme, et pour construire un mouvement qui changera le cours de l’histoire humaine.