La semaine dernière a été bonne pour les politiciens nationaleux et les chroniqueurs qui ont bâti leur carrière sur la peur de l’Islam. Avec la nomination de trois musulmans à des postes importants au Canada, ils ont eu de quoi se mettre sous la dent.
Il faut dire qu’avec la pandémie, nos vaillants Don Quichotte avaient commencé à manquer de moulins islamistes à combattre. Les chroniqueurs et politiciens nationaleux, qui vivent depuis 20 ans sur un régime d’islamophobie bien charnu, souffraient d’une disette. Pauvres eux, avec le déclenchement d’une (vraie) crise sociale, les journalistes ont consacré moins d’efforts à traquer les foulards.
Mais l’abondance est revenue la semaine dernière, et la droite nationaleuse s’en est donné à coeur joie.
Depuis le 11, Ginella Massa, une femme portant le hijab, anime l’émission Canada Tonight with Ginella Massa, sur CBC News Network, une première. Cela a visiblement inspiré le couple Richard Martineau et Sophie Durocher, qui nous a concocté des scénarios hypothétiques bien juteux, capables de jeter l’effroi chez leurs lecteurs : « Si Céline Galipeau était voilée » et « À quand un chef d’antenne avec un crucifix? » Tant qu’à inventer des scénarios, on pourrait aussi ajouter : « Si les chroniqueurs et politiciens n’avaient pas passé les 20 dernières années à agiter l’épouvantail de l’islamisme ».
Richard Martineau nous appelle à penser aux femmes iraniennes, forcées de porter le voile. Que penseraient-elles de nous, à permettre à une femme voilée d’occuper un tel poste? Elles seraient certainement plus heureuses que soit interdit aux musulmanes voilées d’être chef d’antenne. La discrimination à l’embauche, voilà la vraie liberté. Les femmes iraniennes sont aux islamophobes ce que sont les Vénézuéliens aux anti-communistes.
Puis le 12, la Ville de Montréal a embauché la chercheuse Bochra Manaï comme commissaire à la lutte contre le racisme et la discrimination systémiques. Le bureau du premier ministre du Québec a fait savoir que, pour lui, « il s’agit d’une erreur de la part de la Ville de Montréal ». Legault dénonce la nomination de Mme Manaï parce qu’elle a mené la contestation contre la Loi 21 sur la soi-disant laïcité en tant que porte-parole du Conseil national des musulmans canadiens.
L’ironie est brûlante ici. Voilà le premier ministre qui fait preuve de tout sauf de neutralité, en s’ingérant dans le processus d’embauche d’une municipalité. Et son reproche : ne pas avoir discriminé Mme Manaï sur la base de ses opinions politiques. Cela aurait pourtant constitué une violation de ses droits protégés par la Charte québécoise. Peut-être que c’est Legault qui devrait passer un test des valeurs québécoises.
Le même jour, un musulman était nommé ministre des Transports dans le cadre d’un remaniement ministériel à Ottawa. Le chef du Bloc québécois, Yves-François Blanchet, ne pouvant manquer cette occasion de satisfaire la frange raciste de son électorat, a soulevé que « des questions se posent sur la proximité du nouveau ministre des Transports, Omar Alghabra, avec le mouvement islamique politique dont il a été un dirigeant pendant plusieurs années ».
Évidemment, Blanchet se défend en jouant l’innocent : « J’ai soulevé des questions légitimes en démocratie quant à des positions passées du nouveau ministre des Transports relativement à l’application de la loi islamique [charia] en matière de droit familial […] ainsi que sur son opposition à l’inscription du Hamas sur la liste des groupes terroristes alors qu’il dirigeait la Fédération canado-arabe. » En réalité il sait très bien ce qu’il fait en colportant ces ragots tirés tout droit d’un site de fausses nouvelles d’extrême droite, Rebel News.
La droite nationaleuse aime bien lancer des insinuations sous forme de questions. Si on fonctionnait comme elle, on pourrait par exemple demander : « Pourquoi les bloquistes sont-ils plus choqués par la présence d’un musulman à la tête d’un ministère que par la présence d’un agresseur sexuel à la tête de leur parti? », « Comment expliquer que cinq candidats bloquistes aux dernières élections se soient révélés être tellement racistes que Blanchet a dû s’excuser pour leurs propos passés? » ou « Pourquoi le Bloc a-t-il refusé de se prononcer sur la proposition du NPD de désigner le groupe d’extrême droite Proud Boys comme terroriste? »
Les nationalistes identitaires prétendent n’en avoir que pour la défense de la laïcité et des bonnes valeurs québécoises d’ouverture et de progrès. Mais dès qu’un musulman fait son apparition dans l’actualité, ils trouvent toujours une bonne raison de l’attaquer.
Le chef du PQ, Paul Saint-Pierre Plamondon, a dénoncé la nomination de Mme Manaï comme une décision qui « divisera davantage ». En réalité, la société québécoise est déjà profondément divisée. Elle est divisée entre patrons et travailleurs, riches et pauvres, propriétaires et locataires. Mais les nationalistes identitaires et leurs partis sont inconfortables avec cette division.
La soi-disant laïcité des politiciens et chroniqueurs nationalistes identitaires n’a pas grand chose à voir avec la neutralité religieuse de l’État, et tout à voir avec une tentative de faire oublier cette division en en encourageant une deuxième. Pour détourner l’attention de leurs politiques d’austérité ou autres attaques envers les travailleurs, pour apaiser la haine des patrons, ils encouragent la haine des musulmans.
Le tour de passe-passe a tellement été utilisé qu’il est devenu entièrement prévisible : une nouvelle met les projecteurs sur une personnalité musulmane; le Bloc, le PQ, la CAQ ou leurs porte-voix des médias font des déclarations pleines de sous-entendus islamophobes; ils sont dénoncés, puis se posent en victimes du méchant multiculturalisme de Trudeau et en grands défenseurs du Québec. C’est la même tactique dont ils se servent lorsqu’ils nient le racisme systémique, prétendument pour ne pas « faire le procès des Québécois ». Et s’ils jouent bien leurs cartes, ces partis sont récompensés dans les sondages, et le tour est joué!
À quelques jours du quatrième anniversaire de l’attentat de la mosquée de Québec, ce nouveau déchaînement d’islamophobie vient nous rappeler que les chroniqueurs et politiciens nationaleux qui ont incité le terroriste d’extrême droite à passer à l’acte continuent encore aujourd’hui à semer les mêmes idées hargneuses. Les partisans de la Loi 21, et notamment Legault lui-même, prétendaient qu’elle allait permettre de clore le « débat » sur la laïcité. Beaucoup de gens qui n’étaient peut-être pas chauds à l’idée de la loi en soi ont été convaincus par cet argument.
Mais les islamophobes derrière la Loi sur la laïcité n’ont jamais eu l’intention de mettre fin au débat. Ils agiteront l’épouvantail de l’islam afin de diviser pour mieux régner tant et aussi longtemps qu’ils en auront besoin; tant et aussi longtemps que le mouvement ouvrier et la gauche ne s’opposeront pas activement à leurs petits jeux, sans hésitation, à chaque fois.