Alors que le système scolaire québécois, déjà chancelant, est en train de crouler sous le poids de la pandémie, de nombreux syndicats d’enseignants se dotent de mandats de grève de cinq jours à utiliser au moment opportun. D’autres vont bientôt voter sur la question d’une grève générale illimitée. C’est un signe clair que les enseignants sont à bout et sont prêts à riposter. Mais comment pouvons-nous gagner?

La colère accumulée pousse à l’action

Personne n’ignore les conditions de travail très difficiles des enseignants au Québec, résultant de décennies de coupes dans l’éducation. Les enseignants font face à des classes surchargées, un manque de ressources et des tâches administratives de plus en plus lourdes. Par conséquent, 50% des enseignants abandonnent la profession dans les cinq premières années! Évidemment, la pandémie n’a rien arrangé. Les enseignants doivent adapter leur enseignement en ligne, en jonglant avec les différentes mesures prises par le ministère sans leur consultation, le tout en mettant leur santé en danger dans des salles de classe inadaptées aux consignes sanitaires. Plus de 70% des enseignants témoignent de la dégradation de leur santé psychologique. 

Dans ces conditions, la proposition de la CAQ, en mai dernier, d’octroyer une médiocre augmentation de salaire de 5% sur 3 ans est une véritable gifle au visage, alors que le Québec est en dernière position parmi toutes les provinces canadiennes en matière de rémunération des enseignants.

C’est donc sans surprise qu’on voit les votes de grève s’accumuler dans le milieu de l’enseignement. Depuis le début de l’année, plusieurs cégeps et centres de services scolaires se sont dotés de mandats de grève de cinq jours à utiliser au moment opportun. Le 1er février, les membres de la Centrale des syndicats du Québec (CSQ), qui représente 125 000 personnes, ont également voté à 73% en faveur d’une grève de 5 jours, et d’autres syndicats ont déjà annoncé leur intention d’organiser des assemblées générales pour discuter de la question d’une grève. De son côté, la FAE met de l’avant une grève générale illimitée, et un premier syndicat en Outaouais votera sur cette proposition le 24 février prochain.

Ce sont les membres de la base qui n’ont cessé d’exprimer leur ras-le-bol face à la situation actuelle et d’exiger des actions plus fortes de leur direction syndicale. « La GGI c’est tout ce qui va marcher. Toutes les autres niaiseries n’ont jamais marché. » témoignait une enseignante. Alors que les négociations sont au point mort, les membres de la base des syndicats sont prêts à passer à l’offensive. Sur les réseaux sociaux, nombreux sont les commentaires en faveur de la grève. C’est la pression de la base qui a poussé les syndicats à discuter de la possibilité d’une grève. Josée Scalabrini, présidente de la FSE, l’exprimait d’ailleurs clairement dans un entretien à Radio-Canada : « Ce sont les enseignants qui ont demandé à leurs syndicats de partir en grève. […] C’est la première fois que je vois ça en 30 ans de carrière. C’est comme s’ils n’en peuvent plus. »

Un pas en avant, mais dans quelle direction?

Le fait que les mandats de grève s’accumulent est un pas en avant important. À La Riposte syndicale, nous soulignions déjà en novembre la nécessité de préparer la grève, en expliquant que pour gagner face à un gouvernement visiblement déterminé à ne faire aucune concession, nous devons montrer que nous sommes prêts à aller jusqu’au bout. C’est donc une bonne chose que la question de la grève soit enfin discutée dans les assemblées générales! Mais la tactique des mandats de cinq jours « à utiliser au moment opportun » présente de sérieuses limites qui doivent également être discutées.

La réussite d’une grève dépend en bonne partie de la mobilisation des membres et du degré de préparation de la grève. Lorsque les membres sont bien informés et bien préparés à faire face aux attaques qui vont survenir contre la grève, il est plus facile de mobiliser une couche plus large de membres et le moral est plus grand. 

Les mandats de grève « à utiliser au moment opportun » ont le désavantage de laisser la question du « moment opportun » assez floue. Les jours de grève vont-ils être utilisés un par un, à un moment décidé par l’exécutif syndical, ou tous en même temps? Pourquoi seulement cinq jours? Pourquoi garder tout cela secret? Comment cela peut-il faire reculer le gouvernement? Ces questions devraient être discutées avec les membres du syndicat. Mais bien souvent, la décision est prise quelques jours avant le déclenchement de la grève, et les membres sont pris par surprise. Dans ces conditions, il est difficile de mobiliser les travailleurs au dernier moment, et cela risque même de créer de la démoralisation chez les enseignants qui sont laissés dans l’ignorance, sans plan d’action clair. De plus, cela empêche d’informer à l’avance les autres syndicats afin qu’ils mobilisent leurs propres membres pour organiser des actions de solidarité. C’est un obstacle important, car la solidarité intersyndicale est essentielle dans une grève. On gagne l’effet-surprise, mais on perd le plus important : la mobilisation.

Pour ce qui est de la proposition de grève générale illimitée mise de l’avant par la direction de la FAE, elle contient une limite sérieuse : la grève ne commencerait au plus tôt que le 31 mai, soit à peine un mois avant la fin de l’année scolaire. Une enseignante commente sur Facebook: « Une grève quand l’année scolaire est essentiellement terminée ??? Voyons donc, nous allons faire rire de nous et le gouvernement va s’en mettre plein les poches ! Pourquoi attendre jusque-là ? » 

La façon dont la grève est planifiée en ce moment risque de démobiliser et de démoraliser les membres, et donc de conduire prématurément à la défaite. Cela donnerait des munitions à ceux qui sont contre la grève dans les syndicats, car ils pourraient utiliser cet exemple pour montrer que les grèves ne fonctionnent pas et que les membres ne veulent pas de la grève. Mais soyons clairs : ce n’est pas la grève qui est le problème; le problème est la façon dont la grève est organisée. Les membres doivent avoir le contrôle si nous voulons l’emporter.

Comment gagner?

La Riposte syndicale est en faveur de la démocratie ouvrière : les travailleurs de la base devraient être ceux qui ont le contrôle direct sur la façon dont le mouvement est organisé. L’ambiance de secret qui règne dans la planification de la grève contribue à la démobilisation dans le mouvement.

Le premier pas dans la lutte actuelle devrait être d’organiser des comités de mobilisation composés de membres de la base et contrôlés par la base. C’est la meilleure façon pour faire en sorte que les membres s’approprient le mouvement. De plus, toutes les immenses ressources de la CSQ et de la FAE devraient être mises à profit pour mobiliser la base. Sans mobilisation des membres, la CAQ ne nous prendra pas au sérieux. 

Si la CAQ ne bouge pas malgré la menace de grève, alors elle ne nous laissera pas le choix que de la mettre à exécution. Il est déplorable que la CSQ et la FAE aient deux stratégies de grève différentes pour faire valoir les intérêts des enseignants. De même, il n’y a aucune raison d’attendre au 31 mai avant d’entrer en grève, comme le propose la direction de la FAE. En nous basant sur une sérieuse mobilisation des membres, nous pourrions entrer en grève beaucoup plus tôt. L’important est que la base puisse avoir le contrôle du mouvement. Des assemblées générales devraient être organisées régulièrement au fil de la grève afin de discuter des stratégies et tactiques à adopter.

Les enseignants ont une riche tradition de lutte. Pas plus tard qu’en 2015, pour le 1er mai, les enseignants de nombreux cégeps avaient organisé une grève illégale pour protester contre l’austérité libérale. L’humeur est à la lutte cette fois encore, alors que les enseignants croulent sous une pression immense. La pandémie a montré à quel point le système d’éducation est en lambeaux, et la CAQ veut empirer la situation. Le personnel de l’éducation mène une lutte pour le sauver de l’effondrement. Une victoire des travailleurs de l’éducation serait une victoire de tous les travailleurs contre ce gouvernement des patrons. Nous entrons dans une période décisive de l’histoire. Sous le poids de la crise économique, la dette québécoise a gonflé, et l’austérité sera certainement à l’ordre du jour. La CAQ ne sera pas d’humeur à faire des concessions aux travailleurs. Il est grand temps de faire revivre les traditions combatives de notre mouvement, et de se préparer pour les luttes qui s’en viennent.