Négociations du secteur public : il faut préparer la grève

Avec des services publics en décrépitude et des employés poussés à bout, la colère contre le gouvernement est palpable. L’heure est venue pour les syndicats de canaliser cette colère, de passer à l’offensive et de lutter jusqu’au bout.

  • Julien Arseneau
  • jeu. 19 nov. 2020
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Les services publics sont au bord de l’effondrement. 

Des décennies d’austérité et de recul des conditions de travail ont préparé cette situation. La gestion désastreuse de la pandémie de COVID-19 par la CAQ en a rajouté une couche. Les infirmières, les employés d’hôpitaux, les enseignants et le personnel des écoles en général en ont plein les bras. Ce n’était pas la joie avant la pandémie non plus, mais là, rien ne va plus.

Tout cela survient alors que plus de 500 000 travailleurs du secteur public renégocient leur convention collective. Cela nous offre l’occasion de se mobiliser pour stopper le désastre. Avec des services publics en décrépitude et des employés poussés à bout, la colère contre le gouvernement est palpable. L’heure est venue pour les syndicats de canaliser cette colère, de passer à l’offensive et de lutter jusqu’au bout. 

La CAQ inflexible

L’économie québécoise, comme le reste de l’économie mondiale, est en crise. Le 12 novembre, la CAQ a annoncé qu’elle projetait un déficit de 30 milliards de dollars sur trois ans au Québec, du jamais vu. Mais le gouvernement affirme toujours vouloir atteindre l’équilibre budgétaire d’ici cinq ans! Il n’est pas difficile d’imaginer ce que la CAQ va faire : des coupes dans les services publics viendront tôt ou tard. Comme l’a bien dit le président de la Confédération des syndicats nationaux (CSN), Jacques Létourneau : « C’est à des années d’austérité que le gouvernement de la CAQ nous prépare. » Dans ce contexte, on ne peut attendre aucune générosité de la part du gouvernement avec les employés du secteur public. 

Mais même avant que l’on connaisse ces chiffres, la direction prise par la CAQ était claire. En mai dernier, le gouvernement a annoncé qu’il offrait aux travailleurs du secteur public un maigre 5% d’augmentation de salaire sur trois ans, ce qui est en-dessous du niveau habituel d’inflation. Une véritable insulte, comme l’a dit la présidente de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ). 

Tout indique que la CAQ n’a aucune intention de faire des concessions. Un membre de l’équipe de négociations de la Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) l’a confirmé récemment, disant qu’avec la CAQ, nous avons « des reculs, des reculs et des reculs ». Il faut s’y faire. Nous sommes face à un gouvernement de patrons qui cherche à nous faire avaler une entente à rabais. L’alternative devant le mouvement syndical est la suivante : accepter de reculer, ou mener la lutte jusqu’au bout. 

Pas le temps de reculer

La pandémie a exposé les ravages de l’austérité sur nos services publics : des salaires qui stagnent depuis des décennies aux salles de classe surpeuplées et mal ventilées, en passant par le temps supplémentaire obligatoire imposé aux infirmières et le manque d’équipements de protection individuelle. La nécessité d’un réinvestissement dans les services publics, à commencer par des conditions de travail adéquates pour tous les employés, n’a jamais été aussi évidente. La lutte des employés du secteur public est celle de toute la classe ouvrière québécoise.

Dans ces conditions, on pourrait imaginer que les directions syndicales seraient prêtes à saisir l’occasion, et mener la bataille jusqu’au bout contre le gouvernement de la CAQ. Mais ce n’est pas ce qui se passe jusqu’à présent. Au contraire, au lieu de fourbir leurs armes, les directions syndicales ont mis la pédale douce sur la mobilisation, et ont même diminué leurs revendications. 

Par exemple, les dirigeants de la FTQ, pour montrer qu’ils sont « bons joueurs », ont diminué de moitié leurs revendications salariales, qui sont maintenant de 2% par année sur trois ans – à peine 1% de plus au total que l’offre ridicule de la CAQ! Même chose avec l’alliance FIQ-APTS : on est passé de 21,6% sur trois ans à 12,4% sur trois ans. De plus, à part quelques manifestations isolées ici et là, l’été 2020 est passé sans que les directions des grandes centrales syndicales n’entament véritablement une escalade des moyens des pressions. En l’absence d’un front commun cette année, la plupart des actions de mobilisation sont organisées de manière séparée par chaque syndicat, chacun de son bord.

Ces reculs et ce manque de mobilisation ne profitent qu’à la CAQ. Mais il n’est pas trop tard pour armer le mouvement et entamer une vraie escalade des moyens de pression qui menace d’aller jusqu’au bout. Qu’est-ce qu’on veut dire par là? Jusqu’à la grève.

La nécessité de la grève

Le mouvement ouvrier québécois compte sur une riche tradition de lutte combative. Nous avons le plus haut taux de syndicalisation en Amérique du Nord. Tout ce que nous avons obtenu l’a été grâce aux grèves combatives du passé. C’est seulement par ce moyen que nous pouvons empêcher la CAQ d’achever nos services publics.

Les syndicats ont finalement commencé à organiser des manifestations ces dernières semaines. Mais malheureusement, la grève ne semble pas à l’horizon pour la grande majorité du secteur public. 

Chez la direction de la CSN, c’est silence radio sur cette question. À la FTQ, le président Daniel Boyer a été explicite : « On ne se parlera pas de grève. On ne provoquera pas de ruptures de services. » Mais c’est la CAQ qui, avec sa gestion criminelle de la pandémie, menace d’engendrer des ruptures de services! Le but d’une grève serait précisément d’empêcher la dislocation des services en commençant par améliorer les conditions de travail. Nous ne devrions pas répéter les arguments du patronat, qui disent toujours qu’une grève est une nuisance pour les services.

Dans la santé, la grève semble aussi exclue par la direction de la FIQ-APTS et des autres syndicats, malgré les conditions inhumaines imposées au personnel. Certains sur la gauche sont même plus explicites que la bureaucratie syndicale, affirmant qu’en santé, la grève légale est inutile, et que la grève illégale est impossible. C’est une perspective qui garantit la défaite. D’ailleurs, ils feraient bien de regarder l’exemple de l’Alberta, où des grèves sauvages ont éclaté dans une cinquantaine d’hôpitaux de la province pas plus tard qu’il y a trois semaines. En se préparant à l’avance, il n’y a pas de raison pourquoi nous ne pourrions pas en organiser ici aussi.

Soyons clairs. Une grève ne peut pas être déclenchée du jour au lendemain. La lutte de classe des travailleurs, ce n’est pas comme un robinet qu’on peut simplement fermer et ouvrir quand on veut. Mais la réalité est que toute l’histoire du mouvement ouvrier démontre que l’on n’obtient rien sans menacer d’aller jusqu’au bout. Nous devons mettre l’avant l’idée d’organiser une grève dans nos syndicats et demander, partout où nous le pouvons, que nos dirigeants élaborent un plan pour y arriver. Si les moyens de pression des syndicats du secteur public excluent la grève, alors le gouvernement continuera de rire de nous, pendant que les services s’effondrent.

Pas de temps à perdre!

Heureusement, une pression à la base existe et pousse dans la direction d’une véritable lutte avec la CAQ. Un exemple est ce qui se passe à la Fédération des syndicats de l’enseignement (FSE-CSQ). 

Le 9 novembre dernier, la présidente du syndicat, Josée Scalabrini, affirmait que le syndicat prépare une escalade des moyens de pression incluant des « coups d’éclat », des « événements-surprises », et même la grève si nécessaire. La dirigeante a expliqué sans détour d’où vient cette idée : « À ma grande surprise, ce n’est pas l’organisation syndicale qui a amené les discussions sur la grève, c’est la base, ce sont les enseignants qui nous ont dit “s’il faut aller en grève, on va y aller”. » La pression de la base force la direction à mettre de l’avant l’idée d’une grève. C’est un pas dans la bonne direction!

De même, en Estrie, le président du Conseil central de la CSN de la région, Denis Beaudin, a récemment commenté les négos ainsi : « Si ça continue, il va falloir sérieusement songer à la grève. Il faut absolument s’entendre, parce qu’on ne veut pas aller vers la grève. » 

Dans un sens, M. Beaudin a raison. Personne ne veut faire la grève. La grève est un moyen de dernier recours pour faire plier les patrons ou leurs représentants au gouvernement. Mais nous y sommes. La CAQ ne bouge pas, et les services publics n’ont jamais été en aussi mauvais état. L’organisation d’une grève ne garantit pas la victoire; mais renoncer à une grève garantit la défaite. 

Il n’y a plus de temps à perdre. Les directions syndicales doivent organiser une escalade des moyens de pression qui inclut une grève de 24 heures. Ce serait un bon point de départ pour montrer à la CAQ que nous ne sommes pas là pour niaiser. 

Avec l’impasse totale des négos, la possibilité d’une loi spéciale a été récemment évoquée par la FTQ. Il est positif que quelqu’un évoque tout haut ce à quoi beaucoup de travailleurs pensent tout bas. Les lois spéciales sont un vrai cancer dans le mouvement syndical. Mais il faut tirer des conclusions de cette réelle possibilité. Il faut que nos directions syndicales aient un plan visant à défier ces lois antisyndicales, si et quand elles sont adoptées. 

Une victoire des travailleurs du secteur public dans ces négociations serait une victoire de tous les travailleurs du Québec. Un exemple positif est plus que jamais nécessaire – car d’autres grandes luttes contre le patronat et la CAQ seront certainement très bientôt à l’ordre du jour.