Joyce Echaquan, femme autochtone et mère de sept enfants, est décédée le 28 septembre dans l’hôpital de Joliette. C’était après avoir filmé son appel à l’aide, affirmant qu’elle a été surmédicamentée par les infirmières. Dans la vidéo on voit des infirmières ou préposés l’insulter et tenir des propos racistes. Carol Dubé, le conjoint de Joyce, est catégorique : « Le racisme systémique a contaminé l’hôpital de Joliette et a tué ma conjointe. »

La mort de Joyce a causé une vague de choc sur l’ensemble de la province. Des vigiles et manifestations ont été organisées un peu partout au Québec. Deux employés de l’hôpital ont été licenciés et deux enquêtes ont été ouvertes. Après la tragédie, plusieurs membres de la communauté atikamekw ont témoigné de leurs expériences traumatisantes aux mains du personnel de l’hôpital de Joliette : propos racistes répétés, comportements discriminatoires et négligence criminelle menant à un décès prématuré.

Inaction complète

Malheureusement, cette tragédie n’a rien de surprenant. Un an plus tôt, le rapport de la Commission Viens démontrait que l’État québécois perpétue des pratiques discriminatoires envers les Autochtones et que ces derniers souffrent de « discrimination systémique ». Concernant l’hôpital de Joliette spécifiquement, on pouvait lire : « […] on a eu beaucoup de témoignages et également de déclarations qui ont été déposés devant la Commission qui indiquaient une insatisfaction généralisée des Atikamekw à l’égard de l’hôpital de Joliette. […] on parle d’environ vingt (20) personnes ».

Le grand chef de la Nation Atikamekw, Constant Awashish, soutient que peu de choses ont changé depuis. En effet, sur les 142 recommandations du rapport, seulement deux appels à l’action ont été mis en œuvre par le gouvernement Legault, et une cinquantaine seraient « en chantier ». Manon Massé affirme cependant que ses questions concernant ces chantiers sont restées sans réponse

Quelles ont donc été les actions concrètes du gouvernement?

Le 2 octobre 2019, François Legault présentait des excuses aux Premières Nations et aux Inuits. Le 8 octobre, l’Assemblée nationale du Québec adoptait une motion à l’unanimité qui reconnaissait les grands principes de la Déclaration des Nations unies sur les peuples autochtones. Depuis, plus rien. Quelques paroles vides et un bout de papier. 

De plus, alors même que la commission avait été mise sur pied suivant les dénonciations par des femmes autochtones de violences commises par des policiers de Val-d’Or, la présidente de Femmes autochtones du Québec, Viviane Michel, constate que même dans le rapport « il n’y a absolument rien pour la protection des femmes ».

Racisme systémique ou cas individuels?

Cet événement tragique a remis à l’avant-plan le débat sur le racisme systémique. Alors que le grand chef de la Nation Atikamekw et le chef de l’Assemblée des Premières Nations Québec et Labrador (APNLQ) demandent à François Legault de cesser de nier la présence de racisme systémique au Québec, les politiciens de l’establishment et leurs idéologues s’enfoncent dans leur déni du racisme systémique. 

L’idéologue nationaliste de droite Mathieu Bock-Côté a clairement exposé l’argument lors d’un débat à TVA : « On est devant une manifestation indéniable de racisme individuel qu’on doit condamner […] mais est-ce que c’est une manifestation de racisme systémique au sens même où les théoriciens du racisme systémique le définissent, non. » François Legault fait écho à ces propos : « Il y a du racisme au Québec, il faut combattre ce racisme. L’infirmière, ce qu’elle a dit, c’est totalement inacceptable, et elle a été congédiée. Maintenant de penser que toutes les infirmières ou tout le système de la santé auraient eu cette réaction, tout le monde va dire ben non ». Geneviève Guilbault, la vice-première ministre, abondait dans le même sens à l’émission Tout le monde en parle

Il n’est pas surprenant que ces personnes de droite nient quelque chose d’aussi évident que le racisme systémique contre les Autochtones. Après tout, ils ont passé les dernières années à perpétuer le racisme contre les immigrants et les minorités religieuses. Bock-Côté, dont Legault est un fan, a été un théoricien central derrière le tournant identitaire du mouvement nationaliste. Les principales victimes en ont été les immigrants et les minorités religieuses en particulier. Ces idées ont connu leur première grande percée dans la politique gouvernementale avec la « charte des valeurs » du Parti québécois en 2013. La CAQ poursuit cette tradition depuis son arrivée au pouvoir en 2018 avec la mise en œuvre de la loi 21, son test des « valeurs québécoises » et ses tentatives de limiter les droits des étudiants étrangers. 

Le Parti libéral du Québec n’est pas mieux. Quand on a demandé à sa cheffe Dominique Anglade si elle considérait la mort de Joyce comme un cas de racisme systémique, elle a soutenu qu’il s’agissait d’une situation « inacceptable » qu’elle ne peut que « condamner », évitant scrupuleusement de répondre directement à la question. On ne doit pas oublier que ce sont les libéraux qui ont trahi les minorités religieuses en interdisant le port du voile avec leur loi 62 en 2017.

Au milieu de cette guerre idéologique, les politiciens et les journalistes de l’establishment québécois ont systématiquement nié l’existence du racisme systémique au Québec. Lorsque Québec solidaire a proposé une résolution cet été condamnant le racisme systémique, les autres partis n’ont voté pour cette résolution qu’une fois le mot « systémique » retiré. La situation a atteint le comble du ridicule en juin lorsque le Bloc Québécois a nié l’existence du racisme systémique dans la GRC, même après que la commissaire de la GRC l’ait elle-même reconnue. Par conséquent, bien que l’axe principal de cette propagande identitaire nationaliste a été les attaques contre les immigrants et les minorités religieuses, il n’est pas surprenant que ces mêmes politiciens et démagogues nient également l’existence d’un racisme systémique envers les Autochtones.

L’establishment capitaliste au Québec a alimenté un climat général de xénophobie, afin de détourner le dialogue de la politique de classe, et faire d’une partie ou l’autre de la population un bouc émissaire. Cela a été essentiel pour la classe capitaliste du Québec, qui a eu peur face aux mouvements de masse étudiants et ouvriers de 2012-2015. Ils poussent constamment ces « débats » afin de diviser les travailleurs et les détourner du véritable ennemi. 

Du sang sur les mains

Et n’oublions pas que ces mêmes politiciens et journalistes ont récemment pointé leurs fusils directement contre les Autochtones. Cet été, trente ans après la Crise d’Oka, où l’État a eu recours à la brutalité de la police et de l’armée pour écraser les Autochtones, Mathieu Bock-Côté s’en est pris aux Mohawks : « ils nous ont pris en otage », ils « n’aiment rien tant que provoquer la société québécoise ».

Cette analyse va de pair avec le rejet du fait que les terres que nous habitons actuellement sont des territoires autochtones non cédés. « Nous ne sommes pas des voleurs de terre, mais les fondateurs d’un pays, » disait Bock-Côté. Pour lui, reconnaitre que nous vivons sur des terres non-cédées est une soumission à la propagande culpabilisante anglo-canadienne anti-québécoise, puisque comme il le dit, les Mohawks étaient « alliés des Anglais et les ennemis des Français ».

Rappelons-nous également comment ces personnes ont agi face au mouvement de solidarité avec les Wet’suwet’en en janvier dernier. Richard Martineau a attaqué les Wet’suwet’en qui s’opposaient au projet de pipeline sur leur territoire, en critiquant leurs formes de gouvernance traditionnelles. Lorsque les Mohawks à Kahnawake ont érigé un blocage des voies ferrées en solidarité, Legault s’est empressé d’aller à la rescousse de Trudeau et des pétrolières en calomniant les Mohawks, prétextant qu’ils avaient des armes « offensives, dangereuses », dont des AK-47.

Il est clair qu’on ne peut pas avoir confiance dans la CAQ pour combattre le racisme systémique. Leur déni du caractère systémique du racisme et leur inaction constante sont dus au fait que le racisme est une arme essentielle pour la classe dirigeante afin de maintenir divisés les travailleurs et les opprimés. Plutôt que de blâmer la CAQ et les gouvernements capitalistes successifs qui ont sous-financé et brisé le système de santé, l’infirmière de Joliette culpabilisait Joyce en lui disant « on paie pour ça ». La classe dirigeante perpétue aussi le racisme afin de justifier les pipelines et les compagnies d’exploitation minière et forestière sur les territoires autochtones. Les Bock-Côté et Martineau se sont avérés très utiles à la classe dirigeante, en orientant les débats publics vers un bouc émissaire après l’autre. Des événements tragiques comme la mort de Joyce Echaquan sont les résultats de ce processus. Tous ces gens ont du sang sur les mains.

Les racines du racisme systémique anti-Autochtone : la colonisation capitaliste

Mais qu’est-ce que le racisme systémique ? Bock-Côté définit le racisme systémique comme suit : « un système qui produit des effets racistes repérables dans des disparités statistiques entre les groupes qui composent la population ». À la lumière de cette définition, il apparait très clairement que cette situation existe à l’égard des Autochtones au Canada et au Québec. 

Cependant, c’est une chose de reconnaître qu’un phénomène existe, c’en est une autre de le combattre. Pour combattre le racisme systémique, il faut comprendre d’où il vient. Quel est le « système » qui produit le racisme?

Manon Massé, dans son discours à la manifestation #JusticeforJoyce du 3 octobre, affirme : « Le colonialisme a pollué l’esprit des blancs. Je nous la souhaite, la révolution du cœur. Parce que c’est juste comme ça qu’on va pouvoir réellement changer les choses. C’est comme ça qu’on va réussir à faire changer d’idées M. Legault, qui a un discours méprisant envers les Premières Nations. » Malheureusement, cette idée que le racisme n’est qu’un système d’idées renverse tout sur sa tête. Il s’agit d’une conception totalement idéaliste de ce qu’est le racisme. Le racisme contre les Autochtones a une base matérielle et une longue histoire. 

Le racisme systémique anti-Autochtone est le résultat des siècles d’exploitation brutale et de génocide culturel des Autochtones par le capitalisme canadien et québécois. Cela même M. Viens l’avait reconnu. Afin de soumettre les Autochtones à la domination de la classe dirigeante capitaliste, l’État colonial canadien a forcé les Premières Nations à la réclusion dans des réserves, volé leurs terres et détruit leur mode de vie traditionnel (communal). Puis l’État perpétua un génocide culturel à travers les pensionnats autochtones, dont le dernier n’a été fermé qu’en 1996. Environ 150 000 enfants autochtones ont été arrachés à leur famille, enlevés, coupés de leur culture, interdits de parler leur langue, et jetés dans des conditions horribles de maltraitance et de violences physiques et sexuelles.

À l’heure actuelle, les Autochtones sont un des groupes les plus opprimés au Québec et au Canada. L’eau n’est pas potable dans de nombreuses réserves. Il y a une pénurie de 85 000 logements sur les réserves, plus de 80% des réserves ont un revenu médian inférieur au taux de pauvreté, 46% des admissions dans les services correctionnels sont des jeunes autochtones, alors qu’ils forment 8% de la population des jeunes (Statistiques Canada, 2016-2017). Le taux de suicide est cinq à six fois plus élevé chez les jeunes autochtones que chez les jeunes non-autochtones. Les femmes autochtones vivent avec un revenu annuel moyen de 13 300 dollars. La pauvreté les rend plus vulnérables à la violence, la toxicomanie, l’itinérance, le travail du sexe, etc. Entre 1 200 et 4 000 femmes autochtones sont disparues ou ont été assassinées au cours des trois dernières décennies.

C’est sur la base de ces conditions de misère que des idées racistes sont propagées afin de justifier cette horrible situation. On a pu le voir avec les propos racistes du personnel de la santé à Joliette : « On va s’occuper de toi parce que tu n’es pas capable de t’occuper de toi » et « T’es épaisse en câlisse » en parlant à Joyce, ainsi qu’un médecin qui a demandé à un autre patient autochtone de signer un refus de traitement en terminant avec « tu crisses ton camp ».

Combattre le mal à la racine

L’horreur à l’hôpital de Joliette a causé une vague d’indignation, et les militants, les jeunes et les travailleurs cherchent des solutions pour mettre fin à l’oppression des Autochtones. 

Jusqu’à présent, la direction de Québec solidaire a maintenu l’approche erronée de vouloir changer d’avis le gouvernement. Avec l’adoption de la motion l’an dernier par l’Assemblée nationale appuyant la Déclaration des Nations unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA), Manon Massé croyait qu’on était sur une bonne voie. « Mais force est de constater qu’un an plus tard, ça s’est arrêté le 8 octobre. » « Mes déceptions sont grandes, alors je ne peux même pas imaginer le niveau de déception des gens des Premières Nations. » La gazelle a autant raison d’être « déçue » que le lion veuille la manger que QS devrait être déçu de l’inaction de la CAQ raciste.

En réponse au meurtre de Joyce Echaquan, Québec solidaire vient de déposer une motion au parlement cherchant à contraindre le premier ministre du Québec à s’entendre rapidement avec les autorités autochtones pour mettre en œuvre la (DNUDPA). Dans son communiqué du 1er octobre, QS déclare que « La route est encore longue avant de parler de réconciliation, mais en deux ans, Québec solidaire a joué et continuera à jouer un rôle crucial pour faire cheminer le gouvernement caquiste dans la bonne direction. » Et pourtant, si l’adoption de la Déclaration des Nations unies l’an passé n’a engendré aucune action du gouvernement, peut-on vraiment espérer qu’une loi garantissant l’application de la Déclaration des Nations Unies mènera à quoi que ce soit? On ne peut pas avoir d’illusions qu’on pourra d’une manière ou d’une autre forcer la CAQ à changer d’avis. 

L’oppression systémique des Autochtones n’est pas qu’une « culture » ou une « idéologie » véhiculant des préjugés ou des comportements discriminatoires. Le racisme systémique n’est pas que des « mauvaises idées » présentes dans la tête de quelques personnes. Ces idées ont un fondement matériel qu’il faut combattre : ce fondement, c’est le capitalisme. Une « révolution du cœur » est donc insuffisante pour combattre cette menace. D’ailleurs, des sondages récents ont montré que la grande majorité de la population du Québec est du côté des Autochtones. 

Le racisme systémique anti-Autochtone prend assise dans les conditions socio-économiques effroyables dans lesquelles vivent les Premières Nations. Et ces conditions sont un produit direct du système capitaliste canadien et québécois, et de l’État capitaliste, qui ont violenté et volé les Autochtones pendant des siècles et qui continuent de le faire. Autrement dit, le système derrière le « racisme systémique » n’est rien de moins que le système capitaliste, c’est-à-dire la domination des grandes entreprises et la production pour le profit des riches parasites.

De manière analogue, Martin Luther King avait brillamment expliqué le lien entre la lutte pour l’émancipation des Afro-Américains et leurs conditions socio-économiques : 

On ne peut pas parler de résoudre le problème économique des Noirs sans parler des milliards de dollars nécessaires. On ne peut pas parler de mettre fin aux bidonvilles sans d’abord dire que le système des profits ne doit plus organiser les bidonvilles. Dans ce cas, vous êtes vraiment en train de ficher le bordel et de vous placer sur un terrain dangereux parce que vous vous frottez à certaines personnes. Vous vous en prenez aux capitaines d’industrie. Maintenant, cela signifie que nous sommes en terrain difficile, parce que cela implique vraiment que nous disons que quelque chose ne va pas avec le capitalisme.

Il ne fait aucun doute qu’il existe suffisamment de ressources pour mettre un terme à la pauvreté des communautés autochtones. Il est grand temps que le mouvement ouvrier et la gauche mènent une campagne de revendications concrètes visant à enrayer ce fléau. Nous devons exiger que de l’eau potable soit fournie, de bons logements construits, de bons emplois offerts, et faire payer les patrons pour ces mesures. Cela doit être combiné avec une campagne générale contre le racisme, peu importe où il se manifeste.

Cependant, on peut s’attendre à ce que les patrons ne veuillent pas payer. C’est parce que les revendications mentionnées plus haut entrent directement en contradiction avec la course au profit qui se trouve au cœur du système capitaliste. Tant que l’État restera sous le contrôle des capitalistes et de leurs représentants dans les partis patronaux, la quête de profit maintiendra les Autochtones dans des conditions d’oppression et perpétuera le racisme pour justifier cette situation. Il ne peut y avoir de « réconciliation » entre les Autochtones et la classe dirigeante qui est responsable du racisme systémique. Les Wet’suwet’en l’ont bien résumé en janvier dernier : « La réconciliation est morte, la révolution vit ». 

En lieu et place d’une révolution du cœur, il nous faut une révolution socialiste. Les travailleurs autochtones et non-autochtones doivent s’allier dans une lutte révolutionnaire pour renverser le système capitaliste raciste, et lutter côte à côte pour des politiques socialistes qui mettront un terme aux siècles de génocide et de répression envers les Autochtones. De cette manière, nous pourrons enfin trouver justice pour Joyce et toutes les autres victimes de l’État canadien, québécois et de leur système.