L’impôt sur la richesse proposé par le NPD peut-il régler la crise?

Au début du mois de novembre, le NPD a annoncé qu’il allait proposer un nouvel impôt sur les plus riches au pays. Nous l’avons dit depuis le début : les patrons doivent payer. Mais est-ce qu’un impôt de 1% est la meilleure façon de le faire, ou faudrait-il aller plus loin?

  • Simon Berger
  • mer. 2 déc. 2020
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Au début du mois de novembre, le NPD a annoncé qu’il allait proposer un nouvel impôt sur les plus riches au pays. Le parti met de l’avant deux mesures : un impôt de 1% sur toute richesse de plus de 20 millions de dollars, et un impôt sur les profits excessifs réalisés par les compagnies qui ont profité de la pandémie. Il est vrai que jusqu’à maintenant, ce sont les travailleurs, et surtout les travailleurs pauvres, qui ont encaissé le choc de la pandémie, pendant que les plus riches s’enrichissent. Nous l’avons dit depuis le début : les patrons doivent payer. Mais est-ce qu’un impôt — un impôt de 1% — est la meilleure façon de le faire, ou faudrait-il aller plus loin?

La croissance des inégalités

En septembre dernier, le Centre canadien de politiques alternatives rapportait que les milliardaires canadiens s’étaient enrichis de près de 40 milliards $ depuis le début de la pandémie. De l’autre côté, des milliers de travailleurs ont perdu leur emploi. Des locataires de partout à travers le pays peinent à payer leur loyer. Les deux tiers des Canadiens endettés n’arrivent plus à payer leurs dettes ou doivent faire des sacrifices pour y arriver. Sur à peu près tous les fronts, les riches s’enrichissent, et les pauvres s’appauvrissent. Nous vivons une « reprise économique en K », qui approfondit le gouffre des inégalités et frappe le plus durement les travailleurs pauvres, les personnes marginalisées, et les jeunes.

Il n’est donc pas surprenant que l’idée d’un impôt sur la richesse soit de plus en plus populaire. En effet, un sondage d’Abacus Data publié le 19 novembre dernier montrait que 79% des Canadiens supportent ou soutiennent fortement un impôt de 1% sur ceux possédant une richesse de plus de 20 millions de dollars, et 68% appuient l’idée d’un impôt sur les profits exceptionnels causés par la pandémie. Ces chiffres témoignent de la vague de mécontentement de la population générale envers la croissance des inégalités.

Les socialistes accueillent ce sentiment avec enthousiasme. Cependant, il faut aussi réaliser que de telles mesures ne vont pas régler la cause fondamentale de la montée des inégalités. En fait, elles sont beaucoup trop modestes et risquent, au fond, de ne rien accomplir du tout.

Imposer les riches, mais pas trop

Parlons d’abord de l’impôt de 1%. Ce chiffre n’est-il pas minuscule? La plupart des familles canadiennes sont imposées à un taux des dizaines de fois plus élevées – et elles n’ont pas des fortunes de 20 millions de dollars! La classe ouvrière doit reprendre ce qu’elle mérite, mais elle mérite plus que quelques miettes.

Selon le Bureau du directeur parlementaire du budget (DPB), cette nouvelle taxe serait payée par environ 13 000 familles au pays et permettrait de récolter 5,6 milliards de dollars. On nous dit que ce n’est pas rien, quand même. Mais qu’est-ce que représentent vraiment 5,6 milliards de dollars? Le 16 novembre, le NPD a proposé une motion symbolique sur les deux nouvelles mesures d’imposition au Parlement. Sa proposition mentionnait que « les milliards de dollars tirés de ces mesures [permettraient au gouvernement] : a) d’élargir les programmes de sécurité du revenu pour que toutes les personnes vivant au Canada disposent d’un revenu de subsistance garanti; b) d’élargir le régime de soins de santé en mettant sur pied un régime national de soins dentaires et un régime d’assurance-médicaments public, universel et à payeur unique; c) de mettre en œuvre concrètement le droit au logement. » Un revenu stable, un système de santé élargi et le droit au logement sont toutes des réformes extrêmement importantes que la classe ouvrière doit conquérir. Mais 5,6 milliards $ ne peuvent pas les financer. Par exemple, un rapport gouvernemental montre qu’une assurance-médicaments universelle et publique coûterait environ 15 milliards de dollars annuellement. Et que dire du revenu minimum garanti, d’une assurance-dentaire et du droit au logement? Clairement, 1% est tout simplement insuffisant pour payer ce dont la classe ouvrière a besoin.

Cependant, il y a une logique derrière cette proposition du NPD. Les économistes de droite critiquent (à juste titre) les hausses d’impôts réformistes comme pouvant entraîner des fuites de capitaux. Ici, les marxistes sont d’accord avec les capitalistes orthodoxes. Si on impose les riches, ils n’investissent pas et toute l’économie capitaliste se retrouve paralysée. Ils cachent leur argent dans des paradis fiscaux aux Caraïbes pendant que les travailleurs du Canada perdent leur emploi. En réponse, le NPD a fait des calculs savants et a déterminé qu’avec un impôt de 1% seulement, ça ne vaut pas la peine pour les entreprises de se casser la tête et d’embaucher des comptables pour sauver une toute petite partie de leurs 20 millions.

Le problème avec la tactique du NPD est qu’elle nous donne une somme d’argent minuscule, sans compter le fait qu’elle sous-estime la mesquinerie et l’hostilité politique des capitalistes envers un gouvernement réformiste. Il ne faut pas oublier que Conrad Black a mené une campagne pour une grève du capital contre les mesures tout aussi modérées du gouvernement NPD de Bob Rae au début des années 1990. Les patrons résisteraient probablement à cette mesure mineure même si cela leur coûte plus d’argent pour le faire.

En fait, ils sont déjà en train de résister! Le 16 novembre dernier, les députés libéraux, conservateurs et du Bloc québécois ont fait front commun pour rejeter une motion purement symbolique du NPD sur le nouvel impôt. Il n’y a là rien d’anormal, puisque ces partis représentent la bourgeoisie canadienne et québécoise. La classe dirigeante ne veut pas concéder un pouce à ces nouvelles mesures, de peur de nourrir des espoirs en des mesures plus radicales par la suite.

Il semblerait que les bureaucrates du NPD, qui ont perdu toute volonté de lutter, sous-estiment grandement l’opposition des capitalistes. Ils croyaient pouvoir leur faire accepter de donner des miettes de leur richesse de plein gré, après une bonne discussion cordiale dans la Chambre des communes virtuelle. Au contraire, de telles mesures — et des mesures beaucoup plus audacieuses — ne peuvent être gagnées qu’à travers la lutte de classes.

Profiter d’une pandémie pour s’en mettre plein les poches

Pour ce qui est de l’impôt sur les profits excessifs, cette idée est un peu plus intéressante. Il est complètement ridicule que de grandes compagnies aient profité d’une pandémie qui a causé des pertes d’emplois (et de vies) massives pour engranger encore plus de profits qu’à l’habitude. Par exemple, Loblaws a récolté des profits nets de plus de 700 millions de dollars lors du troisième trimestre de 2020, ce qui représente une augmentation d’environ 3% comparé à la même période l’an dernier. Galen Weston et sa famille, qui sont propriétaires de Loblaws, ont augmenté leur richesse personnelle de plus de 1,6 milliards $ depuis le début de la pandémie. Au même moment, les primes COVID ont été coupées dès juin et les travailleurs ont été ramenés à des salaires de misère

Un impôt sur les profits excessifs serait un pas dans la bonne direction. Mais encore une fois, le NPD aurait dû aller plus loin. Jagmeet Singh a mentionné en entrevue que, pour les profits supplémentaires, le taux d’imposition des entreprises devrait être doublé, ce qui l’amènerait de 15% à 30% — sans compter les différentes réductions que de nombreuses entreprises exploitent. Mais 30% n’est pas suffisant: tous les profits supplémentaires dus à la pandémie devraient être expropriés et utilisés pour protéger les plus vulnérables, investir en santé, améliorer la recherche de contacts, contribuer à la recherche pour un vaccin, maintenir les salaires des gens mis à pied, fournir du matériel de protection, etc. La classe dirigeante aime dire qu’on est « tous dans le même bateau ». Si c’est vrai, alors ceux qui ont bénéficié le plus devraient aider ceux qui ont sacrifié le plus.

C’est complètement scandaleux qu’une minorité d’actionnaires continuent à s’en mettre plein les poches alors que le manque de mesures suffisantes cause des morts. Et c’est encore pire que ce soit précisément à cause de la pandémie qu’ils s’enrichissent. Ils n’ont aucune justification.

Comment faire payer les patrons?

Les socialistes saluent l’engouement pour des mesures d’imposition des plus riches. La population pointe dans la bonne direction : il faut faire payer les patrons. Cependant, un programme réformiste d’imposition n’est pas suffisant. Face à des impôts plus élevés, les riches se contenteraient de cacher leur richesse dans des paradis fiscaux, cesseraient leurs investissements et déplaceraient leurs activités ailleurs. Cela n’entraînerait que des pertes d’emplois pour les travailleurs canadiens.

La droite dit alors : voilà! Des impôts bas et le libre marché sont la seule solution! Mais ce serait ignorer le fait que la crise actuelle a montré que le libre marché est totalement incapable de régler quoi que ce soit. Lors du premier confinement, des centaines d’entreprises non essentielles ont immédiatement mis à pied leurs travailleurs. Lorsqu’elles ont été renflouées grâce à la subvention salariale d’urgence (que le NPD a scandaleusement soutenue), elles ont stocké l’argent afin de protéger la chose la plus importante sous le capitalisme : leurs profits. La production pour le profit est la cause fondamentale de l’augmentation des inégalités et de la fameuse « reprise en K ».

N’y a-t-il donc aucune solution? Heureusement, le marxisme a la réponse : les riches doivent être obligés de payer, et s’ils essaient de s’enfuir avec leur argent et de détruire des centaines d’emplois en même temps, alors nous devons nationaliser leurs entreprises. C’est la seule solution réaliste au problème de la fuite des capitaux, même si les réformistes « pragmatiques » tentent de l’éviter.

Certains diront que nous ne pouvons pas nous permettre de payer pour ces nationalisations.  Mais nous avons déjà payé pour ces entreprises. Dans chaque crise, y compris celle-ci, des milliards de dollars sortent directement des poches des contribuables pour sauver les pauvres capitalistes de la faillite. Nous avons déjà payé cent fois à travers des décennies de sauvetages financiers (bailouts), de réductions d’impôts, d’aide sociale aux entreprises, de vol de salaires, d’évasion fiscale, et à travers le travail non rémunéré de la classe ouvrière, dont les capitalistes dépendent pour leur existence. Ces entreprises devraient appartenir à la classe ouvrière. C’est pourquoi les marxistes disent : il faut nationaliser sans compensation ces entreprises.

Nous ne paierons pas pour leur crise!

La pandémie de COVID-19 a considérablement exacerbé les inégalités existantes, et de plus en plus de personnes arrivent à la conclusion que les plus riches doivent payer pour la crise. Cependant, les réformes fiscales ne suffisent pas : tant que l’économie restera aux mains de la classe dirigeante, celle-ci trouvera un moyen de ne pas payer.

La seule solution à cette situation est de reprendre le contrôle de notre économie. Les entreprises sur le bord de la faillite ne devraient pas être renflouées avec l’argent public, mais être nationalisées sous contrôle ouvrier afin de sauver les emplois. Ces compagnies pourraient ensuite être intégrées dans un plan économique socialiste rationnel et démocratique, dont le but premier serait de combler les besoins de la population, et non de satisfaire la cupidité d’une minorité. Cela couperait la croissance des inégalités à la source et permettrait de renforcer de manière importante de la lutte contre la pandémie.

Nous disons : non aux sauvetages financiers, oui aux nationalisations. Nous ne paierons pas pour leur crise! Ce slogan, énergiquement défendu dans le mouvement par le NPD, Québec solidaire, les syndicats et le reste de la gauche, pourrait très bien connecter avec la colère qui s’accumule de plus en plus dans la population. C’est la seule façon pour les travailleurs de sortir de la crise.