La politique canadienne a été infectée par un débat sur le niqab. Les chefs des partis fédéraux se sont échangé des flèches sur le sujet dans des déclarations publiques ainsi que durant le débat des chefs en français. Le premier ministre Stephen Harper s’est, ironiquement, posé en grand libérateur des femmes, après avoir déclaré que le niqab était «enraciné dans une culture misogyne». Aux prises avec le scandale de la corruption au Sénat et une économie chancelante, les conservateurs – qui semblent avoir repris vie dans les sondages – ont vu dans ce débat sur le niqab un véritable cadeau des dieux. Mais quel est le véritable sujet du débat ?

Cet enjeu ne peut être isolé du contexte général dans lequel il survient. Il fait partie de la soi-disant «guerre contre le terrorisme» avec tout le discours raciste et islamophobe et le processus de bouc émissaire qui l’entoure. Le débat sur le niqab n’est qu’une parcelle du mouvement visant à dépeindre les musulman-nes comme étant l’Ennemi, pour créer un climat de peur et justifier les campagnes de bombardements des conservateurs en Irak et en Syrie.

Au Québec, le débat a une signification plus vaste car il est le reflet du récent débat raciste sur la «Charte des valeurs québécoises» qui en a déconcerté plus d’un même à gauche. Les conservateurs ont même trouvé d’étranges partenaires en Gilles Duceppe et le Bloc Québécois qui, faisant face à l’extinction électorale, se sont découvert un nouvel intérêt pour les cérémonies de citoyenneté canadienne. Surtout au Québec, ce débat est enfoncé dans le discours politique pour brouiller les pistes, dans le but de distraire le public de sujets plus importants. En effet, il est incroyable de constater toute l’attention réservée à un sujet qui n’affecte réellement qu’une douzaine de personnes par année. Mais si nous jetons un coup d’œil aux récents sondages sur cet enjeu, il est facile de comprendre pourquoi. Un sondage produit en mars par Forum Research a conclu que 67% des Canadien-nes supportaient la position du gouvernement sur le niqab alors qu’un sondage d’Ipsos a trouvé qu’un immense 88% appuie l’obligation d’avoir le visage découvert durant les cérémonies de citoyenneté. Au Québec, le support à l’interdiction du niqab monte à plus de 93% selon une étude menée par le Privy Council. Par pur opportunisme politique, les politiciens québécois ont sauté dans le train anti-niqab. Cela inclut les maires de Montréal et Québec, ainsi que quelques députés du NPD qui ont fait des sorties publiques pour se distancer de la position de leur parti. De plus, dans une alliance étrange de la gauche et de la droite, des fédéralistes et des souverainistes, les quatre partis à l’Assemblée nationale du Québec prônent tous une forme ou une autre d’interdiction de signes religieux dans la fonction publique.

Soyons parfaitement clairs : ce débat sur le niqab n’a absolument rien à voir avec l’émancipation des femmes. L’hypocrisie des conservateurs se portant supposément à la défense des femmes ne pourrait pas être plus flagrante. Depuis 2006, les conservateurs ont réduit de 37% le budget de Condition féminine Canada, entraînant la fermeture de 12 de ses 16 bureaux régionaux, avec comme résultat que les centres pour femmes et les centres de crise en cas de viol sont devenus inéligibles au financement et ont dû fermer partout au pays. De plus, le gouvernement a refusé de lancer une enquête sur les femmes autochtones disparues et assassinées à travers le pays, Harper affirmant que « nous ne devrions pas voir ceci comme un phénomène sociologique.» De plus, la nouvelle passion de Harper pour la défense des musulmanes a semblé lui échapper quand il a cautionné une vente d’armes de 15 milliards de dollars au régime réactionnaire d’Arabie saoudite, qui ne permet même pas aux femmes de voter et qui a décapité deux fois plus de personnes que l’État islamique cette année. Ce débat sur le niqab vaut autant pour la condition de la femme que la guerre en Irak et en Afghanistan, c’est-à-dire absolument rien.

Tout de même, Thomas Mulcair et le NPD ont défendu une position généralement correcte sur le sujet. Durant l’un des débats, Mulcair a dénoncé le Premier ministre en disant «Harper tente de cacher son bilan sous un niqab.» Il a aussi décrit le débat sur le niqab comme une «arme de distraction massive.» Tout ce que ce débat a fait est qu’il a détourné l’attention loin des politiques pro-riches des conservateurs et contribué à diviser les gens sur un enjeu presque impertinent.

L’État n’a pas sa place dans les garde-robes de la nation

Quelle est donc la position des marxistes dans ce débat ? Dans un pays comme l’Arabie saoudite, les coutumes dans le genre du niqab représentent une forme d’oppression d’État imposée aux femmes contre leur droit de choisir. Refuser de porter le niqab entraîne souvent une arrestation, un interrogatoire et même des flagellations. En plus de cela, des fanatiques zélés lancent de l’acide au visage des femmes qui refusent de porter le niqab ou le hijab sans être punis ou presque. En effet, dans les pays où des lois islamiques ont été adoptées par l’État, il y a une longue liste d’horribles atrocités commises contre les femmes. Comment pouvons-nous nous débarrasser de ces pratiques misogynes abjectes?

Mulcair a affirmé: «Je comprends bien qu’on puisse y voir un symbole d’infériorité et d’oppression envers les femmes. Et là-dessus, je dois être clair : personne n’a le droit de dire à une femme ce qu’elle doit porter ou ne pas porter.» La tâche de l’émancipation des opprimé-es est une tâche pour les opprimé-es. Aucun grand sauveur ne le fera pour eux. En se battant supposément pour l’émancipation de la femme, les conservateurs d’Harper, en alliance avec les nationalistes québécois et les féministes libérales finissent par utiliser l’État pour ôter aux femmes le droit de choisir. Comme plusieurs commentateurs politiques l’ont noté, cela n’a rien à voir avec le processus d’identification personnelle des requérants de la citoyenneté – il existe déjà un processus par lequel les femmes se dévoilent avant la cérémonie – mais tout à voir avec l’État canadien qui dit aux femmes quoi ne pas porter. Forcer une femme à ôter le niqab est aussi mauvais que de la forcer à le porter.

On ne pourra pas faire disparaître le niqab par la voie légale. Nous devons créer les conditions dans lesquelles les femmes elles-mêmes choisiront de le rejeter. La seule façon réaliste d’y arriver n’est pas par la contrainte et la surveillance de l’État, mais en bâtissant un mouvement de masse unifié des opprimé-es contre toute forme d’oppression et contre le système capitaliste lui-même, lui qui en est la base et qui perpétue toute les ordures pourries que nous voyons dans la société aujourd’hui.