Bolchevisme contre stalinisme

Une des idées reçues les plus répandues sur la révolution russe est que les idées et les méthodes du parti bolchevique de Vladimir Lénine ont inévitablement conduit au régime stalinien et à tous les crimes qui en découlent.

  • Holly Quilty
  • lun. 22 janv. 2024
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Image : Gustav Klutsis, domaine public

Cet article a été publié dans le numéro 1 de Révolution communiste. Vous pouvez vous abonner à Révolution communiste ici.


Une des idées reçues les plus répandues sur la révolution russe est que les idées et les méthodes du parti bolchevique de Vladimir Lénine ont inévitablement conduit au régime stalinien et à tous les crimes qui en découlent. Cet argument prend différentes formes.

Les capitalistes, bien sûr, ne détestent rien de plus que le bolchevisme. Lors de la révolution russe, la classe ouvrière a pris le pouvoir, guidée par le parti bolchevique de Lénine. Les travailleurs ont mis en place un régime entièrement nouveau, sans capitalistes ni propriétaires terriens, fondé sur une économie planifiée démocratiquement. La révolution a fait progresser la société comme jamais auparavant. Les femmes ont obtenu le droit à l’avortement des décennies avant tous les pays capitalistes. Grâce à l’économie planifiée, l’Union soviétique est passée en quelques décennies d’un pays agricole largement sous-développé à une superpuissance mondiale. Le niveau de vie des gens ordinaires a fait un bond en avant : dans les années 1960, ils bénéficiaient d’une éducation et de soins de santé gratuits, ainsi que de biens de consommation tels que des machines à laver et des téléviseurs. Les loyers ont été fixés pendant des décennies : à Moscou, dans les années 1970, le loyer représentait environ 6% du salaire moyen. Les travailleurs ont défendu ce nouveau régime contre une contre-révolution vicieuse. Pour tout cela, la classe dirigeante ne pourra jamais pardonner le bolchevisme.

Mais pour des milliers de jeunes communistes au Canada aujourd’hui, la révolution russe est un phare. Elle brille dans les ténèbres du capitalisme, preuve qu’il existe une échappatoire à ce cauchemar, que les gens ordinaires peuvent et doivent renverser les capitalistes et diriger eux-mêmes la société.

Il est compréhensible que certains parmi ces gens sympathisent avec le stalinisme. Il peut sembler que le stalinisme soit synonyme des réalisations de la révolution d’Octobre. C’est en tout cas ce que Staline voulait nous faire croire. D’autres rejettent totalement le stalinisme, mais veulent comprendre comment la révolution d’Octobre s’est transformée en la monstruosité du stalinisme.

Ce premier numéro de Révolution communiste est, dans tous les cas, l’endroit idéal pour discuter de la véritable nature et de l’origine du stalinisme.

Pour ce faire, nous devons parler de la révolution russe. Il est impossible de comprendre une tendance politique sans se pencher sur son histoire.

La Russie tsariste

Avant la révolution russe, la Russie est encore dirigée par un tsar. Sous l’État policier du tsar, les syndicats et toute organisation socialiste sont illégaux. Les paysans, bien que « libérés » du servage en 1861, sont toujours sous l’emprise des propriétaires fonciers.

Il est difficile d’imaginer à quel point la Russie est sous-développée à l’époque. L’écrasante majorité de la population est composée de paysans qui vivent dans un isolement extrême. Nombre de leurs villages se trouvent à une journée de route de la gare la plus proche. Ils pratiquent encore l’agriculture selon des méthodes médiévales : ils n’ont pas de machinerie. Leurs outils sont la faucille et la charrue tirée par des bœufs. Vivant dans un tel isolement, le paysan moyen est extrêmement ignorant du monde extérieur. Lorsque la Première Guerre mondiale éclate, nombreux sont ceux qui n’ont même pas entendu parler de ce pays appelé Allemagne, contre lequel on leur demande maintenant d’aller se battre jusqu’à la mort.

Parallèlement à cette arriération à la campagne, les villes disposent de l’industrie la plus avancée qui soit. À la fin du 19e siècle, les capitalistes d’Europe de l’Ouest injectent de l’argent en Russie pour profiter de sa main-d’œuvre bon marché. Ils construisent des usines gigantesques, employant des dizaines de milliers de travailleurs et utilisant les techniques les plus sophistiquées.

Une toute nouvelle classe ouvrière constitue alors le personnel de ces usines. Les ouvriers travaillent de longues heures dans de sombres et bruyantes usines. En échange, ils reçoivent un salaire à peine suffisant pour vivre dans la misère. Par exemple, un rapport datant de la fin du 19e siècle constate : 

Les conditions sanitaires dans la colonie ouvrière de Yuzovka sont très propices à la propagation de maladies. La place du marché et les rues sont pleines de crasse. L’air est empesté par la fumée des usines, la poussière de charbon et de chaux, la saleté des fossés et les déchets organiques qui jonchent les rues et les parcs.

Cette nouvelle classe ouvrière n’a pas de tradition réformiste. Elle gravite autour des forces du marxisme révolutionnaire. Ces forces sont organisées avant tout dans le parti bolchevique de Lénine. Les bolcheviks ont fini par attirer à eux les combattants révolutionnaires les meilleurs et les plus résolus. Après une décennie de lutte des classes, y compris l’échec de la révolution de 1905, ils étaient munis d’une expérience révolutionnaire considérable.

Bolchevisme

Les structures organisationnelles des bolcheviks ont toujours été très flexibles. Ils sont passés par une variété énorme de conditions – du travail clandestin dans de petits cercles, au travail légal de masse pendant la révolution de 1905, au travail au parlement et dans les syndicats policiers. Cela nécessitait une grande variété d’approches.

Ainsi, en 1903, lorsque les considérations de protection contre l’État policier et d’exclusion des éléments petits-bourgeois faibles sont primordiales, Lénine est favorable à des critères stricts d’adhésion au parti. Mais en 1905, il insiste sur la nécessité d’ouvrir le parti : « Il faut de jeunes forces. Je conseillerais tout simplement de fusiller sur place ceux qui se permettent de dire que nous manquons d’hommes. Il y a des hommes en Russie, tant qu’on veut. Il faut seulement recruter des jeunes plus largement et plus hardiment, encore plus hardiment et plus largement, toujours plus hardiment et plus largement, sans craindre la jeunesse. » Devant des besoins différents, il fallait des formes d’organisation différentes.

Mais il y a une chose sur laquelle Lénine est loin d’être flexible : la théorie marxiste. La théorie est le fondement du bolchevisme. Lénine avait compris qu’un parti révolutionnaire devait disposer de la théorie la plus avancée. La théorie est comme une boussole : c’est elle et rien d’autre qui donne la compréhension nécessaire pour orienter le parti dans le feu de la lutte des classes. Par exemple, s’il n’avait pas compris le rôle contre-révolutionnaire des libéraux bourgeois, Lénine n’aurait pas compris la nécessité pour la classe ouvrière de prendre le pouvoir. L’occasion de 1917 aurait été perdue.

C’est pourquoi Lénine a toujours défendu avec acharnement la théorie marxiste. Cela ne veut pas dire que le marxisme est un dogme, loin de là. Le marxisme est une théorie scientifique vivante qui explique le développement et les transformations contradictoires de la société et du monde naturel. Naturellement, le marxisme doit prendre en compte les nouveaux développements. Mais Lénine s’est toujours opposé à toute déviation des idées fondamentales du marxisme, en particulier de sa philosophie, le matérialisme dialectique. Ce n’est pas parce que Lénine était un doctrinaire, loin de là. C’est parce qu’une philosophie correcte est indispensable à un parti révolutionnaire et que le matérialisme dialectique est la philosophie la plus élevée jamais développée. Lénine a déjà dit que l’histoire connaît toutes sortes de transformations. Le matérialisme dialectique est la seule philosophie capable de comprendre ces transformations. Sans le matérialisme dialectique, le parti aurait été désarmé.

La révolution russe

Juste avant que la révolution n’éclate, la Russie est engagée dans la désastreuse Première Guerre mondiale. Les forces armées sont sous-équipées : de nombreux soldats partent au combat sans bottes. Sous la direction de généraux incompétents, l’armée est vaincue à plusieurs reprises. Les Allemands conquièrent de vastes zones de la Russie.

Alors que les capitalistes profitent massivement des industries de guerre, des millions de soldats sont tués. Il y a une pénurie de farine. Les files d’attente pour le pain sont monnaie courante.

Ces conditions misérables sont à l’origine de la révolution russe. Mais ce qui est encore plus important, c’est la colère accumulée pendant des décennies de misère, et le régime dont la décomposition est visible par tous.

L’année 1917 commence par une énorme vague de grèves à Petrograd, la capitale de la Russie. La révolution éclate alors le 23 février, Journée internationale des femmes. Les ouvrières manifestent pour la paix et le pain. Plus de 100 000 travailleurs tombent en grève ce jour-là. Le lendemain, plus de la moitié des travailleurs de Petrograd sont en grève. Les balles de la police ne dispersent que temporairement les manifestants. Le mouvement se transforme rapidement en grève générale.

L’armée est appelée à intervenir. Mais les tirs ne durent pas longtemps. L’armée n’est pas prête à défendre le régime tsariste pourri. Les ouvriers fraternisent avec les soldats, qui se mutinent et mettent leurs officiers en état d’arrestation. L’armée tsariste, puissante en apparence, se désintègre. Avant la fin du mois, le tsar est renversé et Petrograd est aux mains des travailleurs. Le reste de la Russie ne tarde pas à suivre.

Avec les soldats, les travailleurs mettent en place des « soviets », le mot russe pour « conseils ». Ceux-ci sont totalement démocratiques – bien plus démocratiques que la démocratie bidon des parlements bourgeois. Organisés en soviets, les travailleurs armés détiennent le pouvoir réel.

Terrifiée par la classe ouvrière, la bourgeoisie met en place le gouvernement provisoire, une manœuvre destinée à neutraliser la révolution. Ce gouvernement n’a que peu de pouvoir réel. En fin de compte, le pouvoir politique doit s’appuyer sur la force, et les troupes abandonnent rapidement le gouvernement provisoire. Mais il continue à gouverner grâce aux mencheviks réformistes et aux socialistes-révolutionnaires (SR), un parti populaire auprès de la paysannerie. Ceux-ci sont les partis dominants dans les soviets après la révolution de février. Ils utilisent leur position de contrôle au sein de l’exécutif des soviets pour maintenir artificiellement en place le gouvernement provisoire.

Le gouvernement provisoire ne résout aucun des problèmes du peuple russe. Il ne fournit pas de pain, ne donne pas la terre aux paysans et ne met pas fin à la guerre – parce qu’il ne le peut pas. En tant que gouvernement bourgeois, il représente les mêmes personnes qui profitaient de la guerre : les grands propriétaires terriens et leurs amis capitalistes dans les villes. Ces derniers craignaient que s’ils donnaient des terres aux paysans, cela encouragerait les travailleurs à s’en prendre à leurs propriétés dans les villes.

Les travailleurs avancés se méfient du gouvernement provisoire bourgeois. Mais ils font confiance à leurs dirigeants dans les soviets, qui eux appuient ce gouvernement. Les travailleurs des petits centres industriels, ainsi que les paysans, ont de vraies illusions dans la capacité de la démocratie bourgeoise à résoudre leurs problèmes. Cela montre la puissance de l’action de masse spontanée, mais aussi ses limites. Les travailleurs ne sont pas suffisamment organisés ou conscients pour terminer le travail. Et c’est compréhensible. La révolution réveille les couches les plus opprimées de la société, celles qui n’ont aucune expérience politique préalable.

Les bolcheviks et la révolution d’Octobre

Immédiatement après l’insurrection de février, Lénine voit que le gouvernement provisoire ne peut rien résoudre. Lénine sait que la classe ouvrière doit prendre le pouvoir par l’intermédiaire des soviets, en renversant le gouvernement provisoire. La tâche urgente de son parti bolchevique est de rallier la majorité de la classe ouvrière à cette perspective : le gouvernement provisoire est déjà en train de consolider ses forces pour écraser la révolution. Lorsqu’il sera suffisamment fort, il frappera.

Le mot d’ordre de Lénine est d’ « expliquer patiemment ». Il se base toujours sur la démocratie ouvrière : il ne croit pas que les bolcheviques peuvent prendre le pouvoir sans le soutien de la majorité. Toute sa démarche, durant l’année 1917, vise à convaincre une majorité décisive que les soviets doivent prendre le pouvoir et entamer la transformation socialiste de la société. C’est ainsi que commence le processus consistant à convaincre patiemment la classe ouvrière, au moyen de l’agitation et du débat démocratique.

Le point de vue de Lénine à l’époque montre qu’il est loin d’être le sectaire impitoyable qu’on lui reproche souvent d’être. Jusqu’en juillet 1917, son approche consiste à appeler les réformistes à prendre le pouvoir. D’où le slogan « Tout le pouvoir aux soviets! ». Il pense même que si les réformistes prennent le pouvoir, la révolution peut se faire pacifiquement, sans guerre civile. Les bolcheviks accepteraient alors d’être une minorité dans le nouveau gouvernement soviétique contrôlé par les réformistes et se battraient pour gagner le gouvernement au programme de construction du socialisme par le biais d’un débat démocratique au sein des soviets.

Bien entendu, les réformistes refusent de prendre le pouvoir. Alors que l’année avance, le gouvernement provisoire ne résout toujours rien. Par expérience, les masses apprennent donc à quel point le gouvernement provisoire est pourri. Cela discrédite les dirigeants réformistes des soviets, qui continuent à le soutenir. Les bolcheviks orientent habilement leurs slogans vers la dénonciation de ces faits. Ils défendent patiemment leur point de vue dans les soviets. C’est de cette manière que dès le mois d’octobre, ils obtiennent l’appui de la majorité dans les soviets.

Le gouvernement le plus démocratique de l’histoire

L’insurrection d’octobre met fin au gouvernement provisoire et transfère tous les pouvoirs aux soviets. L’insurrection se déroule pratiquement sans effusion de sang : personne n’est prêt à défendre le gouvernement.

Le nouveau régime soviétique était le gouvernement le plus démocratique de l’histoire. Les soviets détiennent le pouvoir ultime, soutenus par la classe ouvrière armée. Pour la première fois dans l’histoire, l’État est dirigé par la majorité. Le gouvernement, dans la mesure du possible, est organisé selon le programme en quatre points de Lénine pour l’organisation d’un gouvernement ouvrier :

  • Des élections libres et démocratiques pour tous les postes de l’État;
  • Le droit de révoquer tout fonctionnaire;
  • Aucun fonctionnaire ne doit être payé plus qu’un ouvrier qualifié,
  • Progressivement, toutes les tâches de gestion de la société et de l’État seront accomplies par chacun à tour de rôle. Comme l’a dit Lénine : « N’importe quel cuisinier devrait pouvoir être premier ministre. »

Le nouveau gouvernement soviétique prend en charge la gestion de l’industrie et planifie la production. Il abolit la propriété foncière, octroie des terres aux paysans et sort enfin la Russie de la guerre. Il entame ainsi le processus de transformation de la Russie en une société socialiste. 

La révolution abolit également les lois tsaristes barbares selon lesquelles la femme est la propriété de son mari, qui a le droit de la maltraiter. La révolution accorde le droit au divorce et à l’avortement. Des crèches et des cantines publiques sont créées pour libérer les femmes de l’esclavage domestique. L’homosexualité est également décriminalisée.

La démocratie au sein du parti

Mais la victoire de 1917 ne s’est pas faite en ligne droite pour les bolcheviks. Outre le revers des Journées de juillet, où la répression de l’État contraint le parti à la clandestinité, le parti était loin d’être unifié. En février, les principaux dirigeants bolcheviks de Petrograd, Lev Kamenev et Joseph Staline, appuient le gouvernement provisoire dans le journal bolchevique Pravda. Essentiellement, ils se rallient à la théorie menchevique du socialisme par étapes, que les mencheviks utilisent pour justifier leur appui au gouvernement provisoire. Selon cette théorie, il faut d’abord que la bourgeoisie prenne le pouvoir et dirige la société pendant une longue période avant qu’une révolution socialiste ne soit possible. Mais le problème est le suivant : la bourgeoisie ne veut rien d’autre que restaurer le tsar – elle a trop peur de la classe ouvrière pour accepter une république démocratique.

Kamenev et Staline refusent également de publier les lettres que Lénine envoie de l’étranger qui appellent à ne pas soutenir le gouvernement provisoire. Lorsque Lénine écrit au comité central que le parti doit immédiatement commencer à travailler à une révolution socialiste, ils brûlent sa lettre. Kamenev est même favorable à une fusion avec les mencheviks. Staline, bien que plus réservé, se rallie à cette idée. Il écrit même que les différences entre les mencheviks et les bolcheviks sont insignifiantes – comme si la différence entre le réformisme et la révolution était mineure!

Quand Lénine retourne en Russie au mois d’avril, les choses changent. Dès son arrivée, Lénine s’oppose aux dirigeants bolcheviks. À peine descendu du train, il tourne le dos aux dirigeants bolcheviks rassemblés et se tourne vers la foule des travailleurs, qu’il salue d’un « Vive la révolution socialiste mondiale! ». Appuyé par les ouvriers révolutionnaires qui tiraient déjà des conclusions socialistes, Lénine provoque un vif débat au sein du parti. D’abord minoritaire lors de la conférence spéciale du parti tenue au mois d’avril, il gagne, à travers un débat démocratique, la majorité du parti à son programme. C’est alors que la tâche de gagner les masses commence vraiment.

Ceci n’est qu’un exemple, mais toute l’histoire du parti bolchevique est marquée par des débats et des désaccords internes. Lénine était souvent en minorité et devait gagner le débat. Plutôt que d’être la dictature de Lénine ou un parti de suiveurs sans cervelle, le parti bolchevique possédait une démocratie interne vivante. C’est essentiel pour une organisation révolutionnaire. Le débat démocratique permet à ceux qui ont les bonnes idées de l’emporter sur les autres et de forger l’unité du parti. La seule réserve est que le parti ne peut pas débattre indéfiniment. Un parti n’est pas un club de discussion : il doit éventuellement passer de la discussion à l’action.

Le parti bolchevique se situe aux antipodes des partis staliniens qui se développeront par la suite, où les camarades sont expulsés en cas de désaccord. En octobre 1917, Zinoviev et Kamenev, qui s’opposent à l’insurrection, vont jusqu’à divulguer les plans de celle-ci dans la presse bourgeoise! Difficile d’imaginer une plus grande trahison de la part des deux principaux lieutenants de Lénine. Pourtant, aucun des deux n’est exclu du parti. De plus, ils obtiennent tous deux des postes à responsabilité dans l’État soviétique après la révolution d’Octobre. La méthode de Lénine n’est pas l’expulsion bureaucratique, mais l’explication patiente. Lénine n’a jamais exigé une obéissance aveugle. Comme il l’a dit un jour : « Si vous voulez de l’obéissance, vous obtiendrez des imbéciles obéissants. » Cette démocratie interne a été essentielle à la victoire de 1917. Sans elle, Lénine n’aurait jamais pu convaincre le parti de son programme – il aurait été paralysé.

La guerre civile

Si la révolution russe était si grandiose, que s’est-il donc passé? Comment en est-on arrivé au stalinisme?

Après la prise du pouvoir par les bolcheviques, les capitalistes lancent une guerre civile brutale contre le nouveau gouvernement soviétique. Il s’agit d’une lutte sans merci, d’un combat à mort. Les communistes capturés sont exécutés en masse par l’Armée blanche contre-révolutionnaire, assistée par une force d’invasion composée de 21 armées étrangères.

La situation est désespérée. Aux heures les plus sombres, le gouvernement soviétique est réduit à un petit territoire entourant Petrograd et Moscou. Mais sous la direction de Léon Trotsky, et surtout grâce aux efforts des travailleurs révolutionnaires, l’Armée rouge en sort victorieuse.

Le désastre de la Première Guerre mondiale, deux révolutions et une guerre civile brutale laissent l’Union soviétique dévastée. En 1920, la production de minerai de fer est réduite à 1,6% des niveaux d’avant-guerre. La production de charbon tombe à 2,4%. En 1921, les récoltes représentent 43% de la moyenne d’avant-guerre. Des millions de personnes meurent de faim. Les maladies se répandent comme une traînée de poudre.

Avec l’effondrement de la production industrielle, la classe ouvrière, le fondement du pouvoir soviétique, disparaît pratiquement en tant que classe. Les ouvriers communistes, toujours les premiers à se porter volontaires pour rejoindre l’Armée rouge, sont soit morts, soit épuisés. Les soviets s’effondrent. Ils cessent même de se réunir : le Congrès panrusse des soviets, l’autorité suprême du pays, ne se réunit qu’une fois par an entre 1918 et 1922. Comment peut-il en être autrement? Pour reprendre les mots de Trotsky, « le pays, et avec lui le pouvoir, se trouvèrent tout au bord de l’abîme ». La base principale des soviets avait cessé d’exister. Le prolétariat n’existait plus sous une forme qui lui permette de porter le pouvoir politique sur ses épaules. Les gens étaient trop occupés à essayer de rester en vie pour se préoccuper des réunions soviétiques. Le pouvoir politique se concentre donc nécessairement de plus en plus entre les mains du parti. Lénine voit le danger de cette situation, mais la seule issue est la révolution mondiale.

La révolution mondiale

Le bolchevisme est internationaliste par nature. Les bolcheviks comprennent que si la révolution socialiste peut être menée à bien dans un seul pays, construire une société socialiste dans un seul pays – en particulier dans un pays arriéré comme la Russie – est impossible. Le socialisme doit être fondé sur les forces productives les plus avancées. Sans cela, les gens doivent mener une lutte quotidienne pour survivre. C’est alors que, pour reprendre les mots de Marx, « on retombe fatalement dans la même vieille gadoue ». Ces forces productives avancées ne peuvent pas être construites dans un seul pays. Un gouvernement socialiste isolé resterait à un niveau économique inférieur à celui des pays capitalistes avancés qui bénéficient de l’efficacité de l’économie mondiale. La seule façon pour la révolution russe de progresser était que d’autres révolutions l’emportent dans le monde capitaliste avancé. C’était là la perspective des bolcheviks. Par exemple, en mars 1918, Lénine écrit :

Si l’on envisage les choses à l’échelle mondiale, il est absolument certain que la victoire finale de notre révolution, si elle devait rester isolée, s’il n’y avait pas de mouvement révolutionnaire dans les autres pays, serait sans espoir. Si le Parti bolchevique a pris seul l’affaire en main, c’est avec la conviction que la révolution mûrit dans tous les pays […] De toute façon, quelques péripéties qu’on puisse envisager, si la révolution allemande ne vient pas, nous sommes perdus.

Les bolcheviks considéraient la révolution russe comme le premier maillon dans la chaîne de la révolution mondiale. Ils savaient que la révolution russe déclencherait une vague de révolutions dans toute l’Europe. C’est ce qui justifiait la prise du pouvoir en Russie. Les travailleurs russes ne pouvaient pas construire le socialisme seuls, mais ils pouvaient commencer le processus et aider les travailleurs d’autres pays à prendre le pouvoir. Avec l’aide des travailleurs de l’Europe de l’Ouest avancée, la Russie pourrait alors développer le socialisme. Cette perspective internationaliste est la raison pour laquelle Lénine et Trotsky ont déployé tant d’efforts pour construire l’Internationale communiste (Comintern), qui devait être une organisation communiste mondiale destinée à aider les communistes d’autres pays à renverser leurs propres capitalistes.

Comme prévu, la révolution russe déclenche un vent de révolution qui balaie l’Europe, de l’Angleterre à l’Allemagne, en passant par la France et la Pologne. La révolution allemande met fin à la Première Guerre mondiale. Mais tandis que la classe ouvrière se soulève dans un pays après l’autre, les dirigeants réformistes refusent de prendre le pouvoir. Les forces communistes en dehors de l’Union soviétique sont trop peu organisées et trop inexpérimentées pour offrir une solution de rechange révolutionnaire. Elles ne tirent pas les leçons de la révolution russe. Elles vacillent au moment fatidique ou se tiennent à l’écart des organisations de masse de la classe ouvrière, ce qui les rend incapables de gagner les masses au programme communiste. C’est tout le contraire de ce qu’avaient fait les bolcheviks en 1917, eux qui avaient participé aux soviets et gagné les travailleurs par des explications patientes.

Lénine et Trotsky expliquent ces leçons au sein du Comintern, mais les forces inexpérimentées de l’Internationale les comprennent trop tard. Ces révolutions sont vaincues.

La montée de la bureaucratie

Ces défaites ont un impact considérable sur l’Union soviétique, donnant la possibilité à une clique bureaucratique de s’emparer du pouvoir. C’est un danger qui menace tout État ouvrier, comme le savait Lénine, en particulier si celui-ci reste isolé. Ce n’est qu’en faisant progresser la production bien au-delà du capitalisme le plus avancé – ce qui éliminera la division de la société en classes et permettra à chacun de se procurer tout ce dont il a besoin et de travailler autant qu’il le souhaite – que ce danger peut être entièrement évité, en se débarrassant de la nécessité de recourir à la contrainte sous la forme de l’État. Par ailleurs, la dégénérescence ne peut être évitée qu’en rendant l’État le plus démocratique possible, en impliquant tous les travailleurs dans la prise de décision et en veillant à ce que les postes de l’État représentent une responsabilité et non un privilège. D’où les quatre points de Lénine mentionnés précédemment. Les personnes occupant des postes de responsabilité au sein de l’État doivent être élues, révocables et ne bénéficier d’aucun privilège particulier en raison de leur position, y compris un salaire égal à celui d’un ouvrier qualifié.

Mais en Russie, c’est le contraire qui s’est produit. En raison de l’arriération de la Russie et des ravages de la guerre civile, il n’est pas possible de créer un nouveau type d’État selon les principes décrits par Lénine. Le gouvernement soviétique doit essentiellement reprendre l’ancienne machine étatique, sans y apporter beaucoup de modifications. Il n’y a pas beaucoup d’ouvriers ou de paysans capables d’effectuer certaines tâches administratives, en raison de l’analphabétisme général et du faible niveau d’éducation. Ils doivent employer les anciens bureaucrates tsaristes, qui sont souvent hostiles au pouvoir soviétique. Lénine a toujours été franc à ce sujet, déclarant : « Nous avons emprunté [l’appareil d’État] au tsarisme en nous bornant à le badigeonner légèrement d’un vernis soviétique. » 

Les bolcheviks tentent de maintenir ces bureaucrates sous le contrôle d’ouvriers et de paysans fiables, mais cela s’avère de plus en plus difficile avec la guerre civile et l’ampleur immense de l’appareil bureaucratique. Ultimement, la bureaucratie trouve ses racines dans le retard économique et l’isolement. La révolution mondiale est la seule issue.

Pour attirer les bureaucrates, les spécialistes bourgeois et les techniciens nécessaires, l’État soviétique doit leur offrir des salaires plus élevés. En 1921, le salaire le plus élevé autorisé est quatre fois supérieur au salaire le plus bas, un différentiel de salaire que Lénine qualifie honnêtement de « différentiel bourgeois ». Désireux d’étendre leur pouvoir et leurs privilèges, de plus en plus de bureaucrates s’introduisent dans les postes de pouvoir, y compris au sein du parti bolchevique lui-même.

L’avènement d’une révolution mondiale aurait entraîné la mort de leur position confortable. Les travailleurs russes se seraient redressés, suffisamment confiants pour défier la bureaucratie. Une aide aurait été apportée par les travailleurs de l’Europe de l’Ouest plus avancée. L’aide économique sous forme de fournitures et d’experts techniques aurait fait progresser l’économie soviétique à pas de géant. Cela aurait permis de réduire la journée de travail, d’améliorer le niveau de vie et d’offrir une meilleure éducation. Avec ces ingrédients, les travailleurs auraient écarté la bureaucratie.

Ainsi, chaque défaite de la classe ouvrière mondiale démoralise et épuise un peu plus les travailleurs russes. Chaque défaite renforce la bureaucratie. Les bureaucrates deviennent plus confiants, plus audacieux. L’appareil d’État développe une volonté propre, indépendante du parti ou des soviets. L’État ouvrier se fait mener par le bout du nez par son appareil bureaucratique.

Et Staline dans tout ça?

De nombreux opposants à la révolution russe blâment un petit nombre de personnes – en particulier Staline – pour la montée en puissance de la bureaucratie et, avec elle, de l’État totalitaire stalinien. C’est une explication qui n’explique rien. Staline est le centre politique. Son rôle est important, mais pas décisif. Les marxistes comprennent que les individus jouent un rôle dans l’histoire, mais qu’ils sont limités par les conditions de leur époque. Pour qu’une personne ait une grande influence historique, elle doit pouvoir s’appuyer sur une force sociale, un groupe de gens, particulièrement pour une force émergente. C’est ainsi que les bolcheviks ont pu gagner. Ils s’appuyaient sur la classe révolutionnaire montante, la classe ouvrière, la seule classe capable de construire une future société socialiste.

Staline est le chef d’une couche très différente, la bureaucratie. Il en est le parfait représentant : il n’a guère d’idées politiques indépendantes et il est enclin à utiliser des manœuvres plutôt que des arguments politiques pour obtenir ce qu’il veut. Plus important encore, il croit profondément que la construction du socialisme est une tâche nationale et administrative.

Sous la direction de Staline, la bureaucratie prend le contrôle du parti bolchevique, qui dégénère sous l’énorme poids social de la bureaucratie. La démocratie de Lénine est remplacée par le régime bureaucratique des dénonciations et des expulsions. Le parti se transforme en outil de la bureaucratie. Renforcée par les révolutions vaincues à l’étranger, la bureaucratie consolide son pouvoir. Ce processus s’accélère avec la mort de Lénine en 1924, qui a combattu la réaction bureaucratique jusqu’à son dernier souffle. Avant la fin des années 1930, la bureaucratie détient le pouvoir absolu. 

Telle est la véritable nature du stalinisme. Il s’agit du produit d’une formation sociale dans laquelle une caste bureaucratique qui a usurpé le pouvoir à la classe ouvrière règne en s’appuyant sur la principale conquête de la révolution, l’économie planifiée. L’Union soviétique a accompli de grandes choses longtemps après que la bureaucratie stalinienne se soit emparée du pouvoir, mais c’est malgré la bureaucratie stalinienne, et non grâce à elle.

La dégénérescence du Comintern

La dégénérescence de l’Internationale communiste constitue un autre élément de la montée du stalinisme. Celle-ci se produit parallèlement à la dégénérescence du parti bolchevique, le joyau du Comintern. Grâce au prestige immense des bolcheviks, à une série de manœuvres bureaucratiques – ainsi qu’à des mensonges purs et simples à l’encontre de Trotsky et d’autres – la clique de Staline prend le contrôle, en particulier à partir du cinquième congrès. Ce leadership conduit les partis communistes du monde entier à une succession de défaites. 

Un exemple : la révolution chinoise de 1926. La direction du Comintern suit alors la théorie menchevique de la révolution par étapes, bien que la révolution russe ait prouvé que cette théorie est erronée dans la pratique. Estimant que la « bourgeoisie nationale » doit prendre le pouvoir, la direction ordonne au Parti communiste de se dissoudre dans le Kuomintang, un parti nationaliste bourgeois. À Shanghai, les communistes demandent aux ouvriers de remettre leurs armes au Kuomintang. Le Kuomintang fait alors volte-face et massacre les ouvriers, les décapitant dans les rues. La révolution est ainsi vaincue.

Ce processus est un cercle vicieux. Les défaites à l’étranger renforcent la bureaucratie à l’intérieur. La bureaucratie à l’intérieur renforce les défaites à l’étranger.

La victoire d’Hitler en 1933 marque un tournant. Celle-ci survient par la faute de l’Internationale communiste stalinisée. Sur les conseils de Staline, le Parti communiste d’Allemagne qualifie les sociaux-démocrates de « social-fascistes », affirmant qu’ils sont aussi mauvais sinon pires que les véritables fascistes. Les communistes font même équipe avec les nazis pour disperser des réunions syndicales. Ce délire ultra-gauchiste paralyse la classe ouvrière et déroule le tapis rouge à Hitler. Hitler s’est même vanté à juste titre d’être arrivé au pouvoir « sans briser une vitre ». Il détruit ensuite toutes les organisations ouvrières.

Le désastre en Allemagne renforce massivement la bureaucratie. Au départ, la clique au sommet autour de Staline commet de véritables erreurs, parce qu’elle adhère à de fausses théories, comme la théorie des étapes, et qu’elle n’a aucune confiance dans la classe ouvrière. Mais plus tard, le Comintern devient consciemment contre-révolutionnaire sous la pression de la bureaucratie, qui se rend compte qu’une révolution réussie représente un danger pour ses intérêts. Le Comintern devient une force contre-révolutionnaire et un pion de la politique étrangère de Staline.

Lorsque Staline a besoin d’une alliance avec l’Allemagne, les partis communistes reçoivent l’ordre de faire l’apologie d’Hitler; lorsqu’il veut aider ses alliés bourgeois pendant la Seconde Guerre mondiale, les communistes reçoivent l’ordre de s’opposer aux grèves. Chaque volte-face, chaque éloge de la bourgeoisie, salit un peu plus leur nom. Loin d’être une erreur, l’intervention des forces de Staline en Espagne en 1936 vise à mettre fin à la révolution. Finalement, Staline met fin à la mascarade et dissout le Comintern en 1943.

Particulièrement frappante pour nous aujourd’hui est l’histoire de la destruction du Parti communiste de Palestine (PCP) dans les années 1930 et 1940. Ce jeune mouvement était plein de potentiel. Il aurait même pu renverser les dirigeants britanniques de la Palestine, évitant ainsi le piège sanglant des 75 dernières années. Le parti avait réussi à constituer une base de travailleurs juifs et arabes. Ceux-ci appliquaient la bonne politique révolutionnaire : une lutte de classe unie.

Mais sous la direction du Comintern, le PCP abandonne l’unité de la classe ouvrière. Il se plie au nationalisme arabe lors de la Grande Révolte palestinienne de 1936-1939. Il perd ainsi la plupart de ses appuis parmi les travailleurs juifs. Ensuite, le Comintern effectue un virage à 180 degrés. Il commence à appuyer les Britanniques, alliés de l’Union soviétique pendant la Seconde Guerre mondiale. Cet appui aux maîtres coloniaux réduit à néant la base arabe du PCP. Le coup de grâce est porté en 1948, lorsque Staline appuie la création d’Israël, dans une manœuvre visant à affaiblir l’impérialisme britannique.

Le socialisme dans un seul pays

La dégénérescence du Comintern et du parti bolchevique est l’expression politique des besoins de la bureaucratie soviétique. La théorie stalinienne en est l’expression idéologique.

L’exemple le plus scandaleux de cette dégénérescence est la théorie du « socialisme dans un seul pays ». Cette théorie convient parfaitement à la bureaucratie, qui veut s’atteler à la tâche de gouverner la Russie. En conséquence, Staline présente sa nouvelle théorie, selon laquelle le socialisme peut et doit être construit dans un seul pays. Il s’agit là d’une rupture radicale avec l’internationalisme léniniste, que Staline avait pourtant approuvé par le passé! En 1924, il écrit dans Principes du léninisme :

Le renversement du pouvoir de la bourgeoisie et l’établissement d’un gouvernement prolétarien dans un pays ne garantissent pas encore la victoire complète du socialisme. La tâche principale du socialisme – l’organisation de la production socialiste – reste à accomplir. Cette tâche peut-elle être accomplie, la victoire finale du socialisme dans un pays peut-elle être atteinte sans les efforts conjoints du prolétariat de plusieurs pays avancés? Non, c’est impossible. Pour renverser la bourgeoisie, les efforts d’un seul pays suffisent – l’histoire de notre révolution le prouve. Pour la victoire finale du socialisme, pour l’organisation de la production socialiste, les efforts d’un seul pays, surtout d’un pays paysan comme la Russie, sont insuffisants. Pour cela, les efforts des prolétaires de plusieurs pays avancés sont nécessaires.

 Quelques mois plus tard, cela change :

Mais le renversement du pouvoir de la bourgeoisie et l’établissement du pouvoir du prolétariat dans un pays ne signifie pas encore que la victoire complète du socialisme est assurée. Après avoir consolidé son pouvoir et entraîné la paysannerie dans son sillage, le prolétariat du pays victorieux peut et doit construire une société socialiste.

Cette trahison de l’internationalisme de Lénine a des conséquences désastreuses. Lorsque Staline présente cette théorie, Trotsky prédit qu’elle conduira à la dégénérescence nationale-réformiste de tous les partis communistes du monde. C’est précisément ce qui s’est produit.

Aujourd’hui, les partis de l’Internationale communiste ne sont plus que l’ombre d’eux-mêmes. Le Parti communiste français (PCF) en est un exemple. Après l’attaque du 7 octobre par le Hamas, au lieu de condamner Israël, le dirigeant du PCF Fabien Roussel a condamné le dirigeant de la France insoumise, Jean-Luc Mélenchon. Pourquoi? Parce que Mélenchon ne s’est pas plié à l’exigence de la classe dirigeante selon laquelle toute personne qui s’exprime sur la Palestine doit d’abord condamner le Hamas. Autre exemple : la réponse du Parti communiste du Canada à l’inflation. Plutôt que de démasquer comment le capitalisme lui-même est responsable des prix élevés, il appelle à un mouvement de masse pour… forcer le gouvernement à « baisser les prix ».

Maintenir le bolchevisme vivant

Mais il y a une force qui a réussi à maintenir en vie la flamme du marxisme authentique pendant la montée du stalinisme : l’Opposition de gauche. Fondée par Trotsky et ses partisans en 1923, ceux-ci se décrivent comme les « bolcheviks-léninistes ». En Union soviétique, l’Opposition de gauche lutte contre les politiques bureaucratiques de Staline, s’opposant à de graves erreurs comme la « collectivisation forcée ». L’Opposition défend la démocratie soviétique et les idées, les méthodes et les traditions démocratiques du bolchevisme. S’appuyant sur l’internationalisme léniniste, l’Opposition de gauche offrait une analyse précise de la révolution mondiale, rejetant la folie des staliniens. En bref, l’Opposition de gauche est demeurée bolchevique alors que les staliniens ont abandonné tous les principes de Lénine.

L’Opposition de gauche, et en particulier Trotsky, se fait traiter de contre-révolutionnaire pour s’être opposée à la bureaucratie. Tous les dirigeants de l’Opposition sont exclus du parti en 1927. Pour avoir refusé de capituler, Staline fait exiler Trotsky au Kazakhstan en 1928 et l’expulse de l’Union soviétique en 1930. Les opposants de gauche sont ensuite emprisonnés.

Mais cela ne suffit pas à la bureaucratie. Pour consolider sa position, elle a besoin de faire disparaître tout souvenir du bolchevisme. D’où les tristement célèbres grandes purges de la fin des années 1930, au cours desquelles pratiquement tous les membres encore en vie du parti bolchevique d’avant 1917 – dont beaucoup avaient totalement capitulé devant Staline – sont arrêtés et torturés pour qu’ils confessent des crimes abominables contre la révolution qu’ils n’ont pas commis. Puis, réduits à l’état de coquilles brisées, ils sont exécutés.

Les capitalistes considèrent le stalinisme comme le résultat inévitable du bolchevisme. Les staliniens sont d’accord. La rivière de sang qui sépare le bolchevisme et le stalinisme révèle une autre histoire. En 1940, il ne reste plus que deux membres du Comité central de Lénine de 1917 : Alexandra Kollontaï, bien à l’abri en Suède, et Staline, le bourreau du bolchevisme.

En 1938, Trotsky fonde la Quatrième Internationale avec certains de ses partisans dans le mouvement communiste mondial, afin de préparer une véritable force bolchevique en prévision des bouleversements révolutionnaires à venir. Il analyse et explique la dégénérescence stalinienne de l’Union soviétique. Ainsi, ce sont les bolcheviks eux-mêmes, maintenant organisés dans l’Opposition de gauche puis dans la Quatrième Internationale, qui ont expliqué le stalinisme.

Les camarades de Révolution communiste retracent leur héritage révolutionnaire à travers le fil ininterrompu du marxisme : depuis l’Opposition de gauche de Trotsky, en passant par le Parti bolchevique, et jusqu’à la Première Internationale de Marx et Engels. Nous nous organisons autour des idées et des traditions authentiques du bolchevisme, la plus haute expression du marxisme, les idées du parti qui, le premier, a montré à la classe ouvrière comment remporter la victoire.

Si vous êtes communiste, rejoignez-nous. Ensemble, nous changerons le monde.