Dans les premiers mois de la pandémie de COVID-19, alors que les premiers confinements entraient en vigueur, les centres d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) du Québec sont devenus des épicentres d’infection et de décès. Récemment, cette situation a été remise en lumière par un rapport cinglant rédigé par la protectrice du citoyen Marie Rinfret et une enquête distincte menée par la coroner Géhane Kamel. La CAQ a été mise sur la défensive pour sa gestion de la première vague, mais la responsabilité de cette catastrophe ne se limite pas à François Legault et à son parti. Cette crise avait été préparée par des décennies de coupes et d’attaques par tous les grands partis politiques et leurs maîtres capitalistes, de sorte que lorsque la pandémie a frappé, l’ensemble du système s’est écroulé sous son propre poids.
Hypocrisie et négligence
La conclusion inévitable du rapport de Rinfret est que les résidents des établissements de soins de longue durée sont tombés dans l’angle mort des préparatifs de la CAQ face à la COVID. En mars, la province a relocalisé plus de 1700 résidents des hôpitaux dans des maisons de soins privées, les remplissant au-delà de toute capacité raisonnable, et dès le début, ces établissements n’étaient pas équipés pour gérer la crise. Il y avait des pénuries d’équipement de protection, de désinfectant et de stations d’assainissement. Le recrutement massif d’infirmières dans le secteur public au début de l’année avait conduit la direction d’un certain nombre de maisons de soins privées à remplacer les infirmières sortantes par des travailleurs embauchés dans des agences de placement, dont le salaire ne dépassait guère le salaire minimum et qui, souvent, ne recevaient même pas de formation de soignant. La préparation a été désastreuse, et lorsque la pandémie a frappé le Québec, les pénuries de personnel se sont multipliées dans ces établissements privés. Les CHSLD ont croulé sous le poids, et une catastrophe totale était inévitable. Sur les 5634 décès signalés au Québec à la fin de la première vague, 3849 provenaient des CHSLD.
L’ancienne ministre de la Santé, Danielle McCann, qui était en poste lors de la première vague, affirme encore aujourd’hui que le gouvernement a dit aux CHSLD de « se mettre en action » dès janvier 2020. Rinfret n’a cependant trouvé aucune preuve que cela ait été fait! En fait, ce n’est que le 12 mars que le ministère de la Santé et des Services sociaux a averti les CHSLD privés de se préparer à l’arrivée du virus et a promis de leur fournir de l’équipement de protection. L’équipement de protection n’est jamais arrivé et les travailleurs des CHSLD ont dû mendier dans le vide pour obtenir le soutien du gouvernement. Ce n’est que le 10 avril, après que la Gazette de Montréal a publié un article sur le foyer de soins de longue durée Herron – où les résidents avaient été laissés à souffrir et à mourir sans eau ni hygiène de base pendant des jours – que le CIUSSS a finalement agi et a fait venir du personnel supplémentaire. À ce moment-là, 31 personnes étaient mortes.
François Legault et la CAQ ont beau essayer de dépeindre la vague de décès qui a déferlé sur les CHSLD comme étant causée par un manque d’information ou par leur incapacité à prédire l’avenir, il n’en demeure pas moins que, pendant des semaines, le ministère de la Santé n’a rien fait alors qu’il recevait constamment des mises à jour sur le chaos qui s’installait dans le système de soins de longue durée. Annick Lavoie, directrice de l’Association des établissements privés, avait envoyé des courriels à la sous-ministre adjointe responsable des aînés dès le 16 mars pour lui signaler qu’aucun équipement de protection individuelle n’était arrivé. Le 19 mars, elle a envoyé un autre courriel, affirmant alors que la situation était déjà critique. Le 1er avril, Mme Lavoie écrivait au ministère que « le Québec s’en va vers une hécatombe en CHSLD », et 10 jours plus tard, sa prédiction se réalisait pleinement aux yeux du public avec l’article dévastateur d’Aaron Derfel dans la Gazette – qui a finalement suscité une réponse du ministère de la Santé et des Services sociaux. Mais ce n’était qu’un effort de dernière minute pour tenter de sauver son honneur. Tandis que Legault et McCann se consolent avec des phrases ronflantes comme « nous avons fait tout ce que nous pouvions », le fait est qu’ils ont eu toutes les occasions de redresser la situation et ont choisi de ne rien faire!
Tant les libéraux que le Parti québécois ont saisi cette occasion pour jeter le blâme sur la CAQ. Mais, comme nous l’avons déjà expliqué, le PLQ et le PQ ont eux aussi du sang sur les mains. Sous les gouvernements libéraux et péquistes, les trois dernières décennies ont vu une vague de privatisations dans le secteur des soins de longue durée, ainsi que des fermetures d’hôpitaux, des coupures massives dans les soins de santé et une baisse générale des conditions de travail des soignants. La protectrice du citoyen avait déjà averti le gouvernement de l’état déplorable des CHSLD dans des rapports antérieurs, avant même la pandémie. Sous la supervision des différents partis capitalistes, nos aînés ont été envoyés dans les bras de gangsters et de parasites, comme Samir Chowieri, le fraudeur condamné qui détient une part importante dans la désormais tristement célèbre CHSLD Herron. Ces gouvernements ont volontiers confié ces personnes à des hommes d’affaires qui les considéraient comme de simples sources de revenus, et les soignants comme une main-d’œuvre bon marché et exploitable.
Dans les mains du secteur privé, on a coupé les coins ronds autant que possible pour garantir un maximum de profits. Ces résidences privées soutirent aux résidents des centaines, voire des milliers de dollars chaque mois, tout en payant leurs employés aussi peu que possible. Les pénuries de personnel qui ont aggravé le désastre ne sont pas apparues de nulle part pendant la pandémie, mais étaient devenues la norme au fil de décennies d’austérité. Pour comprendre la crise qui a balayé le secteur des soins de longue durée, nous devons à juste titre reconnaître le rôle de catalyseur joué par le gouvernement de la CAQ. Mais nous ne pouvons pas pour autant perdre de vue que ce sont ces décennies de compressions, de privatisations et de recherche de profits à tout prix des propriétaires capitalistes des CHSLD qui en ont été la cause ultime.
Quelle solution?
Récemment, la CAQ a proposé d’augmenter le nombre d’inspections des établissements privés de soins de longue durée. Conformément à son alibi de ne pas avoir eu assez d’informations pour réagir, cela lui donnera une occasion abordable de se sauver la face et de prétendre qu’elle fait quelque chose. Mais en fin de compte, cela ne changera que très peu de choses, voire rien du tout. Même en mars, au plus fort de la crise, des inspections ont été effectuées, des recommandations ont été envoyées, et rien n’a été fait. De nouvelles inspections ne serviront qu’à clarifier l’exploitation du personnel soignant et des aînés résidant dans ces institutions, et non à la corriger.
Ce dont nous avons besoin, si nous voulons nous attaquer à la racine du problème, c’est de faire disparaître la logique du profit du secteur des soins de longue durée. Pour garantir à nos aînés une existence confortable et sécuritaire, nous devons nationaliser les soins de longue durée et les placer sous le contrôle démocratique des résidents et du personnel. Les vains appels à agir adressés aux bureaucrates doivent être remplacés par un contrôle démocratique direct des travailleurs de ces établissements sur les réseaux de fournitures et de ressources. Ce n’est que sur cette base que nous pourrons commencer à démanteler les causes structurelles qui conduisent à l’exploitation des personnes âgées à des fins lucratives et des infirmières et des soignants comme main-d’œuvre bon marché, et qui ont conduit aux éclosions et aux décès de la première vague. Pour garantir que pareille horreur ne se répète jamais, nous avons besoin d’un contrôle démocratique par les travailleurs.