Le mouvement de révolte des masses iraniennes dure depuis plus de quatre semaines et la répression déchaînée par le régime n’a eu pour effet que de pousser de nouvelles couches de la population dans la lutte. La jeunesse des rues et des universités a maintenant reçu le renfort de milliers de lycéens, de commerçants des bazars, mais aussi d’importants secteurs de la classe ouvrière. Une série de grèves a commencé dans le secteur pétrolier et pétrochimique, le cœur de l’économie iranienne.

Un mouvement de masse

Malgré l’arrestation de centaines voire de milliers d’étudiants et la fermeture des universités, le mouvement de grève universitaire tient bon. Au lieu d’écraser le mouvement, la répression déclenchée par le régime a poussé des couches nouvelles dans la lutte. Samedi dernier, après une semaine d’une répression féroce, on a assisté aux manifestations les plus importantes depuis le début du mouvement. Pour la première fois, certaines d’entre elles se sont déroulées dans des quartiers ouvriers très pauvres.

Le mouvement s’est aussi étendu aux lycées et aux collèges, comme en témoignent de nombreuses vidéos : on y voit des groupes de jeunes filles arracher leurs voiles et manifester devant leurs écoles, voire même affronter la police. Une vidéo montre même un groupe d’élèves empêchant un propagandiste du régime de prendre la parole dans leur école. D’après certains rapports, des parents ont aussi à plusieurs reprises affronté la police pour protéger leurs enfants contre des arrestations. Dans le même temps, les commerçants des plus importants bazars de Téhéran et de Shiraz ont rejoint le mouvement de grève lancé par leurs collègues du Kurdistan.

Une vidéo tournée dans la ville de Naziabad montrait aussi des policiers retirer leurs casques pour rejoindre les manifestants. Cet épisode en apparence anecdotique est révélateur de l’impact du mouvement sur le moral des forces de répression. Les hommes du rang sont très souvent issus des mêmes couches sociales pauvres et jusque-là conservatrices, qui ont rejoint massivement les mobilisations de ces dernières années. De tels ralliements peuvent se multiplier à l’avenir, si le mouvement s’organise et apparaît suffisamment puissant pour pouvoir réellement menacer le régime.

Si la répression a effectivement été violente, le régime semble néanmoins avoir tenté d’éviter qu’elle ne fasse trop de morts, de crainte qu’un nombre de victimes trop important ne déclenche un mouvement encore plus puissant, mais aussi par manque de confiance en ses propres troupes. Dans les régions peuplées par des minorités nationales, le régime ne s’est par contre pas embarrassé de telles subtilités. Au Balouchistan, la violence des forces de l’ordre a déjà fait au moins 110 morts, dont 97 tués le 30 septembre dans la répression d’une manifestation de protestation contre le viol d’une jeune fille par un policier. Au Kurdistan, on a assisté à des scènes véritablement insurrectionnelles. Dans plusieurs cas, des manifestations ont réussi à y chasser les forces du régime de certains quartiers, voire de villes entières. Le régime a répondu en mobilisant l’artillerie et des drones de combat contre les manifestations.

Pour tenter de discréditer le mouvement, la propagande de la dictature répète en boucle que le mouvement est un complot de l’impérialisme occidental, qui manipulerait les minorités nationales pour disloquer l’Iran. S’il est vrai que l’impérialisme américain et ses alliés saoudiens et israéliens ont systématiquement tenté de renverser le régime et ont soutenu des groupes d’opposition réactionnaires, ils n’ont pour autant pas réussi à prendre le contrôle du mouvement actuel. Les revendications sécessionnistes en sont d’ailleurs absentes, aussi bien au Kurdistan qu’au Balouchistan. Le mouvement a au contraire fait naître un fort sentiment de solidarité parmi les différents groupes ethniques d’Iran, alors même que le régime a passé des années à les monter les uns contre les autres.

La classe ouvrière entre en action

Lundi matin, environ 4000 ouvriers de plusieurs entreprises pétrochimiques du complexe d’Assaluyeh (un des plus grands au monde) ont entamé une grève de solidarité avec le mouvement. Ils ont barricadé l’autoroute qui y mène et aussi incendié un local de l’entreprise de vigiles présent sur le site. Parmi les slogans criés par les manifestants, on pouvait entendre « A bas Khamenei ! » mais aussi « Vive l’Iran ! Vive les Turcs, les Kurdes, les Arabes, les Lors et les Bakhtiari [deux minorités ethniques d’Iran] ». Cette démonstration instinctive de solidarité internationale est une nouvelle preuve du fait que la classe ouvrière peut unir derrière elle toutes les composantes de la société, par dessus les divisions nationales entretenues par le régime.

Quelques heures à peine après les ouvriers d’Assaluyeh, ce sont leurs collègues du complexe pétrochimique « Pars-Sud » à Kangan ainsi que de la raffinerie d’Abadan qui sont entrés en grève. Ces grèves avaient été précédées par une campagne de mobilisation du « Conseil pour l’Organisation des Mobilisations des Ouvriers Contractuels du Pétrole » (COMOCP). Cette organisation a publié lundi une déclaration qui appelait tous les travailleurs du secteur pétrolier à rejoindre la grève, et réclamait la libération immédiate de toutes les victimes de la répression et des prisonniers politiques, ainsi que la fin de la répression. Le même jour, un syndicat de l’industrie de la canne à sucre publiait une déclaration qui soulignait l’importance du soutien des travailleurs au mouvement et appelait à une grève générale pour « se débarrasser des discriminations et des oppressions, de la pauvreté et des souffrances, pour gagner le pain et la liberté ».

L’entrée en scène de la classe ouvrière organisée, tout particulièrement des travailleurs du pétrole, est un tournant décisif du mouvement. La jeunesse a donné des exemples impressionnants de sacrifice et de courage, mais cela ne suffira pas à abattre le régime. Par leur place dans la production, les travailleurs peuvent par contre paralyser le pays et enrayer la répression.

De plus, une grève générale politique pose inévitablement la question du pouvoir : qui doit diriger la société ? La classe capitaliste, qui ne se maintient au sommet que par l’exploitation des travailleurs ? Ou bien la classe ouvrière, qui produit toutes les richesses de la société ?

Le régime tente d’enrayer ce mouvement de grèves. On signale par exemple des arrestations de militants ouvriers et l’envoi de forces de répression supplémentaires dans les zones industrielles. Mais cette manoeuvre pourrait parfaitement se retourner contre le régime et pousser de nouvelles couches de travailleurs dans la lutte.

Le rôle de la jeunesse

La jeunesse des rues, des écoles et des universités a déjà largement été gagnée à la nécessité d’une grève générale. Elle doit maintenant aider à avancer dans cette direction et avant tout contribuer à la massification du mouvement de grèves. A Ispahan, un groupe a par exemple organisé un collage nocturne d’affiches appelant à la grève générale et les étudiants d’une université de Téhéran ont aussi partagé un appel semblable sur Telegram.

Ces exemples doivent être suivis et généralisés. Il faut une campagne systématique de la jeunesse pour se lier aux travailleurs et les aider dans l’organisation de la grève. Les jeunes doivent aussi se mettre à l’écoute des travailleurs et intégrer leurs revendications à leur propre programme. Pour mettre tout cela sur pied, des comités de lutte révolutionnaire doivent être organisés dans toutes les écoles, les universités, les quartiers et les usines. De tels comités ont d’ores et déjà été créés dans certaines régions, comme au Kurdistan, ou dans des universités, comme celle d’Ispahan.

L’organisation des masses par elles-mêmes est une caractéristique de tous les véritables mouvements révolutionnaires. Les conseils de travailleurs qui sont apparus durant la révolution russe ou la révolution iranienne de 1979 forment l’embryon d’une société future, qui lutte pour venir au monde. Pour cela, ils doivent commencer par toucher toutes les couches des masses, et particulièrement toute la classe ouvrière. Ces comités doivent donc être aussi répandus que possible, organisés à l’échelle locale, régionale et nationale pour pouvoir devenir une forme organisée du mouvement lui-même.

Pour la majorité des masses iraniennes, le régime n’a rien à offrir d’autre que la misère. Dans un pays débordant de talents et doté de vastes ressources naturelles, des millions de personnes sont plongées dans la pauvreté, le chômage ou la précarité. Pendant ce temps, les mollahs qui dirigent la société prêchent la modestie et la piété d’une main, pour mieux, de l’autre, piller l’économie et exploiter les travailleurs. Cette situation n’est pas seulement la conséquence de l’impasse du régime, mais bien de celle du capitalisme tout entier. Incapable de proposer d’autre perspective qu’un déclin continu du niveau de vie, il n’arrive à se maintenir que par une oppression insoutenable.

Pour s’arracher aux conditions barbares dans lesquelles il est plongé, le peuple iranien doit diriger sa lutte contre le capitalisme dans son ensemble, prendre le pouvoir en main et bâtir une société socialiste sans clergé, ni patrons, sans oppression, ni division, et dans laquelle l’égalité et la solidarité paveront la voie à une vie meilleure pour tous.