Kazakhstan : Des manifestations contre le prix du carburant conduisent à un soulèvement populaire

Plusieurs villes au Kazakhstan ont vu de grandes manifestations se dérouler dans la nuit du 4 au 5 janvier. La mobilisation a commencé par des manifestations contre l’augmentation du prix du gaz à Mangystau le jour de l’an, mais les événements évoluent actuellement très rapidement et prennent l’ampleur d’un soulèvement populaire.

  • Notre correspondant au Kazakhstan
  • ven. 7 janv. 2022
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Photo : Esetok, Wikimedia Commons

Nous avons reçu ce rapport le 5 janvier d’un de nos correspondants au Kazakhstan après une coupure d’Internet de 7 heures. Au cours de la nuit, les manifestations qui ont débuté contre la hausse du prix du gaz se sont transformées en un soulèvement qui a déjà conduit à la démission du gouvernement, mais qui ne montre aucun signe d’apaisement.


Plusieurs villes au Kazakhstan ont vu de grandes manifestations se dérouler dans la nuit du 4 au 5 janvier. La mobilisation a commencé par des manifestations contre l’augmentation du prix du gaz à Mangystau le jour de l’an, mais les événements évoluent actuellement très rapidement et prennent l’ampleur d’un soulèvement populaire. À Aktau et Aktobe, les manifestants ont tenté de prendre d’assaut les bâtiments des akimats (administrations) municipales et régionales. De graves affrontements avec les forces de l’ordre ont eu lieu dans de nombreuses villes où les manifestants ont réussi à repousser les tentatives d’arrestation ou de dispersion. Certains cas de tentatives de fraternisation avec la police ont également été signalés.

La situation est la plus intense à Almaty. Les combats de rue se sont poursuivis toute la nuit à différents endroits de la ville, la police et l’armée faisant usage de grenades assourdissantes, de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc. Des dizaines de voitures de police ont été incendiées et certaines séquences vidéo suggèrent même que les manifestants ont saisi plusieurs véhicules de transport de l’armée.

La lutte ne se limite pas aux combats de rue. Il y a eu des débrayages de la part de travailleurs industriels employés dans de grandes entreprises qui ont présenté leurs propres revendications. La grève se développe parmi les travailleurs des industries pétrolières et gazières de l’ouest du Kazakhstan, ainsi que parmi les mineurs et les métallurgistes.

Le régime a réagi avec une intervention tardive et nerveuse combinant concessions et nouvelles mesures répressives. Hormis la promesse de réduire le prix du gaz naturel dans la région de Mangystau, le président Tokaev a limogé le gouvernement et annoncé un certain nombre de mesures, telles que la régulation par l’État du prix de l’essence, du diesel, du gaz naturel et des produits alimentaires d’importance sociale. Il a également promis que l’État « envisagerait la possibilité » de subventionner les loyers des ménages socialement vulnérables, « envisagerait la possibilité » d’introduire un gel des coûts des services publics et commencerait à rédiger une loi sur la faillite personnelle. Pourtant, Tokaev insiste sur le fait que « les principes comme l’unitarisme, la suprématie de la loi, le respect des droits de propriété et l’économie de marché, restent les plus importants dans notre politique d’État ».

Pendant que le président kazakh brandit la carotte d’une main, il agite également le bâton de l’autre en avertissant qu’il traitera ce qu’il décrit comme des « terroristes » «« aussi durement que possible ». L’état d’urgence a été déclaré dans la ville d’Almaty, dans les régions d’Almaty et de Mangystau, ainsi que dans la capitale. Un couvre-feu est en place, et le principal réseau Internet mobile, les médias sociaux et les services de messagerie restent inaccessibles.

Rien de tout cela n’a eu l’effet escompté. Le 5 janvier, les affrontements se sont poursuivis avec une intensité renouvelée dans tout le pays, dès le début de la matinée. Les manifestations se sont étendues géographiquement à d’autres villes, et les prises d’assaut de bâtiments administratifs locaux ont repris. À Almaty, les manifestants ont pénétré dans les bureaux de l’administration municipale, le bruit des explosions et des coups de feu retentissent au cœur de l’esplanade de la ville et un incendie fait rage au rez-de-chaussée du bâtiment.

Le mouvement révolutionnaire spontané qui naît sous nos yeux a depuis longtemps transcendé les revendications initiales relatives au prix du gaz naturel. L’une des nombreuses listes de revendications circulant via les canaux Telegram et les groupes de messagerie comprend les points suivants :

  • Changement de régime;
  • Élection populaire des akims (maires de villes et de villages, gouverneurs régionaux, etc.) de chaque région et de chaque ville, le peuple devant choisir lui-même;
  • Retour à la Constitution de 1993;
  • Pas de persécution des manifestants;
  • Transfert du pouvoir à une personne n’étant pas impliquée dans le système actuel, ne faisant pas partie des autorités en place, quelqu’un d’allégeance révolutionnaire.

Les slogans que l’on entend dans les manifestations et dans les collectifs de travailleurs combinent des revendications sociales (salaires, âge de la retraite, etc.) et des revendications politiques (démission du président et du gouvernement, élections libres et justes, république parlementaire, etc.).

L’incroyable détermination des manifestants, leur intrépidité et l’impuissance générale des autorités sont des facteurs qui favorisent le succès du mouvement. L’appareil répressif est vaincu par les manifestants dans la rue. Perdant rapidement le peu de soutien qu’il pouvait conserver, le régime n’ose pas donner l’ordre de noyer les manifestations dans le sang, et se contente d’adopter une position défensive.

Cependant, afin d’obtenir et de consolider des victoires tangibles, le mouvement doit acquérir un caractère plus organisé – les mouvements radicaux de la base développent toujours leurs propres instruments démocratiques pour diriger et orienter le mouvement, et mettent toujours en avant leurs propres leaders. Les partis d’opposition bourgeois tenteront sans doute de tirer profit du mouvement. S’ils y parviennent, ils ne feront que remplacer une bande d’oligarques par une autre, tandis que la masse des travailleurs continuera de souffrir. Les travailleurs ne doivent avoir confiance qu’en leurs propres forces.

L’expérience de lutte de la classe ouvrière kazakhe elle-même suggère que les exemples d’auto-organisation les plus décisifs, les plus cohérents et les plus puissants émergent des rangs de la classe ouvrière, comme cela a été démontré à Zhanaozen en 2011 et lors de la vague de grèves de l’année dernière, qui a gagné une partie importante de ses revendications. Ce n’est que dans la lutte de la classe ouvrière pour le pouvoir réel – politique aussi bien qu’économique – que naîtra une société juste, sans exploitation ni oppression : une société de bien-être universel et de dignité pour les travailleurs.

Victoire à la révolution kazakh!

Le mouvement doit se doter d’un leadership ouvrier et d’un programme de classe!

Pour le socialisme!