Les demandes d’enquêtes nationales sur les femmes autochtones disparues et assassinées au Canada ont été relancées après l’assassinat de Tina Fontaine, une adolescente autochtone de Winnipeg.

La réponse de Stephen Harper à ces requêtes est que la question « ne doit pas être considérée comme un phénomène sociologique, mais plutôt comme de la criminalité et traitée comme telle. » La déclaration de Stephen Harper n’est pas surprenante; un examen plus approfondi des conditions misérables subies par les peuples autochtones – et en particulier les femmes – révèle que la terrible pauvreté et l’exclusion auxquelles ils et elles sont confrontés ne peuvent être résolus par le capitalisme.

La logique de Harper est cohérente avec l’approche dure du gouvernement fédéral en matière de criminalité, une excuse pour persécuter la classe ouvrière pauvre et les autres secteurs marginalisés de la société tout en ignorant les véritables racines de la criminalité. Le crime est, en fait, un phénomène intrinsèquement sociologique formé par des processus historiques et sociaux. Il est clairement documenté que la criminalité est liée à des facteurs tels que les inégalités sociales, la pauvreté, le chômage et la discrimination raciale. Il est également bien documenté par les organismes gouvernementaux, Statistique Canada et les organisations autochtones que les peuples autochtones subissent des taux plus élevés de pauvreté, de chômage, d’itinérance, de problèmes de santé mentale, et de suicide que les autres Canadiens. Pourtant, la réponse de M. Harper, en 2010, a été de couper tout financement à l’initiative Sœurs par l’esprit de l’Association des femmes autochtones du Canada, le projet de recherche historique qui a révélé au grand public la crise des femmes autochtones disparues et assassinées. Il a plutôt choisis de rediriger ces fonds vers la GRC.

Les femmes autochtones comptent parmi les membres les plus pauvres de la société canadienne et sont particulièrement à risque d’être victimes de violence.  Selon l’Enquête sociale générale de 2009 de Statistique Canada, les femmes autochtones sont trois fois plus susceptibles de souffrir de victimisation avec violence que les Canadiennes non-autochtones. James Anaya, Rapporteur spécial des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, a constaté que les femmes autochtones au Canada sont huit fois plus susceptibles d’être assassinées que les autres femmes. En effet, un rapport publié récemment par la GRC montre que si les femmes autochtones représentent 4,3% de la population, elles comptent pour 11,3% de femmes disparues et 16% des victimes de meurtres entre 1980 à 2012 – le quadruple de leur représentation dans la société. Le même rapport de la GRC a placé le nombre de femmes disparues et assassinées au chiffre accablant de 1,181. Ces chiffres terribles démontrent clairement qu’il existe de puissantes forces historiques et systémiques en jeu. 

Un autre problème avec la déclaration ignorante de Harper a été mis en lumière par des militants autochtones qui affirment que la police et la GRC font partie du problème. Une étude menée par Human Rights Watch en Février 2013, intitulée «Ceux qui nous enlèvent: abus policiers et défaillances dans la protection des femmes et des filles autochtones dans le nord de la Colombie-Britannique », documentait, tout en respectant l’anonymat des victimes, les abus policiers y compris l’utilisation excessive de la force contre les filles (par exemple, l’usage de pistolets paralysants et de poivre en aérosol), des fouilles à nu de femmes par des policiers masculins, et de la violence physique et sexuelle. Une femme a dit qu’elle a été prise à un emplacement éloigné par quatre policiers, a été violée, et informée qu’elle serait tuée si elle en parlait à qui que ce soit. Naturellement, de nombreuses femmes autochtones qui ont été victimes de violence ne se sentent pas en sécurité avec la police.  

Il faut également noter que la police et l’armée ont historiquement été utilisées pour intervenir et opprimer brutalement les efforts déployés par les peuples autochtones pour défendre leurs droits. Des exemples tristement célèbres incluent la soi-disant crise d’Oka de 1990, la persécution des manifestants des Six Nations à Caledon en Ontario, ou la violence connue par les Mi’kmaq de la Elsipogtog l’an dernier dans leur lutte contre la fracturation hydraulique. En fin de compte, la police et l’armée sont employées par l’État pour défendre les intérêts de la classe dirigeante qui dépendent des terres des peuples autochtones pour en extraire des ressources et des bénéfices corporatifs. Isolées, les interventions des corps policiers municipaux et de la GRC ne pourront jamais répondre adéquatement à la violence généralisée contre les femmes autochtones au Canada parce que cette violence est enracinée dans les relations sociales et les processus dont la protection est la raison d’être des ailes militarisées de l’État.  

Cela nous amène à un autre défaut majeur dans le raisonnement de Harper: même si tous les auteurs de meurtres et d’enlèvements de femmes autochtones étaient appréhendés et condamnés au pénal, les femmes et les filles autochtones continueraient de disparaître ou d’être assassinées. C’est parce qu’aucune des causes profondes de la violence contre les femmes autochtones n’aurait été réglée. Dans un rapport intitulé « Ce que leurs histoires nous disent », Sœurs par l’esprit a présenté des recherches qui démontrent les effets intergénérationnels que la colonisation et les politiques telles que les écoles résidentielles, le rapt des années 60 (le « Sixties Scoop »), et le système de protection de l’enfance continuent d’avoir aujourd’hui. Ce sont des facteurs qui sous-tendent les cas de violence subis par les femmes et les filles autochtones. 

Historiquement, dans la plupart des cultures autochtones qui font maintenant partie du Canada, il existait une division du travail entre les hommes et les femmes en fonction de rôles distincts basés sur le genre. Cependant, dans leur publication, « Les femmes autochtones et la mise en œuvre du projet de loi C31 », l’AFAC indique que la division sexuelle du travail ne signifie pas qu’un sexe était soumis à l’autre; les femmes autochtones avaient des rôles sociaux, culturels et politiques établis. Ce sont les pratiques coloniales agressives, qui étaient au centre de l’expansion capitaliste, qui ont imposé la forme de la famille européenne bourgeoise aux peuples autochtones du Canada et qui ont rompu les formes traditionnelles de gouvernance matrilinéaires. Cela signifie que les femmes autochtones ont été retirées de la gouvernance autochtone et reléguées à un travail non rémunéré dans la sphère domestique. 

Le sexisme contre les femmes autochtones a été institutionnalisé dans la Loi sur les Indiens de 1876 qui stipulait que les femmes autochtones qui épousaient un homme non-autochtone perdraient leur statut et droits indiens, y compris leur droit de résider sur une réserve. Cette composante de la Loi sur les Indiens a été abrogée en 1985 par le projet de loi C-31 aboutissant à la réintégration de milliers de femmes autochtones et de leurs enfants. Cependant, l’AFAC a indiqué que cinq ans après l’introduction du projet de loi C-31, seulement 2% des femmes réinscrites était retournées dans leurs réserves. En outre, les composantes du projet de loi C-31 continuent d’être discriminatoires envers les femmes autochtones. Les Indiens inscrits ne se voient pas reconnaître le droit au partage égal des biens matrimoniaux dans les réserves, et les allocations de propriété sont toujours déterminées par filiation patrilinéaire, ce qui signifie que les femmes qui se séparent de leurs partenaires perdent souvent leurs maisons. Cela oblige les femmes à vivre hors des réserves, les exclut de l’accès aux ressources et des prises de décisions exécutives dans les réserves, et perpétue leur désavantage social et économique. 

Le rôle que joue la pauvreté dans l’exacerbation de la violence contre les femmes autochtones ne peut être négligé. Dans leur étude, «L’écart de revenu entre les peuples autochtones et le reste du Canada », le Centre canadien de politiques alternatives rapporte qu’en 2006, le revenu médian des Autochtones était $ 18 962, soit 30% de moins que le revenu médian $ 27 097 pour le reste de Canadiens. Les possibilités d’emploi dans les réserves sont limitées et de multiples facteurs, y compris le racisme et les obstacles à la réalisation de l’enseignement secondaire et post-secondaire, expliquent que le taux de chômage des Autochtones soit au moins le double de la moyenne nationale. Les femmes autochtones représentent la partie la plus pauvre de la population canadienne, avec 44% des femmes autochtones hors réserve et 47% des femmes autochtones en réserves vivant en dessous du seuil de pauvreté. Le revenu annuel moyen d’une femme autochtone n’est que de $ 13,300. La pauvreté oblige les femmes autochtones à connaître des situations ou à recourir à des stratégies de survie qui augmentent leur vulnérabilité à la violence, comme l’auto-stop, la toxicomanie, l’itinérance, le travail du sexe, l’appartenance à un gang, ou la violence conjugale.  Le sexisme et le racisme dans  la société capitaliste exacerbent cette vulnérabilité et transforment les femmes autochtone en cible pour de violentes attaques.  

Nous soutenons l’appel à une enquête nationale, mais il y a déjà eu beaucoup d’enquêtes au cours des 20 dernières années. Au lieu de parler plus, il est nécessaire d’agir pour s’attaquer aux causes profondes de la violence et de l’exclusion des femmes autochtones. Une autre enquête, sans suivi, fera peu pour changer la situation des femmes autochtones. Par exemple, l’enquête sur la justice autochtone du gouvernement du Manitoba a révélé que 80% des femmes autochtones de la province font face à de la violence familiale, en grande partie causée par l’ »impuissance » auquel font face les Autochtones et la « double discrimination » que vivent les femmes autochtones. La Commission royale d’enquête de 1996 sur les affaires autochtones avait effectivement expliqué comment la marginalisation des Autochtones était systémique et ne pouvait pas être réglée «à la pièce ». En dehors des représentations par les communautés autochtones afin d’avoir un plus grand contrôle sur le développement et l’extraction des ressources sur leur propre territoire, la commission a également appelé le gouvernement fédéral à investir 30 milliards de dollars dans l’éducation, les services de garde, le logement et l’emploi pour les communautés autochtones. Aucune des recommandations n’a jamais été mise en œuvre, ni par le gouvernement libéral fédéral du moment ni par le gouvernement conservateur Harper subséquent. (Toronto Star, 26 Nov. 2014) 

Pour que toute nouvelle enquête ait du mordant, elle devrait être menée et mise en œuvre par des représentants syndicaux et des représentants des Premières nations, des Inuits et des Métis. Pour faire quelque différence que ce soit, une enquête nationale doit se traduire par une action concrète et significative. Cependant, nous ne pouvons pas avoir d’illusions envers la classe capitaliste et leurs représentants étatiques, y compris les libéraux qui ont ajouté leur voix au chœur qui réclame une enquête nationale. Comme les conservateurs, le Parti libéral est un parti de Bay Street qui défend la propriété capitaliste et qui sera toujours du côté des banques et des grandes entreprises. Les gouvernements libéraux de Jean Chrétien et Paul Martin n’ont rien fait pour améliorer la vie des peuples autochtones, malgré commissions et enquêtes. Sous les gouvernements libéraux et conservateurs fédéraux, des milliards de dollars ont été remis aux grandes banques et sociétés sous forme de réductions d’impôts et de plans de sauvetage. Cet argent est une plus-value créée par le travail de la classe ouvrière et pourrait subvenir à nos besoins si elle n’était pas appropriée privément dans l’intérêt d’une minorité. 

Le Canada est un des pays les plus riches du monde, et il n’y a aucune raison pour que toutes ces richesses ne puissent être utilisées pour résoudre les problèmes auxquels sont confrontés les femmes et les hommes autochtones: éradication de la pauvreté et du chômage, sur les réserves et hors des réserves; amélioration massive et construction de logements dans les réserves et un plan national de logement à travers le Canada; services de santé universels et le financement des services de santé adaptés à la culture des peuples autochtones; développement du Nord qui implique, et emploie, les peuples autochtones à tous les stades de la production; et un réseau de services sociaux universels pour répondre à la multitude de barrières sociales auxquelles les peuples autochtones sont confrontés.

En régime socialiste, les leviers de commande de l’économie seraient nationalisés et planifiés démocratiquement en fonction des besoins de la population et non du profit privé. La richesse créée collectivement par la classe ouvrière serait mise à profit pour répondre à tous nos besoins et les conditions qui rendent les femmes autochtones vulnérables à la violence pourraient être supprimées une fois pour toutes.

La Riposte soutient pleinement les droits à la terre et aux ressources, et la fin de centaines d’années d’oppression pour les peuples autochtones au Canada.  Un tel projet nécessite la solidarité entre les gens de la classe ouvrière autochtones et non-autochtones dans la lutte pour le socialisme. 

Mettons fin à la violence contre les femmes autochtones et non-autochtones!

Éliminons la pauvreté dans les réserves et à l’extérieur!

Les peuples autochtones doivent être en mesure de contrôler démocratiquement leur propre destin!

Unité entre les travailleur-euses autochtones et non-autochtones!

Pour un Canada socialiste avec égalité des chances pour toutes et tous!