Privatisations et appauvrissement collectif

 

Le gouvernement Libéral de Philippe Couillard envisage la possibilité de céder 10% du capital d’Hydro-Québec et de la SAQ afin de réduire la dette du Québec. La proposition du Premier ministre s’inscrit en droite ligne dans le processus de soumission des entreprises publiques et des ressources naturelles à la logique du marché et du profit entamé depuis la dernière décennie. En 2012, le gouvernement Charest tenait le même discours que M. Couillard, arguant de la nécessité d’une augmentation des frais de scolarité universitaires de 75% pour atteindre l’équilibre budgétaire. En 2008, Mario Dumont, en ce temps chef de l’ADQ, défendait déjà l’idée de privatiser Hydro-Québec1. Ces requêtes incessantes de la part des partis bourgeois pour privatiser les services publics ne sont pas seulement l’apanage de certains partis ou d’une certaine idéologie, mais sont le reflet de la crise profonde du capitalisme.

Le programme d’austérité implanté par M. Charest, continué par Mme Marois et intensifié par M. Couillard, revendique constamment sa légitimité par rapport à la réduction de la dette publique. Pour un total de 3,7 milliards de dette à combler, le gouvernement vise à rétablir cette année le déficit à 1,75 milliard, puis à revenir à l’équilibre budgétaire l’année prochaine2.

À chaque mesure d’austérité, les travailleur-euses du Québec s’en retrouvent plus appauvri-e-s : les tarifs d’hydroélectricité, de santé, d’éducation et de transport public augmentent sans cesse, alors que la qualité du service diminue au même rythme. Ce n’est pas en appauvrissant la population et en diminuant les services publics que l’on pourra rétablir l’économie chancelante d’un Québec vivant encore les contrecoups de la crise de 2008.

À l’instar du programme d’austérité, le programme de privatisation des secteurs publics par le gouvernement intensifie le processus à travers lequel les Québécois-e-s se retrouvent dépossédé-e-s de leurs acquis sociaux. Hydro-Québec rapporte à l’État un bénéfice de 2,2 milliards, et la SAQ 1 milliard. Si 10% de ces sociétés étaient privatisées, selon la possibilité envisagée par M. Couillard, cela équivaudrait à une perte de 320 millions, dont le montant constituerait alors un profit direct à des particuliers.

Sacrifier 320 millions en capital qui pourrait s’accroitre au fil des ans pour rembourser illico une infime partie de la dette démontre sans aucun doute la logique mathématique à court terme du Premier ministre. M. Couillard, comme sa clique de riches ministres et ses amis patrons, partagent la vision à long terme des spéculateurs boursiers, c’est-à-dire d’environ trois minutes.

De plus, l’hydroélectricité constitue depuis 1960 un atout de taille pour les Québécois-e-s, que ce soit pour subvenir à faible coût aux besoins des individus, retirer des bénéfices de l’exportation, ainsi que soutenir des projets publics de développement économique. En effet, les tarifs d’hydroélectricité au Québec sont dans les meilleurs dans toute l’Amérique du Nord.

Pour le gouvernement, ces bénéfices n’ont que peu de valeur devant la nécessité de diminuer la dette publique. On est prêt à nous départir de nos biens et à nous appauvrir pour la diminution d’une dette qui devrait, selon le gouvernement, relancer éventuellement notre économie et nous remettre sur la carte, d’ici peut-être 20 ans, si on est optimiste.

 

Un gain pour les patrons

 

Ce que le gouvernement ne dit pas, c’est que ce ne sont pas M. Couillard et ses amis du patronat qui vont s’appauvrir suite aux privatisations et à l’austérité. Au contraire, ce sont eux qui vont bénéficier de ces mesures et s’en mettre plein les poches. En privatisant les services publics, des entreprises très profitables comme Hydro-Québec et la SAQ produiront désormais pour le profit des entreprises privées qui réussiront à mettre la main dessus. Que les derniers gouvernements s’enthousiasment devant cette éventualité ne fait que nous révéler à quel point l’État est au service de la classe capitaliste. D’un côté, il est manifeste que les patrons dictent aux gouvernements des politiques qui servent leurs intérêts privés; de l’autre côté, une bonne partie de la classe politique bénéficie directement ou indirectement de l’enrichissement de la classe patronale.

Ainsi, dans leurs tentatives désespérées de combler le déficit public, les gouvernements n’ont aucun pouvoir ni aucun intérêt à faire payer les plus fortunés du Québec, c’est-à-dire les grands patrons. L’État doit donc facturer les travailleurs-euses et implanter des mesures d’austérité : en coupant dans les services publics et en augmentant les tarifs dans l’éducation, la santé et l’énergie. Ce faisant, en poussant pour des privatisations et des mesures d’austérité, les gouvernements bourgeois creusent sans cesse le fossé qui sépare les riches et les pauvres, les propriétaires des entreprises et les travailleurs-euses salarié-e-s. En plus d’enlever aux citoyens les entreprises qui sont collectivement les leurs pour les redonner à des particuliers, la privatisation renforce le pouvoir de la classe des propriétaires des grandes entreprises à contraindre les travailleurs-euses salarié-e-s à accepter des conditions de travail de plus en plus dégradantes.

La privatisation des secteurs publics permet aux nouveaux propriétaires d’attaquer et de défaire les organisations syndicales qui ont défendu les droits des travailleurs-euses. En soumettant les entreprises d’État aux impératifs du profit d’une minorité possédante plutôt qu’aux intérêts de la population québécoise, la privatisation donne aux patrons le gros bout du bâton pour couper dans les salaires, licencier massivement les travailleurs-euses, contraindre ces derniers à être plus productifs et travaillant, bref, exploiter davantage la classe salariée et briser son pouvoir de contestation. Ce sont également de très bons emplois, bien payés, qui seront redirigés vers le secteur privé, où les acquis seront mis en danger.

 

Une conséquence de la crise capitaliste

 

La privatisation des services publics ne sert donc que les intérêts du patronat. C’est la classe capitaliste qui pousse les gouvernements à privatiser et à imposer l’austérité afin d’accroitre son profit. Ce phénomène ne découle pas seulement de l’hypocrisie et de la cupidité des capitalistes, mais constitue une manifestation de la logique profonde du capitalisme et de sa nature parasitaire. Le capitalisme est fondé sur des contradictions très profondes, lesquelles engendrent les oppositions d’intérêts et les luttes entre les capitalistes et les travailleurs-euses, mais engendrent également les crises périodiques du capitalisme, comme la crise actuelle qui force les gouvernements à reprendre les réformes qui avaient été octroyées aux travailleurs-euses depuis les années 1960.

Une de ces contradictions principales réside dans le fait que les propriétaires des capitaux et des entreprises doivent exploiter la force de travail des travailleurs-euses afin de produire les marchandises qu’ils vendront pour faire du profit. Le salaire que le ou la travailleur-euse reçoit en échange de son travail ne peut pourtant pas équivaloir à la valeur réelle des marchandises qu’il ou elle a produites, puisque c’est à partir de la différence entre ce salaire et le prix des marchandises que le profit des patrons prend son origine. Ce processus engendre une situation dans laquelle les travailleurs-euses ne possèdent pas collectivement la capacité de racheter l’ensemble des marchandises produites. Autrement dit, puisque leur pouvoir d’achat collectif n’équivaut pas à la somme des prix des marchandises (étant donné que la différence de valeur entre les deux est récupérée comme profit pour les patrons), il y a surproduction de marchandises.

Pour rentabiliser leurs investissements et compenser le profit perdu pour les marchandises non-vendues, les capitalistes doivent couper dans la masse salariale et les conditions de vie des travailleurs-euses. Cela engendre un cercle vicieux qui précipite le marché dans une crise. Pour maintenir leur profit, les patrons doivent forcer l’État, leur État, à attaquer la classe ouvrière et à mettre sur le marché les entreprises publiques. Bref, l’austérité et la privatisation constituent des conséquences directes des crises d’un capitalisme fondé sur une logique contradictoire.

Le capitalisme arrive maintenant à ses limites systémiques. Il n’est plus capable d’offrir aux travailleurs-euses de meilleures conditions de travail et de vie : il doit reprendre ce qu’il a donné et demander aux travailleurs-euses de se serrer encore plus la ceinture. M. Couillard semble tout à fait d’accord avec l’idée du déclin du caractère progressiste du capitalisme : «On doit défaire le Québec de ses chaînes, notamment celles de l’endettement et du taux élevé de dépenses publiques par rapport à nos niveaux de revenus. Il faut revenir à un périmètre qu’on est capable vraiment de soutenir. […]On voit quel est l’état des finances publiques, on a un resserrement important à faire, il faut que chacun y participe, c’est clair 3». Il est clair que même pour la classe dirigeante, le capitalisme n’est plus capable de soutenir un niveau de vie décent pour les travailleurs-euses.

 

Riposter et nationaliser

 

La solution ne réside pourtant pas dans la diminution des dépenses publiques, mais dans la nationalisation des grands secteurs de l’économie et dans la planification de la production en fonction des besoins de l’immense majorité de la population et non du profit de la minorité possédante. En socialisant les moyens de production et en soumettant la production au contrôle démocratique des travailleurs-euses, on peut contrecarrer la logique contradictoire du capitalisme et mettre définitivement un terme aux crises, à l’austérité et à la privatisation. Les « chaînes » du Québec qu’on doit défaire, comme le dit si bien M. Couillard, ne sont pas celles de l’État-providence, mais du capitalisme lui-même, comme système fondé sur l’exploitation du Travail salarié par le Capital. Il faut se défaire des chaînes du capitalisme et lutter pour l’établissement d’une société socialiste et réellement démocratique.

Le renversement de la logique capitaliste ne peut être accompli que par les travailleurs-euses qui subissent les attaques répétées du gouvernement et des patrons. Les libéraux vont continuer à attaquer nos salaires, nos emplois, nos conditions de vie, nos régimes de retraite et nos services publics. Les travailleurs-euses doivent s’unir et s’organiser à travers leurs syndicats pour former un front contre l’austérité capitaliste et la privatisation. Les organisations ouvrières doivent planifier des manifestations et des grèves générales pour riposter contre la classe patronale et travailler à l’établissement d’un système à leur image, exempt d’exploitation et de domination.

2 Martin Ouellet, « HYDRO-QUÉBEC ET SAQ : Couillard n’écarte pas la privatisation partielle », Le Devoir, 30 avril 2014, http://www.ledevoir.com/politique/quebec/406851/couillard-n-ecarte-pas-la-privatisation-partielle-d-hydro-et-de-la-saq

3 Ibid.