Le monde de par chez nous
A écrit son histoire
Avec ses mains sales et son cœur vaillant
Le monde de par chez nous
S’est longtemps faite avoir
C’est encore comme ça souvent

Hier s’est éteint celui qui a chanté pendant trois décennies la réalité de la classe ouvrière québécoise. Si la mort de Karl Tremblay ébranle tant, c’est que les Cowboys fringants sont devenus populaires en étant le groupe du monde ordinaire, de ceux qui vivent dans « les maisons toutes pareilles ». Ce ne sont certainement pas « les bouffons qui nous gouvernent » qui sont en deuil aujourd’hui, ni les riches et les « pleins d’marde en tuxedo ». À travers un vaste répertoire, le groupe a mis en musique le quotidien de ceux qui travaillent et vivent un « joyeux calvaire » pour le profit de « certains hommes vraiment riches et puissants ».

L’univers des Cowboys fringants est rempli de personnages colorés, drôles, touchants, courageux, imparfaits. On fait la rencontre de Ti-Cul, un cégépien parmi tant d’autres qui s’ennuie sur les bancs d’école pour une carrière qui ne l’intéresse pas, et on découvre l’histoire de La Reine, cette sainte des coins sombres de Montréal, qui dédie tout son temps pour aider les sans-abris et éclopés de la vie. On apprend aussi l’histoire de Loulou Lapierre : « Une p’tite mère ben ordinaire, qui travaille à temps partiel comme femme de chambre dans un hôtel. Elle endure dans son p’tit deuxième, la vie triste d’un HLM et des matinées toujours blêmes. » Au travers les destins de Marilou, de la Catherine, de mon chum Rémi, ou même de Maurice au Bistro, transparaît l’humanité de la classe ouvrière, avec ses rêves, ses peines, son sens de l’humour, et dans toute ses imperfections.

Le monde des Cowboys fringants, c’est celui de la vraie vie. C’est la vie du voyou d’Hochelaga, d’un plombier mal élevé, d’un trucker à boutte et de tous ceux qui prêtent leur vie « à un employeur, à coups d’journées pis d’gouttes de sueur ». On écoute aussi la complainte du livreur de pizza dont le vieux bazou ne démarre pas, du gars qui se gèle le cul l’hiver dans son appartement mal chauffé et de ceux qui sont pris dans le trafic à longueur d’année pour aller travailler.

Jean-François Pauzé, le compositeur du groupe, a récemment dit que L’hiver approche est la chanson qui l’émeut le plus : « Je n’avais vraiment pas une cenne à l’époque, les factures s’accumulaient pour vrai. Je l’ai écrite dans un sentiment d’urgence. » Le fait qu’ils aient vécu les temps durs que la société capitaliste inflige aux travailleurs rend la musique des Cowboys fringants d’autant plus authentique.

Portant la voix des gens ordinaires, Karl et les Cowboys ont su décrier l’injustice et l’absurdité du capitalisme, notamment dans En berne : « Un robineux quête dans la rue au pied d’un grand building en verre. Y va passer inaperçu à la sortie des actionnaires. C’qui compte pour eux c’est les revenus et non les problèmes de la Terre. » Dans Le gars d’la compagnie, les grandes entreprises qui exploitent les travailleurs et pillent les ressources sont au banc des accusés. Également, la chanson Shooters dénonce la fermeture de l’usine d’Electrolux à L’Assomption, le patelin du groupe, et est dédiée au millier de travailleurs qui y ont perdu leur emploi : « Un jour y arrivent, y nous engagent. Pis on embarque dans l’engrenage. Comme des robots su’ la ligne de montage. Y viennent icitte faire leu’ profit. Pis quand tout devient décrépit. Ils filent à l’anglaise aux États-Unis. » La musique des Cowboys, c’est un miroir dans lequel tous ceux qui subissent les misères du capitalisme peuvent se retrouver d’une façon ou d’une autre.

L’establishment politique est aussi écorché, dans cette « fausse démocratie qui sert les riches et les banquiers ». « Y a tellement de promesses qu’il n’a pas tenues. Il a si bien menti que parfois même il s’est cru », écoute-t-on dans Monsieur, dans un ton cynique que partagent avec raison beaucoup de travailleurs envers les politiciens à la solde du patronat.

Sous une couche d’humour, ce cynisme est bien présent chez les Cowboys. Il faut dire que c’est un groupe de son époque. À la fin des années 90 et au début des années 2000, moment où ils font leur percée, le Québec subit le ressac de la crise économique. C’est l’ère du déficit zéro et des coupes dans les services publics du Parti québécois et le début de l’ère libérale de Jean Charest. Depuis, la situation s’est empirée. C’est effectivement ça le Québec moderne! 

Dans la dernière période, ce cynisme s’est aussi accompagné d’un pessimisme plus marqué. Le juste engagement des Cowboys pour l’environnement alors que la crise climatique atteint des sommets les amène au même questionnement que de nombreux jeunes et travailleurs. « La question qu’j’me pose tout l’temps : Mais que feront nos enfants, quand il ne restera rien, que des ruines et la faim? », entend-on dans L’Amérique pleure, leur dernier grand succès, qui reflète le climat de malaise social qui s’est développé dans la dernière période, devant les nombreuses crises du capitalisme agonisant.

Il demeure que la musique des Cowboys ne devrait pas nous mener au pessimisme. Pour les communistes, l’exposition de la brutalité du capitalisme et des maux qui affligent le monde ordinaire, c’est une source de motivation. Karl Tremblay aura été la voix musicale la plus authentique de la classe ouvrière québécoise. La musique des Cowboys fringants nous inspire à lutter pour une nouvelle société que la classe ouvrière bâtira « avec ses mains sales et son cœur vaillant », une société socialiste. Ainsi, nous continuerons d’aller à la manifestation, pas simplement en rêvant de révolution, mais pour bel et bien l’accomplir.