Suite à l’échec des négociations entre les travailleurs et travailleuses de l’Aluminerie de Bécancour (ABI) et la direction patronale, l’usine est maintenant en lock-out depuis le 11 janvier. Durant ce lock-out décrété par les patrons, ce sont 1030 emplois qui sont tenus en otages. Alors que 120 cadres d’ABI seront chargés d’opérer la ligne de production encore fonctionnelle, les deux autres resteront fermées durant le lock-out. Les syndiqués n’ont pas le droit de leur bloquer l’accès.

L’offre finale de la direction a été rejetée par les syndiqués le 10 janvier à 80,3%, en raison de la proposition des patrons d’instaurer un nouveau régime de retraite à deux vitesses discriminatoire pour les nouveaux employés. L’employeur souhaite également s’attaquer au maintien de l’ancienneté lors des mouvements de personnel. Sept semaines après le déclenchement du lock-out, les négociations sont au point mort, et l’employeur ne manifeste toujours pas l’intention de trouver une date pour reprendre les négociations, tel que le laisse entendre le médiateur. « Plus on attend, plus ça va être long et plus on va les haïr », a commenté un travailleur.

Sur la ligne de piquetage

L’ABI est la propriété d’Alcoa et Rio Tinto (détenue respectivement à 75% et 25%) et représente le plus grand employeur en Mauricie et au Centre-du-Québec, sans compter les emplois dans d’autres secteurs qui en dépendent. Le 22 novembre, les syndiqués ont rejeté l’offre patronale à 97% et se sont munis d’un mandat de grève. Puis, le 10 janvier dernier,  les travailleurs de l’aluminerie ont considéré la seconde offre inacceptable. Le lock-out a été décrété immédiatement.

Les appuis aux syndiqués de l’ABI s’accumulent sous forme de soutien moral et financier d’autres syndicats depuis le décret du lock-out dans la nuit du 11 janvier. C’est le syndicat de l’aciérie ArcelorMittal qui a ouvert le bal en annonçant une contribution hebdomadaire de 1100 dollars pour les lock-outés, et ce jusqu’à la fin du conflit de travail, peu importe sa durée. « Si on a des collègues Métallos ou d’autres qui décident de se battre pour avoir des conditions de travail, c’est dans notre ADN de les appuyer », a indiqué Steve Galibois, président du syndicat d’ArcelorMittal. Également, le Syndicat national des employés de l’aluminium de Baie-Comeau (CSN), qui compte 650 travailleurs, a donné son appui aux lock-outés, qualifiant d’ “odieux” le comportement de l’entreprise.

Le 22 janvier, c’est au tour des travailleurs et travailleuses de Rio Tinto à Alma de donner leur appui : en plus d’être présents sur le piquet de grève, ils ont également annoncé un appui financier de 15 000 dollars par semaine. Ayant eux-mêmes vécu un lock-out de six mois en 2012, pendant lequel ils avaient reçu l’aide des travailleurs de l’ABI, il n’était que normal qu’ils rendent la pareille à leurs frères et soeurs salariés de Bécancour.

Puis, le 20 février dernier, les 400 travailleurs de l’usine de fabrication d’autobus Micro Bird, de Drummondville, ont remis 3000 dollars aux lock-outés, et se sont engagés à leur donner 1000 dollars par semaine. « C’est une première pour notre unité syndicale de contribuer ainsi pour soutenir des confrères et consoeurs dans un conflit. C’est un geste important pour nous. Nous avons compris que l’employeur souhaite remettre en question l’ancienneté. C’est inadmissible, le respect de l’ancienneté fait partie de nos bases syndicales », a affirmé William Lauzière, président de l’unité syndicale de l’usine.

Injonctions : la loi au service du patronat

Afin de se donner tous les outils pour écraser les travailleurs, les patrons de l’ABI se sont en premier lieu armés d’une injonction limitant les syndiqués à un maximum de 15 personnes sur le piquet de grève et les empêchant de bloquer l’accès aux cadres sur le lieu de travail. Pour s’assurer que son droit de propriété est respecté, la direction d’ABI a fait affaire avec une entreprise privée pour filmer les syndiqués. Pour faire taire les syndiqués, l’injonction a été renforcée le 22 janvier, cette fois-ci empêchant complètement les travailleurs d’occuper la propriété de l’entreprise.

Clément Masse, le président du syndicat, commentait ces développements : « C’est dommage. On pense que l’employeur devrait mettre son énergie à revenir à la table de négociation. Elle serait bien mieux utilisée que de la perdre à débattre sur des injonctions. »

Cependant, il ne faut pas se laisser leurrer, l’attitude des patrons n’a rien de surprenant. Leurs intérêts sont toujours fondamentalement opposés à ceux des travailleurs. Si les capitalistes ont l’occasion d’augmenter leur marge de profits en réduisant les salaires et en attaquant les conditions de leurs employés, ils n’hésiteront pas à le faire, comme c’est le cas présentement en Mauricie. Le lock-out et les injonctions ont pour but de faire plier les travailleurs : pour les patrons, tous les moyens sont bons pour défendre leurs intérêts.

Résistons aux attaques patronales!

Le PDG de l’Association de l’aluminium du Canada, Jean Simard, affirmait récemment que l’enjeu à l’ABI était celui de la productivité : « Quand on regarde la concurrence, si on veut se maintenir dans l’avenir, il faut être très productif. Ça va demander de l’agilité et des profils d’emplois et de personnes différents. Il faut avoir une plus grande mobilité de la main-d’œuvre à l’intérieur des organisations. » Ce qui signifie, pour les patrons, demander aux travailleurs d’accepter des conditions de travail moindre au nom de la productivité et de la compétitivité.

À l’ABI en particulier, les patrons ont peu investi pour moderniser l’aluminerie. Elle était la plus performante lors de son ouverture en 1986, mais elle est maintenant derrière les autres alumineries du Québec. Nous voyons que les patrons de l’ABI souhaitent que ce soient les travailleurs qui payent pour augmenter la compétitivité de l’aluminerie et compenser pour les faibles investissements des patrons.

Si le conflit de travail devait se conclure avec une victoire des patrons, les huit autres alumineries du Québec risqueraient de connaître elles aussi des attaques de la partie patronale, particulièrement les trois d’entre elles qui ne sont pas syndiquées. Inversement, une victoire pour les travailleurs serait une inspiration pour le secteur entier.

Les travailleurs d’ABI n’ont pas à reculer très loin pour trouver une source d’inspiration dans leur lutte. Au début de l’année 2012, les 780 travailleurs syndiqués de l’usine Rio Tinto Alcan à Alma avaient eux aussi connu un lock-out qui cette fois-ci avait duré plus de six mois. Le conflit de travail avait été déclenché par l’initiative des patrons de remplacer de plus en plus d’emplois par de la sous-traitance dans le but de pouvoir réduire la part investie en salaires et en bénéfices. Encore une fois, on assistait à une attaque du patronat avec pour objectif rien d’autre que l’augmentation de leur part de profits.

Les syndiqués avaient alors organisé une campagne internationale contre Rio Tinto. Ils en avaient profité pour dénoncer l’entreprise pour ses infractions commises en matière d’environnement, de droits de la personne et de relations de travail dans ses exploitations autour du monde. Le 31 mars 2012, une manifestation de solidarité a été organisée à Alma (voir la photo ci-dessous). 8000 personnes y ont participé, dans une petite ville de 30 000 habitants. Des syndiqués d’une dizaine de pays où opère Rio Tinto étaient venus pour l’occasion, d’aussi loin que la Nouvelle-Zélande, l’Australie et l’Afrique du Sud. Les travailleurs ont fini par gagner une entente qui encadre et limite la sous-traitance, et empêche notamment de remplacer des emplois existant par de la sous-traitance. Cette mobilisation est un exemple à suivre.

Ce n’est pas la première fois qu’Alcoa prend à la gorge les travailleurs de son aluminerie. En 2013, elle avait menacé de fermer l’ABI en réponse à la hausse prévue des tarifs d’électricité par le gouvernement de Pauline Marois. Puis, en mai 2016, l’entreprise a à nouveau évoqué la possibilité de fermer l’usine alors qu’Alcoa souhaitait renégocier pour diminuer encore ses frais d’électricité. Le président des métallos, Alain Croteau, se demandait récemment, avec raison, s’il fallait « voir dans le lock-out une tactique pour semer l’incertitude et peser dans la balance de tarifs d’électricité inférieurs. » Alcoa et Rio Tinto n’ont aucun problème à mettre les conditions de vie et de travail de leurs salariés sur la sellette si cela peut leur permettre de faire des gains en terme de productivité et de compétitivité. C’est ce que M. Croteau affirmait au sujet de Rio Tinto, disant que l’entreprise « n’hésite pas à faire souffrir des centaines de familles et appauvrir toute une région si leurs intérêts commerciaux sont en jeu. »

Ultimement, tant que ces grandes entreprises seront entre les mains des capitalistes, dans ce cas-ci Alcoa et Rio Tinto, les conditions de vie et de travail des travailleurs ne seront pas à l’abri de l’avarice sans limites des patrons et de leurs actionnaires. Nationaliser ces entreprises sous le contrôle démocratique des travailleurs eux-mêmes aurait pour premier effet de protéger les emplois. Cela donnerait ensuite la possibilité d’organiser la production selon les besoins des gens, et non pas selon les caprices d’une poignée d’oligarques qui ne contribuent en aucun cas à un développement sain de la société. Sans le despotisme des patrons, il devient possible d’organiser la production de façon rationnelle, de façon à ce que la concurrence ne puisse plus justifier de mettre en précarité des milliers de personnes.

En réponse aux attaques d’Alcoa et de Rio Tinto, nous devons lancer une campagne à l’image de celle de 2012 à Alma. L’appui financier des autres syndicats de la région est une inspiration pour le mouvement ouvrier. Ce qu’il faut maintenant, c’est une mobilisation de masse des travailleurs des autres alumineries du Québec et des travailleurs de toute la région de la Mauricie, dans la perspective d’aller chercher l’appui des travailleurs de l’ensemble de la province s’il le faut. Les centrales syndicales possèdent les capacités de rendre une telle campagne efficace en mobilisant leurs membres pour qu’ils soutiennent activement les travailleurs de l’ABI. C’est ainsi que nous pourrons faire reculer les deux géants de l’aluminerie.

Soutenons les lock-outés de l’ABI!

Les centrales syndicales doivent mobiliser leurs membres!

Les familles de la Mauricie avant les profits des patrons!