Après avoir été presque anéanti il y a quelques années par la vague orange, le Bloc québécois s’est réinstallé sur la scène. Il surfe actuellement en deuxième position dans les intentions de vote au Québec. Devant des partis qui suscitent au mieux l’indifférence, le Bloc est souvent vu comme une valeur refuge où aller placer son vote. Au moins, se disent certains, le Bloc défend les intérêts du Québec et des Québécois. Mais de quels Québécois le Bloc défend-t-il les intérêts?

Au service du patronat

Si le Bloc aime s’afficher comme un parti social-démocrate, le masque est tombé à plusieurs reprises depuis le début de la campagne. 

Notamment, sur le dossier de la soi-disant pénurie de main-d’œuvre, le chef du Bloc Yves-François Blanchet se porte à la défense des intérêts du patronat. Le Bloc réclame l’abolition de la Prestation canadienne de la relance économique (PCRE). Blanchet, dans un discours à l’occasion de la fête du Travail où il disait se préoccuper des intérêts des travailleurs, a qualifié la PCRE « d’obstacle à un sain recours à la force de travail disponible sur le marché du travail ». Effectivement, les employeurs ont besoin d’un large bassin de travailleurs n’ayant d’autre moyen pour survivre que d’accepter de vendre leur force de travail pour un salaire de misère. Or, la PCRE vient leur faire concurrence. N’ayez crainte, pauvres patrons, Blanchet est à la rescousse!

Pour ce qui est de l’environnement, un enjeu qui est supposément très important pour le parti, Yves-François Blanchet a refusé de s’opposer au troisième lien, un projet qui selon lui pourrait être écologique. Ce vaste projet de tunnel autoroutier entre Québec et Lévis vise à régler les problèmes de congestion routière dans la région. Qu’un énorme tunnel en béton, beaucoup trop cher, et n’ayant de toute façon aucune chance de régler les problèmes de transport de la région de Québec à long terme soit présenté comme potentiellement écologique est complètement ridicule. Seule la classe dirigeante québécoise profiterait du troisième lien en s’en mettant plein les poches

Sur ce dossier comme sur tous les autres, Blanchet suit de près les positions de la CAQ. Il avait aussi refusé de s’opposer au gazoduc GNL Québec, sous prétexte d’attendre la recommandation du Bureau d’audiences publiques sur l’environnement (BAPE), calquant la position de François Legault. Blanchet s’alignait ainsi sur les intérêts des barons du pétrole albertains et des gros investisseurs américains derrière ce projet destructeur de l’environnement.

En réalité, il est facile pour le Bloc de prétendre se préoccuper de l’environnement, puisqu’il ne formera jamais le gouvernement. Or, comme Yves-François Blanchet a déjà été au gouvernement, lorsque le PQ de Pauline Marois était au pouvoir, nous avons une bonne idée de ce qu’il défend vraiment. Lorsqu’il était ministre de l’Environnement, Blanchet a approuvé trois gros projets polluants pour plaire à ses amis capitalistes, c’est-à-dire l’inversion de la ligne 9B d’Enbridge, la cimenterie McInnis et le forage sur l’île d’Anticosti. D’ailleurs, il n’a pas eu le même scrupule que dans le cas de GNL, puisqu’il n’a même pas attendu le rapport du BAPE pour les approuver.

Et c’est la même logique pour les autres mesures progressistes que le Bloc prétend défendre, comme l’application de la loi anti-briseurs de grève au fédéral ou des impôts sur les plus nantis. Si le Bloc fait aujourd’hui grand cas de sa proposition de taxer les riches, les bottines ne suivent pas les babines. L’an passé il s’est rangé du côté des conservateurs et des libéraux pour voter contre une motion du NPD demandant un impôt sur les grandes fortunes. Le Bloc a la liberté de se donner une image pro-travailleurs tant qu’il sait que ses propositions ne seront pas acceptées par le parlement. Ses paroles ne sont que du vent.

On dit souvent que le Parti libéral du Canada fait campagne à gauche et gouverne à droite. Dans le cas du Bloc, il fait campagne à gauche et ne gouverne pas. Au moins les libéraux nous donnent la satisfaction de savoir que leurs mensonges électoraux n’étaient que des mensonges.

Rien de nouveau

En fait, si l’on revient à l’origine du Bloc québécois, on constate qu’il n’a pas été formé dans l’intention de défendre des politiques progressistes ou pro-travailleurs. Le Bloc québécois a été formé officiellement en 1991 et a participé à ses premières élections en 1993, dans la foulée de l’échec des accords du Lac Meech.

Mais peu de gens savent que le Bloc québécois tire ses origines d’une alliance en 1990 entre des députés fédéraux conservateurs et libéraux, menés par Lucien Bouchard, qui était alors ministre conservateur. Ces députés ont quitté les deux grands partis fédéraux alors que ceux-ci étaient en crise. Ils se sont alors rassemblés autour de la question nationale et de la défense des « intérêts du Québec », mais du même point de vue de classe que les partis capitalistes qu’ils venaient de quitter. Le Bloc ne devait exister que temporairement, dans le but de défendre la souveraineté à la Chambre des Communes.

Les « intérêts du Québec » en question deviennent plus clairs lorsqu’on lit le manifeste fondateur du parti, Un nouveau parti pour l’étape décisive. Ce texte est écrit par Lucien Bouchard en 1993, dans un contexte de crise économique. La préoccupation principale de Bouchard est celle d’un bourgeois québécois qui voit le bateau canadien couler. Il prévient le reste de la bourgeoisie québécoise que l’économie canadienne est traversée d’une « crise structurelle » qui se manifeste par une « léthargie prononcée de la productivité ». Il dénonce aussi le « laxisme budgétaire certain dans les finances publiques fédérales » qui devra mener à des mesures d’austérité. Il appelle donc les capitalistes québécois à abandonner le navire. 

Bouchard appliquera plus tard ses idées économiques lorsqu’il deviendra premier ministre du Québec. Cela prendra la forme d’une austérité brutale et du « déficit zéro », avec des coupes à la tronçonneuse dans les services publics. 

Nationalisme identitaire

Avec l’échec du référendum de 1995 et le recul du mouvement souverainiste, le Bloc québécois a dû se trouver une autre raison d’exister. Le parti a même failli être rayé de la carte en 2011 au profit du NPD. Le Bloc s’est réinventé en minimisant la question de la souveraineté au profit de la simple défense des compétences provinciales québécoises, et surtout au profit d’un nationalisme identitaire crasse. 

Cette face chauvine du nationalisme s’est vue avec l’islamophobie grandissante masquée par le slogan de la « laïcité », dont le Bloc s’est fait le défenseur à Ottawa. Cela l’a mené à nager dans la fange du racisme et à s’empêtrer dans les contradictions les plus ridicules. 

Cela a commencé sous la direction de Gilles Duceppe, alors que le Bloc relayait à Ottawa le discours de peur du voile qui régnait au Québec. Il a fait campagne contre le niqab lors de l’assermentation de citoyenneté canadienne – une problématique inventée de toute pièce – et utilisé des publicités racistes. Également, les scandales entourant des candidats du Bloc ayant tenu des propos islamophobes se sont multipliés durant cette période.

Puis dernièrement, sous prétexte de s’opposer à l’anglo-chauvinisme, le parti joue sur les mots avec la notion de racisme systémique, affirmant qu’elle est une arme politique contre le Québec. L’inconfort du parti avec cette notion a même poussé le député bloquiste Alain Therrien à se porter à la défense de… la Gendarmerie royale du Canada! L’absurdité d’un nationaliste québécois qui tente d’exonérer le bras armé du colonialisme anglo-canadien ne saurait être plus flagrante.

La manipulation des sentiments islamophobes a aussi poussé Yves-François Blanchet à répéter un mensonge raciste issu d’un site de fausses nouvelles d’extrême droite canadien-anglais, Rebel News, lorsqu’il a insinué que le ministre fédéral Omar Alghabra est lié au mouvement islamique politique. 

Les intérêts de qui?

Le Bloc québécois est un exemple de ce qui arrive lorsqu’on place la question nationale devant la question de classe. Il prétend défendre les « intérêts du Québec ». Mais les « intérêts du Québec » ne sont qu’une abstraction. Celle-ci sert à dissimuler des mesures qui concrètement vont à l’encontre des intérêts des travailleurs québécois.

Un des arguments préférés du Bloc pour défendre toutes sortes de politiques réactionnaires est le partage des compétences entre le provincial et le fédéral. Ainsi, le Bloc a récemment voté contre une assurance-médicament universelle au Canada sous prétexte que cela empiéterait sur le champ de compétences du Québec. Mais qu’est-ce qui est le plus dans les intérêts des Québécois : avoir des médicaments abordables, ou ne pas en avoir? Le même argument a récemment été mobilisé contre la proposition du NPD de hausser le salaire minimum des travailleurs sous juridiction fédérale. Les capitalistes canadiens devraient remercier Blanchet! 

On a aussi vu Blanchet s’opposer à ce que les transferts fédéraux en santé soient conditionnels au maintien du caractère public du système de santé. Sous prétexte de défendre le champ de compétence provincial, il protège en pratique la privatisation du système de santé. Pas surprenant pour quelqu’un qui a été ministre dans le gouvernement de Pauline Marois qui a abandonné sa promesse d’abolir la honteuse « taxe santé », qui représentait un pas dans la direction de la tarification de la santé.

C’est la même question des compétences qui a poussé le premier ministre du Québec François Legault à donner son appui au Parti conservateur du Canada, sous prétexte que celui-ci promet de respecter le champ de compétence du Québec. Quiconque se souvient des sombres années sous le gouvernement conservateur de Stephen Harper sait bien que même si les conservateurs respectent strictement les compétences provinciales, une victoire conservatrice serait une menace aux travailleurs québécois (et canadiens). 

En réalité, il n’y a pas d’intérêts communs au Québec. Il y a les intérêts des Québécois qui travaillent et les intérêts des Québécois qui possèdent une entreprise. Leurs intérêts sont fondamentalement opposés et irréconciliables. Même si les bloquistes souhaitaient sincèrement défendre les intérêts des travailleurs québécois, ils ne pourraient le faire en même temps que défendre ceux des capitalistes québécois. Et dans une économie capitaliste, les intérêts de ces derniers vont toujours l’emporter. Le Bloc québécois, lorsqu’il défend les « intérêts du Québec », défend nécessairement ceux de la classe dirigeante du Québec. Comme le dit Lénine, « ce que chaque bourgeoisie recherche dans la question nationale, ce sont des privilèges pour sa propre nation ou des avantages exceptionnels pour elle ». Voilà ultimement la vraie signification du nationalisme du Bloc. 

Et Yves-François Blanchet l’a candidement reconnu récemment, lorsqu’il a dit « beaucoup aimer » Dominique Anglade, la cheffe du Parti libéral du Québec, mais avoir peu « d’atomes crochus avec Québec solidaire ». Il prétexte les liens supposés de QS avec le NPD, un parti fédéraliste… comme si le PLQ n’avait pas de lien avec les libéraux fédéraux! En réalité, s’il a plus « d’atomes crochus » avec un parti fédéraliste de droite qu’avec un parti indépendantiste de gauche, c’est bien parce que le PLQ et le Bloc défendent les intérêts de la même classe sociale. 

Trop d’indépendantistes de gauche et même de syndicats au Québec s’imaginent encore que le Bloc a quelque chose de progressiste. En cela, ils tombent droit dans le piège du nationalisme et se retrouvent à la remorque de la bourgeoisie québécoise. On en voit un exemple très clair avec le Parti « communiste » du Québec, qui jusqu’à récemment militait dans le Bloc québécois, un parti que le PCQ qualifie lui-même de bourgeois. Son leader André Parizeau s’était même porté candidat pour le Bloc, jusqu’à ce que le parti l’écarte. Le PCQ, ayant abandonné une perspective internationaliste, soutient coûte que coûte l’indépendance et « la Nation », quitte à s’allier avec les pires bourgeois réactionnaires. Cette servilité devant la bourgeoisie nationaliste a été poussée jusqu’à sa conclusion logique lorsque le parti a soutenu le milliardaire Pierre-Karl Péladeau, le magnat de la presse à la tête de l’empire Québecor et ennemi juré des syndicats, à la chefferie du Parti québécois, sous prétexte que cela serait bon pour le mouvement souverainiste!

Comme nous l’avons déjà expliqué ailleurs, le nationalisme est une pente glissante. Il faut bien sûr s’opposer et lutter contre toute forme d’oppression nationale, et nous partageons donc la volonté des nationalistes de lutter contre l’État fédéral réactionnaire. Mais on ne peut pas dépasser cette ligne et entrer sur le terrain de la lutte pour « notre » nation. Les travailleurs d’ici n’ont pas d’intérêts différents de ceux des travailleurs canadiens-anglais, autochtones, américains ou mexicains. Défendre les intérêts de « notre » nation, appuyer « notre » nation plutôt qu’une autre mène à s’opposer aux intérêts des autres. De là, il n’y a qu’un pas jusqu’au racisme anti-musulmans et anti-immigrants. De plus, sans perspective de classe, la défense de la « nation » devient nécessairement la défense des capitalistes « de chez nous ». C’est exactement ce que nous voyons avec le Bloc. 

Les travailleurs québécois doivent lutter pour leurs propres intérêts. Pour cela, ils doivent se battre sur des lignes de classe claires et tourner le dos au chant des sirènes nationalistes. Le Bloc n’a rien à offrir aux travailleurs, aux pauvres et à la jeunesse du Québec. Les partis nationalistes qui prétendent se battre pour les intérêts de la « nation » finiront toujours par trahir les travailleurs de cette même nation.

Comment combattre l’austérité à venir?

Nombreux sont ceux qui craignent ce qui arrivera avec le prochain gouvernement, et cette crainte est fondée. Avec une économie en ruine et des dettes publiques monstrueuses, les capitalistes réclameront des mesures d’austérité profondes. Que ce soient les conservateurs ou les libéraux au pouvoir, ils obéiront à leurs maîtres. Ni les uns ni les autres ne sont les amis des travailleurs. 

Par conséquent, l’idée de voter pour le Bloc pour bloquer une majorité libérale ou conservatrice circule beaucoup. Lorsque le prochain gouvernement attaquera inévitablement les travailleurs, il va falloir pouvoir se défendre. Or, le Bloc québécois ne pourra jouer ce rôle. L’austérité ne sera pas stoppée par quelques votes au parlement, et pas par un parti aligné sur les intérêts des patrons comme le Bloc. Un mouvement de masse des travailleurs pour bloquer l’austérité sera nécessaire. Le Bloc ne mobilisera jamais un tel mouvement de masse. 

Seul un programme audacieux répondant aux besoins urgents des travailleurs et de la jeunesse pourrait susciter l’enthousiasme suffisant pour soulever un mouvement : un programme de construction massive de logements abordables, d’embauche de milliers de travailleurs de la santé avec des hauts salaires, de gratuité scolaire, d’investissements massifs dans le transport en commun et la transition énergétique, de hausse des salaires, etc. Seule la transformation socialiste de la société par l’expropriation des banques et des grandes entreprises et leur gestion démocratique par les travailleurs pourrait permettre de réaliser un tel programme. Le parti qui proposera ce programme socialiste réussira à vaincre l’austérité et à unir les travailleurs au-delà des divisions nationales et linguistiques.