Scandale linguistique au Canadien National : quelle devrait être l’approche socialiste?

La nomination d’une nouvelle PDG anglophone, Tracy Robinson, en janvier dernier à la tête de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) a soulevé un véritable tollé. En effet, cette décision signifie que son conseil d’administration ne contient maintenant plus aucun dirigeant francophone. Il ne s’agit pas d’un cas isolé, mais d’une manifestation du vieil anglo-chauvinisme canadien. Quelle devrait être l’approche socialiste face à cette affaire?

  • Corinne Lavallée
  • mar. 17 mai 2022
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Photo : Domaine public

La nomination d’une nouvelle PDG anglophone, Tracy Robinson, en janvier dernier à la tête de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (CN) a soulevé un véritable tollé. En effet, cette décision signifie que son conseil d’administration ne contient maintenant plus aucun dirigeant francophone. Il ne s’agit pas d’un cas isolé, mais d’une manifestation du vieil anglo-chauvinisme canadien. Quelle devrait être l’approche socialiste face à cette affaire?

Le scandale rappelle l’affaire du PDG d’Air Canada, Michael Rousseau, qui avait prononcé un discours uniquement en anglais devant la Chambre de commerce du Montréal métropolitain (CCMM) l’automne dernier. Suite à cet événement, le Commissariat aux langues officielles du Canada avait reçu un nombre record de plaintes et les chefs des partis politiques au fédéral et au provincial avaient exprimé leur colère, si bien que M. Rousseau a été contraint de s’excuser et de s’engager publiquement à suivre des cours de français.

Le cas du CN n’est pas sans rappeler un tollé similaire survenu il y a exactement 50 ans au sein de la même compagnie, lorsque le président du CN, Donald Gordon, avait déclaré publiquement son refus d’engager des francophones comme vice-présidents sous prétexte qu’ils n’avaient pas les compétences requises. La situation des francophones a beaucoup changé depuis mais, comme le commissaire aux langues officielles du Canada le faisait remarquer cette année, les grandes entreprises canadiennes ne montrent toujours pas grand intérêt à intégrer le français à leur structure organisationnelle et à promouvoir le bilinguisme chez leurs dirigeants. Cela reflète la faiblesse historique de la bourgeoisie québécoise francophone qui, malgré qu’elle se soit taillé une place au fil des décennies, occupe encore une position subordonnée face aux capitalistes anglophones.

Ce sont le premier ministre François Legault et les chroniqueurs québécois de droite comme Richard Martineau, Mathieu Bock-Côté et Denise Bombardier, qui ont crié au scandale, comme ils sont généralement les premiers à le faire lors des événements dans ce genre. Devant une telle levée de boucliers, les dirigeants des partis politiques au provincial et au fédéral ont suivi le mouvement et fait des points de presse pour dénoncer l’unilinguisme anglophone des patrons.

Mais Legault et ses colporteurs d’opinions sont des hypocrites : ils ne se gênent pas pour crier à droite et à gauche qu’il faut mettre de l’avant et favoriser les francophones dans toutes les sphères de la culture, de l’économie et de la politique québécoise, mais ils condamnent les mêmes mesures de discrimination positive lorsqu’elles favorisent les femmes ou les personnes racisées. On n’a qu’à penser au chahut soulevé chez la droite nationaliste par le concours de l’Université Laval ciblant exclusivement les femmes, les Autochtones, les personnes racisées et les personnes avec un handicap pour combler des postes dans ses Chaires de recherche du Canada. Mais dans le cas du CN, ces mêmes personnes deviennent les partisans de leur forcer la main pour embaucher des francophones!

Une approche de classe

Malheureusement, lorsque de telles manifestations d’anglo-chauvinisme surviennent, l’initiative est presque toujours laissée aux nationalistes identitaires qui empoisonnent le débat. Pour eux, chaque manifestation de chauvinisme chez des anglophones est l’occasion de justifier leur propre chauvinisme contre tout ce qui n’est pas francophone, blanc et né au Québec. Et si on les écoutait, les travailleurs francophones devraient eux aussi réclamer à grands cris d’avoir un patronat francophone.

Malheureusement, la gauche entre souvent dans leur jeu en répétant des arguments similaires : la députée de Québec Solidaire Ruba Ghazal, par exemple, a invité la Caisse de dépôt du Québec à retirer ses investissements au CN tant qu’il n’y aura pas de francophones siégeant à son conseil d’administration. Mais avoir un patronat francophone ne change rien à l’exploitation vécue par les travailleurs. Ironiquement, le seul francophone à la direction du CN n’était nul autre que… Jean Charest! Nous n’avons rien à attendre de mesures qui mettraient davantage d’ennemis francophones des travailleurs à la tête des compagnies.

Ce qu’il nous manque et qu’il nous faut, c’est une approche de classe de la question. Le tollé devrait servir à démasquer les patrons du CN qui poussent à bout leurs travailleurs et les contraignent à la grève presque à chaque négociation. Comme l’expliquait Lénine :

« Dans les sociétés par actions, des capitalistes de différentes nations siègent de concert, en parfaite communion. À la fabrique, des ouvriers de différentes nations travaillent ensemble. Dans toute question politique vraiment sérieuse et profonde, le groupement se fait par classes, et non par nations. »

Telle est l’approche que nous devons défendre. Pour les socialistes, un patron reste un patron, qu’il nous exploite en français ou en anglais. Les travailleurs francophones souffrent de la pauvreté, des mauvaises conditions de travail et de l’aliénation, quelle que soit la langue de leur patron, et il en va de même pour les travailleurs anglophones. Nous devons lutter pour que le CN soit contrôlé démocratiquement par les travailleurs, et intégré à un plan socialiste de production comprenant les plus grandes entreprises au Québec et au Canada.

Une entreprise placée sous un contrôle ouvrier, c’est-à-dire administrée par des travailleurs élus par leurs pairs, payés au même salaire, et révocables à tout moment, libère non seulement les travailleurs de leur exploitation, mais elle a aussi un meilleur potentiel de s’attaquer à l’oppression linguistique. Il a d’ailleurs été révélé récemment par le syndicat Teamsters que des travailleurs francophones du CN subissent des menaces et de la pression, sans qu’ils puissent se défendre. Les travailleurs n’ont pas leur mot à dire en ce moment.

Avec le contrôle ouvrier sur les entreprises, nous pourrions nous attaquer à l’oppression à la racine, et offrir des cours de français aux employés qui en ont besoin, et faire de même pour l’anglais ou toute autre langue nécessaire pour le travail. Seule une telle approche de classe permet de combattre l’anglo-chauvinisme sans céder un seul pouce aux nationalistes bourgeois québécois.