Trump, l’Ukraine et la panique des impérialistes européens

Le dénouement de cette guerre impérialiste est un démenti brutal et sanglant des mensonges des propagandistes qui ont prétendu, depuis le premier jour, qu’il s’agissait de défendre la « souveraineté » de l’Ukraine.

  • Jules Legendre
  • lun. 24 févr. 2025
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Photo : Kremlin.ru/Wikimedia Commons

Le dénouement de la guerre en Ukraine approche à grands pas. Donald Trump n’a jamais fait mystère de son intention de solder les comptes de l’aventure impérialiste de son prédécesseur. Néanmoins, l’accélération brutale des négociations entre Russes et Américains est un choc pour les dirigeants ukrainiens, mais aussi pour les impérialistes européens.

Une défaite humiliante

La situation de l’armée ukrainienne est désespérée. Elle manque d’hommes, malgré le zèle des détachements de soldats chargés d’arrêter des civils, dans les rues, pour les envoyer de force sur le front. Des unités entières – comme la 155e brigade, entraînée en France – sont rongées par les désertions. L’état-major ukrainien en est réduit à prélever des hommes dans les unités chargées de l’entretien de ses avions de combat, pour les transférer dans l’infanterie.

De son côté, la Russie est en position de force. Son armée dispose de beaucoup plus d’hommes; elle bénéficie d’une écrasante supériorité en termes de matériel et de munitions; elle progresse quasiment sur toute la ligne de front. Les Russes ont reconquis plus de la moitié du territoire occupé par les Ukrainiens dans la région de Koursk, en Russie. Les troupes russes avancent irrésistiblement dans le Donbass, mais aussi dans le Nord-Est, où elles se rapprochent de la ville de Koupiansk, que les Ukrainiens avaient repris lors de leur contre-offensive de septembre 2022.

La défaite de l’Ukraine est donc inéluctable. Cette perspective terrifie la plupart des politiciens européens, qui ont fait de cette guerre impérialiste un élément central de leur propagande politique. La défaite sera pour eux une véritable humiliation, et ce d’autant plus que cette croisade pour « les valeurs européennes » avait servi à justifier tout et n’importe quoi. En 2022, la députée française Sandrine Rousseau (EELV) avait été jusqu’à défendre la baisse du chauffage dans les HLM, imposée par le gouvernement Macron, au nom de « la lutte contre Poutine ». Pendant que des milliards d’euros étaient envoyés en Ukraine sous la forme d’armes, de munitions et d’aide financière, les gouvernements européens multipliaient les politiques d’austérité.

Désormais, à travers le continent, des millions de personnes se demandent : « tout ça pour ça? » Ceci va nourrir la montée en puissance de démagogues d’extrême droite – comme l’AfD, en Allemagne – et renforcera les forces centrifuges qui déchirent l’Union Européenne.

Entre deux tonitruantes déclarations bellicistes (pour la forme), Macron, Scholz et la plupart des dirigeants européens s’accordent à dire qu’il est temps de mettre fin à la guerre et d’essayer de négocier un accord de paix leur permettant de sauver la face. Malheureusement pour eux, la situation leur est très défavorable. Non seulement Poutine, qui est en position de force, ne se montrera pas généreux à l’égard de dirigeants qui lui ont fait la guerre pendant trois ans, mais Donald Trump n’a pas l’intention de tenir compte des préoccupations des impérialistes de Paris ou Berlin – bien au contraire.

« America First »

La guerre en Ukraine a été l’une des grandes affaires du mandat présidentiel de Joe Biden. Mais de son côté, Trump s’est engagé de longue date à y mettre un terme. C’est tout à fait conforme à ses priorités en matière de politique étrangère. Trump veut concentrer ses efforts contre la Chine, ainsi que sur le continent américain et le Pacifique. Il ne veut plus jeter des milliards de dollars dans une guerre perdue et menée dans un pays – l’Ukraine – où les États-Unis n’ont que peu d’intérêts économiques directs. Le président américain n’a donc aucun scrupule à solder cette guerre aux frais des Européens.

Du point de vue de Donald Trump, la situation est la suivante : à travers l’OTAN, les États-Unis assurent l’essentiel de la défense militaire de l’UE, ce qui permet aux gouvernements européens de limiter leurs budgets militaires – et donc de subventionner leurs entreprises, qui viennent ensuite prendre des parts de marché aux États-Unis. Le raisonnement de Trump est certes élémentaire, mais il est cohérent, et sa conclusion est simple : les États-Unis ne doivent plus traiter l’Europe comme une alliée (qui coûte cher et ne rapporte pas grand-chose), mais comme une rivale.

Ces derniers mois, le président américain a multiplié les annonces de taxes douanières drastiques, et plusieurs de ces annonces étaient dirigées contre l’Union Européenne. Le 12 mars, une taxe de 25% frappera les importations d’aluminium et d’acier, ce qui va pénaliser de nombreuses entreprises européennes. Trump a aussi menacé d’introduire une taxe, sur les marchandises européennes, d’un montant équivalent à la TVA appliquée dans l’UE.

Lors du sommet annuel consacré à la sécurité en Europe, qui s’est tenu à Munich le 14 février, le vice-président américain J.D. Vance a littéralement déclaré la guerre à l’establishment libéral de l’Union Européenne : « La menace qui m’inquiète le plus en Europe n’est ni la Russie, ni la Chine, ni celle d’aucun autre acteur extérieur. Ce qui m’inquiète, c’est la menace venant de l’intérieur. […] J’ai été frappé de voir qu’un ancien commissaire européen a semblé se réjouir récemment, à la télévision, du fait que le gouvernement roumain venait tout juste d’annuler une élection. Il a averti que si les choses ne se passaient pas comme prévu, la même chose pourrait se produire en Allemagne. » Si les dirigeants européens avaient encore des doutes sur ce qui les attendait, les voilà fixés.

Impuissance européenne

Les négociations se sont accélérées mi-février. Le 12 février, Trump a téléphoné à Poutine. C’était le premier échange direct entre la Maison-Blanche et le Kremlin depuis février 2022. Le même jour, le secrétaire américain à la Défense, Pete Hegseth, présentait les positions fondamentales des Américains dans les futures négociations : l’idée que l’Ukraine pourrait revenir à ses frontières d’avant 2014 est « illusoire », et les futures frontières devront être basées sur une « évaluation réaliste de la situation sur le front »; aucune troupe américaine ne sera stationnée en Ukraine, et si des troupes de l’OTAN le sont, elles ne seront pas couvertes par des dispositions de défense mutuelle impliquant les États-Unis; enfin, l’Ukraine ne pourra pas rejoindre l’OTAN. Cela revient à accepter d’entrée de jeu les principales revendications de la Russie. La semaine suivante, le secrétaire d’État américain Marco Rubio s’est envolé pour l’Arabie Saoudite, où il a rencontré le ministre des Affaires étrangères russe, Sergueï Lavrov – en l’absence de tout représentant européen ou ukrainien.

Marginalisés, les pays de l’UE ont multiplié les gesticulations diplomatiques. Mais cela n’a fait que révéler leur faiblesse et leur division. Le 17 février, Macron avait convoqué à l’Élysée une réunion d’urgence d’une partie des dirigeants européens. Avant même l’ouverture de la réunion, les dirigeants tchèques et roumains se sont plaints d’avoir été oubliés (les Tchèques dénonçant même « l’arrogance » de Macron). L’épisode s’est fini en eau de boudin : le chancelier allemand Scholz est parti avant la fin, et ceux qui sont restés n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur quoi que ce soit.

Cette impuissance est le reflet du véritable rapport de force. Coincée entre les États-Unis et la Russie, l’Europe capitaliste est divisée entre des puissances impérialistes en déclin rapide et qui, seules, seraient bien incapables d’aider l’Ukraine à continuer la guerre. Comme le soulignait récemment un journaliste américain : « […] des officiels européens haut placés reconnaissent en privé qu’ils ne peuvent pas mener d’opérations militaires sans les États-Unis. Les Ukrainiens eux-mêmes, s’ils sont reconnaissants pour l’appui européen, disent que les garanties américaines restent néanmoins plus importantes. » [1]

Mensonges et trahisons

En 2019, cinq ans après le début de la guerre dans le Donbass, Volodomir Zelensky était élu président de l’Ukraine sur un programme de rupture avec la politique menée par les gouvernements nationalistes qui s’étaient succédé au pouvoir après le coup d’État de Maïdan, en 2014. Zelensky avait notamment promis de normaliser les relations diplomatiques avec la Russie et de mettre fin à la guerre. Soumis à la pression des impérialistes occidentaux et des nationalistes ukrainiens, il a finalement appliqué la même politique que ses prédécesseurs et agité la perspective d’une entrée de l’Ukraine dans l’OTAN, ce qui était inacceptable pour la Russie – et a mené tout droit à la guerre.

Quelques semaines après l’invasion russe de février 2022, un accord de paix négocié à Ankara semblait sur le point d’être signé par les Ukrainiens et les Russes. Le premier ministre britannique de l’époque, Boris Johnson, avait débarqué en urgence à Kiev pour convaincre Zelensky de refuser tout accord de paix. Les Occidentaux ont alors promis qu’ils soutiendraient Kiev « jusqu’au bout ».

Pour les impérialistes occidentaux, cette guerre semblait une occasion rêvée d’affaiblir la Russie à peu de frais, en utilisant l’Ukraine comme une arme. Biden parlait ouvertement de la nécessité de renverser le régime de Poutine, pendant que les services diplomatiques européens et américains subventionnaient des exilés russes ou biélorusses, dont certains projetaient de « démanteler la Russie ». Un déluge de propagande se déversa dans les médias pour glorifier la « résistance ukrainienne », repeindre les nazis de la brigade « Azov » en défenseurs de la liberté et accuser la Russie de tous les crimes – réels ou inventés de toutes pièces.

Aujourd’hui, l’Ukraine est ravagée, son économie est en ruines, des centaines de milliers de ses citoyens sont morts ou invalides, et elle est profondément endettée auprès de ses « protecteurs » occidentaux. Donald Trump l’a dit publiquement : l’Ukraine devra payer ses dettes.

La Russie sort renforcée de cette confrontation avec l’Occident. Elle dispose désormais de la force armée la plus nombreuse et la plus endurcie au monde. Les sanctions occidentales n’ont pas mis à genoux l’économie russe, qui a noué de nouveaux partenariats avec de nombreux pays – auxquels elle vend le gaz que n’achètent plus ses anciens clients européens. Au deuxième semestre de l’année 2024, le salaire réel moyen des travailleurs russes a même augmenté de 9%. Cela s’explique largement par les investissements dans l’industrie militaire, qui emploie près de 25% de la force de travail. L’économie russe est certes menacée par une forte inflation et devra bientôt gérer la « démilitarisation » de son industrie, mais elle reste en bien meilleur état que celle de la plupart des pays européens, qui ont été coupés de leur approvisionnement en gaz russe et ont subi de plein fouet la crise inflationniste aggravée par la guerre, mais aussi par… les sanctions contre la Russie!

Le dénouement de cette guerre impérialiste est un démenti brutal et sanglant des mensonges des propagandistes qui ont prétendu, depuis le premier jour, qu’il s’agissait de défendre la « souveraineté » de l’Ukraine. Cette dernière n’a jamais été qu’un pion entre les mains de l’impérialisme américain et de ses alliés européens dans leur lutte contre l’impérialisme russe. Maintenant que la guerre est perdue, les impérialistes américains en profitent pour régler leurs comptes avec leurs « alliés » européens – traités en rivaux – et abandonnent le peuple ukrainien à ses souffrances.


[1] « The Superpower Has Left the Building: Munich 2025 », Richard Fontaine, War on the Rocks, 17 février 2025.