Photo : @Val_Plante sur Twitter

En décembre dernier, la mairesse de Montréal, Valérie Plante, a publié le budget de fonctionnement de la ville pour 2022. Dans un contexte de flambée des prix des loyers et de crise croissante de l’itinérance, réduire le budget existant pour le logement était à ses yeux la « bonne chose à faire ». Ce qui a pris la tête de ses priorités, c’est l’augmentation du budget de la police, déjà très lourd. Apparemment, notre mairesse « progressiste » n’avait rien de mieux à faire que d’accorder au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) sa deuxième plus grosse augmentation budgétaire dans l’histoire.

Les déceptions se succèdent

En novembre dernier, Plante a été réélue à la mairie, battant une fois de plus Denis Coderre d’Ensemble Montréal, qui était le candidat incarnant l’establishment détesté. Bien que Plante ait gagné, elle a réussi à perdre 25 000 voix par rapport à son élection de 2017. Les Montréalais s’éloignent lentement de sa politique centriste, malgré ses tentatives de paraître de gauche en mettant l’accent, du moins en paroles, sur les questions liées à l’environnement et au logement.

Depuis leur première élection en 2017, Plante et son parti Projet Montréal n’ont pas réussi à tenir bon nombre des promesses qui leur ont valu leur popularité au départ (comme la ligne de métro rose autrefois promise, qui a maintenant été balayée sous le tapis). Ces déceptions sont particulièrement flagrantes en ce qui concerne le logement et la police.

En 2020, au milieu de la pandémie et d’une crise du logement, des milliers de personnes ont perdu leur emploi et leur maison, et les villages de tentes se sont multipliés dans tout le Canada. Dans le froid glacial de novembre, Plante a envoyé la police anti-émeute pour démanteler le village de tentes qui était apparu sur la rue Notre-Dame à Montréal. Plus tard, lors d’une conférence de presse, elle a déclaré que c’était « la chose à faire ».

Plus d’un an plus tard, les choses ont encore dégénéré. En janvier dernier, les nouvelles ont rapporté le décès de Stella Stosik, la deuxième sans-abri montréalaise à mourir d’hypothermie en seulement 10 jours. Le premier était un homme de 74 ans vivant dans un campement du quartier Notre-Dame de Grâce. Plante, au lieu de fournir des fonds pour faire face à la crise, n’a offert que des larmes de crocodile.

Alors que l’itinérance devient rapidement une épidémie, elle répond en injectant plus d’argent dans les budgets de la police. Dans son budget pour 2022, les 5,9 millions de dollars alloués à la lutte contre l’itinérance sont éclipsés par le budget astronomique de 724 millions de dollars alloué à la police. Qu’a-t-elle à dire sur le sujet? « Nous agissons de manière responsable. »

Après la réélection de Plante, le porte-parole de Québec solidaire, Gabriel Nadeau Dubois, a déclaré : « Ce que je constate, c’est qu’un peu partout au Québec, les Québécois et les Québécoises ont mis au pouvoir des administrations qui veulent en faire plus sur le plan du transport en commun et sur le plan du logement. »

S’il est absolument vrai que l’humeur de la société se déplace vers la gauche, et se détourne du type de politique conservatrice représenté par Coderre, ce serait une grave erreur de croire que l’administration de Projet Montréal fera grand-chose pour s’attaquer aux crises qui touchent la classe ouvrière. Bien qu’elle n’aille pas aussi loin que François Legault et la ministre provinciale de l’Habitation Andrée Laforest, qui nient tous deux l’existence d’une crise du logement, dans ses actions concrètes Valérie Plante n’est pas loin de ces représentants de droite des capitalistes – et surtout de Coderre.

Coderre avait passé toute sa campagne à agiter le spectre de la violence par armes à feu – utilisant de façon opportuniste la couverture médiatique de la violence des gangs dans le nord-est de la ville – pour se présenter comme le candidat capable de rétablir l’ordre. Il promettait d’augmenter le budget de la police, et dénonçait Plante comme la candidate du définancement de la police, en référence à la revendication issue du mouvement Black Lives Matter de 2020.

Plante, au lieu d’assumer cette image de gauche, a tenté de contrer ces attaques de la droite en essayant d’être encore plus pro-police que Coderre. Elle a égalé sa promesse d’embaucher 250 policiers, et s’est même vantée d’avoir dépensé plus pour la police que lui. Elle a en effet prouvé qu’elle pouvait être tout autant la candidate de la « loi et l’ordre » que Coderre. Une partie importante de l’augmentation du budget de la police de cette année servira à embaucher 122 nouveaux agents, qui viendront s’ajouter à ce qui est déjà le plus gros service de police par habitant de toutes les villes canadiennes.

Ce n’est pas la première fois que Plante et Projet Montréal augmentent le financement du SPVM. En 2020, le budget de la police était de 679,1 millions de dollars. Plante a augmenté ce budget de 14 millions de dollars supplémentaires en 2021, malgré une impopularité généralisée, tout en réduisant simultanément de 13 millions de dollars le budget du logement.

Il ne s’agit pas non plus d’un phénomène isolé. Cette année, les dix plus grands services de police municipaux et régionaux du Canada prévoient tous des augmentations de budget. La question est la suivante : pourquoi insiste-t-on tant pour gonfler les budgets des services de police à l’extrême? Pour répondre à cette question, nous devons d’abord comprendre le contexte dans lequel cela se produit.

Pourquoi maintenant?

N’oublions pas que c’est il y a seulement deux ans que nous avons assisté au mouvement Black Lives Matter, la plus grande mobilisation de l’histoire américaine, centrée sur le racisme et la brutalité policière. Des slogans comme « Defund the police » (Définançons la police) et « Abolish the police » (Abolissons la police) ont obtenu un large soutien parmi les travailleurs et les jeunes.

Naturellement, comme le font souvent les mouvements, il a débordé de la frontière. Tout au long de l’été 2020, de nombreuses manifestations ont eu lieu contre la violence policière, le racisme et les budgets policiers hypertrophiés à Montréal.

Plante a publiquement évoqué l’idée de réduire le budget de la police, sous la pression des revendications du mouvement. Un sondage réalisé par Projet Montréal lui-même a montré que 73% des Montréalais étaient en faveur d’une diminution du budget de la police.

La classe dirigeante était prête à envisager des mesures symboliques et sans importance pour apaiser la colère massive déclenchée par la violence policière constante à l’encontre des Noirs – mais au bout du compte, la police est essentielle au maintien de l’ordre capitaliste. Si la droite et la police ont battu en retraite au plus fort du mouvement BLM, elles ont depuis repris confiance. La classe dirigeante n’acceptera jamais les demandes de cesser de financer ses sbires.

Ainsi, lorsqu’une série de cas tragiques et spectaculaires de violence armée a frappé la ville, les médias et les politiciens de droite s’en sont emparés. Ils ont fait croire que Montréal était engloutie dans le chaos et la guerre, avec des articles intitulés « Homicides en 2021 à Montréal : Le plus sombre bilan en 10 ans » et « Montréal se dirige vers une année meurtrière ». Le premier ministre du Québec François Legault a même déclaré qu’il « ne reconnait pas Montréal ».

En août 2021, Yves Francoeur, président de la Fraternité des policiers de Montréal, enhardi par l’hystérie, a reproché à Plante de ne pas mettre plus d’agents dans les rues. Deux conseillers municipaux et membres du parti Ensemble Montréal de Coderre, Karine Boivin Roy et Abdelhaq Sari, se sont joints à lui, affirmant que la position de Plante à l’égard du budget de la police était « trop peu, trop tard ». De cette façon, la « sécurité publique » est devenue l’arme de choix avec laquelle la droite a choisi de battre Plante et Projet Montréal.

Plante, en réponse, a immédiatement ajouté 5,5 millions de dollars au budget et a embauché 42 autres agents.

Mais malgré l’hystérie des commentateurs de droite, les faits réels derrière ce « pic de violence armée » sont exagérés à l’extrême. Selon les propres données du SPVM, le nombre de crimes liés aux armes à feu en 2020 était en fait inférieur à ce qu’il était en 2016 ou 2017. De manière générale, le taux de violence par arme à feu est en baisse depuis les années 1990, contrairement à l’impression donnée par la droite!

Pourtant, les crimes violents, et en particulier la violence armée, n’ont cessé d’attirer l’attention des médias au cours de la période récente, tant aux États-Unis qu’au Canada. S’il ne fait aucun doute que la violence armée est un problème à Montréal, comme dans de nombreuses autres villes, la police et les médias l’ont complètement exagéré pour servir leurs propres intérêts.

« La guerre aux armes à feu »

Cette hyper-exagération du problème par les politiciens et les médias a ensuite donné l’occasion aux commentateurs politiques de chercher des boucs émissaires sur lesquels rejeter la responsabilité de la hausse de la criminalité violente.

Marc Ouimet, chercheur en criminologie à l’Université de Montréal, a fait plusieurs apparitions publiques où il a affirmé que les fusillades à Montréal sont causées par la « culture hip-hop » importée des États-Unis – allant jusqu’à suggérer un programme de « stop and frisk » (arrêt et fouille par palpation) comme celui mis en place à New York dans les années 1990. Cette utilisation de la « culture hip-hop » comme un euphémisme à peine voilé pour soutenir que les Montréalais noirs sont la source de la violence armée n’est rien d’autre qu’une tentative de détourner le blâme sur les communautés marginalisées de Montréal et de masquer les causes systémiques réelles de la violence. C’est aussi raciste que stupide.

De même, la chroniqueuse du Journal de Montréal Denise Bombardier a fait étalage de sa xénophobie en qualifiant la situation à Montréal de « guerre raciale » et en affirmant que Montréal ressemble de plus en plus à Toronto, où règne la « criminalité raciale ». Elle blâme les « énormes défis à l’évidence inatteignables en matière d’intégration sociale des immigrants ». 

Ce ne sont là que quelques exemples, parmi tant d’autres, de tentatives d’attiser la peur et la haine, en détournant l’attention de la racine réelle du problème. Injecter de l’argent dans le SPVM ne réglera jamais le problème de la criminalité, puisque l’augmentation des budgets de la police et l’embauche de plus d’agents ne s’attaquent pas à résoudre ses causes réelles.

Si les taux de violence armée diminuaient réellement à mesure que les budgets de la police augmentaient, des villes comme New York seraient des paradis sans armes ! Le budget annuel de la police de New York s’élève à environ 10,4 milliards de dollars (plus que les budgets militaires du Myanmar, de l’Ukraine et de la Corée du Nord réunis). Pendant ce temps, le nombre de fusillades à New York a atteint son plus haut niveau depuis le début des années 2000. L’été dernier, l’ancien gouverneur Andrew Cuomo a même déclaré l’état d’urgence – loin de célébrer le paradis d’une utopie sans armes. Le fait est qu’il n’y a aucune corrélation entre des budgets de police plus élevés et des taux de criminalité plus faibles.

Le facteur déterminant de la criminalité n’est pas la taille des forces de police, mais plutôt la pauvreté et l’inégalité au sein de la société en question. Ce n’est pas un hasard si les taux de criminalité sont plus élevés dans les secteurs de pauvreté extrême que dans les secteurs de stabilité relative. Comme nous avons vu la pauvreté et l’inégalité croître tout au long de la pandémie – les riches augmentant leur richesse tandis que les autres sont ruinés par le chômage et l’inflation – il n’est pas surprenant de voir les taux de criminalité augmenter en Amérique du Nord. L’argent injecté dans les budgets de la police n’est pas destiné à résoudre cette crise, mais plutôt à contrôler par la force les rangs croissants des gens qui s’enfoncent toujours plus dans la pauvreté.   

De plus, toute cette augmentation de la police ne fera qu’empirer les choses pour les Montréalais noirs et les personnes racisées en général.

L’Escouade Quiétude, créée par Plante en 2019 pour s’attaquer à la circulation des armes sur l’île, en est un bel exemple. Au cours de ses quatre premiers mois d’existence, 74% de ses arrestations ont été effectuées sur des Montréalais noirs. Moins de 30% de ces accusations étaient réellement liées à des armes à feu.

Selon Ted Rutland, professeur associé à l’Université Concordia qui a fait des recherches sur l’histoire de la police à Montréal : « Les Noirs sont 42 fois plus susceptibles d’être arrêtés et accusés par l’escouade anti-armes que les Blancs. »

Une autre étude, commandée cette fois par le SPVM, a montré que les femmes autochtones ont 11 fois plus de risques d’être arrêtées au hasard dans la rue et contrôlées par la police.

N’oublions pas qu’entre 2000 et 2017, les agents du SPVM ont tué 32 personnes. Le SPVM a aussi du sang sur les mains!

Ces statistiques jettent une lumière crue sur la prétendue « guerre aux armes à feu » de Plante. Exploitant la crainte ressentie par beaucoup de citadins, elle a créé un escadron de police spécial pour s’attaquer au problème – mais concrètement, tout cela n’a eu pour effet que d’augmenter le profilage racial des groupes minoritaires, qui sont ciblés de façon disproportionnée pour les détentions, fouilles et arrestations.

Au lieu de payer pour du poivre de Cayenne, des matraques, des tasers et une surveillance accrue, cet argent pourrait être affecté à des programmes sociaux, à des logements abordables, à des ressources en matière de santé mentale et à des travaux publics qui s’attaqueraient réellement aux problèmes à l’origine de la violence et de la criminalité. Ce n’est toutefois pas l’approche préférée des responsables gouvernementaux, peu importe leurs discours progressistes.

Réforme ou révolution?

Plante affirme : « Depuis que je suis mairesse, ma vision a toujours été la même […] J’ai toujours parlé des mêmes choses : transition écologique, logement, transport et développement économique. » Et c’est précisément tout ce que cela restera : des paroles. Comme nous l’avons mentionné, elle n’a pas réussi à tenir bon nombre de ses promesses. La seule chose à laquelle elle semble réellement attachée est le budget de la police.

Son incapacité à s’attaquer à la racine du problème n’est cependant pas le résultat d’un défaut personnel, mais met plutôt en lumière la nature même de la politique réformiste. Quelles que soient les bonnes intentions initiales des réformistes de gauche comme Plante, en insistant pour travailler dans le cadre du système actuel, ils sont finalement obligés de s’incliner devant les besoins du capitalisme.

À son essence, le rôle de la police se réduit à celui de « protéger et servir »… la propriété privée et l’ordre capitaliste. Les capitalistes qui règnent en maîtres sur notre société ont besoin d’hommes armés pour défendre leurs richesses immenses des masses pauvres. C’est d’autant plus vrai en cette époque de crise profonde du capitalisme, alors qu’une immense colère gronde contre la vie chère et les inégalités scandaleuses. Cette colère pourrait exploser à tout moment, comme on l’a vu dans un pays après l’autre dans les dernières années. La classe dirigeante s’y prépare en investissant dans ses hommes de main.

Valérie Plante a commencé sa carrière en luttant contre la hausse des frais de scolarité et la fracturation hydraulique – des actions qui séduisent aujourd’hui beaucoup de monde chez une personnalité politique de premier plan. Mais après la publication du budget 2021, cette image militante en est sortie ternie. Elle s’est retrouvée dans le même camp que les politiciens de l’establishment dont les Montréalais ont marre.

Pour mettre fin à ce cycle continu d’armement des voyous de l’État, nous devons exiger que l’argent de ce budget policier gonflé et les richesses inutilisées qui dorment sur les comptes bancaires des entreprises soient utilisés pour améliorer le niveau de vie des travailleurs.

Il s’agit de mettre fin une fois pour toutes à l’itinérance en redistribuant les logements inutilisés, en investissant massivement dans les soins de santé et les services de santé mentale qui ont été décimés par des décennies d’austérité, et en mettant fin au chômage pour garantir des moyens de subsistance à tous, quelle que soit la rentabilité.

Comme nous l’avons dit, il n’y a aucune corrélation entre le nombre d’agents armés qui parcourent les rues et le taux de criminalité. La criminalité peut plutôt être mesurée par le désespoir, la pauvreté et la lutte quotidienne pour la survie au sein de la société. Ce n’est qu’en attaquant la criminalité à la racine que nous pouvons espérer la vaincre. Pour cela, nous devons lutter contre ceux qui perpétuent cet appauvrissement – la classe capitaliste québécoise et canadienne. Le mouvement ouvrier ne peut combattre la violence, le crime et l’itinérance qu’en s’attaquant au système capitaliste et en luttant pour une société socialiste.