
Claude McKay (1889-1948) était un poète de la Renaissance de Harlem, un mouvement né dans le marasme économique et le chômage qui ont suivi la Première Guerre mondiale. La récession économique a accru les tensions entre les Noirs et les Blancs, encouragées par la classe dirigeante qui cherchait à diviser la classe ouvrière. Après la guerre, une série d’émeutes racistes ont éclaté dans toute l’Amérique, au cours desquelles des centaines de Noirs ont été lynchés et des communautés noires ont été réduites en cendres. Dans ce contexte, beaucoup considéraient la classe ouvrière américaine comme éternellement réactionnaire et excluaient toute possibilité d’unité entre les travailleurs.
Mais pour Claude McKay, immigré jamaïcain issu d’un milieu paysan, la barbarie qui l’entourait n’était pas éternelle, mais plutôt le reflet d’un système social moribond, mûr pour un changement révolutionnaire. McKay (ainsi que d’autres membres de la Renaissance de Harlem) a été fortement influencé par la révolution russe et les idées de Lénine et Trotsky. McKay est devenu militant communiste et a pris la parole au quatrième congrès de l’Internationale communiste sur les questions raciales aux États-Unis. Il a échangé des lettres avec Trotsky sur l’organisation des masses noires d’Amérique et prônait l’unité entre tous les travailleurs. Son œuvre poétique est un plaidoyer inébranlable en faveur de la classe ouvrière américaine, confiante dans sa capacité de changement.
Le poème America de McKay, publié dans Liberator, le magazine littéraire du Parti communiste des États-Unis, dépeint la force et la résistance qui existent dans la société américaine, en dépit de la haine dont sont victimes de nombreuses personnes au sein de cette société. Il voit la résistance grandir à l’intérieur même des États-Unis, une puissance capable de renverser l’empire américain et de reconnaître la grandeur du peuple américain.
Le poème fait référence à Ozymandias de Percy Shelley, un poème sur l’orgueil démesuré du pharaon Ramsès II, qui croyait que son pouvoir et sa domination sur l’Égypte étaient éternels, mais dont le royaume n’est plus qu’une vaste étendue de sable. McKay imagine un destin similaire pour l’empire américain si on laisse la barbarie capitaliste se poursuivre. Il est convaincu que la domination de la classe dirigeante américaine est temporaire et que l’Amérique n’appartient pas aux capitalistes, mais à ceux qui créent toutes les richesses de la société : la classe ouvrière.
America,
Claude McKay, 1919
Bien qu’elle me nourrisse de pain d’amertume,
Et enfonce dans ma gorge sa dent de tigre,
Volant mon souffle de vie, j’avoue
J’aime cet enfer cultivé qui met à l’épreuve ma jeunesse.
Sa vigueur coule dans mon sang comme une marée,
Me donnant la force de me dresser contre sa haine,
Sa grandeur balaie mon être comme un déluge.
Pourtant, comme un rebelle affronte un roi,
Je me tiens entre ses murs, sans une once
De terreur, de méchanceté, sans un mot de raillerie.
Je jette un regard sombre sur les jours à venir,
Et j’y vois sa puissance et ses merveilles de granit,
Sous l’effet de la main infaillible du temps,
Comme des trésors inestimables qui s’enfoncent dans le sable.
Although she feeds me bread of bitterness,
And sinks into my throat her tiger’s tooth,
Stealing my breath of life, I will confess
I love this cultured hell that tests my youth
Her vigor flows like tides into my blood,
Giving me strength erect against her hate,
Her bigness sweeps my being like a flood.
Yet, as a rebel fronts a king in state,
I stand within her walls with not a shred
Of terror, malice, not a word of jeer.
Darkly I gaze into the days ahead,
And see her might and granite wonders there,
Beneath the touch of Time’s unerring hand,
Like priceless treasures sinking in the sand.