Comment lutter contre la loi 21 : les tribunaux, la constitution et la question nationale

Après des années de débat, la discrimination étatique contre les minorités religieuses a été inscrite dans la loi au Québec avec l’adoption de la loi 21. Malheureusement, l’opposition à cette loi a été confuse, et c’est le moins qu’on puisse dire. Alors que la gauche et le mouvement ouvrier y sont généralement opposés, personne ne […]

  • Joel Bergman et Rob Lyon
  • jeu. 27 févr. 2020
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Après des années de débat, la discrimination étatique contre les minorités religieuses a été inscrite dans la loi au Québec avec l’adoption de la loi 21. Malheureusement, l’opposition à cette loi a été confuse, et c’est le moins qu’on puisse dire. Alors que la gauche et le mouvement ouvrier y sont généralement opposés, personne ne semble savoir quoi faire. Jusqu’en mars 2019, Québec solidaire a défendu une position de compromis, alors que d’autres ont fait appel aux tribunaux. Pendant ce temps, beaucoup de gens ont affirmé que toute intervention de gens hors du Québec irait à l’encontre du droit à l’autodétermination des Québécois. Comment lutter efficacement contre la loi 21?

Ça ne concerne pas que le Québec

Cette loi ne concerne pas que le Québec. Comme l’a souligné l’ancien chef du Parti québécois, Jean-François Lisée, des lois similaires ont été adoptées par certains pays européens, puis sanctionnées par les tribunaux. En regardant l’exemple européen, une chose devient claire : les lois réactionnaires ne respectent pas les frontières. La première loi de ce type a été adoptée en Belgique en 2010, et des lois similaires ont ensuite été adoptées en France, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Autriche et au Danemark.

Alors que les nationalistes québécois ainsi que de nombreux politiciens du Canada anglais se font croire que l’interdiction des symboles religieux concerne uniquement le Québec, il est clair que si l’on laisse cette forme de discrimination se normaliser, elle risque de se propager ailleurs. Comme l’a souligné Lisée, le projet de loi 21 est également assez populaire à l’extérieur du Québec, avec un taux d’appui d’environ 40%.

Les sondages ont montré qu’il existe un appui important pour une loi similaire dans le reste du pays. Selon un sondage de Global News de septembre 2019, 52% des Canadiens s’opposeraient à un projet de loi qui restreindrait ou interdirait les symboles ou vêtements religieux, ce qui laisse 48% de personnes qui appuient un peu ou fermement une telle loi. Selon le même sondage, alors que 63% des Québécois sont favorables au projet de loi 21, c’est le cas de 53% des habitants de la Saskatchewan et du Manitoba , suivis des habitants l’Alberta et des Maritimes (45%), de la Colombie-Britannique (43%) et de l’Ontario (42%).

Il ne faut pas oublier non plus que les conservateurs de Stephen Harper ont tenté d’exploiter ces sentiments racistes avec leur ligne d’assistance téléphonique sur les « pratiques culturelles barbares » et leur proposition d’interdire le port du niqab pour les cérémonies de citoyenneté. Le racisme ne se limite pas au Québec ou aux politiciens québécois. Si la loi 21 se normalise au Québec, elle traversera certainement la rivière des Outaouais et des lois similaires seront adoptées dans le reste du Canada. De telles lois ne seront pas adoptées dans d’autres provinces simplement à cause des sondages, mais parce qu’au bout du compte, elles servent les intérêts de la classe dirigeante. Il est donc crucial que nous construisions un mouvement uni de la classe ouvrière contre cette loi pour l’arrêter dans son élan.

Comment en sommes-nous arrivés là?

Bien que le débat sur l’interdiction des symboles religieux dure depuis plus d’une décennie au Québec, la question a vraiment pris le devant de la scène lorsque le gouvernement du Parti québécois a proposé en 2013 sa « Charte des valeurs québécoises ». Cette charte proposait d’interdire le port de symboles religieux pour les employés du secteur public, supposément en vue d’assurer la laïcité de l’État.

Dès le départ, l’opposition à cette charte a été au mieux inexistante et au pire très faible et confuse. Le caucus de Québec solidaire avait répondu en accueillant « favorablement plusieurs orientations proposées par le ministre Drainville » et a proposé sa propre charte discriminatoire, interdisant les symboles religieux pour les policiers, les juges, les procureurs et les gardiens de prison.

Françoise David, ancienne députée et porte-parole du parti, expliquait à l’époque : « Les maîtres mots de notre projet de loi sont fermeté, cohérence et équilibre. Il faut une Charte de la laïcité forte, car la montée des fondamentalismes et du conservatisme religieux, y compris en Amérique du Nord, fait de la laïcité des institutions un enjeu important. Les femmes, en particulier, savent que leurs droits sont bien mieux protégés dans un État laïque, à l’abri des conservatismes religieux qui voudraient contrôler leur corps et leur vie. »

Les commentaires de David reflétaient les arguments des nationalistes de droite sur la « protection des femmes contre les musulmans » et offraient une couverture de gauche à un débat réactionnaire créé pour semer la discorde chez les travailleurs et les jeunes et détourner leur attention. Cette position confuse a été défendue par les députés du parti malgré que le programme de QS stipule clairement que « c’est l’État qui est laïc, pas les individus ».

Au Canada anglais, le NPD et le mouvement ouvrier ont été relativement silencieux à ce sujet aussi. Comme nous l’expliquions à l’époque : « Non seulement la direction de QS ne réussit pas à exposer les racines bourgeoises du PQ, mais elle n’en fait pas assez pour condamner les politiques discriminatoires et de division du gouvernement Marois et souligner l’effet que cela pourrait avoir sur l’unité du mouvement ouvrier québécois. Québec solidaire doit clairement montrer qu’il n’est pas l’aile gauche du PQ. La même critique pourrait être adressée au NPD fédéral, qui, jusqu’à très récemment, n’avait émis aucune opinion sur la Charte. Au fédéral comme au provincial, les libéraux se sont empressés de revêtir le manteau du multiculturalisme, dans un effort pour attirer les immigrants et les anglophones de la classe ouvrière qui sont dégoûtés par la Charte du gouvernement provincial et se sentent marginalisés par ses actions. Le refus de QS et du NPD d’adopter une ligne de classe claire contre les actions populistes de diversion du PQ redonne vie aux libéraux du Québec, en particulier à Montréal. Au lieu de rejoindre QS ou le NPD, ces travailleurs rejoignent un parti qui représente les mêmes intérêts de classe que le PQ, et qui continuera ses assauts sur leurs droits et leurs conditions de vie. Plus que jamais, le mouvement ouvrier, Québec solidaire et le NPD doivent formuler des demandes qui appellent à l’unité des travailleurs et de la jeunesse, de toutes les origines nationales, contre l’austérité du PQ, des conservateurs et des libéraux. »

À l’époque, un mouvement de masse s’était développé contre la Charte alors que 50 000 personnes avaient pris les rues de Montréal pour s’y opposer. Au fur et à mesure que les détails de la loi émergeaient, le soutien à la Charte chutait dans les sondages, en particulier à Montréal et à Québec. Cela a conduit à l’expulsion par le Bloc québécois de sa députée Maria Mourani, qui s’était opposée à la loi.

Malheureusement, les dirigeants de QS et des syndicats ne se sont pas associés à ce mouvement. Ils n’ont pas participé aux manifestations et étaient généralement vus comme étant d’accord avec le PQ et le CAQ. Cela a permis au parti traditionnel des capitalistes québécois, le Parti libéral, de se positionner comme défenseur des minorités religieuses et comme seule véritable opposition à la Charte du PQ. Les libéraux ont ainsi défait le PQ aux élections de 2014 et obtenu un gouvernement majoritaire. En fait, il n’y avait aucune force qui défendait une perspective ouvrière dans ce débat, ce qui a laissé les intérêts, les arguments et les tactiques bourgeoises prendre toute la place.

En raison de l’absence de toute opposition de principe de la classe ouvrière, ce débat a empoisonné la politique québécoise, ce qui a été utile pour les politiciens bourgeois qui cherchaient un moyen de diviser et semer la discorde chez les travailleurs et les jeunes qui devenaient de plus en plus combatifs. En effet, nous avons eu le fantastique printemps québécois de 2012, la première grève des travailleurs de la construction en 20 ans à l’été 2013, la grève générale du secteur public de 2015 et une autre grève des travailleurs de la construction en 2017.

Dans ce contexte, même les libéraux, qui prétendaient être les défenseurs des minorités religieuses, ont plié devant la pression et ont présenté le projet de loi 62 à l’automne 2017, interdisant le visage couvert pour ceux qui donnent ou reçoivent des services publics. Bien que ce projet de loi ait finalement été rejeté devant les tribunaux l’année suivante, QS n’a pas dénoncé ce projet de loi pour ce qu’il était : raciste et islamophobe. Le parti ne s’y est opposé que pour son caractère inapplicable et son incohérence, car il ne prévoyait pas de retirer le crucifix de l’Assemblée nationale. La direction du parti a continué à mettre de l’avant sa position de compromis, en plaidant pour l’interdiction des symboles religieux pour certains employés du secteur public.

Pendant ce temps, des manifestations de masse contre le racisme ont eu lieu dans les rues de Montréal, qui ont été ignorées par les dirigeants de QS, du NPD et des principaux syndicats. Les dirigeants de QS ont fait valoir que le parti devait parvenir à un « compromis à l’Assemblée nationale » afin de mettre un terme à ce débat qui divise. Le résultat de cette approche a été un échec total. François Legault et son nouveau parti, la Coalition Avenir Québec (CAQ), sont devenus le principal parti à plaider en faveur d’une nouvelle loi pour « résoudre » cette question. Comme il n’y avait pratiquement pas d’opposition idéologique véritable, le soutien à cette idée a augmenté et, avec lui, l’appui à la CAQ dans les sondages, ce qui a conduit à sa victoire écrasante aux élections de l’automne 2018. La semaine suivant l’élection, des milliers de personnes ont défilé dans les rues de Montréal contre le gouvernement nouvellement élu.

La direction de QS, qui se targue d’être très démocratique, a évité de laisser les membres du parti en discuter jusqu’en 2019, juste avant que la loi 21 ne soit introduite par la CAQ à l’Assemblée nationale. Heureusement, un mouvement de la base des membres de QS a réussi à renverser la position défendue par la direction lors du Conseil national de mars 2019 par une majorité écrasante. De plus, certains des grands syndicats se sont prononcés contre la loi, notamment les syndicats des enseignants. De plus, de nombreuses municipalités de Montréal et deux commissions scolaires ont ouvertement dénoncé la loi.

Ce qu’il fallait absolument dans toute cette saga, c’était un mouvement ouvrier uni contre cette loi pour forcer le gouvernement à battre en retraite. Malheureusement, les syndicats, les conseils municipaux et les commissions scolaires qui s’opposent à cette loi ont simplement déclaré qu’ils contesteraient cette loi devant les tribunaux et n’ont élaboré aucun plan pour construire un mouvement de désobéissance civile de masse sur les lieux de travail et dans les rues afin de rendre cette loi inapplicable.

Aucune confiance dans les tribunaux bourgeois

Jusqu’à très récemment, la lutte contre la loi 21 se limitait à des contestations judiciaires devant les tribunaux. L’Association canadienne des libertés civiles et le Conseil des musulmans canadiens ont lancé une contestation judiciaire contre la loi, tout comme l’avait fait la Commission scolaire English-Montréal (EMSB). Plus important encore, une poursuite a été intentée plus récemment par la Fédération autonome de l’enseignement (FAE). Les contestations juridiques sont centrées sur la constitutionnalité de la loi, arguant que le projet de loi viole la liberté de religion protégée par la Charte canadienne des droits et libertés, le droit à l’égalité des sexes car il touche principalement les femmes, et les droits à l’instruction dans la langue de la minorité.

Mais les arguments juridiques contre cette loi sont très faibles et le premier recours a déjà été rejeté par la Cour supérieure du Québec et ensuite par la Cour d’appel du Québec. Le but de la loi est d’être discriminatoire. En fait, cette discrimination est tout à fait permise en raison de l’utilisation de la clause nonobstant par le gouvernement du Québec. Par conséquent, la loi ne peut être contestée sur la base de sa violation de la liberté de religion. La juge Dominique Bélanger a expliqué : « L’utilisation de la clause dérogatoire fait en sorte que nous devons refuser de surseoir à la Loi, même si une personne […] subit un préjudice sérieux et irréparable et que ses droits sont enfreints. »

Dans leur lutte, nous pensons qu’il est tout à fait légitime pour les victimes de la loi 21 d’utiliser tous les moyens à leur disposition. Cependant, nous ne pouvons avoir aucune confiance dans le système judiciaire pour défendre les opprimés. Nous ne devons pas oublier que l’interdiction de la burqa dans les espaces publics en France a été approuvée par la Cour européenne des droits de l’homme, et il semble peu probable que les tribunaux du Québec ou du Canada soient prêts à suspendre la loi. Le système judiciaire, les tribunaux et la loi sont des outils au service de la classe dirigeante et ne sont pas faits pour défendre les droits des travailleurs et des opprimés.

Les tribunaux, le gouvernement et la loi sont des institutions et des outils créés par la classe dirigeante pour faire respecter son règne, ce qui explique précisément pourquoi on ne peut pas compter sur eux pour protéger les intérêts des opprimés. C’est pourquoi les lois réactionnaires doivent être combattues avec les méthodes de lutte de la classe ouvrière : la solidarité, les manifestations, les arrêts de travail, le piquetage et les grèves.

Par ailleurs, même si les tribunaux devaient se prononcer en faveur des opprimés, ce qui ne peut être exclu et se produit à l’occasion, cela retire la lutte des mains des masses et ne nécessite pas de se mobiliser pour lutter. Historiquement, la classe ouvrière a gagné des droits démocratiques non pas par le biais des tribunaux, mais contre eux par la lutte dans les rues. C’est pourquoi, tout en défendant le droit des opprimés à utiliser des moyens légaux s’ils le souhaitent, nous mettons l’accent sur l’action dans les rues et sur les lieux de travail, qui est beaucoup plus puissante et a plus de chances de réussir.

C’est ce qui s’est passé, par exemple, lors de la grève des postiers à l’automne 2018, lorsque le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes (STTP) a déposé une injonction contre la loi de retour au travail. S’il était parfaitement acceptable que le STTP dépose une injonction pour gagner du temps et tenter de faire obstacle à la loi, il aurait fallu combiner cette action à une escalade des moyens de pression sur les milieux de travail – des piquets et des grèves, y compris des grèves sauvages.

Malheureusement, il a été avancé que les actions illégales sur les milieux de travail menaceraient la validité de l’injonction. C’est peut-être vrai, mais les injonctions n’ont quand même pas mené à la victoire. Les tribunaux sont des armes de la classe dirigeante, et donc la véritable arme que possèdent les travailleurs est l’action sur les milieux de travail : les arrêts de travail, les piquets et les grèves, qui mettent plus de pression sur les patrons que toute injonction, qui a de toute façon peu de chances de réussir.

Le résultat est une nouvelle défaite humiliante pour les travailleurs des postes. Même si la loi est un jour rejetée par les tribunaux, la grève a déjà été vaincue et le mal est fait.

Les élections fédérales de 2019

Lors des récentes élections fédérales, la loi 21 était à peu près le seul sujet qui risquait de devenir intéressant dans une campagne électorale autrement ennuyeuse. En fin de compte, ce qui est devenu le plus intéressant dans les débats potentiels sur la loi 21, c’est qu’aucun des dirigeants fédéraux ne voulait vraiment en parler, et quand ils l’ont fait, ils n’avaient finalement pas grand-chose à dire.

Justin Trudeau a essayé de se présenter comme le protecteur des droits des minorités et a vaguement prétendu qu’il « pourrait avoir à intervenir sur ce sujet ». Trudeau a scrupuleusement choisi ses mots, affirmant : « Nous réfléchissons à si et quand le gouvernement fédéral devrait intervenir. » Il a ajouté : « Nous ne fermons pas la porte à une intervention éventuelle parce que ce serait irresponsable qu’un gouvernement ferme la porte à tout jamais sur une question de droits fondamentaux. » Lors du débat de début octobre, il a critiqué Jagmeet Singh pour ne pas être ouvert à un recours juridique contre la loi.

Les socialistes doivent s’opposer à toute action de ce type de la part du chef du parti libéral. Dans le contexte de l’oppression historique du peuple québécois, le fait que le premier ministre à Ottawa intervienne pour renverser la loi par le biais des tribunaux fédéraux serait considéré comme une violation massive de l’autodétermination. En fait, Legault le sait et s’en sert pour défendre le projet de loi.

L’hypocrisie des libéraux ne connaît pas de limites. Le fait que Justin Trudeau se soit présenté comme une sorte de défenseur des droits des minorités quelques semaines seulement après le scandale du « blackface » était extrêmement choquant, sans parler de son hypocrisie sur la question des droits des autochtones.

Les commentaires de Trudeau étaient également malhonnêtes, car il n’a absolument pas l’intention d’aller devant les tribunaux contre la loi 21. Le « très honorable » premier ministre se comportait comme ses amis avocats corporatifs, parlant d’une « possible » intervention. En fait, il est pratiquement exclu que Trudeau fasse quoi que ce soit contre la loi 21. Comme nous l’avons déjà mentionné, les avenues légales sont minces et ont peu de chance de réussir.

La seule véritable option s’offrant à lui pour bloquer la loi 21 serait le pouvoir de désaveu, qui permet au gouvernement fédéral d’invalider ou de désavouer toute loi provinciale qui empiète sur la compétence fédérale ou qui est en conflit avec l’intérêt national. La clause de désaveu n’a pas été utilisée depuis 1943, lorsque le gouvernement fédéral avait bloqué une loi albertaine limitant la vente de terres aux huttérites (que la loi considérait comme des « ennemis étrangers »). Bien qu’elle soit techniquement toujours applicable, selon les précédents, cette clause est considérée comme obsolète, et son utilisation par le gouvernement fédéral entraînerait très probablement une crise dans les relations fédérales-provinciales et une crise de la fédération dans son ensemble.

Trudeau ne fait que bluffer pour pouvoir se présenter faussement comme le plus ardent défenseur des minorités opprimées. Il sait très bien qu’une telle manoeuvre engendrerait une crise politique sans précédent et pourrait très bien relancer le mouvement indépendantiste au Québec (et même ailleurs, comme en Alberta).

Malheureusement, le chef du Nouveau Parti démocratique, Jagmeet Singh, a lui aussi raté la cible dans sa réponse. Tout en déclarant à juste titre que s’il était élu premier ministre, il ne se tournerait pas vers les tribunaux (à l’exception de quelques réponses confuses aux journalistes après le débat en anglais), il semblait n’avoir aucune réponse sur la manière de défendre les droits des minorités.

Les déclarations faites par Singh en français et les commentaires des députés néodémocrates du Québec n’ont pas aidé non plus. Singh a déclaré qu’il reconnaissait « la compétence du gouvernement du Québec à légiférer dans ce dossier ». Plus explicite encore est la déclaration de l’ancien député néodémocrate québécois Guy Caron, qui avait affirmé que « la clause nonobstant permet [au gouvernement provincial] de le faire et nous devons respecter la Constitution ». Ces arguments qui se cachent derrière la Constitution et le partage des compétences sont en réalité des excuses qui justifient l’inaction.

Aussi, bien que Singh ait exclu  la possibilité d’aller devant les tribunaux fédéraux une fois au pouvoir, c’était une erreur de reconnaître la compétence de la CAQ de promulguer des lois qui violent les droits d’une partie de la classe ouvrière québécoise. Une attaque contre un est une attaque contre tous. Toute mesure contre une partie de la classe ouvrière est une atteinte à tous les travailleurs, quelle que soit la juridiction, et que les règles constitutionnelles le permettent ou non.

Nous ne pouvons pas nous appuyer sur le droit bourgeois pour combattre les attaques des gouvernements de droite – ce serait jouer le jeu selon leurs règles – nous nous appuyons plutôt sur les méthodes de la lutte de classe pour défier et renverser de telles lois. Nous les combattons dans la rue, sur les milieux de travail, et nous visons à changer en masse l’opinion des travailleurs.

L’opposition au Canada anglais

Si la principale opposition politique à cette loi est venue du Québec au début de 2019, lorsque le projet de loi était débattu, la réaction de la gauche canadienne-anglaise a généralement été tardive, ce qui a donné l’initiative aux politiciens libéraux et conservateurs. Après que la loi soit devenue un enjeu majeur lors des élections fédérales, des conseils municipaux ont adopté des motions la condamnant, comme à Edmonton, Calgary, Vancouver, Winnipeg, Mississauga et Toronto. Brian Pallister, le premier ministre conservateur de la Saskatchewan, a également critiqué la loi, en publiant des annonces dans les médias francophones au Québec, invitant les employés de l’État menacés par la loi 21 à déménager au Manitoba. Il a également déclaré que son gouvernement envisageait de se joindre aux contestations judiciaires de la loi.

Le maire de Calgary, Naheed Nenshi, a été une figure centrale du mouvement des gouvernements municipaux opposés à la loi 21, mais il la considère sous l’angle de la constitutionnalité et des droits des employeurs. Outre les arguments constitutionnels sur les droits de la personne, un de ses arguments contre la loi est : « Cette loi provinciale empiète complètement sur les droits des municipalités en leur disant qui elles peuvent embaucher ou non. C’est ridicule. »

Le NPD de la Colombie-Britannique a adopté une résolution contre la loi lors de son congrès de l’automne. Le NPD de l’Ontario, quant à lui, s’est également récemment prononcé contre la loi 21 et a réussi à faire adopter une motion non contraignante condamnant la loi par l’Assemblée législative de l’Ontario. Bien que les néodémocrates de la Colombie-Britannique et de l’Ontario aient limité leur opposition à une potentielle intervention dans une action en Cour suprême, le NPD fédéral a en pratique dit « ce n’est pas pas mes oignons ».

L’autodétermination et la lutte contre l’oppression

Malheureusement, tant Jagmeet Singh du NPD fédéral que Manon Massé de Québec solidaire s’opposent à cette loi uniquement sur une base juridico-parlementaire et ont essentiellement exprimé que c’était une question qui ne concerne que le Québec. Alors que Jagmeet Singh a déclaré qu’il reconnaissait « la compétence du gouvernement du Québec à légiférer dans ce dossier », Manon Massé a quant à elle déclaré : « Je pense que la question du projet de loi 21, ça appartient au Québec, ça appartient aux Québécois et aux Québécoises et, dans ce sens-là, je pense que le fédéral doit s’en tenir loin. » Elle a ensuite déclaré que « rendus au pouvoir, nous n’allons pas reconduire la clause », en référence à la clause nonobstant que Legault a promulguée pour suspendre la Charte des droits et libertés et permettre l’application de la loi. Mais en attendant, que sont censées faire les minorités opprimées? Personne ne semble avoir de réponse.

Certaines personnes à gauche ont même suggéré que la lutte contre la loi 21 est exagérée et que les organisations ouvrières et autres organisations hors Québec qui se joignent à la lutte violent d’une manière ou d’une autre le droit du Québec à l’autodétermination. C’est une position extrême du type « mêle-toi de tes oignons », qui conduit à défendre indirectement les politiques réactionnaires et racistes du gouvernement du CAQ au nom de « l’autodétermination ».

Cependant, soutenir que la lutte contre la loi 21 équivaut à une violation du droit à l’autodétermination du Québec n’est que pur réductionnisme. Quiconque dit que la loi 21, la division des pouvoirs et la clause nonobstant qui protège la loi sont des expressions de l’autodétermination du Québec, et que leur défense est plus importante que celle des travailleurs attaqués, commet une grave erreur et se trouve du mauvais côté de la division de classe.

Il est en effet possible de marcher et de mâcher de la gomme en même temps, et il est possible de lutter contre la loi 21 tout en défendant le droit à l’autodétermination du Québec. Il y a des travailleurs et des jeunes à l’intérieur et à l’extérieur du Québec qui, suivant un instinct de classe juste, veulent lutter contre cette loi réactionnaire. Le but devrait être de les unir. Dire à ces travailleurs et à ces jeunes qu’une telle lutte est une violation de l’autodétermination du Québec va à l’encontre de la notion même de solidarité internationale de la classe ouvrière.

Une des armes les plus puissantes dont dispose la classe ouvrière dans la lutte contre les patrons est la solidarité. Le capitalisme est un système mondial, la lutte des classes est mondiale, et donc la solidarité doit être internationale. Dans un certain sens, chaque acte de solidarité internationale de la classe ouvrière brime l’autodétermination d’une nation donnée, c’est-à-dire que la lutte de classe viole les frontières et que la solidarité internationale elle-même viole la liberté de la bourgeoisie d’attaquer la classe ouvrière dans ses frontières. La solidarité internationale et l’action révolutionnaire de la classe ouvrière ne peuvent se limiter aux frontières nationales ou provinciales déterminées historiquement par la classe dirigeante. En fait, la révolution socialiste ne sera pas possible sans solidarité internationale, sans enfreindre les contraintes juridiques et les frontières imposées par la classe dirigeante.

La lutte de classe et la question nationale

La question nationale est extraordinairement complexe. La raison de la complexité de la question nationale est qu’elle est en réalité une tâche de la révolution bourgeoise, et qu’elle aurait dû être résolue il y a longtemps avec la montée de l’État-nation capitaliste. Cependant, dans de nombreuses régions du monde, la bourgeoisie n’a pas pu ou n’a pas voulu compléter cette tâche, voire ne l’a même pas entreprise.

L’oppression nationale a toujours fait partie du capitalisme. Ainsi, résoudre la question nationale revient à la classe ouvrière, et la question du droit des nations à l’autodétermination sera résolue par la révolution socialiste.

La question de l’autodétermination des nations est rarement simple. La question nationale peut être un champ de mines pour les révolutionnaires, précisément à cause de la question de classe. En ce qui concerne la question de l’autodétermination, par exemple, il est possible d’avoir une bourgeoisie avec un programme d’autodétermination qui est largement réactionnaire, mais qui, en raison de particularités historiques, contient certains éléments progressistes. Et de même, la classe ouvrière peut avoir un programme d’autodétermination qui est largement progressiste, mais qui, en raison de particularités historiques, contient des éléments réactionnaires. Les éléments réactionnaires et progressistes peuvent coexister et coexistent effectivement au sein d’un même mouvement.

La tâche des révolutionnaires est de savoir distinguer les éléments progressistes des éléments réactionnaires de chaque programme et d’évaluer les particularités de chaque question nationale, afin de déterminer si le mouvement national dans son ensemble ou un enjeu particulier (comme la loi 21) est réactionnaire ou progressiste.

Lénine a consacré beaucoup de temps à la question du droit des nations à l’autodétermination, et ses écrits sur la question sont une lecture essentielle pour tous les révolutionnaires. Lénine expliquait que le point de départ des marxistes dans l’analyse de la question nationale doit être les intérêts indépendants de la classe ouvrière.

En 1903, il écrivait :

« La social-démocratie luttera toujours contre toute tentative d’exercer de l’extérieur, par la violence ou par quelque injustice que ce soit, une influence sur la libre expression de la volonté nationale. Mais la reconnaissance inconditionnelle de la lutte pour la liberté d’autodétermination ne nous oblige pas du tout à soutenir n’importe quelle revendication d’autodétermination nationale. La social-démocratie, en tant que parti du prolétariat, se donne pour tâche positive et principale de coopérer à la libre détermination non pas des peuples et des nations, mais du prolétariat de chaque nationalité. Nous devons toujours et inconditionnellement tendre à l’union la plus étroite du prolétariat de toutes les nationalités, et c’est seulement dans des cas particuliers, exceptionnels, que nous pouvons exposer et soutenir activement des revendications tendant à la création d’un nouvel État de classe ou au remplacement de l’unité politique totale de l’État par une union fédérale plus lâche, etc. »

Ici, lorsque Lénine parle de l’autodétermination de la classe ouvrière, nous devrions comprendre qu’il ne veut pas dire que les travailleurs doivent ériger leur propre nation, mais plutôt qu’il parle des intérêts de la classe ouvrière pris indépendamment de l’intérêt « national », c’est-à-dire des intérêts de la classe capitaliste dominante. Parfois, les intérêts de la classe ouvrière coïncident avec un mouvement nationaliste, et parfois ils sont en contradiction; il s’agit d’examiner chaque situation concrète dans son contexte. Lénine insistait pour dire que toute réflexion sur la question nationale doit prendre comme point de départ les intérêts de la classe ouvrière dans son ensemble, et que ces intérêts doivent être traités de façon indépendante de l’intérêt national ou des intérêts de la bourgeoisie.  Plus tard, il écrivait :

« Le fait que la social-démocratie reconnaît le droit de toutes les nationalités à la libre disposition ne signifie nullement qu’elle renonce à porter son propre jugement sur l’opportunité pour telle ou telle nation, dans chaque cas particulier, de se séparer en un État distinct. Au contraire, les social-démocrates doivent porter un jugement qui leur appartienne en propre, en tenant compte aussi bien des conditions du développement du capitalisme et de l’oppression des prolétaires des diverses nations par la bourgeoisie de toutes nationalités réunies, que des objectifs d’ensemble de la démocratie, et au tout premier chef, des intérêts de la lutte de classe du prolétariat pour le socialisme. » (Lénine, Oeuvres complètes vol. 9, « Thèses sur la question nationale », p. 256)

Il a également dit :

« La bourgeoisie place toujours au premier plan ses propres revendications nationales. Elle les formule de façon catégorique. Pour le prolétariat, elles sont subordonn.es aux intérêts de la lutte de classe… Reconnaissant l’égalité en droits et un droit égal à constituer un État national, il prise par-dessus tout l’alliance des prolétaires de toutes les nations et apprécie sous l’angle de la lutte de classe des ouvriers toute revendication nationale, toute séparation nationale. » (Lénine, Oeuvres complètes vol. 20, « Du droit des nations à disposer d’elles-mêmes », p. 433-434)

Notre point de départ est les intérêts de la classe ouvrière, et non ceux de la nation. Si la classe ouvrière est constamment mise au service des luttes pour l’intérêt « national », c’est-à-dire les intérêts de la classe dirigeante nationale petite-bourgeoise ou bourgeoise, elle sera incapable de développer un programme basé sur ses propres intérêts de classe. Une fois que les intérêts indépendants de la classe ouvrière sont déterminés, nous devons alors également réfléchir aux répercussions de chaque enjeu donné sur la lutte des classes en général.

Lénine a été très clair sur le fait que le droit à l’autodétermination est un droit négatif. Nous sommes opposés à toute oppression. Les marxistes ne franchissent pas la frontière entre être opposés à l’oppression et être en faveur d’une nationalité ou d’un groupe ethnique plutôt qu’un autre. En plus d’être un droit négatif, contre l’oppression, l’autodétermination est un droit relatif, tout comme les autres droits démocratiques. Par exemple, le droit démocratique à la liberté d’expression est un droit que nous défendons, mais nous ne défendons pas la liberté d’expression des fascistes. Tous les droits démocratiques sont soupesés par rapport aux intérêts de la classe ouvrière dans son ensemble.

Si nous prenons les intérêts de la classe ouvrière comme point de départ, indépendamment des intérêts de la nation ou de la bourgeoisie, alors nous pouvons voir que la classe ouvrière et ses organisations au Québec et au Canada anglais doivent s’opposer à la loi 21.

Le droit à l’autodétermination concerne le droit d’un peuple opprimé à être libéré de l’oppression, ce qui peut aller jusqu’à la séparation. Cela ne signifie pas qu’il faille respecter le droit d’un gouvernement bourgeois d’une nation opprimée d’opprimer une partie de la classe ouvrière. L’autodétermination ne signifie pas faire respecter les structures de l’État capitaliste au sein de cette nation opprimée qui perpétuent l’oppression nationale et de classe des travailleurs.

La défense du droit à l’autodétermination du Québec n’est pas la défense du droit d’un gouvernement capitaliste de droite au Québec de mettre en œuvre une loi réactionnaire en toute impunité. La lutte contre l’oppression des Québécois n’est pas la défense du droit de la CAQ d’opprimer les minorités religieuses.

Le partage des compétences

Une question qui a également créé une certaine confusion à gauche est celle du gouvernement fédéral et de la Constitution. Si le gouvernement fédéral décidait de bloquer la loi 21 d’une manière ou d’une autre, que ce soit par le biais de la Constitution ou des tribunaux, quelle devrait être notre attitude? Faut-il soutenir une telle démarche du gouvernement fédéral, ou faut-il défendre les droits des provinces? Au Québec, la question des compétences provinciales et fédérales prend une importance encore plus grande, car elle ne concerne pas seulement le partage des compétences, mais elle est liée à l’oppression historique des Québécois et à leur droit à l’autodétermination.

En général, la classe ouvrière ne devrait pas se préoccuper outre mesure de la Constitution canadienne et du partage des compétences fédérales-provinciales. La Constitution et les tribunaux sont des institutions bourgeoises par définition et ont été créés précisément pour défendre l’ordre bourgeois et assurer la domination des capitalistes. Bien que la Constitution ait subi des changements progressistes lorsque l’on considère son histoire et l’évolution politique du pays de 1867 à nos jours, elle demeure dans l’ensemble un document réactionnaire qui rend pratiquement impossible de se débarrasser du Sénat non élu, de la monarchie, etc. Ainsi, même d’un point de vue démocrate, sans même parler de socialisme, la Constitution canadienne ne peut être considérée comme progressiste.

À travers l’histoire, des arguments de nature juridique ou constitutionnelle sur ce qui relève des compétences fédérales ou provinciales ont souvent été utilisés contre l’action radicale de la classe ouvrière. Lorsque des propositions radicales sont soulevées, telles que l’expropriation du secteur de l’énergie en Alberta, ou l’expropriation des usines menacées de fermeture en Ontario et au Québec, ceux qui s’y opposent se fondent souvent sur des arguments de compétence, disant que c’est impossible parce que tel ou tel palier de gouvernement n’a pas le droit de le faire. Mais justement : la lutte révolutionnaire de la classe ouvrière pour changer la société ne sera pas couronnée de succès si elle reste dans les limites légales de la société qu’elle essaie de renverser. De plus, en arrivant au pouvoir, la classe ouvrière devra complètement renverser ces structures et ces lois, et créer de nouvelles structures et institutions révolutionnaires, inaugurant ainsi la transformation socialiste de la société.

Mais comment devrions-nous généralement aborder cette question des compétences provinciales et fédérales? Il n’y a rien d’intrinsèquement progressiste dans une forme ou une autre de pouvoir, c’est le contenu qui compte. Par conséquent, nous ne pouvons faire un principe de la défense de la centralisation des pouvoirs au sein du gouvernement fédéral ou de la décentralisation des pouvoirs chez les provinces.

Par conséquent, lorsqu’il s’agit de la question de l’intervention légale ou constitutionnelle du gouvernement fédéral dans la politique provinciale, ce qui devrait nous préoccuper n’est pas le partage des compétences lui-même, mais plutôt de savoir quel camp représente l’option la plus progressiste et le résultat qui sert le mieux les intérêts de la classe ouvrière et de la lutte des classes.

Nous pouvons utiliser quelques exemples hypothétiques en Alberta pour illustrer ce point. Des années 30 aux années 70, le gouvernement de l’Alberta avait mis en place un programme eugéniste, qui imposait la stérilisation à certaines personnes considérées comme ayant des gènes « indésirables ». À la fin des années 90, les victimes de ce programme ont lancé une série de poursuites judiciaires contre le gouvernement albertain. En réponse, le gouvernement Klein a présenté le projet de loi 26, qui faisait appel à la clause nonobstant, afin de limiter le montant d’argent qui pouvait être accordé dans ces cas. Le projet de loi a été adopté, mais il y a eu un tel tollé qu’il a été révoqué dès le lendemain.

Dans ce cas, le gouvernement fédéral n’est pas intervenu. Mais imaginons qu’il ait dû, soit par une mesure constitutionnelle quelconque, soit par une contestation judiciaire, annuler cette loi et protéger les droits des victimes du programme eugéniste de l’Alberta. Il n’y aurait ici aucune raison de soutenir le gouvernement provincial au motif que ses droits auraient été violés, et certainement aucune raison de soutenir ses compétences accordées par la Constitution, plutôt que  les droits des victimes de l’eugénisme. Il n’y aurait pas non plus eu de raisons constitutionnelles ou d’argument de compétence pour soutenir le gouvernement fédéral.

Nous aurions ici à nous ranger du côté qui représente l’option la plus progressiste et qui sert le mieux les intérêts de la classe ouvrière. Dans ce cas-ci, il faudrait défendre l’abrogation de cette loi et appuyer les victimes du programme d’eugénisme de l’Alberta. Toutes choses étant égales par ailleurs, cela signifierait soutenir, même de façon limitée, le gouvernement fédéral. Naturellement, notre position ne serait pas un soutien total au gouvernement fédéral, mais un soutien extrêmement critique dans ce cas précis, sans oublier naturellement que notre priorité serait la mobilisation dans les rues afin de défendre les droits des victimes.

En 2000, le gouvernement Klein a adopté le projet de loi 202, modifiant la loi sur le mariage pour n’autoriser que les mariages hétérosexuels, toujours en utilisant la clause nonobstant. La Cour suprême avait déjà déterminé que seul le gouvernement fédéral pouvait légiférer sur les questions relatives au mariage et la loi du gouvernement Klein était essentiellement caduque avec l’adoption de la Loi sur le mariage civil en 2005.

Lorsque la Loi sur le mariage civil a été adoptée à l’échelle fédérale, le gouvernement Klein a cherché activement et ouvertement des moyens de la contourner et de maintenir son interdiction effective du mariage entre personnes du même sexe. Le gouvernement de l’Alberta a avancé des arguments de compétence selon lesquels la loi fédérale empiétait sur les compétences de la province en matière de célébration du mariage, et a même entretenu l’idée de purement et simplement cesser de célébrer les mariages.

En fin de compte, il ne s’est rien passé car le gouvernement Klein n’avait aucun moyen légal d’aller de l’avant. Mais imaginons que le gouvernement Klein ait adopté une loi pour bloquer tout ce qui n’est pas une union hétérosexuelle et que le gouvernement fédéral l’ait contestée. Encore une fois, il n’y aurait eu aucune raison de soutenir l’un ou l’autre camp pour des motifs de compétence. Le plus important aurait été d’appuyer le résultat le plus progressiste, ce qui signifierait soutenir la lutte pour l’égalité des droits, et appuyer l’abrogation de toute loi discriminatoire. Encore une fois, toutes choses étant égales par ailleurs, cela signifierait à nouveau soutenir le gouvernement fédéral.

Cependant, lorsqu’il s’agit de la loi 21, la question de l’autodétermination du Québec et la façon dont cette question est liée à la lutte des classes jouent un rôle important et nous devons prendre ces facteurs en considération. Ne pas en tenir compte serait une grosse erreur. La loi 21 est sans aucun doute une attaque contre la classe ouvrière et favorise les intérêts des patrons, et il faut s’y opposer. Cependant, dans ce cas concret, nous ne serions pas en faveur d’une intervention fédérale sur la loi 21, parce que cela ne favoriserait pas la lutte des classes au Québec.

Comme nous l’avons mentionné, étant donné que la loi 21 demeure populaire dans les sondages au Québec, une intervention fédérale par le biais des tribunaux ou de la Constitution serait considérée comme un geste antidémocratique et une violation massive de l’autodétermination du Québec. Ceux qui soutiennent le projet de loi seraient poussés dans les bras ouverts de Legault et de la CAQ, renforçant ainsi la droite et les nationalistes réactionnaires. Le CAQ serait alors en bonne position pour transformer le débat sur la loi 21 en une discussion sur les droits du Québec en tant que nation, et la lutte contre la loi raciste se trouverait dans une situation difficile.

Un soutien accru à la CAQ et une montée du nationalisme réactionnaire mettraient un frein à la lutte des classes au Québec, et donneraient tout l’élan nécessaire à Legault pour mettre en œuvre son programme d’austérité et ses attaques contre la classe ouvrière. Ainsi, bien que nous luttions contre la loi 21, dans le cas présent nous ne serions pas en faveur d’une ingérence du gouvernement fédéral, car dans ces circonstances concrètes, une telle intervention aurait un effet négatif sur la lutte des classes et ne servirait donc pas les intérêts de la classe ouvrière.

Comment lutter contre la loi 21?

Bien que l’appui à la loi 21 reste élevé au Québec, l’explication se trouve dans le fait qu’il n’y a pas eu de réelle opposition ou d’arguments cohérents de la gauche contre ce projet. L’opportunisme, tant au Québec qu’au Canada anglais, a joué un rôle pernicieux, les organisations hésitant à prendre position par crainte des répercussions électorales. De plus, l’opposition a pris une forme parlementaire et juridique. Malheureusement, l’automne dernier, QS a publié ses trois principales priorités qui ne comprenaient pas la lutte contre la loi 21. Bien que QS ait déclaré qu’il ne renouvellerait pas la clause nonobstant s’il était élu, le parti semble considérer l’adoption de la loi comme un fait accompli. Du côté du NPD ontarien, le parti semble avoir comme solution de pousser le chauvin Doug Ford à soutenir les contestations judiciaires!

Alors que QS, le NPD, les syndicats et de nombreux conseils municipaux et commissions scolaires s’opposent à cette loi, il est clair qu’une campagne de masse contre cette loi aurait un effet énorme. Elle pourrait être combinée avec des actions sur le terrain sous forme de manifestations, d’occupations de milieux de travail, etc. Il y a déjà eu d’importantes manifestations contre le projet de loi 21. Début avril 2019, des manifestants ont formé une chaîne humaine autour d’une école de Westmount. Au cours de l’été, des commissions scolaires avaient déclaré qu’elles n’appliqueraient pas la loi. Les syndicats d’enseignants et les organisations de défense des droits des immigrants au Québec et ailleurs ont un intérêt particulier à s’opposer à la loi 21 et il est vital qu’ils se lancent dans une campagne pour unir tous les travailleurs de l’État canadien. Nous avons également vu le début d’un mouvement de grève étudiante contre la loi. Un tel mouvement généralisé serait un important pas dans la bonne direction. Une telle campagne unie pourrait couper l’herbe sous le pied tant des nationalistes québécois qui défendent la loi et tentent de gagner à eux les travailleurs québécois, que des anglo-chauvins qui veulent que l’État fédéral intervienne ou qui tentent d’en faire un problème « québécois ».

Dans un communiqué de presse sur la motion non contraignante du NPD condamnant l’adoption de la loi 21 à l’Assemblée législative de l’Ontario, la dirigeante du parti, Andrea Horwath, a déclaré que « les mots ne suffisent pas ». Elle n’entendait malheureusement pas par là qu’une campagne de mobilisation de masse contre la loi 21 était nécessaire, mais plutôt que le NPD se joindrait à toute contestation devant la Cour suprême. Des travailleuses sont actuellement attaquées au nom de la loi 21, et les victimes de cette loi raciste n’ont pas besoin d’un allié qui ne fera que se présenter au tribunal, ce qui sera trop peu, trop tard de toute façon. Il est urgent d’agir maintenant, et oui, les mots ne suffisent pas. QS et les syndicats, en collaboration avec le NPD fédéral et des provinces devraient former un front uni autour de cet enjeu et organiser une campagne de masse contre cette loi et participer aux manifestations et aux actions en milieu de travail contre cette attaque, et en organiser eux-mêmes. Tous les secteurs du mouvement ouvrier ont l’obligation de prendre des mesures militantes pour retourner l’opinion publique et faire de la loi une coquille vide.

Ce qu’il faut vraiment dans la lutte contre la loi 21, c’est un mouvement de désobéissance civile de masse à travers tous les milieux de travail, les écoles et les municipalités. Tous les syndicats qui ont pris position contre la loi 21 doivent maintenant passer de la parole aux actes et se mobiliser pour défendre les minorités religieuses. Un plan concret de désobéissance civile doit être organisé. Celui-ci doit prendre la forme d’arrêts de travail et de grèves de solidarité avec des employés ciblés, et de manifestations de masse. Pour chaque cas où un employé est menacé de perdre son emploi ou se voit refuser un emploi en vertu de la loi 21, nous devrions organiser une action de solidarité, qu’il s’agisse de débrayages, de manifestations ou de toute autre action susceptible de renverser la décision. La loi doit être rendue inapplicable par les travailleuses et travailleurs eux-mêmes grâce à une solidarité active. Et cette solidarité doit s’étendre au Canada anglais également.

Si cette loi discriminatoire passe sans résistance sérieuse, nous aurons un horrible précédent avec lequel composer. Les gouvernements réactionnaires, au Québec, dans les autres provinces, au fédéral et ailleurs dans le monde, pointeront en direction de la loi 21 pour justifier d’autres lois racistes. L’importance de la loi 21 dépasse largement les frontières du Québec. Avec la crise du capitalisme qui s’annonce et le nombre croissant de personnes qui cherchent à lutter contre l’establishment, les capitalistes et leurs politiciens auront besoin d’un bouc émissaire. Blâmer les minorités opprimées pour les problèmes du système est une tactique insidieuse pour affaiblir le mouvement ouvrier. Ils l’ont fait au Québec depuis des années; ils le feront ailleurs. Nous devons faire campagne au Québec et au Canada anglais pour un mouvement de masse contre cette loi. C’est ainsi que nous pourrons surmonter les divisions que la CAQ tente de fomenter, et du même coup exposer les libéraux qui tentent de se présenter comme les plus ardents défenseurs des droits des minorités. C’est ainsi que nous pouvons combattre le racisme utilisé par la classe dirigeante pour nous diviser, et renforcer l’unité de la classe ouvrière.