France : grève nationale contre la casse des retraites par Macron – un million de personnes dans les rues!

Plus d’un million de personnes étaient dans les rues de France le 19 janvier pour participer à plus de 200 rassemblements dans le cadre d’une grève nationale contre la dernière attaque du président Macron contre les retraites. Les travailleurs du rail, des transports parisiens, des raffineries de pétrole et des médias, en plus des enseignants, des fonctionnaires, des camionneurs et des employés de banque ont tous débrayé pour s’opposer au projet de Macron d’augmenter l’âge de la retraite. Le potentiel d’une confrontation directe existe, mais les dirigeants syndicaux sont-ils à la hauteur de la situation? 

  • Joe Attard
  • lun. 23 janv. 2023
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Crédit : Jayronimo77, Twitter

Article publié le 19 janvier sur In Defence of Marxism.


Plus d’un million de personnes étaient dans les rues de France pour participer à plus de 200 rassemblements dans le cadre d’une grève nationale contre la dernière attaque du président Macron contre les retraites. Les travailleurs du rail, des transports parisiens, des raffineries de pétrole et des médias, en plus des enseignants, des fonctionnaires, des camionneurs et des employés de banque ont tous débrayé pour s’opposer au projet de Macron d’augmenter l’âge de la retraite. Le potentiel d’une confrontation directe existe, mais les dirigeants syndicaux sont-ils à la hauteur de la situation? 

Comme nous l’avons expliqué précédemment, Macron subit une pression immense de la classe dirigeante française pour « réformer » le système des retraites, qui est attaqué sans cesse depuis des décennies. Présentement, l’âge de la retraite est de 62 ans, et Macron espère l’augmenter de quatre mois chaque année, jusqu’à 64 ans en 2030. Cette proposition est profondément impopulaire auprès du grand public. Un récent sondage a révélé que 80% des personnes interrogées s’y opposent. Ces attaques suscitent une colère enflammée par la baisse généralisée du niveau de vie. 

Comme toujours, Macron est perçu (avec justesse) comme étant arrogant, déconnecté, et soumis aux intérêts de l’élite riche qui demande cette mesure vicieuse. Il ne se trouvait même pas au pays pendant les manifestations, s’étant enfui en Espagne pour signer un « traité d’amitié et de coopération » avec le premier ministre espagnol Pedro Sanchez. Bien en sécurité au loin à Madrid, il s’est engagé à poursuivre la réforme des retraites jusqu’au bout, insistant qu’elle est « juste et responsable ». 

La colère monte

La promesse de « réformer » les retraites est un pilier du programme politique de Macron depuis le jour de son élection. Dès 2019-20, l’insistance de Macron à mettre à exécution son attaque a provoqué la plus grande vague de grèves en France depuis des décennies. Cette vague de lutte de classe suivait de près le mouvement quasi-insurrectionnel des gilets jaunes.

Encore une fois, les syndicats ont répondu avec un appel à une mobilisation massive contre la tentative de réforme des retraites; et une fois de plus, les travailleurs français ont répondu « présents ».

Bien qu’il se trouvait déjà en position précaire face aux grèves de 2019, Macron est encore plus affaibli aujourd’hui. Il a perdu sa majorité parlementaire aux élections de 2022, et doit s’appuyer sur les partis de droite comme les Républicains et le Rassemblement national (anciennement Front national) pour faire adopter ses politiques. 

Comme il subit les attaques simultanées de la coalition NUPES (le principal bloc d’opposition, menée par le parti de gauche France insoumise), et du Rassemblement national (parti de droite), Macron doit s’appuyer sur les Républicains (parti de centre-droit) pour faire adopter sa réforme le mois prochain. 

Comme plusieurs députés républicains hésitent, son succès n’est pas garanti. Il risque d’être contraint d’utiliser l’article 49.3 de la constitution pour faire adopter sa réforme sans vote, ce qu’on appelle l’option nucléaire dans l’Assemblée. La survie de son gouvernement risque de dépendre de sa capacité à faire adopter cette réforme. 

En plus, la température monte sur le thermomètre social. La crise économique fait souffrir les travailleurs français et la jeunesse. Le gouvernement est déjà entré en conflit sur le front industriel après avoir utilisé les pouvoirs étatiques pour forcer les travailleurs en grève des raffineries de pétrole à reprendre le travail en octobre dernier. 

La colère des travailleurs et de la jeunesse est palpable en France et se voit dans les énormes foules et les manifestations particulièrement impressionnantes de 140 000 personnes à Marseille, 45 000 à Nantes, 40 000 à Lyon et 50 000 à Toulouse. Des manifestations de dizaines de milliers de personnes ont eu lieu dans plusieurs autres endroits dont Rennes, Bordeaux, Caen, Saint-Étienne et ailleurs. 

Un raz-de-marée (400 000 personnes selon la CGT) a convergé au rassemblement principal à la Place de la République, à Paris, débordant dans les quartiers et les boulevards voisins. Il s’agit de la plus grande manifestation dans la capitale depuis des années. Même si les manifestations étaient principalement pacifiques, la police a tout de même utilisé le gaz lacrymogène pendant l’après-midi, et procédé à une vingtaine d’arrestations, avant un déplacement vers la Nation à l’est de Paris, en passant par la Bastille. 

L’humeur dans les rassemblements est simple : « assez c’est assez ». Dominique, 59 ans, gérante d’un commerce de détail, a été interviewée par France24 et a affirmé :« Je n’ai jamais fait grève de ma vie, mais si on me le demande, je le ferai ». 

Elle poursuit : 

« Cela fait trente ans que je suis dans la grande distribution. J’ai déjà été opéré aux deux épaules, pour soigner des tendinites dues aux mouvements répétitifs et aux charges lourdes que je transporte tout au long de la journée. Chaque jour, je porte environ 600 kilos de marchandise en tout. Je dois aussi me faire opérer des deux mains, pour recevoir des prothèses de pouces : à force d’arracher et de déchirer des cartons pour les mises en rayon, je n’ai plus d’articulation. Alors, si on me dit que ma retraite est repoussée de quelques mois ou d’un an, je ne pourrai pas l’accepter. »

Jean, un maçon de 29 ans, a tenu des propos similaires 

« Beaucoup de mes collègues finissent avec des cancers généralisés à 60 ans. Et même si tu y échappes, à partir de 50 ans, tu as les genoux en vrac, ou le dos, le canal carpien, les ligaments… »»

« Certains de mes collègues sont brisés, ils marchent en canard. Il faut les aider tout le temps, ils ne peuvent plus travailler normalement, ils sont foutus.  Alors s’il faut continuer jusqu’à 64 ans… Quand je les vois comme ça, je sais que je ne vais pas rester dans la maçonnerie. »

De nombreuses personnes sont parfaitement conscientes de l’impact disproportionné des politiques de Macron sur les plus pauvres, dont Balthazar, un employé de restaurant de 22 ans : 

« Je suis absolument contre la réforme. Le but est de faire des économies, de faire produire plus le pays, en baissant les cotisations des entreprises et en faisant travailler les gens plus longtemps. C’est sur les pauvres que cela va tomber, surtout qu’à 62 ans, un quart des hommes les plus pauvres sont déjà morts. Je trouve ça scandaleux. »

Il est remarquable que les huit fédérations syndicales de France ont toutes accepté une journée d’action combinée, dont la CFDT, la plus grande et plus conservatrice, qui n’avait pas participé aux grèves de 2019-20. Ce niveau d’unité peu commun montre l’ampleur de la rage ressentie par toutes les couches de travailleurs, ce qui met de la pression même sur les dirigeants syndicaux les plus conservateurs. 

La grève a également été très solide. Les transports publics à travers la France, mais surtout dans la capitale, ont été complètement immobilisés. De nombreux vols ont été annulés. Soixante-dix pourcent des enseignants ont débrayé, et le secteur crucial de l’énergie a été paralysé par les grèves. Les employés de l’entreprise d’État EDF ont réduit la production d’électricité de 7000 mégawatts. Les stations de radio publiques Franceinfo et France Inter ont diffusé de la musique en boucle plutôt que des nouvelles en continu, pendant que la chaîne de télévision France 2 présentait des rediffusions. Les grèves ont également perturbé la principale route commerciale entre Dover et Calais, ce qui a interrompu le service de traversier. 

En outre, plusieurs syndicats ont déposé un préavis d’action illimitée, créant ainsi la condition nécessaire pour des grèves reconductibles. « C’est une première journée, il y en aura d’autres », a déclaré Philippe Martinez, dirigeant de la confédération syndicale CGT. Les travailleurs des raffineries de pétrole ont déjà annoncé des journées de grève la semaine prochaine et au début du mois de février, et une autre manifestation nationale est prévue pour samedi. 

Il est temps d’escalader la grève!

En somme, tous les ingrédients sont réunis pour une confrontation décisive entre la classe ouvrière française et le gouvernement Macron tant méprisé. Au cours des années, il y a eu plusieurs occasions d’expulser Macron du palais de l’Élysée, mais le leadership industriel et politique de la classe ouvrière n’a jamais su faire les liens nécessaires et les a toutes gaspillées. 

Au lieu de préparer une grève générale illimitée et explicitement politique, avec l’objectif de faire tomber Macron, les dirigeants de la classe ouvrière française se sont restreints à opposer telle ou telle de ses politiques réactionnaires, se limitant à des « journées d’action » pour que leur base se défoule et pour mettre la pression sur le gouvernement pour des négociations en coulisse. 

La détermination des travailleurs français est immense, comme nous l’avons vu encore et encore – mais elle n’est pas infinie. Ils en ont assez des vieilles stratégies caduques qui leur coûtent des journées de salaire sans résultat. Néanmoins, la force des grèves du 19 janvier montre que l’appétit pour une lutte sérieuse existe toujours. La coordination de tous les principaux syndicats est aussi un pas en avant, montrant la pression qui monte au sein de la base pour une véritable lutte unifiée. 

Comme nous l’avons vu à travers le monde, la férocité de la crise économique actuelle suscite un puissant élan sur le front industriel. L’inflation galopante signifie que de plus en plus de travailleurs doivent se battre simplement pour maintenir leur niveau de vie actuel et ils se tournent vers les syndicats comme instrument pour y arriver. Même les réformistes les plus conservateurs qui dirigent les grands syndicats sont poussés vers des actions coordonnées, que cela leur plaise ou non. 

L’année passée en Ontario, le gouvernement réactionnaire de Doug Ford a tenté de criminaliser une grève des travailleurs de l’éducation, mais ceux-ci l’ont fait reculer simplement avec la menace d’une grève générale de toute la province. En Grande-Bretagne, la plus grande journée d’actions coordonnées depuis une décennie aura lieu le 1er février. Les travailleurs de la santé, les enseignants, les universitaires, les travailleurs des postes et d’autres secteurs débrayeront collectivement. En France (où les « journées d’action » sont monnaie courante), les dirigeants syndicaux doivent unir leurs forces et devront lutter pour restreindre les travailleurs aux moyens inoffensifs.

Il est possible qu’un secteur ou un autre déclare une grève illimitée, ce qui électriserait la situation et mettrait tous les dirigeants syndicaux au pied du mur. Il sera alors nécessaire d’établir un plan d’action national, pour intensifier la lutte vers une grève générale et illimitée, avec l’objectif explicite de faire tomber le gouvernement Macron. 

Bien qu’il soit nécessaire de contrer cette récente attaque, les dirigeants syndicaux ne devraient pas se limiter à s’opposer à la réforme des retraites. Celle-ci reflète simplement les demandes du système capitaliste en crise perpétuelle que Macron sert fidèlement. Même si elle est bloquée ici ce ne sera que pour revenir plus tard, avec des attaques continues sur tous les fronts. 

Comme nous l’avons vu, Macron peut survivre aux innombrables journées d’actions isolées, aussi massives soient-elles. Un programme sérieux d’intensification de la lutte sera la meilleure manière d’attirer toutes les couches possibles de la société française, qui partagent une haine profonde de leur président « jupitérien », et qui souffrent de la crise qu’elles n’ont pas causée, mais dont elles doivent payer le prix. Un plan d’action adéquat donnera aux masses la confiance de se joindre à la lutte. 

En dernière analyse, seule une société où l’économie est gérée démocratiquement par la classe ouvrière sera en mesure d’assurer une existence décente et la sécurité dans la vieillesse aux gens ordinaires. La lutte contre Macron doit faire partie de la lutte contre le capitalisme français, qui pille la jeunesse et les travailleurs français depuis trop longtemps. 

Plus d’excuses! Fini les demi-mesures!

Pour une grève nationale, reconductible et politique!

À bas la contre-réforme des retraites!

Macron démission!