Crise au sein de QS : la direction tente de faire taire la dissidence

Une crise fait rage au sein de Québec solidaire. Elle prend la forme d’une guerre entre la direction du parti et le Collectif antiraciste décolonial (CAD). Lors du prochain Conseil national du parti, les 15 et 16 mai, le Comité de coordination national (CCN) du parti soumettra au vote une motion de blâme contenant une menace à peine voilée de désaccréditation du collectif. Cependant, ce n’est qu’un écran de fumée pour justifier l’adoption d’un « code d’éthique » restrictif qui rendra plus difficile pour les militants du parti de critiquer la direction et les députés.

  • Joel Bergman
  • jeu. 13 mai 2021
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Une crise fait rage au sein de Québec solidaire. Elle prend la forme d’une guerre de la direction du parti contre le Collectif antiraciste décolonial (CAD). Lors du prochain Conseil national du parti, les 15 et 16 mai, le Comité de coordination national (CCN) du parti soumettra au vote une motion de blâme contenant une menace à peine voilée de désaccréditation du collectif. Cependant, ce n’est qu’un écran de fumée pour justifier l’adoption d’un « code d’éthique » restrictif qui rendra plus difficile pour les militants du parti de critiquer la direction et les députés. 

Une attaque contre les véritables traditions démocratiques de QS

Québec solidaire est né de la fusion de différents groupes de gauche en 2006. En raison du grand nombre de groupes socialistes et féministes qui ont été rassemblés, un concept fondamental était que, contrairement à un parti comme le NPD, il y aurait des droits démocratiques permettant aux différents groupes de défendre leurs positions, tant à l’interne qu’à l’externe. 

Dans les statuts du parti, on peut lire : « Québec solidaire est pluraliste, c’est-à-dire qu’il permet la participation et l’expression plurielles des personnes, des collectifs, des différents points de vue. » Dans la section sur les droits des membres, on peut lire : « Le parti reconnaît le droit à toute personne membre, à toute instance et à tout collectif d’exprimer sa dissidence, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du parti. »

Cette approche représentait un vent de fraîcheur si on la compare à l’atmosphère étouffante que l’on trouve au sein d’un parti comme le NPD, où la direction est historiquement entrée en guerre contre toute dissidence organisée, ce qui remonte à la lutte contre le groupe « Waffle » dans les années 60 et 70. 

Cependant, dans le nouveau code d’éthique, on lit maintenant qu’il est du devoir des membres du parti de « protéger la réputation du parti, des membres et des personnes élues ». La répression de la dissidence ne sera bonne pour personne et tuera en pratique les traditions pluralistes de Québec solidaire. Le parti ne sera pas fondamentalement différent du NPD à cet égard. 

Cela est proposé en tandem avec une « Politique de résolution des conflits » qui se lit comme un document écrit pour une entreprise « woke » essayant de maintenir un environnement de travail « sain ». Il y a cependant un gros problème ici : QS n’est pas une entreprise mais une organisation politique où les conflits politiques sont inévitables et où tout le monde ne va pas s’entendre. Alors qu’il serait normal d’avoir un code de conduite pour des situations de harcèlement ou de violence, ce document ne traite pas vraiment de cela et ne parle que vaguement de « conflits ».

Sous couvert de « favoriser un climat inclusif et respectueux pour les débats et le travail collectif », il s’agit en réalité d’une forme de répression bureaucratique. Par exemple, la section « sanctions » de la politique de résolution des conflits dit que dans les « situations graves et exceptionnelles où des comportements portent atteinte à la dignité et à l’intégrité d’autres personnes ou aux valeurs du parti définies dans le Code d’éthique », le Comité exécutif pourra décider de « la révocation du statut de membre et des droits qui y sont associés ». Ceci bien sûr après que le cas ait été examiné par un Comité d’éthique qui est nommé par… la direction elle-même. 

Comment en sommes-nous arrivés là?

Bien que cet affrontement puisse être choquant pour de nombreuses personnes, il se préparait en fait depuis longtemps.

L’enjeu au coeur du problème est le « débat » sur les « symboles religieux » et la « laïcité » qui a gagné en importance au cours de la décennie qui a suivi les guerres en Irak et en Afghanistan. Ce soi-disant débat n’était rien d’autre qu’un écran de fumée pour l’offensive médiatique raciste contre les musulmans. Soudainement, sans qu’aucune preuve n’ait jamais été soulevée, les médias et les politiciens ont tiré la sonnette d’alarme sur la nature laïque de l’État québécois qui serait menacée par les femmes musulmanes et leurs symboles religieux. Bien sûr, il s’agissait d’un épouvantail mis en avant pour faire diversion et diviser. Quiconque prétend qu’il s’agissait simplement d’un débat sur la neutralité de l’État fait preuve d’une ignorance délibérée.

Étant nationaliste de gauche, la direction de Québec solidaire a commis une série d’erreurs politiques majeures sur cet enjeu. Elle s’est pliée devant la montée du nationalisme identitaire à plusieurs reprises par peur de perdre des votes – un opportunisme électoral qui n’allait jamais fonctionner, car toute personne cherchant à voter pour des raisons nationalistes allait toujours voter pour la CAQ, comme l’histoire le démontrera par la suite.

La direction de Québec solidaire s’est pliée à la pression de l’armée de journalistes de droite de Quebecor qui utilisaient leur mainmise sur les médias québécois pour créer un faux débat sur les « accommodements raisonnables » et la « laïcité ». Étant incapable de prendre une position ferme, elle a donné de la crédibilité à ce « débat ». En fin de compte, cela ne pouvait que la mettre en porte-à-faux avec les militants antiracistes du parti qui étaient de plus en plus mécontents de l’approche de QS. 

Nous avons vu cette approche erronée lorsque la direction de QS n’a pas réussi à s’opposer à la « Charte des valeurs québécoises » du PQ en 2013, proposant plutôt sa propre version qui contenait également des dispositions portant atteinte aux libertés religieuses. Lorsque les libéraux ont hypocritement proposé une loi similaire en 2017, les députés de QS ont limité leurs critiques à son « inapplicabilité », au lieu de souligner la nature clairement islamophobe de celle-ci.

Pour couronner le tout, lorsque la CAQ a pris le pouvoir en surfant sur cette vague de nationalisme identitaire, la direction de QS a constamment tenté de trouver un « compromis » sur la question de l’interdiction du port de symboles religieux pour certains employés de l’État. 

La direction du parti a adopté ces positions et les a défendues publiquement en dépit du fait que les membres n’ont jamais eu l’occasion de débattre de l’approche du parti. Le programme du parti était pourtant clair sur cette question : « C’est l’État qui est laïc, pas les individus. » Toute cette histoire représentait clairement une violation des principes les plus élémentaires de la démocratie du parti.

Pendant que ce débat raciste et islamophobe se poursuivait sans opposition, des milliers de personnes ont manifesté à Montréal à de multiples reprises. Québec solidaire, qui est né en tant que « parti des urnes et de la rue », était totalement absent de ces manifestations sous forme organisée. La porte-parole du parti, Manon Massé, a même pris la peine de préciser : « Je ne pense pas que M. Legault soit un homme raciste et je ne pense pas que la CAQ est raciste. » Et ce, la veille d’une grande manifestation antiraciste suite à l’élection de la CAQ en 2018.

Alors qu’auparavant, les militants antiracistes auraient trouvé un chez-soi naturel au sein de QS, les relations sont certainement devenues tendues à mesure que la direction se pliait de manière opportuniste à la vague nationaliste identitaire. De nombreux militants n’ont pas aimé que la direction du parti n’ait jamais reconnu ses erreurs et ne se soit jamais excusée d’avoir essentiellement fourni une couverture de gauche à cette discussion raciste. Beaucoup de gens ont quitté le parti au fil des ans en raison de cette approche erronée.

Heureusement, une révolte de la base lors du Conseil national du parti de mars 2019 a renversé cette horrible approche. Les délégués ont voté à une écrasante majorité contre toute discrimination de l’État à l’égard des minorités religieuses. 

À cela s’ajoute une série d’erreurs de la part des députés de QS. Notamment, Émilie Lessard-Therrien, députée QS de la circonscription de Rouyn-Noranda-Témiscamingue, a fait une déclaration dénonçant les « prédateurs » chinois qui achetaient des terres agricoles. Lorsqu’elle a été interpellée sur ce point, elle a déclaré « qu’une terre en friche a toujours le potentiel d’être cultivée à nouveau, mais une terre qui appartient à la Chine risque de ne plus jamais nourrir de Québécois ».

En plus d’être une mauvaise position pour un parti de gauche, c’est aussi factuellement incorrect, comme l’a attesté l’Union des producteurs agricoles qui a déclaré que « notre préoccupation concerne beaucoup plus les sociétés d’investissement québécoises qui achètent les terres, et beaucoup moins les investisseurs étrangers ». Elle a également souligné que « nous n’avons actuellement aucune information qui indiquerait qu’il y a des achats massifs de terres par des investisseurs étrangers au Québec ».

Ce genre de position découle directement de la perspective nationaliste de Québec solidaire. Sur la question de l’alimentation, la direction plaide pour la « souveraineté alimentaire », ce qui semble être en accord dans l’ensemble avec le gouvernement de la CAQ qui a lancé l’initiative du Panier bleu l’année dernière. C’est là une politique économique de type « Le Québec d’abord », donnant la priorité aux entreprises québécoises.

Les déclarations de Lessard-Therrien ont été dénoncées par des associations chinoises de Montréal. Au lieu d’admettre qu’il s’agissait d’une erreur et de s’engager à ne pas recommencer, les dirigeants se sont enfoncés, offrant que de maigres demi-excuses, et Alexandre Leduc, (député de QS dans Hochelaga) a même fait des commentaires sur Facebook pour critiquer une manifestation contre cette déclaration sinophobe.

Il est compréhensible que cet incident ait contribué à affaiblir la confiance dans la direction du parti parmi une grande partie des militants, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du parti. 

Il y a également eu l’attitude froide de la direction du parti envers Hawa Eve Torres, la première femme voilée à se présenter à une élection provinciale au Québec. Lorsque Gabriel Nadeau-Dubois a organisé un événement à l’Université de Montréal (située dans la circonscription où Eve se présentait) au cours de la dernière campagne électorale, non seulement elle n’a pas été invitée à prendre la parole, mais elle n’a même pas été reconnue comme candidate lors de l’événement alors qu’elle y était présente! Selon Sibel Epi Ataoğul, membre fondatrice du parti, les dirigeants du parti, lorsqu’ils cherchaient une candidate pour remplacer Amir Khadir dans Mercier, étaient également opposés à ce que ce soit une candidate portant un hijab. 

Nous voyons aussi le phénomène général où la direction reste remarquablement silencieuse sur certaines questions, mais pas sur d’autres. Par exemple, lorsque TVA a inventé une histoire à propos d’une mosquée qui demandait qu’aucune femme ne travaille dans le chantier de construction près de son établissement, GND s’est empressé de dénoncer la mosquée sur Twitter. Lorsqu’il est devenu évident qu’il s’agissait d’une invention (comme confirmé par la mosquée et l’entreprise de construction), les dirigeants du parti ont tardé à agir, n’ont pas présenté d’excuses et le tweet en question n’a jamais été retiré. 

Lorsque le chef du NPD, Jagmeet Singh, a traité le député du Bloc québécois, Alain Therrien, de « raciste » pour avoir bloqué une motion dénonçant le racisme systémique au sein de la GRC et avoir fait un geste méprisant à son égard en chambre, QS est resté ostensiblement silencieux. Et ce, malgré le fait que les nationalistes de droite présentaient cela comme une attaque contre « tout le Québec ».

L’année dernière, lorsque le mouvement de masse a éclaté après le meurtre de George Floyd, QS a présenté une résolution à l’Assemblée nationale du Québec pour dénoncer le racisme systémique. Lorsque cette résolution s’est heurtée à une opposition, QS a accepté de l’amender en supprimant le mot « systémique », laissant ainsi les nationalistes de droite soutenir que le racisme n’est qu’un phénomène individuel. 

Est-ce le genre de chose que les membres de QS devront s’abstenir de critiquer, afin de « protéger la réputation du parti et des élus »? Les militants du parti devraient considérer la discussion sur le « Code d’éthique » et la « Politique de résolution des conflits » non pas indépendamment du temps et de l’espace, mais dans le contexte d’une longue histoire où la direction du parti commet des erreurs fondamentales et où les militants et les collectifs du parti ont dû faire pression sur eux par la critique, tant interne qu’externe, pour les corriger. 

Le rôle nocif des politiques identitaires

L’un des résultats de ces expériences négatives a été la création du Collectif antiraciste décolonial (CAD) en 2019. En effet, les personnes qui ont fondé le CAD et qui ont mené le collectif par la suite étaient parmi les principaux militants qui se sont mobilisés et ont réussi à renverser la position de la direction en ce qui concerne la discrimination des minorités religieuses.

Alors qu’il y avait un réel besoin d’une lutte organisée contre la direction nationaliste, le CAD s’est malheureusement embourbé dans un type de politiques identitaires universitaires toxiques trop communes dans la gauche actuelle. 

Cela a été clairement démontré par l’un des événements clés de ce conflit, soit lorsque le CAD a partagé un tweet du tristement célèbre professeur de l’Université d’Ottawa, Amir Attaran. Partant du fait que la CAQ refuse de reconnaître le racisme systémique, Attaran dénonce la nation québécoise en entier comme étant raciste et se plaint du fait que les Québécois auraient élu un gouvernement de « suprémacistes blancs ». Loin de combattre les nationalistes de droite racistes, ses tweets stupides ont été un cadeau pour eux car ils ont pu les utiliser pour rallier tous les Québécois derrière eux pour combattre ce « Québec bashing ». Les politiques identitaires d’Attaran sont le revers de la médaille du nationalisme identitaire de la CAQ, et relayer ses propos ne fait pas avancer la lutte contre le racisme d’un iota. 

Cet épisode a bien sûr rendue furieuse la direction du parti qui a publiquement pris ses distances avec le CAD et a envoyé un message interne à tous ses membres à ce sujet. Beaucoup de gens ont souligné que le traitement réservé au CAD contrastait fortement avec celui accordé au fameux « Collectif laïcité », qui pouvait faire publiquement des déclarations islamophobes en toute impunité. Tout le monde sait que cette différence de traitement s’explique par le fait que le parti s’est plié par opportunisme au nationalisme identitaire véhiculé par les autres partis. 

Ce que ce conflit montre par-dessus tout, c’est la faillite totale des politiques identitaires, présentes sous différentes formes des deux côtés de ce conflit. Comme bon nombre des erreurs précédemment mentionnées ont été commises en raison de la perspective nationaliste de la direction de QS, cela n’a fait qu’exacerber et renforcer la critique de type politiques identitaires du CAD, qui se concentre sur le fait que la direction du parti est surtout composée de personnes blanches.

Depuis sa fondation, le CAD est en conflit constant avec le CCN. Malheureusement, ses critiques ont surtout porté sur l’identité des représentants du parti, sans égard aux politiques que ces personnes défendent. Pourtant, le débat sur la « laïcité » nous a montré que les trois personnes racisées les plus connues du parti – Ruba Ghazal, Andres Foncecilla et Amir Khadir – avaient toutes soutenu ce qui était essentiellement un compromis avec l’islamophobie, tandis que deux personnes blanches de Québec – Sol Zanetti et Catherine Dorion – s’étaient prononcées contre toute discrimination. 

Cet exemple montre comment cette insistance sur l’identité pose problème. Nous le voyons notamment dans le fait que la Commission nationale autochtone, qui a été créée par des militants du CAD, soutient maintenant la motion de blâme contre le CAD. Cela signifie que des militants autochtones dénoncent le Collectif antiraciste décolonial! Il y a également eu une lettre signée par de nombreux militants racisés de QS dénonçant le CAD. Cela a permis à la direction du parti d’utiliser ses propres arguments identitaires, faisant valoir que le CAD « ne parle pas au nom de toutes les personnes racisées ». On ne pourrait imaginer un exemple plus clair du cul-de-sac des politiques identitaires.

Il y a des personnes racisées des deux côtés de ce débat. Alors qui a raison? Le virage à droite de la direction et ses concessions au nationalisme identitaire ne peuvent être combattus avec les politiques identitaires, mais doivent être combattus avec des politiques révolutionnaires de classe. Nous devons faire revivre le meilleur des traditions des Black Panthers et de Fred Hampton, qui disait : « Nous disons qu’on ne combat pas le racisme par le racisme. Nous allons battre le racisme par la solidarité. Nous disons qu’on ne combat pas le capitalisme avec le capitalisme noir ; on combat le capitalisme par le socialisme. »

Défendons la démocratie du parti, luttons pour le socialisme!

QS a été fondé en tant qu’organisation démocratique, les membres déterminant le programme du parti et son approche générale sur diverses questions. Cependant, les actions de la direction mettent certainement en danger cette tradition. La motion de blâme déposée contre le CAD a été envoyée comme par hasard juste deux semaines avant le Conseil national et seulement après que plusieurs associations de circonscription ont tenu leur assemblée générale et élu leurs délégués. Comme ce conflit couve depuis longtemps, il est difficile de croire que cela n’a pas été fait intentionnellement pour s’assurer qu’il n’y ait pas de mobilisation de la base pour élire des délégués contre cette motion. En plus, ce point sera discuté pendant seulement 45 minutes avant de passer au vote. Alors que certains membres prétendent qu’il ne faut pas en faire tout un plat, la motion parle dans son dernier point de « révision » du statut du CAD en tant que collectif.

Quant au Code d’éthique et à la politique de résolution des conflits, ils ne sont pas modifiables et seront soumis à un simple vote pour ou contre. Cette mesure vise manifestement à s’assurer qu’ils seront adoptés à toute vapeur, car la plupart des gens penseront probablement qu’il est préférable d’avoir un code d’éthique plutôt que de ne pas en avoir. 

Nous voyons donc sous nos yeux la solidification du contrôle bureaucratique et l’élimination de l’opposition politique à ce qui est franchement un régime de parti modéré et opportuniste. Ces mesures restrictives, si nous les laissons s’enraciner, seront utilisées contre toute opposition organisée à ce régime.

Cette répression de la dissidence au sein du parti ne devrait pas nous surprendre. En tant que parti parlementaire luttant pour le pouvoir dans un État capitaliste, la direction de QS, et en particulier l’aile parlementaire, subit la pression directe des patrons et de leur État. Depuis la création du parti en tant que formation anticapitaliste, il y a une forte tendance de la direction à modérer les positions politiques et les messages du parti afin de paraître plus « raisonnable ». Nous l’avons vu lors du congrès de 2019, lorsque le parti a abandonné son opposition de longue date aux solutions basées sur le marché pour résoudre la crise environnementale.

Cette situation est résumée dans un article publié dans L’Aut’Journal, intitulé « Québec solidaire après 15 ans, un “juste milieu”, à gauche oui, mais modéré ». Dans cet article, un membre fondateur du parti, Renaud Blais, expose très clairement les enjeux de ce conflit : « Ces quelques personnes utilisent toutes les stratégies possibles pour “inséminer” dans le programme du parti des lignes exposant leur idéologie extrême, (contre le patriarcat, pour l’antiracisme, l’anticapitalisme et les considérations intersectionelles, etc.). »

Pour les membres du parti qui pensent naïvement que ce conflit avec le CAD n’est qu’un conflit isolé, détrompez-vous. Dans un récent article publié dans Le Devoir, intitulé « QS n’est pas au bout de ses peines », l’auteur explique que le parti est un « noeud de vipères » qui a été « infiltré » par des groupes de la gauche radicale comme le Réseau écosocialiste qui lutte pour « en finir avec le capitalisme et jeter les bases d’une société nouvelle ».

Cette accusation selon laquelle le parti a été « infiltré » est ridicule si l’on considère que cet article cite deux membres fondateurs du parti. Dans un certain sens, l’article est cependant correct. Le parti a été infiltré – pas par la gauche radicale, mais par une clique professionnelle de réformistes qui travaillent à éliminer petit à petit les traditions anticapitalistes et radicales de QS. 

Effectivement, c’est un secret de polichinelle au sein du parti qu’avec l’arrivée de Gabriel Nadeau-Dubois en 2017 comme sauveur, la direction a connu des changements profonds et a approfondi son virage vers la modération. Comme l’explique un article de L’actualité, GND a amené avec lui son entourage, connu sous le nom de « G8 », dont plusieurs occupent des postes importants dans le parti. Selon GND lui-même, ils constituent son cercle restreint qu’il consulte sur « tout avant de prendre une décision ». S’agit-il d’un collectif organisé? Sont-ils élus? Les membres de QS sont-ils au courant de ce qui se passe? Alors que la gauche radicale du parti est accusée d’ « infiltration », la véritable infiltration qui a eu lieu sous nos yeux reste dans l’obscurité.

Alors que le programme de QS parle depuis ses tout débuts de « dépasser le capitalisme », cette idée même est de plus en plus ouvertement attaquée aujourd’hui. Dans un article publié sur le site Presse-toi à gauche, intitulé « Dépasser les idées reçues », Jean-François Delisle, militant de QS de longue date, attaque directement cette idée de dépasser le capitalisme. 

Il dit : « Non en effet, Québec solidaire n’est pas communiste mais tout bonnement social-démocrate parce que les conditions sociales, politiques et culturelles québécoises et nord-américaines ne permettent pas d’aller plus loin. »

On connaît la chanson. C’est la même cassette que tous les partis parlementaires de gauche du monde entier ont joué par le passé. Ils se modèrent, acceptent le système capitaliste, et pour y arriver, répriment toute opposition interne. C’est le processus global qui se déroule au sein du parti et qui a conduit au conflit actuel. 

Comme c’est souvent le cas, la même poussée pour modérer le programme économique du parti s’accompagne également d’une justification du virage opportuniste vers le nationalisme identitaire. L’article de Delisle, qui est une réponse à une critique de gauche de la direction de QS qui se plie au nationalisme identitaire, déclare que : « Nul ne peut régner innocemment, même à la tête d’un parti d’opposition. Recueillir l’appui du plus grand nombre possible d’électeurs et d’électrices péquistes et caquistes s’avère une nécessité et commande certaines stratégies si Québec solidaire veut se rapprocher du pouvoir, seul moyen de changer vraiment les choses, de corriger au moins certaines injustices et de donner du pouvoir aux travailleurs et travailleuses. »

Delisle termine son article en paraphrasant le philosophe français Albert Camus, affirmant que « le mieux qu’on puisse espérer, c’est la moins mauvaise répartition possible de l’injustice ». Toutes les idées d’une transformation fondamentale de la société exposées dans le programme de QS sont jetées par-dessus bord au nom de la « moins mauvaise répartition possible de l’injustice ». Très inspirant!

Nous voyons ici la logique réformiste dans toute sa gloire. Ce qui est « possible » ici est clairement ce qui est possible dans un cadre capitaliste. Et c’est précisément le problème. Le capitalisme traverse une crise économique profonde, et le système n’est soutenu que par une aide de l’État sans précédent aux entreprises. Cela ne peut pas durer éternellement et lorsque le délire causé par la pandémie se dissipera, les capitalistes se concentreront à nouveau tôt ou tard sur l’équilibre budgétaire – et cela se fera sur le dos des travailleurs et des jeunes. 

Cette trajectoire réformiste de QS qui cherche à rendre le parti « réaliste » est dangereuse car il s’agit essentiellement de désarmer le parti face à l’offensive capitaliste. On l’a vu avec Syriza en Grèce, qui a été forcé de capituler et de se plier aux exigences des capitalistes, et cela s’est produit maintes et maintes fois avec des partis ouvriers sociaux-démocrates qui ont pris le pouvoir et ont trahi. 

C’est pourquoi les marxistes de la Tendance marxiste internationale, un collectif reconnu au sein de Québec solidaire, voteront contre la motion de blâme, le Code d’éthique et la Politique de résolution des conflits, et nous recommandons aux autres délégués de faire de même. 

Nous luttons également contre l’opportunisme de la direction du parti avec un programme socialiste révolutionnaire. C’est pourquoi des camarades de la TMI ont proposé d’inclure dans les axes prioritaires de la prochaine campagne électorale « Lutter contre le système capitaliste et défendre une solution socialiste », ce qui sera soumis au vote lors du Conseil national. Nous croyons fermement que c’est le seul programme réaliste, si QS veut vraiment lutter pour une société meilleure. Nous croyons également que c’est la seule façon d’enthousiasmer et de mobiliser les travailleurs et les jeunes qui recherchent une solution révolutionnaire audacieuse à la crise capitaliste.