Où va Québec solidaire?

Le Congrès de Québec solidaire, qui a eu lieu les 28 et 29 mai derniers, a marqué les dix ans de la formation politique de gauche. Après des décennies de domination du Parti québécois et des libéraux, la création du parti en 2006 avait suscité beaucoup d’enthousiasme parmi une partie des jeunes et des travailleur-euses […]

  • Joel Bergman et Julien Arseneau
  • lun. 6 juin 2016
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Le Congrès de Québec solidaire, qui a eu lieu les 28 et 29 mai derniers, a marqué les dix ans de la formation politique de gauche. Après des décennies de domination du Parti québécois et des libéraux, la création du parti en 2006 avait suscité beaucoup d’enthousiasme parmi une partie des jeunes et des travailleur-euses qui étaient excités à l’idée de rompre l’hégémonie des partis bourgeois. Au cours des dernières années, des mouvements de masse ont secoué la province, ce qui a créé une situation idéale pour que QS puisse grossir en tant que seul parti anti-austérité dans la province. En dépit de cela, les gains du parti ont été plutôt modestes, n’ayant réussi qu’à gagner trois sièges à l’Assemblée nationale et moins de 8% des votes lors de la dernière élection. Comment expliquer cette situation? Quel avenir pour QS? Comment défaire les partis des patrons?

Québec solidaire et la lutte pour un parti ouvrier au Québec

Jusqu’à ce jour, les travailleur-euses du Québec n’ont pas créé leur propre parti, capable de lutter pour leurs intérêts. Après la défaite du Front commun de 1972, le Parti québécois a réussi à détourner le mouvement ouvrier dans une « unité nationale » avec les capitalistes québécois, afin de lutter pour le « bien commun ». Comme toutes ces soi-disant unions nationales, les pressions de classe de la société allaient inévitablement refaire surface sous les coups de la crise du capitalisme, scindant ce mouvement en apparence uni en deux.

Au fil des ans, le PQ s’est tourné de plus en plus à droite, exposant la réelle nature du parti, celle de défenseur des intérêts des capitalistes québécois. De l’austérité sévère de René Lévesque et l’appui de Parizeau à l’Accord de libre-échange Canada-États-Unis dans les années 1980, en passant par les politiques de « déficit zéro » de Lucien Bouchard dans les années 1990, ce processus a atteint sa conclusion logique avec l’arrivée du milliardaire briseur de grève Pierre-Karl Péladeau à la tête du parti.

Pendant que la pression de classe poussait le PQ de plus en plus à droite, les travailleur-euses et les étudiant-es se sont radicalisés. Depuis le référendum de 1995, tous les mouvements de masse de la province ont tourné autour d’enjeux de classe. La manifestation antimondialisation de 2001 à Québec, le mouvement du Front commun de 2004, la grève étudiante de 2005, le mouvement Occupy de 2011, la grève étudiante de 2012 et plus récemment la grève générale de masse du secteur public, tous ces mouvements sont le témoignage d’une période turbulente dans la société québécoise, d’une période où les travailleur-euses et la jeunesse cherchent de plus en plus à lutter sur des lignes de classe.

Il n’est pas surprenant que ce soit dans ce contexte où la lutte de classe reprenait ses droits que Québec solidaire fut fondé, formant la première scission dans cette « unité nationale », les travailleur-euses et la jeunesse cherchant à se défaire de l’emprise des partis bourgeois sur le Québec. Depuis son arrivée sur la scène politique, Québec solidaire est un embryon, un parti potentiel qui pourrait canaliser la colère de la population et devenir une force de masse qui pourrait défier le règne des capitalistes. Avec ceci en tête, les marxistes étaient enthousiasmés par la formation de Québec solidaire : un parti qui pourrait mener à la mise sur pied d’un véritable parti de masse de la classe ouvrière pour la première fois dans l’histoire. Nous espérions que QS deviendrait l’impulsion qui mènerait les puissants syndicats québécois à rompre avec les nationalistes du Bloc et du Parti québécois. Nous avons lutté pour que QS adopte des politiques socialistes audacieuses et claires, étant la seule façon de susciter l’enthousiasme et de mobiliser les travailleur-euses et la jeunesse et d’en faire une réalité.

Réformisme ou révolution?

À ses débuts, le parti était beaucoup plus radical qu’il ne l’est aujourd’hui. Il était né « parti des urnes et de la rue » et affirmait que c’était la « question sociale » (la question de classe) qui était la plus importante pour lui. Le manifeste du parti lancé le 1er mai 2009 posait la question « Pour sortir de la crise : dépasser le capitalisme? » et répondait entre autres ceci : « Ceux qui veulent ‘‘refonder le capitalisme’’ passent à côté des vraies questions. Nous croyons qu’il faut plutôt le dépasser, c’est-à-dire, aller vers des alternatives radicalement différentes au plans politique, social, et écologique. » Également, lors du congrès de 2011, les militant-es de QS ont voté en faveur de la nationalisation des institutions financières et la création d’une banque d’État.

Malheureusement, au cours des dernières années, le leadership a continuellement dilué le programme, ne remettant plus du tout en question le système capitaliste et ne remettant jamais de l’avant les mesures plus radicales votées par le membres du parti. L’aile plus ouvertement réformiste du parti a lentement pris le dessus sur les éléments plus radicaux et, de plus en plus, le parti ressemble à n’importe quel autre vieux parti social-démocrate, attaché à l’idée de travailler à l’intérieur du système pourri et de tenter de faire des petits changements ici et là.

Tandis que les travailleur-euses et la jeunesse se radicalisent de plus en plus, la tendance générale chez QS a été de diluer sa plate-forme et de tenter de convaincre les autres partis qu’il est un parti « raisonnable ». À l’automne 2014, Françoise David parlait de faire de son parti une « alternative crédible économiquement » et déclarait que « L’idéalisme c’est bien, mais à un moment donné il faut entrer dans le réel. […] Nous sommes des idéalistes pratiques ». Cela a été exprimé de manière encore plus claire récemment par Amir Khadir, qui parlait de cet obstacle qu’est l’image « radicale » de QS, selon le leadership du parti. « Nous réalisons qu’il y a des obstacles importants devant nous, il y avait la perception (au début) que nous étions radicaux. En fait, nous sommes réformistes. Nous sommes à l’Assemblée nationale car nous acceptons le principe de réforme. »

Voilà la principale raison pour laquelle le parti a été incapable de capitaliser sur la colère et le mécontentement dans la société. Peu à peu, les travailleur-euses et la jeunesse réalisent, par leur propre expérience, que le capitalisme est un cul-de-sac. C’est particulièrement le cas pour les jeunes qui demandent un changement radical à cette situation de plus en plus intenable. Face à l’austérité perpétuelle et un avenir très sombre, les jeunes sont à la recherche d’une transformation révolutionnaire de la société.

Également, plutôt que d’utiliser un langage clair pour s’adresser à la classe ouvrière et à la jeunesse du Québec, les leaders du parti utilisent un langage vague et mystérieux qui donne l’impression que le parti est confus et déconnecté de la réalité. Par exemple, les leaders du parti utilisent constamment le terme « citoyen-nes » lorsqu’ils expliquent pour qui le parti se bat, ce qui montre le caractère petit-bourgeois borné du leadership. Après tout, PKP n’est-il pas lui aussi un citoyen? À quels citoyen-nes fait-on référence? Pourquoi cette ambiguïté sur qui le parti défend et représente? Plutôt qu’un langage si vague, QS doit adopter un langage clair et audacieux. Nous luttons pour les travailleur-euses, la jeunesse et toutes les couches opprimées de la société, et non les « citoyen-nes » en général.

Cela contraste fortement avec le langage clair et audacieux utilisé de l’autre côté de la frontière par Bernie Sanders, un « socialiste démocratique » autoproclamé qui a mobilisé et suscité l’enthousiasme de millions d’Étasunien-nes avec sa « révolution politique contre la classe des milliardaires ». Le discours de Sanders connecte avec les besoins des travailleur-euses et des jeunes. Tandis que le programme de Sanders est limité et ne met pas de l’avant la propriété sociale, sa popularité est due à sa rhétorique audacieuse, notamment ses références à une « révolution », qui suscite un énorme enthousiasme. Un aspect plus important encore est le fait qu’il dénonce constamment et clairement le système pourri, l’économie, le processus politique, la classe dominante et est donc vu comme une rupture radicale avec le statu quo aux États-Unis.

A contrario, les leaders de Québec solidaire semblent être allergiques au mot « socialisme », préférant choisir différentes étiquettes de gauche comme « altermondialiste, féministe, écologiste, souverainiste, démocratique, pluraliste et solidaire! » Tout sauf le socialisme!

La question nationale et le PQ

La modération et la dilution du programme politique et du message du parti ont coïncidé avec un accent croissant du leadership sur le nationalisme, au détriment de politiques de classe. Tandis que la question nationale ne peut pas simplement être écartée, il est important d’avoir une approche correcte.

Les Québécois-es sont une nation opprimée au sein de l’État canadien. La soi-disant Loi sur la clarté est la plus claire violation du droit démocratique des Québécois-es à disposer d’eux-mêmes. Les marxistes ont le devoir de lutter contre toutes les formes d’oppression et, ce faisant, nous luttons pour tous les droits démocratiques des Québécois-es, incluant celui de se séparer si la population en décide ainsi de manière démocratique. Cependant, une libération véritable ne peut pas être atteinte sous le capitalisme. L’indépendance nationale sous le capitalisme ne résoudrait aucunement les problèmes auxquels font face la classe ouvrière et la jeunesse du Québec. Afin de lutter contre les capitalistes, qu’ils soient anglophones ou francophones, les travailleur-euses doivent s’unir dans une lutte commune. Malheureusement, l’approche des leaders de QS sur cette question tend à être très nationaliste. Lorsque la lutte des classes reprend ses droits, les leaders de QS ont tendance à mettre de l’avant des politiques nationalistes qui contribuent à diviser les travailleur-euses et à les détourner de la tâche de lutter contre les capitalistes dans la province.

En 2011, alors que le mouvement Occupy battait son plein et que le quartier des finances à Montréal était massivement occupé afin de dénoncer le « 1% », Françoise David prenait la rue main dans la main avec Pauline Marois et les autres têtes d’affiche du mouvement souverainiste dans une manifestation pour l’indépendance. En 2012 lors de la campagne électorale, le seul rassemblement organisé par QS fut en faveur de la souveraineté. Cela est particulièrement ridicule considérant que l’élection survenait dans le contexte de la grève étudiante massive qui a secoué la province et où des centaines de milliers de jeunes et de travailleur-euses ont pris les rues, avec des manifestations presque à chaque jour. Lorsque la lutte des classes refait surface, le leadership du parti se tourne vers des politiques nationalistes.

Nous l’avons vu encore plus clairement lorsque l’éphémère gouvernement du PQ de Pauline Marois a mis de l’avant sa « Charte des valeurs du Québec » qui devait implanter, de manière controversée, l’interdiction de certains signes religieux pour les employé-es du secteur public, entre autres choses. Cette charte réactionnaire servait à diviser la classe ouvrière et à détourner son attention du fait que le gouvernement du PQ avait reculé sur ses promesses et implantait en fait plus d’austérité que le gouvernement Charest ne l’avait fait avant lui! QS aurait pu en profiter pour exposer la manœuvre cynique du PQ, mais le parti a plutôt joué le jeu du PQ. Il a plutôt accueilli la Charte et a simplement proposé sa propre version qui contenait des mesures similaires.

Encore et encore, en adoptant des politiques nationalistes, QS est simplement vu comme l’aile gauche du Parti québécois. Tandis que les travailleur-euses et la jeunesse se mobilisent par centaines de milliers autour de politiques de classe, le leadership de QS continue de jouer le vieux jeu du PQ. Pourtant, tous les sondages montrent que les travailleur-euses et particulièrement la jeunesse en ont assez de ce va-et-vient entre les nationalistes et les fédéralistes et cherchent des politiques de classe.

Il y a une méfiance et un ressentiment profonds à l’endroit de « l’establishment » au Québec, qui ressemble au sentiment anti-establishment dont nous sommes témoins partout autour du globe en Angleterre, en Écosse, en Espagne, en Grèce, au Brésil, aux États-Unis et en France. Malheureusement, le leadership de QS entretient constamment l’idée d’une possible « alliance souverainiste » ou d’une coalition avec le PQ bourgeois, ayant pour but de vaincre le PLQ fédéraliste. Cette idée est promue malgré le fait que les membres du parti ont voté contre toute alliance avec le PQ dans plusieurs congrès. Malgré cela, le leadership du parti répète constamment qu’il est « ouvert » à cette possibilité.

Cela contribue à la perception selon laquelle QS désire faire partie de l’establishment politique et n’est donc pas vraiment différent du PQ. L’ouverture du leadership de QS envers le PQ est une dangereuse avenue qui sert à associer le parti avec l’establishment détesté et pourri du Québec.

Les leçons de Syriza – Luttons pour une révolution socialiste!

Le leadership de Québec solidaire considère que son parti est dans la même mouvance que les autres partis de la « nouvelle gauche » en Europe comme le Parti de Gauche en France, Die Linke en Allemagne, Podemos en Espagne et Syriza en Grèce.

Ces partis ont gagné une certaine popularité à cause du discrédit complet des vieux partis qui ont été au gouvernement, implantant des coupes dans les services sociaux et attaquant les travailleur-euses et les jeunes qui défendaient leurs acquis. C’était le cas particulièrement en Grèce, où la colère engendrée par les mesures d’austérité implantées par les vieux partis a catapulté Syriza au pouvoir. Partout dans le monde, les gens étaient enthousiastes de voir ce parti soi-disant anticapitaliste former un gouvernement. Mais quelles sont les leçons de cette expérience? Que pouvons-nous en apprendre au Québec et au Canada?

QS fut particulièrement inspiré par l’élection de Syriza l’an dernier. Le parti avait diffusé un communiqué célébrant la victoire de Syriza, où il était dit : « Félicitations à Syriza et au peuple grec. Un maillon de la chaîne de l’austérité se brise aujourd’hui, sous fond d’espoir et de célébration à travers l’Europe. Oui, il est possible de changer de politiques. Oui, il est possible de sortir du cycle infernal de l’austérité. Oui, il est possible pour un jeune parti populaire de prendre le pouvoir. » Dans un événement conjoint organisé avec des représentants de Syriza, Die Linke et Podemos, Andres Fontecilla de QS affirmait que « Québec solidaire a tissé des liens avec son cousin Syriza. » L’excitation et l’enthousiasme autour de Syriza fut cependant de courte durée.

Depuis le début de la « Grande récession » de 2008-09, il n’y a eu aucune reprise significative. Le capitalisme est dans sa plus profonde crise depuis les années 1930. Le capitalisme non seulement n’est pas en mesure garantir de nouvelles réformes pour améliorer notre niveau de vie, mais en plus, il est incapable de conserver les acquis sociaux du passé. C’est pourquoi nous avons vu le phénomène de l’austérité s’étendre à toute la planète, celle-ci étant mise de l’avant par tous les partis, qu’ils soient « conservateurs », « libéraux » et même « socialistes ». Quand le capitalisme ne peut plus se permettre de donner des réformes, les « réformistes » se transforment soudainement en « néolibéraux » et implantent des contre-réformes.

L’avertissement que la Tendance marxiste internationale sert à QS est le même que ce que nous disions à propos de Syriza. À moins que le parti ne s’engage résolument à rompre avec le système capitaliste, toutes les réformes pour lesquelles le parti se bat ne seront pas du tout « réalistes » ou « pragmatiques »; les capitalistes le forceront à capituler d’une manière ou d’une autre. Québec solidaire doit lutter pour un programme socialiste révolutionnaire, pour la nationalisation des grands leviers de l’économie sous contrôle démocratique des travailleur-euses. Cela permettrait d’utiliser la richesse et la capacité productive immenses pour les besoins de la population et non pour le profit privé d’une poignée de gens.

Québec solidaire est-il là pour rester?

Québec solidaire a célébré son dixième anniversaire, Françoise David affirmant pour l’occasion que le parti était « là pour rester ». Elle a aussi dit que l’objectif du parti était de prendre le pouvoir d’ici dix ans. Mais il y a de sérieux dangers qui guettent le parti s’il continue à sombrer dans la modération.

Dans des conditions où les masses se radicalisent et où le leadership de QS modère son discours politique, les masses ne verront aucune différence significative entre QS et le PQ. Il est possible que le PQ sorte un « Trudeau » qui fera un faux tournant à gauche pour tenter de capitaliser sur le sentiment anti-austérité, comme le parti l’a fait en 2012. Dans ce contexte, les masses ne verraient aucune raison à l’existence d’un QS réformiste et virant à droite, et le parti pourrait très bien en être détruit. QS n’a pas de racines profondes dans la classe ouvrière. Pour que QS puisse se développer dans la prochaine période, il doit adopter un programme socialiste révolutionnaire, ce qui lui permettrait de connecter avec l’humeur radicale, et il doit agir afin de plonger ses racines dans la classe ouvrière québécoise.

Un programme socialiste révolutionnaire n’est pas seulement le seul programme réaliste. C’est aussi la seule manière de véritablement susciter de l’enthousiasme et de mobiliser les travailleur-euses et la jeunesse qui sont désespérément à la recherche d’une alternative audacieuse et révolutionnaire au sombre avenir que la crise du capitalisme et l’austérité offrent, et qui veulent mettre fin à la domination des partis bourgeois dans la province.