Photo : François Legault/Facebook

Certains ont été surpris du tweet du premier ministre François Legault faisant l’éloge du catholicisme, en plein lundi de Pâques.

Legault, champion de la laïcité, pourfendeur des prêtres, ennemi de l’Église, a partagé un article de Mathieu Bock-Côté intitulé « Éloge de notre vieux fond catholique ». Beaucoup de Québécois se sont alors gratté la tête. Le Québec n’est-il pas censé être laïc depuis la loi 21? Les nationaleux, dans leur croisade pour la « laïcité », ne s’étaient-ils pas justifiés en rappelant la chape de plomb, l’oppression et l’obscurantisme imposés par l’Église catholique?

Le simple fait pour une enseignante musulmane de porter le voile représente un affront à la neutralité de l’État, mais le chef du gouvernement peut faire la promotion du catholicisme et cela ne pose pas de problème? Sous la laïcité à saveur nationaleuse, toutes les religions sont égales, mais certaines sont plus égales que d’autres. 

Pour essayer de donner une apparence progressiste à son éloge d’une institution profondément réactionnaire, MBC affirme dans son article que « le catholicisme a aussi engendré chez nous une culture de la solidarité qui nous distingue à l’échelle continentale », en faisant référence à « notre social-démocratie [qui] serait probablement moins vigoureuse si elle ne s’appuyait sur l’éthique catholique de la solidarité ». 

L’affirmation de Bock-Côté ne résiste pas à l’analyse. La « social-démocratie » en question est le produit non de la soi-disant « culture de la solidarité » du catholicisme, mais de la réelle culture de la solidarité du mouvement ouvrier, qui a mené les luttes qui nous ont permis de gagner l’État-providence, des luttes menées généralement en opposition au conservatisme de l’Église catholique. On retrouve une telle « social-démocratie » dans des pays protestants, comme le Royaume-Uni et les pays scandinaves, autant que dans des pays catholiques comme la France. Ce que ces pays ont en commun, toutefois, est d’avoir connu des mouvements de masse des travailleurs qui ont forcé leur classe dirigeante à leur concéder des réformes, ce que MBC appelle la « social-démocratie ».

Pour les politiciens de droite comme Legault – qui travaillent inlassablement à démolir l’État-providence avec leurs politiques d’austérité et de privatisations – et les chroniqueurs réactionnaires comme Bock-Côté, la social-démocratie québécoise n’est bonne que lorsque vient le temps de justifier leur nationalisme chauvin, et maintenant de défendre l’Église catholique. 

Devant le tollé soulevé par son tweet, Legault s’est justifié en disant « Il faut distinguer la laïcité et notre patrimoine ». C’est un élément récurrent dans la rhétorique des nationalistes conservateurs. Richard Martineau s’est porté à la défense de Legault et MBC : « Dans son texte, Mathieu se contentait de rappeler un fait historique : à savoir que l’Église catholique a joué un rôle important dans la construction du Québec. C’est la réalité. Nous avons, au Québec, un héritage catholique. » Nous avons aussi un héritage d’asservissement à l’Empire britannique, de génocide des Autochtones et d’épidémies de tuberculose. Devrait-on en faire l’éloge? 

En réalité, c’est bien parce qu’ils ont une préférence pour le catholicisme que les partisans nationalistes de la soi-disant laïcité se cachent derrière le patrimoine. On avait vu la même chose avec la réticence du gouvernement Legault à retirer le crucifix de l’Assemblée nationale. 

Le « deux poids, deux mesures » est encore plus flagrant lorsque l’on considère qu’il y a une semaine seulement, le gouvernement Legault, avec l’aide des médias, a monté en épingle un scandale autour des écoles de Laval qui avaient permis à des élèves musulmans d’utiliser des classes vides pour prier. Les députés de l’Assemblée nationale, emportés par leur engouement envers la laïcité, avaient répondu par une motion unanime dénonçant les locaux de prière dans les écoles. 

Honteusement, même Québec solidaire a participé à cette bouffonnerie consistant à dire à des enfants de retourner faire la prière dans les corridors et les stationnements comme ils le faisaient avant. Les explications du parti par la suite n’ont convaincu personne, et le mal avait déjà été fait : QS avait appuyé les nationalistes identitaires dans une attaque claire contre les musulmans. 

Dès qu’il est question de l’Islam, les nationalistes identitaires québécois montent à la charge, brandissant l’étendard de la laïcité, mais lorsqu’il est question de la religion catholique, soudainement tous les accommodements sont bons sous prétexte de protéger le patrimoine. S’il faut s’attaquer à toutes les religions, sauf la religion dominante parce qu’elle fait partie de notre patrimoine, cela n’est pas de la neutralité religieuse, mais de l’intolérance religieuse. 

Cette haine des musulmans semée par les faux laïcards n’est pas sans conséquences. Elle a déjà fait six victimes lors de l’attentat de la mosquée de Québec en 2017. Et la violence contre les musulmans n’a pas cessé. Encore dimanche dernier, la veille de Pâques, une attaque islamophobe a eu lieu à Montréal, alors qu’un homme cagoulé s’est introduit par infraction dans une mosquée et a tenté de s’en prendre à des fidèles à l’aide d’un objet contondant. Ce n’est que par chance que personne n’a été blessé cette fois-ci.

La soi-disant loi sur la laïcité de l’État, qui n’a pas mis fin aux réels privilèges religieux restant au Québec, c’est-à-dire les crédits d’impôts pour les églises et le financement public des écoles confessionnelles, et qui n’empêche pas le premier ministre de faire l’éloge d’une religion, n’a jamais rien eu à voir avec la neutralité religieuse de l’État. Plutôt, le débat sur la « laïcité » et l’islam a été agité par les politiciens nationalistes pour rallier l’électorat « pur-laine » derrière eux sur le dos des minorités, dans un contexte de crise du capitalisme où ils n’ont aucune solution aux vrais problèmes des travailleurs.

Cette petite tempête aura eu le mérite de mettre en évidence l’hypocrisie des catholaïques à la Bock-Côté et Legault. Ceux-ci cachent leur racisme sous le costume de la laïcité tout en tentant de réhabiliter l’Église catholique, tortionnaire historique des femmes, des Autochtones et des Québécois en général. Plutôt que la demi-opposition qu’offrent trop souvent les députés de QS, c’est une dénonciation claire, combative et sans ambiguïté qu’il nous faut, chaque fois que Legault et ses amis jouent leur carte nationaliste identitaire.