Entrevue avec un communiste palestinien

« Nous devons renverser l’État pour mettre fin à la souffrance, non seulement en Palestine, mais dans le monde entier. »

  • La rédaction
  • lun. 18 nov. 2024
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Khalid est un communiste originaire de Cisjordanie. Il a récemment fui le pays parce qu’il était persécuté en tant que Palestinien, personne LGBTQ et communiste. Il a été victime de répression et d’agressions graves avant, et surtout après le 7 octobre 2023, alors qu’il travaillait à Tel-Aviv. Des membres du PCR se sont entretenus avec Khalid au sujet de sa vie en Palestine, de la manière dont il est devenu communiste et de ce que les étudiants et les travailleurs du Canada peuvent faire pour lutter contre l’impérialisme.

Cet entretien a été édité pour des raisons de longueur et de clarté. Certains détails ont été modifiés pour des raisons de confidentialité.

D’où viens-tu?

Je suis né et j’ai grandi en Palestine, à Naplouse.

Comment était la vie avant la guerre?

La vie en Cisjordanie était vraiment difficile. Surtout lorsqu’il s’agit d’aller d’une ville à l’autre. L’armée israélienne est partout, l’occupation est partout. Pour aller à l’aéroport, nous avons dû passer par la Jordanie et par trois points de contrôle. Mais l’année dernière, je travaillais en Israël et je rentrais chez moi une ou deux fois par semaine. J’étais agent d’entretien dans un centre commercial. C’était bien au début, avant le 7 octobre, c’était vraiment bien. Et si j’ai été victime de beaucoup de racisme, j’avais aussi beaucoup d’amis.

Tu étais à Tel-Aviv le 7 octobre. Comment s’est déroulée cette journée?

C’était le début de la matinée. Je marchais pour aller faire du sport. Puis j’ai entendu les sirènes d’alerte à la bombe et je me suis demandé « Que se passe-t-il? ». Je n’avais entendu aucune information à propos d’une guerre. J’ai donc couru vers un abri anti-bombes. Un agent de sécurité a alors demandé : « D’où viens-tu? ». J’avais peur et j’ai pensé à mentir, mais j’ai dit Palestine. Il m’a dit que je devais partir. J’ai dit non et nous avons commencé à nous disputer. Il a alors appelé la police, et dix d’entre eux sont arrivés avec de gros fusils, les ont pointés sur ma tête et m’ont dit de partir, en criant en hébreu. Je leur ai dit que je risquais de mourir si je partais, et ils m’ont répondu : « Si tu meurs, on s’en fout. Ce n’est pas notre problème. » J’ai couru jusqu’à un champ parce qu’au moins, là, un bâtiment ne me tomberait pas dessus. Après les bombes, je suis rentré chez moi. À partir de ce moment-là, on nous a dit de ne pas parler arabe dans notre auberge.

À quoi ressemblaient les jours qui ont suivi le 7 octobre?

C’était vraiment fou. Tout le monde était armé dans les rues, même les civils. La situation a commencé à devenir vraiment dangereuse pour moi. J’ai cessé d’aller au travail et je me suis tenu à l’écart des gens.

J’ai publié un message sur les réseaux sociaux pour dire que je n’étais pas d’accord avec les tactiques du Hamas, mais que ce que l’armée israélienne fait chaque jour en Cisjordanie est également du terrorisme. L’armée israélienne est une armée terroriste. J’ai immédiatement reçu de la haine et des injures. Ils m’ont dit qu’ils allaient brûler mon peuple vivant. J’ai également reçu des appels de numéros privés – et je suis presque sûr qu’ils venaient Mossad – me disant qu’ils m’arrêteraient si je faisais une autre publication.

On m’a proposé un emploi dans un endroit où je travaillais auparavant pour préparer des repas, mais c’était pour les soldats israéliens qui allaient à Gaza, alors j’ai immédiatement refusé.

En juillet, j’ai trouvé un emploi dans un atelier d’aluminium, et c’est à ce moment-là que j’ai demandé l’asile. J’ai passé un entretien à l’ambassade du Canada et ma demande a été acceptée.

Il a été très difficile de partir. C’est mieux ici parce que j’ai des droits, je peux aller à l’hôpital, mais en même temps c’est douloureux. C’est vraiment douloureux de voir les nouvelles tous les jours. J’ai l’impression de ne pas pouvoir vivre ma vie. Et je ne pense pas seulement à la Palestine, mais aussi à des pays comme le Soudan et l’Éthiopie qui traversent la même chose. Il en va de même pour le Congo, que les capitalistes américains et européens occupent et où ils tuent les gens, prennent leurs terres et volent leurs ressources.

Comment es-tu devenu communiste en Palestine?

La Palestine a une longue histoire de résistance et de communisme. Lorsque j’étais en Israël pour la première fois, j’avais vraiment peur de rencontrer quelqu’un à cause du danger que cela représente. J’ai donc utilisé une application de rencontres, et bien que j’aie reçu beaucoup d’insultes, j’ai rencontré un homme qui m’a demandé d’où je venais. Lorsque j’ai répondu Palestine, il m’a envoyé une photo d’un drapeau israélien saccagé. Je me suis dit qu’il était à coup sûr un membre du Mossad. Il veut me tuer. Mais je me suis dit « Ah et puis, allons voir. Je n’ai pas peur. »

Puis il a commencé à me parler en arabe. Et la plupart des Israéliens qui parlent arabe sont probablement des membres du Mossad ou de la police, et j’étais alors convaincu qu’il s’agissait d’un espion. Quoi qu’il en soit, je l’ai rencontré et il était membre du Parti communiste d’Israël. Il m’a emmené dans leur centre, où j’ai vu des drapeaux palestiniens et LGBTQ, et j’étais vraiment fier d’eux.

J’ai commencé à participer à des manifestations avec eux et ils m’ont expliqué les idées du communisme et de Marx. J’ai réalisé que c’était ce à quoi je croyais déjà, et j’ai compris que j’étais communiste. J’étais déjà athée et je pensais que nous devions nous unir dans la lutte. Le Parti communiste était comme ma famille.

Dans tout Israël, je ne me sentais pas en sécurité, sauf avec eux. Même lors des manifestations contre la guerre, ils veillaient sur moi.

Pourquoi penses-tu que l’armée israélienne a lancé de nouvelles attaques en Cisjordanie au cours des derniers mois? Pourquoi maintenant?

Ils essaient de s’approprier le reste des terres. Ils ont ce plan depuis longtemps. Les ministres israéliens ont déclaré que leur peuple devait vivre dans l’ensemble du Moyen-Orient. Que c’est leur terre promise. Ils veulent s’emparer du Liban, de la Syrie, de la Jordanie, puis de la région du Sinaï en Égypte. Au Canada, les Autochtones ont été tués et leurs terres ont été volées. C’est ce qui s’est passé au Moyen-Orient. Les Israéliens ne veulent pas prendre seulement la Cisjordanie. Ils le font avec la collaboration de tous les dirigeants arabes, qui travaillent sous l’égide des Américains et des capitalistes.

Que dirais-tu à un étudiant ou à un travailleur d’ici qui te dirait qu’il faut mettre un terme à tout cela, mais qu’il ne sait pas quoi faire?

Nous devons prendre le pouvoir. Les impérialistes font des choses horribles dans le monde entier. Nous devons renverser le gouvernement et assumer le pouvoir.

Nous devons le remplacer par un système communiste. Sous le capitalisme, les Arabes sont des esclaves dans leur propre pays. Nous devons renverser l’État pour mettre fin à la souffrance, non seulement en Palestine, mais dans le monde entier.

Que penses-tu du mouvement pour la Palestine dans les universités canadiennes?

Je suis allé à l’Université de la Colombie-Britannique à Vancouver et j’ai vu le campement, et cela m’a donné beaucoup d’espoir de voir des gens qui luttent encore et qui agissent. J’ai lu comment les étudiants d’ici ont contribué à mettre fin à la guerre dans les années 1960, et je souhaite que nous fassions de même.

Que penses-tu de la campagne pour une grève étudiante pour la Palestine?

Je pense que cela fera avancer le mouvement. En ce moment même, partout dans le monde, des manifestations sont organisées en faveur de la Palestine. Des millions de gens y participent. S’il y avait vraiment une démocratie, ils arrêteraient la guerre tout de suite. Mais il n’y a pas de démocratie. C’est pourquoi je pense que nous devons passer à l’étape suivante, nous devons le faire.

Que dirais-tu à quelqu’un qui a l’impression de ne rien pouvoir faire? Qui se dit qu’on a beau avoir manifesté, avoir crié, et le génocide continue?

C’est une question très difficile. Mais nous devons faire de notre mieux. Nous ne pouvons pas nous arrêter. Nous devons faire tout ce qui est en notre pouvoir pour tenter de mettre un terme à cette situation par tous les moyens possibles. Et nous devons manifester notre colère et notre douleur pour Gaza. Je crois que nous devons continuer jusqu’à ce que nous renversions ce gouvernement et toute la merde de ce monde.