Manque de places en garderies : le capitalisme fait reculer la condition des femmes

Dans les dernières semaines, de plus en plus de parents, principalement des femmes, se sont manifestés sur les réseaux sociaux pour dénoncer le manque criant de places en garderie, un problème qui s’est accru considérablement depuis le début de la pandémie.

  • Olivier Turbide
  • jeu. 1 avr. 2021
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Crédit : owly9/Flickr

Dans les dernières semaines, de plus en plus de parents, principalement des femmes, se sont manifestés sur les réseaux sociaux pour dénoncer le manque criant de places en garderie, un problème qui s’est accru considérablement depuis le début de la pandémie. 

Le mouvement #maplaceautravail, qui encourage des parents à se prendre en photo avec leurs enfants et à raconter leurs expériences sur les réseaux pour démontrer l’ampleur du problème, a mobilisé en seulement quelques jours des milliers de parents. 

Cette crise démontre encore une fois comment les avancées des conditions des travailleuses sont constamment attaquées sous le capitalisme, et ce, particulièrement depuis le début de la pandémie.

Un réseau qui en arrache

On le sait, même avant la pandémie, le réseau public des Centres de la petite enfance (CPE) était déjà en très mauvais état, ayant dû endurer pendant des années les politiques d’austérité des gouvernements successifs qui ont mis la hache dans les services publics et ont toujours favorisé le secteur privé. 

Ce réseau, qui était censé favoriser l’égalité des chances de tous les enfants, est aujourd’hui profondément inégal. Dans les familles au revenu supérieur à 200 000 dollars, c’est un enfant sur deux qui a accès à une place, alors que dans les familles qui gagnent moins de 25 000 dollars, c’est un enfant sur quatre qui a une place. Même iniquité si l’on s’attarde aux différents quartiers de Montréal : à Parc-Extension, Saint-Michel ou Montréal-Nord, il y a une place en CPE pour sept enfants, alors qu’à Westmount, c’est une place pour trois enfants. Le tout dans un réseau public censé garantir « l’égalité des chances »! 

Actuellement, c’est plus de 50 000 enfants qui sont en attente d’une place en garderie. On dit aux parents qu’ils devront attendre des années pour avoir une place. Et comble de l’aberration, on apprenait en janvier qu’en pleine crise sanitaire, le manque de places empêche même des infirmières et préposées aux bénéficiaires de retourner au travail pour soigner les malades!

La pénurie de places est d’une telle ampleur que dans certaines garderies, les éducatrices ou les conseils d’administration ont le loisir de choisir les enfants qu’elles acceptent, ce qui ouvre la porte à toutes sortes de pratiques discriminatoires ou de corruption. Des parents rapportent avoir vu des gens prêts à payer 500 dollars à la personne qui leur trouverait une place. 

Or, avec les mesures sanitaires et les complications qu’elles ont entraîné, la situation s’est véritablement transformée en crise. 900 milieux de garde ont dû fermer leurs portes, et on estime qu’il manque 3000 éducatrices. Les éducatrices en milieu familial, en négociations avec le gouvernement, avaient même été contraintes d’entrer en grève cet automne. Malheureusement, l’entente obtenue les maintient au salaire minimum. En ce moment, les éducatrices sont débordées, mal outillées, et leur rémunération est dérisoire, surtout si l’on considère l’importance sociale du travail qu’elles accomplissent jour après jour. Avec de telles conditions de travail, ce manque de main d’œuvre n’a rien de surprenant.

Les femmes ont été plus durement touchées par la pandémie que les hommes. De tous les emplois perdus depuis le début de la crise, 68% étaient occupés par des femmes. Et puisqu’il manque de places dans les garderies, ces femmes peinent à réintégrer le marché du travail. 

En effet, c’est au moins 25% des familles qui n’ont pas accès à une garderie subventionnée. Or, une garderie non subventionnée peut coûter 50, voire 70 dollars par jour. Résultat : de nombreuses familles, faute de solution de rechange, sont forcées de garder les enfants à la maison et de sacrifier un revenu pour le faire. Comme les femmes sont généralement moins bien payées que les hommes, ce sont elles qui restent à la maison. Comme d’habitude, les femmes font les frais de la crise économique.

L’inaction de la CAQ

Jusqu’à maintenant, la seule réponse de la CAQ a été d’annoncer des assouplissements administratifs pour faciliter la création de nouvelles places en milieu familial, et de lancer une campagne publicitaire pour « mousser l’intérêt » envers le métier d’éducatrice. En gros, on fait tout sauf s’attaquer au véritable problème. 

Le pire est que le ministre de la Famille, Mathieu Lacombe, avait promis en 2019 qu’il allait créer 15 000 places d’ici deux ans. Aujourd’hui, deux ans plus tard, à peine 2022 de ces places ont été créées.

Pourtant, ce dont les parents ont cruellement besoin en ce moment, c’est d’un réinvestissement massif dans le système public pour créer effectivement des nouvelles places et rehausser drastiquement les conditions de travail des éducatrices tout en recrutant rapidement la main-d’œuvre manquante. 

La crise actuelle démontre plus que jamais l’urgence d’avoir un système de garderies publiques unifié, gratuit et disponible pour tout le monde. Au lieu d’aller dans cette direction, le gouvernement continue de jouer avec les excuses, de « reconnaître son échec » en ne faisant rien pour régler la situation et de détourner l’attention des gens en faisant comme si de simples allégements administratifs allaient régler le problème.

Le capitalisme est responsable

Bien que la lourdeur bureaucratique, souvent, soit en effet un obstacle, le véritable problème est beaucoup plus profond : à sa racine, c’est le système capitaliste, qui ne pense qu’au profit et n’a rien à faire de l’égalité homme-femme, de la justice sociale et de la qualité de vie des travailleurs et travailleuses en général. C’est précisément à cause de ce système qu’à la moindre secousse dans l’économie, ce sont toujours les services publics comme les CPE qui sont sacrifiés en premier, car ils sont perçus comme une « dépense » et sont un obstacle à la sacro-sainte « rentabilité ». 

Les capitalistes, qui possèdent les entreprises et gèrent la société, ont intérêt à ce que les jeunes familles se serrent la ceinture et se fendent en quatre pour concilier travail et famille, parce que cela les force à accepter des salaires plus bas et des conditions de travail plus précaires. On ne peut en aucun cas faire confiance aux patrons et aux gouvernements qui les représentent comme la CAQ pour créer un système de garderies qui réponde réellement aux besoins des travailleurs et travailleuses.

En ce moment, il y a au Canada 1580 milliards de dollars d’argent dormant dans les poches des patrons, que les entreprises n’investissent pas dans l’économie parce qu’elles ne savent tout simplement pas quoi en faire. L’argument selon lequel nous n’avons pas les moyens d’avoir des services publics de qualité est complètement ridicule dans ce contexte. Cet argent devrait être investi massivement dans le réseau des CPE, pour en créer plus et pour offrir de bien meilleures conditions de travail pour les travailleuses dans les garderies. Cela permettrait de régler la pénurie d’éducatrices et de répondre aux besoins du réseau.

Cela fait trop longtemps que les femmes endurent une exploitation à peine voilée pour permettre aux patrons de faire des économies. Tant que nous n’aurons pas un système de garderies public, gratuit, de qualité et disponible à tous, les beaux discours sur l’égalité homme-femme ne resteront que des paroles en l’air. Mais plus profondément, tant que nous ne nous serons pas débarrassés de l’impératif de profit, les avancées de la condition des femmes seront toujours en danger.