Le 5 juillet dernier, à Montréal, lors d’un événement intitulé « Noirs au volant », des centaines d’automobilistes noirs ont pris la route pour dénoncer le profilage racial déshumanisant qu’ils subissent. Deux convois, drapés de drapeaux québécois et canadiens, ont convergé vers la station de métro Namur où des conseillers municipaux et des militants ont prononcé des discours. Certains manifestants étaient venus de Longueuil, Repentigny et Terrebonne, ce qui montre que le problème n’est pas simplement présent à Montréal. Faisant écho au soulèvement massif aux États-Unis, de nombreux conducteurs brandissaient des pancartes avec des slogans comme « Non au profilage racial », « Noir, fier et libre au volant » et « Les vies noires comptent » (Le fameux slogan « Black Lives Matter »).

Montréal a une longue histoire de profilage des Noirs. Jusqu’à l’automne dernier, le SPVM écartait tout simplement toute possibilité qu’il y ait du racisme dans ses rangs. En octobre 2019, une étude concluante menée sur quatre ans a révélé que les Noirs étaient quatre fois plus susceptibles d’être interpellés que les Blancs (alors que les Arabes étaient deux fois plus susceptibles d’être interpellés, et que les hommes et les femmes autochtones étaient six et onze fois plus susceptibles de l’être). En réponse à cette étude, le chef de la police, Sylvain Caron, avait déclaré : « Moi, je vous dis qu’on n’a pas de policiers racistes. On a des policiers qui sont des citoyens et qui nécessairement ont des biais, comme tous les citoyens peuvent avoir. » Ainsi, selon Caron, puisque le racisme existe dans la société, et que les policiers sont bien sûr des membres de la société, cela rend les comportements racistes acceptables. Belle logique! Il va sans dire que rien n’a été fait pour résoudre le problème.

En juin dernier, l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) a publié un rapport qui conclut que « la lutte contre le racisme et la discrimination a été négligée » à la Ville de Montréal, et présente 38 mesures pour lutter contre le profilage racial. La présidente de l’OCPM, Dominique Ollivier, a déclaré : « Il y a trois ou quatre mois, je ne pense pas qu’il aurait eu la même disposition à écouter qu’aujourd’hui… » Mais cette fois, dans le contexte du mouvement de masse aux États-Unis, le même Sylvain Caron du SPVM a été forcé de reconnaître qu’il y a du racisme systémique au sein du SPVM. Le 8 juillet, quelques jours après la manifestation, le SPVM a présenté une nouvelle politique sur les interpellations policières. 

Mais cette réforme est complètement futile. Par exemple, la nouvelle politique explique que la police ne peut plus arrêter quelqu’un pour des raisons « non fondées, aléatoires ou basées sur un critère discriminatoire ». Mais alors, la question se pose : est-ce qu’il était permis avant le 8 juillet d’interpeller quelqu’un « sur la base d’un critère discriminatoire »? De toute évidence, il y a quelque chose de pourri à la Ville de Montréal.

Le concept de « Noir au volant » (expression qui rappelle le terme « Alcool au volant ») est une dure réalité pour les Québécois noirs. Un manifestant, Alberto Syllion, a déclaré à la Gazette : « La plupart des gens pensent que cela arrive parce que vous conduisez une voiture de luxe, mais la réalité est que cela arrive quoi que vous conduisiez… Je conduis une Matrix 2006. La peinture n’est même pas bien faite. Et je me fais quand même arrêter pour vérification ou pour toute autre excuse qu’ils trouvent. » Un autre manifestant, Kenrick McRae, a déclaré : « Être Noir au volant à Montréal, je pense que c’est parfois un crime parce que quand ils ne peuvent pas nous attraper dans la rue, ils nous arrêtent sans raison. Je me sens comme un citoyen de deuxième classe. On travaille, on paye nos impôts, mais on subit toujours ce harcèlement. »

Ce harcèlement flagrant a atteint un point critique, et les gens exigent que des mesures soient prises. Nathalie Pierre-Antoine, conseillère d’arrondissement à Montréal, a déclaré lors de la manifestation : « Il y a eu des chartes, des rapports, de nombreux comités qui ont rédigé des rapports, fait des recommandations pour mettre fin au profilage racial, à la discrimination et au racisme. Mais assez, c’est assez. Nous en avons assez des mots. » Les récentes réformes de la police sont insultantes et sans valeur, et beaucoup de gens les voient comme des paroles en l’air qui ne changeront rien. En fait, de nombreux groupes montréalais réclament déjà le définancement du SPVM, dont le budget dépasse les 600 millions de dollars.

Cependant, la faible réforme au SPVM montre que la classe dirigeante et ses laquais de la police sont effrayés par l’incroyable soulèvement aux États-Unis et ses répercussions ici – sous la pression, ils commencent à être plus favorables à l’idée d’une réforme policière. Comme l’un des organisateurs, Denburk Reid, l’a correctement déclaré lors de la manifestation : « C’est un petit pas vers l’admission [par le SPVM] que, “Oui, il y a un problème avec le profilage”, mais en même temps ils le font à cause de la pression que nous avons exercée sur eux. » Telle est la leçon du soulèvement américain : c’est uniquement en se mobilisant et en se montrant combatifs que les travailleurs et les opprimés peuvent arracher des réformes à la classe dirigeante. C’est pourquoi les syndicats et le mouvement ouvrier québécois dans son ensemble doivent mettre à profit leurs ressources et leurs capacités de mobilisation pour participer à la lutte contre le racisme et l’oppression.

Comme nous l’avons expliqué ailleurs, le racisme et l’oppression font partie intégrante de la machine d’exploitation capitaliste. Le capitalisme a besoin du racisme et de l’oppression sous toutes ses formes afin de diviser les travailleurs pour mieux régner. La police, ce corps armé chargé de défendre le statu quo par la force (la grève de 2012 en est un bon exemple), reproduit et renforce nécessairement le racisme inhérent au capitalisme. Il ne s’agit pas d’un problème de deux ou trois pommes pourries ici et là. La police est une institution brutale et répressive qui cible les minorités en nombres totalement disproportionnés. Plutôt que de réformer cette institution, nous devons lutter pour abolir la police et la remplacer par des organes de sécurité directement contrôlés par la classe ouvrière et les opprimés. Le mouvement ouvrier devrait audacieusement mettre cette revendication de l’avant, et unir les travailleurs de toutes les origines dans la lutte contre le système capitaliste lui-même. L’unité de la classe ouvrière est la voie pour mettre fin au fléau du racisme une bonne fois pour toutes.