Le long de la promenade qui longe la baie de Doha, une grande horloge décompte les jours qui précèdent le début de la Coupe du monde de soccer. On pense alors à un autre décompte, beaucoup plus morbide : celui du nombre d’ouvriers morts sur les chantiers des infrastructures sportives.

Corruption

En décembre 2010, le gouvernement qatari lançait son projet d’accueillir la plus grande compétition sportive internationale. Son objectif n’avait rien à voir avec la passion du sport : il s’agissait de générer d’énormes profits – notamment dans le secteur du tourisme – et de redorer le blason d’un régime ultra-réactionnaire.

Cette Coupe du monde, qui est une absurdité tant du point de vue sportif qu’environnemental, s’est appuyée sur la corruption des sommets de la Fédération internationale de football (FIFA). En 2011, Jack Warner, son vice-président, a publié des e-mails prouvant que le Qatar avait versé d’importantes sommes d’argent à des dirigeants de la FIFA, en échange de leur soutien à la candidature de Doha. En 2014, le Sunday Times avançait un montant : 5 millions de dollars de pots-de-vin. Le même journal indiquait que le média qatari Al Jazeera avait versé 880 millions de dollars à la FIFA. Enfin, en 2020, le ministère américain de la Justice a officiellement accusé trois responsables sud-américains d’avoir reçu des pots-de-vin d’origine qatarie.

Esclavage moderne

En 2010, les dirigeants de la FIFA avançaient un argument noble et désintéressé : pour la première fois, le plus grand spectacle de soccer allait honorer le sol du Moyen-Orient. En réalité, cet événement honore surtout la soif de profits de la classe dirigeante qatarie – et de toutes les multinationales qui vont s’y greffer.

L’organisation de cette Coupe du monde fut un massacre social. Les ouvriers qui ont construit les stades et d’autres infrastructures ont travaillé dans des conditions absolument inhumaines. Plus de 6000 d’entre eux y ont perdu la vie. Ils étaient payés 275 dollars par mois, tout au plus. Le projet, lui, a coûté 220 milliards de dollars.

La main d’œuvre issue de l’immigration représente 95 % de la population qatarie. Les conditions de logements des travailleurs du Mondial étaient catastrophiques. Ils étaient parqués à l’extérieur des villes, dans des camps de travail pour migrants. 8 à 16 travailleurs partageaient une pièce-cabane, souvent sans fenêtre.

Sous-payés – quand ils étaient payés – et mal logés, ces immigrés devaient passer par le système de recrutement Kafala, qui signifie « parrainage » en arabe. Concrètement, ils ne pouvaient pas changer de travail sans l’autorisation de leur patron. Ces derniers se saisissaient de leurs passeports dès leur arrivée dans le pays, que les travailleurs ne pouvaient pas quitter sans leur autorisation. Puis, la construction des stades touchant à sa fin, une grande partie des ouvriers ont été contraints de quitter le pays.

Tout en faisant la promotion de la « neutralité » du soccer et de la paix dans le monde, les dirigeants de la FIFA ont fermé les yeux sur ce que nous venons de décrire. Son président, Gianni Infantino, a déclaré que cette Coupe du monde serait la « meilleure de tous les temps ». Et lorsqu’il fut obligé de répondre à une question portant sur les conditions sociales de sa préparation, voici tout ce qu’il trouva à dire : « les 6 000 personnes pourraient être mortes dans d’autres chantiers ». Elles pourraient aussi ne pas être mortes, mais Gianni Infantino n’y a pas songé, manifestement, et a cru devoir préciser que la FIFA « n’est pas la police du monde, ni responsable de tout ce qui se passe ». Circulez, il n’y a rien à voir !

Sport et capitalisme

Face au désastre social et environnemental de cette Coupe du monde, les appels au boycott se sont multipliés, ces derniers mois. Plusieurs grandes villes – dont Paris – ont annoncé qu’elles n’installeraient pas d’écrans géants. Les appels au boycott ont le mérite de dénoncer une situation scandaleuse. Cependant, ils ne changeront rien au sort des travailleurs qataris. Récemment, 200 travailleurs d’Al Bandary Engineering et d’Electro Watt sont descendus dans la rue pour exiger le paiement de leurs salaires. Seule la lutte des classes – et la solidarité active du mouvement ouvrier international – permettra aux travailleurs qataris de défendre leurs droits et leurs conditions de travail.

Les dérives du « sport business » dépassent largement les frontières du Qatar. Partout, les passionnés de sport sont victimes d’un système dominé par la course aux profits. Les discours sur la « neutralité » et « l’autonomie » du sport ne doivent pas nous tromper : le sport n’échappe pas à la logique du système dans lequel il se développe. Et la Coupe du monde de soccer nous montre, une fois de plus, où mène la collusion entre le sport et les intérêts capitalistes. Il est plus que jamais indispensable de mettre la pratique du sport au service de la majorité de la population. Mais cela, le système capitaliste en est absolument incapable.