Des études récentes du Conference Board du Canada ont mis en lumière la situation alimentaire horrible au Nunavut. En 2016, le think tank a publié son Bilan comparatif de l’alimentation qui analyse la prospérité de l’industrie, les régimes alimentaires, la salubrité des aliments et la sécurité alimentaire des ménages dans chaque province et chaque territoire. Ce document révélait un taux d’insécurité alimentaire de 51 % au Nunavut, ce qui signifie qu’une personne sur deux ne mange pas suffisamment. Les repas sains et équilibrés sont hors de portée et beaucoup de gens sont forcés de rationner leur nourriture. Cette crise qui perdure silencieusement affecte particulièrement les Autochtones, qui comptent pour 95 % de la population du Nunavut.

Les répercussions de l’insécurité alimentaire sont nombreuses et variées. Les adultes qui vivent dans des ménages en insécurité alimentaire déclarent être en moins bonne santé et sont plus vulnérables à un grand nombre de maladies chroniques comme le diabète, les troubles cardiaques, l’hypertension, l’arthrite et les problèmes de dos. Il existe un lien fort entre l’insécurité alimentaire et les problèmes de santé mentale. Le risque de souffrir de dépression, de troubles d’anxiété, de troubles de l’humeur ou d’avoir des pensées suicidaires augmente avec la gravité de l’insécurité alimentaire.

L’insécurité alimentaire laisse aussi une marque indélébile sur le bien-être des enfants. Ne pas avoir assez à manger en bas âge est associé aux problèmes de santé mentale des enfants, tels que l’hyperactivité et l’inattention. La faim pendant l’enfance augmente le risque de développer de l’asthme, de la dépression et des idées suicidaires lors de l’adolescence et à l’âge adulte.

Comment expliquer cette situation? Après tout, le Canada produit davantage de nourriture qu’il en a besoin. Selon les statistiques du gouvernement lui-même, le Canada produit environ 1,5 % de la nourriture du globe alors qu’il n’en consomme que 0,6 %. Alors comment se fait-il qu’une partie de la population ne peut pas manger à sa faim?

Prix gonflés

Les prix des denrées alimentaires au Nunavut sont 140% plus élevés que dans le reste du pays. Cette situation a été mise en lumière par des histoires dans les médias traditionnels ces dernières années, avec des photos montrant des prix astronomiques pour des denrées alimentaires de base. Vingt-six dollars pour deux litres de jus d’orange. Dix dollars pour quatre litres de lait. Treize dollars pour 2,5 kg de farine. Ces quelques exemples sont suffisants pour illustrer à quel point la situation est mauvaise. Par exemple, il coûte plus de 100 dollars à Gjoa Haven pour acheter deux petits sacs d’épicerie suffisant seulement à nourrir une personne pendant moins d’une semaine.

Cette situation force les gens à fouiller dans les poubelles pour de la nourriture et à rationner leurs produits alimentaires, par exemple en réutilisant leurs sachets de thé plusieurs fois. Les banques alimentaires et les soupes populaires de la région sont débordées et seront bientôt à sec, bien que la majorité de la population, faute de moyens, dépende d’elles.

Sans surprise, les deux plus importantes épiceries qui opèrent au Nunavut font des profits massifs. Ces épiceries, NorthMart et Northern store appartiennent à la North West Company, qui possède la majorité des épiceries au Nunavut. Cette entreprise a vu ses profits augmenter ces dernières années, tandis que le revenu annuel de son PDG est de plus de trois millions de dollars. L’entreprise engrange ses énormes profits sur le dos des Autochtones du Nunavut.

Le capitalisme ébranle le mode de vie traditionnel

La population de ce qu’on appelle maintenant le Territoire canadien du Nunavut se compose en majorité d’Inuit. Avant la colonisation, ces peuples ont vécu pendant des milliers d’années dans des sociétés de chasseurs-cueilleurs qui vivaient de la terre et dont les moyens de subsistance principaux étaient la chasse et la pêche. L’adoption forcée de relations économiques capitalistes et les vicieuses politiques coloniales mises en place par les gouvernements britanniques et canadiens ont eu pour effet de détruire ce mode de vie.

Ces politiques ont compris la relocalisation de populations sur 2000 km dans des colonies de peuplement permanentes, l’abattage de chiens de traîneaux par la GRC ainsi que l’enlèvement d’enfants et leur envoi dans des pensionnats, détruisant ainsi la transmission intergénérationnelle des connaissances nécessaires à la chasse et à tout ce qui permet de vivre de la terre. Alors que l’éloignement des principaux centres économiques a permis aux populations autochtones du Nunavut de préserver leur mode de vie plus longtemps que les autres, les politiques mises en oeuvre par le gouvernement dans les années 50 ont fini par les forcer à abandonner leur mode de vie semi-nomade, ce qui les a rendues dépendantes des grandes compagnies qui produisent et apportent les denrées alimentaires de l’extérieur.

Une caractéristique déterminante de l’établissement du capitalisme canadien a été et demeure l’exploitation et l’oppression des populations indigènes. Le précurseur de la Compagnie du Nord-Ouest, la Compagnie de la Baie d’Hudson, y a d’ailleurs fortement contribué. Celle-ci a fait fortune en escroquant les peuples autochtones, en leur échangeant de la pacotille contre de grandes quantités de peaux de castor. Le commerce des fourrures lui aurait permis de générer environ 20 millions de dollars de profits, un élément essentiel à la formation de la bourgeoisie canadienne.

La communauté riposte

Les travailleurs du Nunavut sont très au fait de cette contradiction. Selon Isreal Mablick, qui travaille comme agent de sécurité : « Il est clair qu’ils gonflent les prix. Le salaire annuel du PDG de la Compagnie du Nord-Ouest dépasse les trois millions. Mon revenu annuel pour l’année 2014 a été de 36 000 dollars et j’ai cinq enfants et une femme, et on a survécu. Le PDG habite le sud du Canada où les prix sont bas. Je suis sûr qu’il n’a pas besoin de tout cet argent. »

En janvier 2015, un groupe Facebook nommé Feeding My family (Nourrir ma famille) a été créé afin de sensibiliser aux prix élevés des denrées alimentaires dans le Nord. Les 22 000 membres de ce groupe partagent des photos prises dans des épiceries afin de montrer les prix exorbitants de la nourriture.

Des manifestations ont aussi été organisées pour dénoncer cette horrible situation. Selon Leesee Papatsie, une résidente d’Iqaluit, ce mouvement visait à réagir à la vente par certains commerçants de nourriture avariée à des prix exorbitants.  Elle explique comment les manifestants ont utilisé Facebook pour se coordonner: « Les membres de la communauté se sont rassemblés devant le magasin et ont fait leur première manifestation en appelant à s’unir pour protester contre le coût élevé de la nourriture. Une autre manifestation a suivi. Je sais que dans le Nord, en raison de l’isolement et des prix extrêmement élevés pour se déplacer entre les communautés, les gens ont recours à Facebook afin de communiquer avec leurs parents et amis. Nous avons créé un groupe Facebook pour demander aux membres de la communauté de faire front commun. »

Les manifestants ont appelé au boycottage des succursales de la Compagnie du Nord-Ouest, mais le seul problème est que, comme le dit Rhoda Hiqiniq, résidente d’Iqaluit: « Nous sommes d’accord qu’il s’agit d’une bonne idée. Mais quand on est à court de vivres, il faut aller chez Northern store pour nourrir sa famille. » Les résidents ont peu de choix face au monopole privé.

Aucune solution sous le capitalisme

Dans les années 60, le gouvernement a mis sur pied le Programme du service aérien omnibus du nord pour tenter de résoudre ce problème de longue date en subventionnant le coût élevé des livraisons dans le Nord. L’échec du programme a mené à la création d’un programme similaire en 2011, Nutrition Nord Canada. Nutrition Nord offre 60 millions de dollars en subventions gouvernementales aux détaillants afin de compenser pour le coût de transport supplémentaire de la nourriture envoyée par avion dans les régions éloignées.

Ron Elliot, député de Quttiktuq dans l’Assemblée législative du Nunavut, explique pourquoi le programme ne fonctionne pas : « Ce qu’on fait, c’est donner les subventions directement aux entreprises. Si vous êtes en affaires pour faire un profit, allez-vous vraiment vouloir être de bonne foi? Le problème que je vois, c’est qu’on ne peut pas vraiment dire à une entreprise quel profit elle doit faire, n’est-ce pas? Alors, tant que le produit se vend, l’entreprise continue de le facturer à ce prix là.»

La réalité est que les capitalistes ne font qu’empocher les subventions tout en maintenant les prix élevés. Ça ne devrait pas être une surprise. C’est parfaitement logique sous le capitalisme, puisqu’on ne peut pas contrôler ce qu’on ne possède pas. Tant que la distribution de denrées alimentaires reste entre les mains des capitalistes, aucun programme de subventions gouvernementales ne peut améliorer la situation, car les patrons ne sont intéressés que par une chose : le profit.

Le manque de transparence et de reddition de comptes est une autre des raisons faisant que la crise alimentaire dans le nord ne peut pas être réglée sous le capitalisme. Selon Cathy Towtongie, présidente de la Nunavut Tunngavik Incorporated (représentant légal des Inuit du Nunavut en ce qui concerne les droits issus des traités et la négociation des traités), « le vérificateur général est d’accord avec nous, il n’y a pas de transparence ni de reddition de comptes ». Mais à quelle transparence peut-on s’attendre quand la propriété privée est le fondement du système? Les entreprises ne sont pas obligées et n’ont pas intérêt à rendre publics leurs livres de compte. Elles n’ont pas de comptes à rendre à personne, si ce n’est à leurs actionnaires qui exigent, avant tout, des profits toujours croissants. Si elles peuvent dégager des profits en vendant de la nourriture pourrie à des prix démesurés aux Autochtones du Nord canadien, elles le feront.

Les libéraux versent des larmes de crocodile devant la détresse des peuples autochtones, mais puisqu’ils défendent le système capitaliste, leurs « solutions » ne permettront jamais de résoudre le problème. Le Canada possède des ressources abondantes, d’immenses richesses et un surplus alimentaire. Mais en raison de la nature chaotique des marchés, la faim côtoie l’abondance.

L’absence de planification sous le capitalisme signifie que nous sommes sans issue devant cette situation. C’est seulement dans une société socialiste que nous serions capables de mettre en œuvre un plan démocratique de production et de distribution axé sur les besoins, afin de garantir un apport en nourriture plus que suffisant à chaque famille. Plutôt que d’éjecter les populations autochtones de leurs terres pour laisser place à l’expansion capitaliste, les collectivités autochtones se verraient garantir des droits sur leurs territoires et leurs ressources, grâce auxquels elles pourraient gérer démocratiquement la production et la distribution de nourriture en leur sein.