Crise du logement : la classe ouvrière doit riposter

La crise du logement bat son plein au Québec. Le 1er avril dernier, les locataires du Manoir Lafontaine, un immeuble de 90 logements en face du parc Lafontaine à Montréal, ont reçu un avis d’éviction sous prétexte de travaux majeurs, ce qui constitue une des pires tentatives de « rénoviction » à Montréal dans l’histoire récente. Cette histoire s’inscrit dans un contexte général de pénurie de logements, de hausse des loyers et de hausse des évictions.

  • Olivier Turbide
  • sam. 24 avr. 2021
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La crise du logement bat son plein au Québec. Le 1er avril dernier, les locataires du Manoir Lafontaine, un immeuble de 90 logements en face du parc Lafontaine à Montréal, ont reçu un avis d’éviction sous prétexte de travaux majeurs, ce qui constitue une des pires tentatives de « rénoviction » à Montréal dans l’histoire récente. Cette histoire s’inscrit dans un contexte général de pénurie de logements, de hausse des loyers et de hausse des évictions.

L’accès au logement à Montréal, une ville qui était récemment réputée « abordable », est dans une situation critique. Alors que la droite cherche à nous faire peur en disant que « sous le socialisme, il faudra faire la queue pour du pain », à Verdun, sous le capitalisme, on fait actuellement la queue pour visiter un des rares 4½ à 975 dollars. Plus que jamais, il est temps que les locataires et les travailleurs s’organisent pour riposter contre les grands propriétaires et revendiquer des logements pour tous.

Explosion des évictions et hausse des loyers

Au cours de la dernière année, les tentatives d’éviction de locataires ont explosé au Québec. Selon le Tribunal administratif du logement, le nombre de demandes pour des reprises de logement par les propriétaires a augmenté de 40%. Les locataires ont été deux fois plus nombreux à s’adresser à des comités de logements parce qu’ils sont à risque d’éviction. À Québec par exemple, le Bureau d’animation et information logement (BAIL) a reçu l’an dernier quatre à cinq fois plus d’appels de locataires craignant d’être expulsés à cause de reprises de logement ou de « rénovictions » que durant les années précédentes. Au Comité logement de Rosemont-La-Petite-Patrie à Montréal, il a fallu passer récemment d’un seul à trois employés pour répondre aux appels des locataires inquiets. À Montréal-Nord, les demandes ont plus que quintuplé.

Tout cela en pleine crise sanitaire, alors que les travailleurs ont massivement perdu leurs emplois et ont dû dans bien des cas se fier à l’aide gouvernementale pour subvenir à leurs besoins. Au début de la pandémie, pour atténuer le problème, le gouvernement avait interdit les expulsions de locataires et les reprises de logement, mais rapidement, contre toute logique, cette mesure a été levée en juillet, ce qui a mené à la situation actuelle.

Cette hausse des évictions s’inscrit dans le contexte de pénurie de logements qui sévit au Québec depuis maintenant quelques années. Les propriétaires ont fait grand cas de la hausse du taux d’inoccupation depuis la pandémie. Le taux d’inoccupation des logements à Montréal est passé à 2,7% en 2020, sous le seuil dit d’équilibre de 3%. Or, il faut prendre en considération dans ce chiffre qu’en raison de la pandémie, certains logements se sont libérés seulement temporairement avec l’absence des étudiants universitaires et la libération de certains logements à vocation touristique (AirBnb). Ce sont particulièrement les logements abordables et ceux qui peuvent accueillir des familles qui se font plus rares.

Comme l’explique le Front d’action populaire en réaménagement urbain (FRAPRU), « le taux d’inoccupation est resté aussi bas que l’an dernier (1,5% en moyenne) pour les logements dont les loyers sont accessibles aux ménages ayant un revenu de moins de 36 000 $ par an. […] Dans les RMR [régions métropolitaine de recensement] de Montréal et de Québec, les logements disponibles sont beaucoup plus chers que ceux qui sont occupés […]. »

Le coût des loyers a continué d’augmenter, entre autres en raison de la bulle immobilière qui a fait grimper le prix des logements. En effet, comme nous l’avons souligné récemment, l’abondance de crédit bon marché, engendrée par les faibles taux d’intérêts et les diverses mesures d’aide gouvernementales, et l’augmentation de l’épargne chez une certaine couche de la population ont particulièrement aggravé la spéculation immobilière. Le marché est présentement en ébullition.

Selon les données de la Société canadienne d’hypothèques et de logements, en 2020, les coûts des loyers étaient en augmentation de 4,2% par rapport à 2019 dans le Grand Montréal. Ces chiffres prennent en considération à la fois les logements disponibles sur le marché et les logements qui sont déjà loués. Dans certains quartiers, comme Verdun, cette augmentation a atteint 14,4%. C’est la plus forte hausse enregistrée en 17 ans. Quant aux logements à louer sur le marché, une enquête du Devoir a estimé que sur l’île de Montréal, la moyenne des loyers sur le marché était maintenant de 1310 dollars par mois, ce qui équivaut à plus de 30% du revenu moyen des Montréalais.

Rénovictions

Les rénovictions représentent un des aspects les plus scandaleux de cette crise. Des propriétaires harcèlent leurs locataires en les poussant à résilier leur bail, et si cela ne fonctionne pas, ils utilisent le prétexte de rénovations majeures afin de les forcer à quitter et d’augmenter les loyers. Le phénomène est répandu et s’est accentué dans la dernière année : des organismes parlent d’une « vague de rénovictions » qui touche actuellement le Québec. 

Le cas du Manoir Lafontaine est l’exemple récent le plus dramatique de ces rénovictions. Ayant récemment acquis le bâtiment, Brandon Shiller et Jeremy Kornbluth, deux hommes d’affaires particulièrement sans scrupules, ont envoyé la semaine dernière un avis d’éviction à tous les locataires pour procéder à des travaux. Les locataires, qui dans certains cas vivent dans l’immeuble depuis 50 ans, sont sommés de le quitter d’ici le 30 juin pour au moins sept mois. En guise de dédommagement, on ne leur propose que l’équivalent de trois mois de loyer, une somme dérisoire.

Ce n’est pas la première fois que ces deux entrepreneurs ont usé de moyens odieux pour forcer des locataires à partir d’un immeuble. En février, par exemple, alors qu’ils cherchaient à vider le 3440 avenue Ridgewood à Montréal, ils ont fait vivre un calvaire aux locataires. Ils ont entre autres retiré les parois coupe-feu de l’immeuble, et celui-ci n’étant « plus sécuritaire », les locataires ont été évacués de force par les pompiers en pleine nuit. En 2016, dans un autre immeuble, ils ont également retiré pendant huit mois l’escalier de l’entrée, alors que des locataires y vivaient toujours.

Parmi les autres entreprises de l’immobilier qui se spécialisent dans ce genre d’activités, il y a aussi la compagnie montréalaise LS Capital Group, qui est en ce moment en train d’appliquer la même méthode à deux immeubles dans l’arrondissement Ville-Marie à Montréal. Selon Le Devoir, la compagnie se vantait sur son site internet de faire de la « revalorisation d’immeubles afin d’en accroître les revenus » avec un « taux d’expulsion des locataires de 95% ». Bien que ce chiffre ait été retiré du site depuis, cela démontre que ces compagnies savent très bien ce qu’elles font, et ne se gênent même pas du mal qu’elles infligent aux familles évincées.

La grande hypocrisie avec ces rénovictions, c’est que souvent, c’est la négligence volontaire des propriétaires qui rend des rénovations majeures nécessaires. Selon Cloé Fortin, une organisatrice communautaire au Comité logement du Plateau-Mont-Royal, depuis que Brandon Shiller et Jeremy Kornbluth ont acquis le Manoir Lafontaine en 2019, il y a eu des infiltrations d’eau, des problèmes dans les logements et un ascenseur dysfonctionnel, mais rien n’a été fait.

Cette négligence n’est pas surprenante dans le contexte de crise du logement. Martin Blanchard, travailleur communautaire dans Rosemont, disait à La Presse que « cette situation [la crise du logement] incite les propriétaires à ne rien faire, car leur immeuble va grossir de valeur même s’ils ne font rien ». On voit très bien ici comment à la source du problème de la négligence et des rénovictions, il y a le système capitaliste, avec son marché qui fonctionne pour le profit plutôt que pour les besoins.

Les gouvernements ne font rien

Face à la crise, la réponse des gouvernements a été largement insuffisante. La ministre caquiste de l’Habitation, Andrée Laforest, se met la tête dans le sable et nie carrément l’existence d’une crise du logement. Pressée d’agir devant la vague de rénovictions, elle a seulement proposé de remettre le fardeau de la preuve sur les propriétaires dans les cas d’évictions pour rénovations majeures, pour que ce soit à eux de prouver que des travaux sont réellement nécessaires. Évidemment, cela n’empêcherait pas les propriétaires de laisser leurs logements décrépir afin de justifier les travaux.

Au moins, l’administration de la mairesse de Montréal Valérie Plante reconnaît la crise qui sévit. Toutefois, ses mesures ne sont pas beaucoup mieux. Elle avait promis d’adopter un « Règlement pour une métropole mixte », qui était à la base censé forcer les promoteurs immobiliers à inclure dans leurs projets 20% de logements sociaux, 20% de logements familiaux et 20% de logements abordables. Face à la pression des promoteurs, elle a reculé et a fini par adopter un règlement beaucoup plus souple, alors qu’il était déjà largement insuffisant à la base, selon le FRAPRU.

La classe ouvrière doit s’organiser et riposter

Heureusement, la vague d’évictions et la crise du logement en général a suscité une certaine réponse à gauche. Québec solidaire a déposé en février un projet de loi pour geler les loyers pour une durée d’un an. Le parti appelle la CAQ à adopter un « cocktail de mesures », comme de « mettre en place un registre des baux, d’interdire les rénovictions, d’encadrer les hausses de loyer pour éviter les abus, mais aussi d’agir à la source et de rattraper l’immense retard accumulé par le Québec en matière de logement social ».

Le Regroupement des comités logement et associations de locataires du Québec (RCLALQ) a lancé une campagne, « Les loyers explosent, un contrôle s’impose! », qui demande un gel des loyers, « l’utilisation obligatoire de  taux  moyens  de  variation  de loyer », ainsi qu’un registre des loyers. Le FRAPRU réclame aussi notamment la construction de 50 000 logements sociaux.

Ces mesures sont nécessaires et urgentes. Elles permettraient d’atténuer le pire de la crise actuelle. Mais face à un gouvernement des patrons comme la CAQ, on ne peut s’attendre à les obtenir sans combat. La CAQ, en tant que gouvernement capitaliste, sert les intérêts des spéculateurs fonciers, des grands propriétaires et des promoteurs immobiliers. Elle ne fera rien pour les locataires si on ne l’oblige pas.

Dans cette lutte, les groupes de locataires font preuve d’une combativité qui doit nous servir d’exemple. À ce titre, la mobilisation des locataires du Manoir Lafontaine est vraiment inspirante. En effet, ceux-ci n’ont pas du tout l’intention de quitter leur logement malgré les menaces et sont décidés à lutter pour faire changer les choses. Depuis qu’ils ont reçu leur avis d’éviction, ils ont installé de nombreuses affiches sur leurs balcons, et se sont réunis en grand nombre le 5 avril dernier au parc Lafontaine pour s’organiser et discuter de leur mobilisation.

Mais la lutte pour des bons logements et contre les évictions ne peut pas être menée seulement par les locataires isolés. Cette lutte concerne tous les travailleurs, qui sont eux-mêmes en grande majorité des locataires. Les syndicats ont le devoir de rejoindre ce combat. Avec leurs vastes nombres et leurs ressources importantes, ils auraient le pouvoir de forcer la main de la CAQ et de faire reculer les propriétaires véreux qui tentent d’évincer des locataires. De façon semblable, Québec solidaire devrait mobiliser ses membres en grand nombre dans les luttes des locataires plutôt que de compter sur le jeu parlementaire.

Si les capitalistes et leurs gouvernements refusent de nous fournir un toit, il faut que nous utilisions la force du nombre pour les faire plier. Nous ne pouvons compter que sur nos propres moyens. Un vaste mouvement de manifestations de masse, d’occupations des immeubles en rénoviction et inoccupés et de grève des loyers mobilisé par l’ensemble des syndicats, QS et les organismes de locataires ferait trembler la CAQ et les propriétaires parasitaires qu’elle représente et les forceraient à faire des concessions de peur de tout perdre. Un tel mouvement devrait revendiquer un gel des loyers, la fin des évictions et un programme massif de construction de logements abordables de qualité.

Toutefois, ultimement, il faut reconnaître que même la pleine satisfaction des revendications de QS et des organismes de locataires ne mettrait pas fin aux problèmes des locataires. La crise du logement représente une conséquence inévitable du système capitaliste, où le seul moteur de l’économie est la recherche du profit. Plus de protections dans la loi ne pourront jamais vraiment régler la question du logement, car elles ne s’attaquent pas à la propriété privée à la source de la pénurie de logements abordables. Tant que le logement restera une propriété privée servant à l’enrichissement personnel des plus nantis, ces derniers chercheront toujours à protéger leur profit et trouveront toujours des échappatoires et des façons de contourner la loi et d’éviter d’avoir à construire des logements sociaux.

Comme on l’a vu, il ne manque pas réellement de logements. Le taux d’inoccupation est en hausse. Pendant que des familles font la file pour visiter les quelques logements abordables sur le marché, des propriétaires laissent leurs logements inoccupés dans l’espoir d’en tirer des loyers élevés et à des fins spéculatives. Pour une solution durable à la crise du logement, les logements des grands propriétaires parasitaires devraient être nationalisés et placés sous une gestion démocratique par la classe ouvrière et les locataires. Un logement inoccupé devrait être un logement exproprié.

La lutte des locataires pour l’accès au logement et la lutte des travailleurs pour des conditions de vie décentes ne sont pas deux combats séparés : elles sont toutes les deux des luttes contre le capitalisme et l’anarchie du marché qui lui est propre. Avec toute la richesse qui existe dans notre société, il n’y a aucune excuse valable qui peut expliquer pourquoi nous n’arrivons pas à fournir un toit à tout le monde. Si nous n’y arrivons pas actuellement, c’est seulement parce que les capitalistes qui contrôlent l’immobilier font passer leurs profits avant les besoins des gens. Il est temps que la classe ouvrière se mobilise pour riposter!