En pleine crise du capitalisme, une campagne électorale québécoise sous le signe du statu quo

L’élection québécoise en cours survient au sortir d’une crise sans précédent. Nos écoles sont en miettes, le système de santé s’effondre, le coût de la vie monte en flèche. La déconnexion entre la gravité de cette crise et le caractère rituel, ordinaire, routinier de la campagne électorale est frappant. 

  • Julien Arseneau
  • ven. 23 sept. 2022
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Crédit : Capture d’écran de Radio-Canada Information

Cet article a été écrit au milieu de la campagne électorale. Les résultats de l’élection du 3 octobre confirment essentiellement l’analyse que nous y présentons : Québec solidaire, incapable de susciter l’enthousiasme, fait du surplace, n’ayant gagné qu’un seul nouveau député, et ayant obtenu en fait un nombre de votes inférieur à 2018; Paul Saint-Pierre Plamondon a réussi à sauver le Parti québécois de sa mort annoncée et à obtenir un nombre de votes équivalent à celui de ses adversaires en dépassant souvent QS par la gauche; malgré qu’il n’ait pas fait élire de député en raison du système uninominal à un tour, le Parti conservateur du Québec a fait une percée significative et a obtenu pratiquement le même nombre de votes que les trois autres partis d’oppositions. 

La CAQ, triomphante, se retrouve avec une énorme majorité de députés. Elle a eu le luxe de ne pas avoir à imposer d’austérité, mais la lune de miel ne durera pas longtemps, avec une récession à l’horizon et une inflation importante. Legault ne réglera aucun des problèmes urgents qui pourrissent la vie des travailleurs. Avec sa majorité énorme, il se croira tout permis et ne se gênera pas d’attaquer le mouvement ouvrier, les services publics, les opprimés, préparant ainsi un grand contrecoup. Sa vraie nature de gardien des profits des entreprises deviendra claire aux yeux de bien des gens. De plus en plus, les travailleurs et travailleuses du Québec vont en venir à la conclusion que le capitalisme n’a rien à nous offrir. Nous allons continuer à patiemment argumenter que seule une claire posture anti-establishment peut enthousiasmer les travailleurs, et que seules des politiques socialistes peuvent régler les problèmes de la classe ouvrière qui s’accumulent.


L’élection québécoise en cours survient au sortir d’une crise sans précédent. Nos écoles sont en miettes, le système de santé s’effondre, le coût de la vie monte en flèche. La déconnexion entre la gravité de cette crise et le caractère rituel, ordinaire, routinier de la campagne électorale est frappant. 

C’est comme si rien de particulier ne s’était passé ces dernières années. Aucun parti n’exprime clairement la colère sourde qui gronde. 

Déconnexion

Les raisons ne manquent pas d’être fâché contre le statu quo. Un désastre monumental dans les CHSLD; 16 600 morts de la COVID-19; un système de santé incapable de fournir des services suffisants; une grave pénurie d’enseignants; des listes d’attentes interminables pour les garderies abordables; les confinements qui visaient les individus tout en laissant les entreprises faire la piastre; la planète qui brûle; des augmentations salariales minimes de 2% par année enfoncées dans la gorge du secteur public, un modèle suivi par les boss du privé; et maintenant l’inflation galopante.

Naturellement, ce n’est pas de cela que la CAQ et la classe dirigeante qu’elle représente veulent parler. Celles-ci ont affiché au grand jour leur arrogance et leur mépris des travailleurs et des pauvres durant la campagne. Alors que Québec solidaire promet une taxe de 0,1% sur les millionnaires, elles se sont déchaînés dans les médias et sur toutes les tribunes. Rebaptisée la « taxe orange » par François Legault, elle est présentée comme la plus grande menace imaginable pour la société québécoise. 

Ces mêmes cravatés qui disaient aux étudiants grévistes de 2012 d’accepter une hausse des frais de scolarité de 1625$ pour faire leur « juste part » pleurent maintenant comme des bébés gâtés devant la perspective de payer 1000$ de plus par million de dollars. L’hypocrisie de l’establishment capitaliste et de la CAQ saute aux yeux. 

Puis, les médias et l’establishment nous servent à la petite cuillère des « débats » stériles sur l’immigration et font de l’utilisation ou non du « mot en N » un enjeu national. On ne peut qu’imaginer à quel point les travailleurs et travailleuses qui peinent à joindre les deux bouts devant l’inflation se sentent interpellés par le débat sur le chiffre exact de nouveaux arrivants à laisser entrer au Québec. Sera-ce 35 000, 50 000, 70 000 ou 80 000?

Et pendant ce temps, la classe dirigeante et ses partis n’ont aucune solution aux véritables problèmes de la classe ouvrière.

Rejet de l’establishment

Nous sommes entrés dans une époque de crise où de larges couches de la population cherchent des solutions radicales et rejettent l’establishment politique qui s’est révélé incapable de régler les problèmes graves qui les touchent. 

Le sentiment général à l’égard de l’establishment a été exprimé récemment par une source un peu inattendue, soit le journaliste Pierre Bruneau lors du premier débat des chefs. Lorsqu’il a posé une question sur le système de santé, il s’est permis d’ajouter « plus personne ne croit vos promesses en santé! » Effectivement, la classe ouvrière et les jeunes ne croient plus les partis de l’establishment. 

Cela explique bien les difficultés du PQ et des libéraux. Comme si ce n’était pas assez d’avoir chacun eu le pire score de leur histoire respective il y a quatre ans, les deux partis sont en voie de battre ce record. Qui pourrait leur faire confiance, alors qu’ils ont passé 40 ans à imposer l’austérité et à gouverner pour les plus riches en maintenant les salaires bas et en leur donnant toutes sortes de congés fiscaux et en leur vendant nos ressources à rabais?

Crise du capitalisme absente de la campagne

Les travailleurs et les jeunes en ont assez des politiciens qui promettent tout et n’importe quoi sans jamais offrir de véritables solutions à leurs problèmes. Ils rejettent de plus en plus l’establishment, et un impressionnant 38% des Québécois souhaite dépasser le capitalisme selon un récent sondage. Et ils ont bien raison. 

Ce serait là l’occasion pour le seul parti de gauche, Québec solidaire, de sortir du lot. Mais alors que la crise du capitalisme s’aggrave, le parti a plutôt tendance à se modérer et vouloir montrer que son programme est réaliste dans le cadre du système. Au lieu de dénoncer le capitalisme et l’establishment, Gabriel Nadeau-Dubois s’époumone pour montrer que les propositions de QS sont « chiffrées » et « crédibles ». 

Par exemple, QS défend avant tout sa taxe de 0,1% sur les millionnaires en utilisant l’argument qu’elle est modeste et raisonnable. Au lieu de passer à l’attaque et de dénoncer la mesquinerie des millionnaires, GND donne l’impression qu’il tente avant tout de prouver sa crédibilité… aux riches et aux capitalistes eux-mêmes. 

Mais les riches ne seront jamais convaincus de payer davantage ou de faire leur « juste part ». Plutôt que donner l’impression de marcher sur des œufs lorsque nous attaquons les riches, il nous faut une voix forte qui dénonce le système capitaliste en entier et ses valets dans les quatre partis, et propose des solutions socialistes claires et audacieuses.

De même, le parti a modéré son discours et certaines de ses propositions. L’exemple le plus saillant est celui de l’éducation. Aux élections de 2018, le parti promettait « l’éducation gratuite du CPE au doctorat » en cinq ans. Cette fois, le parti promet une baisse de 25% des frais universitaires. Aussi, sa proposition de taxe sur les véhicules polluants pourrait très bien avoir été avancée par le Parti libéral du Canada. Le congé de TVQ comme solution à l’inflation n’est pas particulièrement différent des baisses d’impôt de ses adversaires.

Même les pancartes électorales du parti témoignent du changement : de « l’éducation gratuite du CPE au doctorat », « une assurance dentaire pour tout le monde », et « le transport public à moitié prix » en 2018, nous sommes passés à des slogans vagues comme « le choix écologique » (presque tous les partis se drapent de vert) et « régler la crise du logement » (qui est contre la vertu?) et « factures moins chères, meilleurs salaires » (comment?).

Cette tendance au sein du parti risque de susciter l’impression que le parti n’est pas si différent des autres partis d’opposition. Nous l’avons bien vu au débat du 22 septembre, alors que, bien souvent, Paul St-Pierre Plamondon du PQ dépassait GND à gauche; deux exemples parmi d’autres, c’est PSPP qui dénonçait les baisses d’impôt comme une façon de préparer l’austérité, et qui a appelé à un système de garderies gratuites et universelles. Les deux étaient d’accord plus souvent qu’autrement. Quel contraste avec la campagne de 2018 où le PQ a attaqué QS en soulevant le spectre de la « peur rouge »!

C’est ainsi que s’incruste Éric Duhaime et son Parti conservateur du Québec, qui ont le beau jeu de se présenter comme opposés aux « élites ».

Une supporter du parti affirmait lors d’un rassemblement : « Pourquoi je vote pour le Parti conservateur? C’est que j’ai l’impression que la CAQ a complètement abandonné nos personnes âgées. » 

Bien sûr, le PCQ n’a rien à offrir aux travailleurs. Sous un couvert anti-establishment se cache un politicien qui attaquerait vicieusement les syndicats, privatiserait les services publics et rendrait la vie dure aux pauvres.

Mais le sentiment confus d’avoir été laissé de côté par la CAQ habite des centaines de milliers de travailleurs québécois. Duhaime tente de faire écho à ce sentiment et se prétend une voix du monde ordinaire, par exemple lorsqu’il raille contre les prix exorbitants de l’essence. La recette n’a rien de nouveau : c’est le même populisme de droite dont Trump est passé maître, et qui a inspiré des politiciens à travers le monde, d’Éric Zemmour à Jair Bolsonaro, et qui vient de porter Pierre Poilievre à la tête du Parti conservateur du Canada. 

Socialisme

La montée potentielle de Duhaime est un avertissement et offre une leçon importante à la gauche. Contre le discours anti-establishment de droite, il faut un véritable discours anti-establishment de gauche qui pointe vers le système capitaliste comme source de l’inflation, de la réponse bâclée à la pandémie, de la crise du logement. Si une telle option n’est pas présente, alors le champ est libre pour le populisme de droite à la Duhaime et Poilievre.

Ce qui manque cruellement à la campagne électorale actuelle, c’est cette voix qui explique qu’il faut sortir du capitalisme pour résoudre les problèmes urgents de la classe ouvrière. Les crises climatique, du logement, de l’inflation ne peuvent pas être réglées sur la base du système capitaliste. On ne peut faire payer les patrons pour la crise en restant sous le capitalisme – on n’a qu’à voir leur réaction devant la taxe de 0,1% de QS pour voir qu’ils résisteront devant toute mesure visant à s’attaquer à leur pouvoir. 

Le socialisme doit être remis à l’ordre du jour : nationaliser les banques et les grandes entreprises, et bâtir un mouvement de masse de travailleurs et de jeunes pour appliquer et défendre ce programme. Voilà la seule solution pour nous sortir de l’actuelle crise.