Grève dans les CPE : entrevue avec deux éducatrices

Du 14 au 16 avril, 13 000 travailleuses des CPE affiliées à la CSN, qui sont sans convention collective depuis presque un an, sont à nouveau en grève, après 10 jours de grève plus tôt en avril. Elles ont également adopté un mandat de grève illimitée. C’est la troisième grève dans les CPE en sept […]

  • La rédaction
  • lun. 14 avr. 2025
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Du 14 au 16 avril, 13 000 travailleuses des CPE affiliées à la CSN, qui sont sans convention collective depuis presque un an, sont à nouveau en grève, après 10 jours de grève plus tôt en avril. Elles ont également adopté un mandat de grève illimitée. C’est la troisième grève dans les CPE en sept ans.

Le nœud des négociations est le salaire. Les éducatrices sont drastiquement sous-payées pour le travail crucial qu’elles accomplissent. Le gouvernement caquiste offre aux travailleuses 17,4% d’augmentation salariale sur cinq ans – à peine plus que l’inflation, et bien moins que ce qui serait nécessaire pour rattraper des années d’appauvrissement. 

Elles demandent aussi un meilleur soutien aux enfants à besoins particuliers, davantage de primes pour les régions éloignées, et plus de personnel pour s’occuper des enfants. 

Une hausse salariale est urgente pour combler la pénurie d’employées dans les CPE. Avec une charge de travail très grande et des salaires très bas, un cercle vicieux s’est installé. Des travailleuses quittent la profession et bien des étudiantes ne finissent même pas leur programme. Cela accroît encore plus la charge de travail de celles qui restent dans la profession. 

La conséquence est un manque criant de places en garderies subventionnées. Actuellement, 34 000 enfants sont sur les listes d’attente. Dans une récente étude de l’organisme Ma place au travail, on apprend que 75% des 1370 familles interrogées n’ont pas obtenu une place en garderie au moment souhaité. Comme les places en garderie privée sont très dispendieuses, beaucoup de parents se voient forcés de rester à la maison – et particulièrement les femmes. C’est ainsi que plus du tiers des femmes interrogées dans l’étude ont dû prendre un congé sans solde en raison du manque de places.

Le sous-financement des CPE s’inscrit dans un contexte général de démantèlement du filet social à travers les pays capitalistes avancés. Celui-ci avait été concédé aux travailleurs à l’issue de chaudes luttes. Mais alors que le capitalisme s’enfonce dans la crise et les turbulences économiques, les gouvernements endettés jusqu’au cou ne trouvent plus d’argent pour les services publics. 

Les CPE, déjà sous-financés, se retrouveront encore plus loin au bas de la liste des priorités du gouvernement de l’homme d’affaires Legault. Le capitalisme est une société où tout ce qui compte est les « trucs qui permettent de rapporter du cash », comme l’a bien imagé Gabrielle dans l’entrevue suivante. C’est une condamnation saisissante du capitalisme qu’il soit incapable de trouver l’argent nécessaire pour s’occuper de nos enfants. La lutte des travailleurs contre l’appauvrissement et contre le démantèlement des services publics doit ultimement s’inscrire dans une lutte contre ce système. 

Les travailleuses des CPE font preuve d’une combativité exemplaire pour le reste du mouvement ouvrier, et tout le mouvement devrait se tenir en solidarité avec elles. Des camarades du Parti communiste révolutionnaire les ont rejoints sur le piquet de grève au CPE La Ruche, à Montréal, le 2 avril dernier, et leur ont posé quelques questions.


Révolution communiste : Est-ce que vous pouvez nous parler un peu des conditions de travail dans le réseau des CPE en ce moment?

Gabrielle, éducatrice à La Ruche : Le gouvernement choisit l’information qu’il partage. Il dit que c’est 30$ de l’heure… Alors que moi j’ai gradué en 2022, là, je suis à 22,90$. Et ça fait cinq ans que je suis ici. Je suis à l’échelon deux. Tsé c’est pas attrayant!

Amandine, La Ruche : Souvent, il faut se trouver quelque chose d’autre à côté.

G : Oui! Je travaille le soir dans un organisme pour pouvoir payer mon loyer! On parlait de banque alimentaire tantôt, bien c’est notre réalité. On est juste capable de se sortir la tête de l’eau en ce moment. Étudier trois ans pour avoir ce résultat-là.

Révolution communiste : C’est comment sur le terrain?

A : On manque beaucoup d’aide avec les enfants qui ont des besoins particuliers. Et on manque beaucoup de personnel. Pour la relève, c’est difficile parce qu’il y a beaucoup de programmes qui ont fermé. 

Révolution communiste : Il y a un manque de main-d’œuvre?

A : Il y a beaucoup de filles qui ne finissent pas [le programme d’étude], ou qui ne restent pas [dans le domaine]. Souvent, on en parle entre nous. « Hey il y a combien de filles de ta cohorte qui restent? » Et on a peut-être deux sur 20… 

G : Au début, on était 100 élèves dans ma cohorte. À la fin on était 20. Et dans les derniers moments de classe, on s’est dit : « qui va faire ça après? » On était cinq à lever la main.

Et maintenant après presque trois ans de temps plein, je me demande si j’ai pas envie de quitter le réseau. Même la relève, qui vient de graduer qui est passionnée – tsé moi je suis super passionné de mon métier, mais je suis en train de me dire, crime, qu’il faut que je me trouve une autre passion. Il faut que je retourne aux études…

RC : Le gouvernement laisse le réseau se détériorer.

A : C’est sûr qu’avec le gouvernement actuel, on est complètement en déconnexion. Ils annoncent : « On a créé plein de places! » Mais c’est pas vrai. Parce qu’il y a beaucoup de places qui ont été converties, donc ce sont des places qui étaient déjà existantes. Et en vrai, comment ils peuvent créer tout plein de places quand il n’y a pas de personnel! Il y a vraiment beaucoup de mensonges autour de ça. C’est vraiment très mensonger tout ça.

G : Mais on sent que c’est vraiment l’objectif du gouvernement! Pour privatiser.

A : Et à côté de ça, on investit dans toutes sortes de compagnies où on perd [l’argent public]…

RC : Je pense que c’est clair que la population vous supporte vraiment et voit l’importance des travailleuses dans les CPE. Pourtant, dans toutes les dernières grèves du réseau public le gouvernement et les médias essayent de faire un peu comme si c’était juste du chialage…

A : Oui, en fait ils aiment ça nous faire passer pour des méchantes, ils disent qu’on les prend en otage… Mais la réalité c’est que le réseau va tellement mal que si nous on se bat pas pour ça, ça va s’effondrer. Ça tient sur nos épaules.

RC : Qu’est-ce que vous pensez du déroulement de la grève à présent? Est-ce que vous pensez que ça va être assez pour faire bouger un peu les choses?

G : Bien là, on a voté pour la grève illimitée. On avait commencé par un bloc de trois jours pour au moins avoir une rentrée d’argent.

A : Mais pour se faire entendre, on n’a malheureusement pas le choix de se rendre là. Au moins on a vraiment le soutien des parents, qui savent qu’on préférerait mille fois être dans nos locaux avec eux. Mais la réalité du gouvernement fait qu’on n’a pas le choix de se rendre là. 

RC : Nous, on est des communistes et on veut changer complètement la société. Je voulais vous demander, vous autres, qu’est ce que vous pensez qui doit changer plus globalement? 

G : Bien personnellement, je pense, de pas voir le monde comme des petites entreprises partout. Juste des trucs qui permettent de rapporter du cash… Parce que la vie c’est pas ça. Les CPE, ça rapporte pas d’argent.

A : Mais ça revient à la société ensuite! On prend de l’avance pour l’école etc. Ça nous revient vraiment, mais on n’est pas capables d’avoir cette vision là. Ça s’arrête à « ah, ça nous coûte trop cher ». Au détriment de la société, car les enfants sont la société de demain.


Cette entrevue a été raccourcie et éditée à des fins de clarté et de concision.