Photo : La Riposte socialiste

Depuis l’écriture de cet article, les associations étudiantes ont obtenu une déclaration signée de la part du doyen de l’UQAM écartant toute possibilité qu’un étudiant se voit accorder la mention « Abandon »pour avoir fait la grève des stages. La GGI devant commencer le mercredi 30 novembre a donc été annulée. Il s’agit d’une victoire importante : par sa solidarité, et grâce à la menace d’un large mouvement de grève, le mouvement étudiant a défendu son droit de grève.

Mais notons qu’à la place de l’Abandon, les stagiaires devront tout de même reprendre leur stage en 2023, quoique sans frais additionnels, ce qui est une différence majeure. Tout de même, certains étudiants pourraient avoir à allonger leur cheminement académique, et cela est directement dû à la faible participation à la grève des stages de cet automne. Ainsi, nous croyons que les leçons politiques sur les faiblesses du mouvement étudiant exprimées dans cet article restent pertinentes.


Le jeudi 24 novembre dernier, trois associations étudiantes de l’UQAM – l’AFESH (sciences humaines), l’AFÉA (arts) et l’AFESPED (sciences politiques et droit) – ont tenu des assemblées générales de grève dans lesquelles elles ont décidé d’entrer en grève générale illimitée à compter du mercredi 30 novembre. Lundi, le 28 novembre, ces étudiants ont été rejoints par ceux de l’AFELC (communication). Cela représente plus de 12 000 étudiants en grève. Les grévistes demandent à la direction de retirer sa décision de punir des étudiantes en enseignement ayant fait la grève des stages cette session. Le mouvement de grève actuel est un fantastique exemple de solidarité en action et doit être répandu et renforcé.

Cette mobilisation s’inscrit dans la lutte pour l’amélioration des conditions et la rémunération des stages qui a lieu depuis plusieurs années dans le mouvement étudiant. À l’automne 2022, des centaines d’étudiantes à travers la province ont débrayé, parfois pendant plusieurs semaines. À l’UQAM, elles sont organisées dans l’ADEESE (association des étudiant.es en sciences de l’éducation), et ont fait grève de cours et de stages pendant plus de cinq semaines. Elles demandaient notamment la mise en place de politiques anti-harcèlement pour les stagiaires, ainsi qu’une amélioration de base de leurs conditions, comme le fait de ne pas avoir à faire plus d’une heure de transport pour se rendre à son milieu de stage.

Après cinq semaines de pression, elles avaient finalement obtenu une ouverture de la direction, ce qui a mis fin à la grève. Or, la direction a répliqué rapidement en annonçant qu’elle pourrait attribuer la mention « Abandon » à certaines des personnes ayant fait la grève de leur stage et de leurs cours intensifs. Cela représenterait jusqu’à 750 étudiants selon l’ADEESE.

Une mention « Abandon » signifierait notamment que ces grévistes devraient reprendre leur stage ou leur cours lors d’une session ultérieure, ajoutant une session, voire un an, à leur parcours académique. L’administration affirme, dans l’un de ses nombreux courriels « Info Direction » qu’une telle mention, puisqu’il ne s’agit techniquement pas d’un échec, n’aurait « aucun impact sur le dossier académique des étudiantes ». La réalité est que les impacts vont au-delà du simple dossier académique: paiement de frais de scolarité supplémentaires, endettement supplémentaire, entrée retardée sur le marché du travail… Voilà des conséquences réelles dans la vie de ces étudiantes.

Droit de grève menacé? Grève générale illimitée!

Surtout, cette décision pose un précédent grave pour le mouvement étudiant. Chaque grève étudiante s’accompagne nécessairement de questions de la part des étudiants qui ne sont pas encore convaincus par la légitimité du mouvement. Inévitablement, quelqu’un pose la question: « Mais qu’arrivera-t-il à ma session? »

D’ordinaire, les militants étudiants ont l’habitude de répondre qu’aucun étudiant n’a jamais vu sa session annulée après avoir fait la grève, même après la grève de plusieurs mois de 2012. C’était vrai jusqu’à présent.

Or, aujourd’hui, nous sommes à la croisée des chemins. Si l’actuelle décision de l’administration venait à passer, il faudrait maintenant avouer qu’allonger son parcours est une conséquence possible pour une grève. Cette brèche affaiblirait l’ensemble du mouvement étudiant, y compris au-delà de l’UQAM, pour plusieurs années à venir! Au contraire, si nous faisons reculer l’administration, nous pourrons dorénavant répondre que la direction ne peut réprimer les grévistes, et que lorsqu’elle a tenté de le faire, nous l’en avons empêché.

De plus, comme on le dit souvent, la faiblesse invite à l’agression. Si nous baissons les bras, laissant le champ libre à la direction « juste pour cette fois », cela lui enverra le message qu’elle ne devrait pas hésiter à réprimer le mouvement étudiant à l’avenir. Alors que si, au contraire, nous nous montrons fermes et résistons, elle y pensera à deux fois avant de présenter des conditions de fin de trimestre dommageables pour les grévistes.

C’est pourquoi l’élan de solidarité actuel est si important. Il s’agit de beaucoup plus que de soutenir les stagiaires. Il s’agit de défendre le droit de grève en général – un droit démocratique de base. 

Ainsi, voir quatre associations entrer en grève pour cet enjeu, et par des votes largement majoritaires d’ailleurs, est très encourageant. Protéger le droit de grève lorsqu’il est attaqué doit être une priorité du mouvement étudiant, autant que du mouvement ouvrier d’ailleurs.

Dans le mouvement ouvrier, les travailleurs de l’éducation ontariens syndiqués avec le SCFP ont récemment montré qu’une loi de retour au travail peut être vaincue par la menace d’une grève générale. Dans le mouvement étudiant, c’est la même chose : il faut riposter du tac au tac à toute attaque contre le droit de grève par la plus grande mobilisation possible, la grève générale illimitée.

La grève, seule option possible?

Comme c’est souvent le cas dans les dernières années, des étudiants inquiets d’entrer en grève ont soulevé une question : la grève est-elle vraiment la meilleure manière de nous faire entendre?

La vérité est que la grève des stagiaires a suivi une escalade des moyens de pression, y compris des négociations avec l’administration et une pétition de plusieurs centaines de signataires. Mais sans succès. C’est après tout cela que les étudiantes ont choisi de faire la grève. Et c’est seulement après cinq semaines de grève que l’administration a accordé des concessions.

Dans l’histoire du mouvement étudiant, la grève a aussi fait ses preuves. La grève de 2012 contre la hausse des frais de scolarité, de même que les grèves de 2009 et 2005, sans compter les importantes grèves étudiantes des années 60 et 70 notamment, font partie des raisons pourquoi l’éducation supérieure est plus accessible au Québec qu’ailleurs.

Pour le mouvement actuel, le temps presse. ll faut faire reculer la direction immédiatement, avant l’application des sanctions, et c’est pourquoi nous devons utiliser la grève, notre meilleure arme. Plus la grève sera grande, plus le mouvement sera fort, plus vite la direction nous concèdera nos demandes.

La vérité est que la grève fonctionne.

D’ailleurs, après l’annonce des premiers votes de grève, l’administration a spécifié lundi le 28 novembre que, finalement, les étudiantes des cours intensifs ne seraient pas exposées à la mention « Abandon », mais seulement les grévistes des stages. Elle a également spécifié que les reports de stage se feraient sans facturation supplémentaire. L’administration recule déjà pour essayer d’éviter l’arrêt des cours. Mais la mention « Abandon » est toujours sur la table. Une seule personne punie pour avoir fait la grève est une personne de trop – la grève est donc maintenue.

Difficultés de mobilisation

Or, les étudiants perplexes qui remettent en question la légitimité de la grève reflètent peut-être un véritable problème auquel fait face le mouvement étudiant depuis quelques années : les étudiants non mobilisés ne sont pas suffisants convaincus de nos luttes. Cela a été notamment remarqué par des militants lors de l’assemblée de l’AFESH, qui ont décrié le manque de participation aux levées de cours.

Ce problème n’est pas nouveau. Depuis quelques années, des grèves ont été menées par des « groupes affinitaires », c’est-à-dire des petits cercles de militants organisés sur la base d’amitiés ou d’idées partagées. Qu’ils soient à l’intérieur ou à l’extérieur des associations étudiantes, ces groupes sont restés isolés du reste de la population étudiante; si ce n’est pas qu’ils étaient carrément hostiles aux étudiants moins politisés.

La grève pour la rémunération des stages de 2019 est un bon exemple des lacunes de ce type de militantisme. Les CUTE (Comités unitaires pour le travail étudiant), qui ont dirigé la grève, refusaient par principe de s’organiser à travers les associations étudiantes, sous prétexte que des dynamiques de pouvoir s’y exerçaient, ou qu’elles étaient réformistes. Mais cela revenait à refuser d’aller à la rencontre de la grande majorité des étudiants. Ce qui devait arriver arriva, et la grève termina en défaite après une faible participation des étudiants.

Trop souvent, les étudiants les plus politisés ont été impatients de commencer les grèves avant d’avoir convaincu la majorité de la population étudiante. Or, quelques centaines d’étudiants qui votent pour une grève ne peuvent la faire gagner à eux seuls. Le but ne devrait pas être de faire passer le vote de grève, mais de gagner la grève! Cela nécessite un soutien actif du plus grand nombre de gens possible.

Il faut dire que de plus en plus de militants étudiants remarquent ces problèmes et cherchent à améliorer la situation. Nous pouvons étudier les luttes passées pour des pistes de solution.

En effet, notre mouvement possédait par le passé d’excellentes traditions de mobilisation. Pour la grève de 2012 par exemple, le mouvement avait été longuement et minutieusement préparé par les militants de l’ASSÉ. Ils effectuaient des tournées de classe pour essayer de convaincre chaque étudiant de chaque département. Ils publiaient un journal, l’Ultimatum, où les arguments pro-grève étaient détaillés. Ils recrutaient des couches toujours plus larges de militants pour mousser le soutien à la grève. Ces méthodes révolutionnaires – lutte de masse, attitude combative non sectaire et préparation politique – ont ultimement mené à la plus grande grève étudiante de l’histoire du Québec, et à la chute du régime libéral de Jean Charest.

Dans le cas de la récente grève de l’ADEESE, il faut donner le crédit au leadership de l’association, qui a su mobiliser les étudiantes dans de larges assemblées de plusieurs centaines de personnes. Mais la mobilisation sur le terrain est restée insuffisante. L’exemple le plus dramatique de cette lacune est que la grève des stages, bien que votée en assemblée générale, n’a essentiellement pas été appliquée, sauf par une poignée de militants. C’est ce qui a ouvert la porte à l’administration de l’UQAM, qui profite de la désorganisation du mouvement étudiant pour réprimer un petit nombre de grévistes.

Organisons-nous pour la victoire!

L’administration nous met au pied du mur. Contre ses menaces de répression, une réponse forte est nécessaire : la grève générale illimitée.

Déjà, la simple évocation de la GGI fait reculer l’administration. Mais pour gagner la bataille, pour pallier l’isolement des étudiants mobilisés, les seuls remèdes sont l’agitation politique, la mobilisation la plus large possible et l’organisation.

Il faut développer des arguments expliquant pourquoi les mesures de la direction sont une attaque contre le droit de grève, et donc contre tout le mouvement étudiant. Il faut expliquer le plus largement possible aux étudiants sceptiques la nécessité de la solidarité étudiante.

Il faut aller chercher de nouveaux appuis par des tournées de classe, des campagnes d’affichage massives, la distribution de pamphlets, ou toute autre mesure qui va directement à la rencontre des étudiants non-mobilisés. 

Il faut convaincre le plus d’étudiants possible de participer aux assemblées générales et aux conseils de grève organisés par les associations. Toute grève est renforcée par le contrôle démocratique des membres sur la lutte. 

Il faut organiser des actions ciblées, mais bien coordonnées, avec une mobilisation abondante. Mieux vaut moins d’activités avec un contenu politique, comme des assemblées ou des manifestations, et avec une bonne participation, qu’une tonne d’activités disparates rassemblant peu de personnes.

Il faut approcher les étudiants des autres associations et les convaincre de rejoindre le mouvement. Nous devons étendre le mouvement même au mouvement ouvrier. Une des faiblesses du mouvement étudiant, y compris en 2012, est de ne pas avoir réussi à mobiliser suffisamment les travailleurs à nos côtés. La lutte pour la rémunération des stages est une très bonne occasion de le faire, puisque le travail gratuit des stagiaires crée une pression à la baisse sur les conditions des travailleuses dans ces milieux. En plus, l’ensemble du mouvement ouvrier a avantage à défendre le droit de grève en général. 

Nous devons aussi penser à l’avenir. Si l’administration a pu attaquer quelques grévistes isolés, qu’arrivera-t-il si le mouvement étudiant ne réussit pas à reconstruire la solidarité qui faisait sa force dans le passé? Pour ce faire, nous devons dès maintenant, dans la lutte, tisser des liens entre nos associations étudiantes, dans le but de reconstruire des alliances durables. Cela pourrait être le premier pas en vue de la reconstruction d’une fédération étudiante démocratique, radicale et puissante, comme l’ASSÉ de 2012.

Contre la répression, le mouvement étudiant se tient debout. Une lutte importante se dessine.  Si nous renouons avec les meilleures méthodes de notre mouvement, nous pouvons l’emporter.

Une attaque contre un est une attaque contre tous!
Élargissons notre soutien pour renforcer la grève!
Grève générale illimitée jusqu’à la victoire!