Hillary Clinton, le féminisme libéral et l’émancipation des femmes

Dans de sa campagne pour l’investiture démocrate, Hillary Clinton tente de se présenter comme la championne des droits de femmes, faisant appel à la solidarité féminine (sisterhood) et à la possibilité de devenir la première présidente américaine afin de mobiliser les appuis. Bien qu’il y ait effectivement une couche de la jeunesse qui la perçoive […]

  • Jessica Cassell
  • mar. 8 mars 2016
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Dans de sa campagne pour l’investiture démocrate, Hillary Clinton tente de se présenter comme la championne des droits de femmes, faisant appel à la solidarité féminine (sisterhood) et à la possibilité de devenir la première présidente américaine afin de mobiliser les appuis. Bien qu’il y ait effectivement une couche de la jeunesse qui la perçoive comme la candidate la plus progressiste du fait de son genre, beaucoup de jeunes femmes et hommes américains voient clair dans son jeu, et la voient comme faisant partie d’un establishment qu’ils haïssent de plus en plus.

Les récentes gaffes de supporters prestigieuses, telles que Gloria Steinem et Madeleine Albright, n’ont fait qu’empirer les choses. Steinem, connue comme meneuse et porte-parole du féminisme de « deuxième vague » des années 60-70, a suscité l’indignation lorsqu’elle a suggéré que les jeunes femmes appuyant Bernie Sanders ne le faisaient que pour attirer l’attention des garçons. Elle s’est par la suite excusée pour ces propos sexistes, mais sans pouvoir réparer les dommages et faire oublier l’hypocrisie du féminisme libéral ainsi dévoilée. La même semaine, à un autre rassemblement de Clinton, l’ancienne secrétaire d’État Madeleine Albright affirmait qu’« il y a une place spéciale en enfer pour les femmes qui n’aident pas les autres femmes ». En réponse, beaucoup lui demandèrent s’il y a une place spéciale en enfer pour une femme qui a servi la cause de l’impérialisme américain pour la majeure partie de sa carrière professionnelle et qui a déjà affirmé par le passé que la mort d’un demi million d’enfants iraquiens à cause des sanctions américaines en « valait le coup ». Encore une fois, l’image de championne des femmes de Clinton en a pris un coup.

En réalité, Hillary Clinton est une représentante du capitalisme et de l’impérialisme étasuniens, et à travers ses plus de 20 ans en positions de pouvoir, elle a défendu avec enthousiasme des politiques et des guerres qui ont précipité des centaines de millions de femmes à travers le monde dans des conditions abjectes de misère et de pauvreté. La liste de ses donateurs, réunissant magnats, banquiers et lobbyistes, démontre très clairement son allégeance à Wall Street. Une série de conférences privées qu’elle a données à des banques de Wall Street et des firmes d’investissement telles que Morgan Stanley, Goldman Sachs et la Deutsche Bank entre 2013 et 2015 a aussi beaucoup fait sourcillé. Ces conférences lui auraient rapporté un total de 4,1 millions de dollars en honoraires, d’après le Wall Street Journal. Comme le veut le proverbe, on ne peut servir deux maîtres à la fois. Le financement qu’elle reçoit des capitalistes signifie qu’elle devra défendre leurs intérêts, et non ceux des travailleuses. Une fois présidente, elle va appliquer des politiques d’austérité et lancer des attaques contre la classe ouvrière, ce qui va affecter particulièrement les femmes et les groupes marginalisés.

Plusieurs jeunes femmes qui se réclament du féminisme intersectionnel ont correctement indiqué que l’on ne peut pas voir toutes celles qui appartiennent à une catégorie telle que « femme » comme étant homogènes, et ont souligné que malgré qu’elle soit une femme, les intérêts et les politiques de classe d’Hillary Clinton ne vont pas dans le sens de l’intérêt de la majorité des femmes. Cependant, malgré que l’intersectionnalité souligne avec raison que les gens font l’expérience de plusieurs formes d’oppression interconnectées, cette approche regarde l’oppression au niveau subjectif individuel, suggérant que ceux et celles qui appartiennent à un groupe opprimé en particulier ont la meilleure position pour comprendre la nature de cette forme d’oppression et sont les plus à même de la combattre. Si nous suivons cette approche jusqu’à sa conclusion logique, Clinton serait la plus qualifiée pour combattre l’oppression des femmes. Plusieurs jeunes reconnaissent que ce n’est pas le cas et se sont mobilisés autour de Bernie Sanders, parce que ses idées font écho aux sentiments anti-establishment et pro-socialiste qui grandissent dans la société étasunienne. Tandis que l’intersectionnalité voit toutes les formes d’oppression comme étant fondamentalement égales, la tentative de Clinton d’utiliser son genre pour augmenter ses appuis montre en pratique que la classe transcende toutes les autres formes d’oppression. Ayant compris cela, il est nécessaire de comprendre comment l’oppression des femmes a surgi de la division de la société en classes et comment aujourd’hui le capitalisme a besoin de perpétuer l’oppression des femmes.

Les femmes n’ont pas toujours été soumises aux hommes. En fait, pour la majorité de l’existence humaine, une division sexuelle du travail n’avait pas pour conséquence l’inégalité sociale et économique. Dans les sociétés de chasseurs-cueilleurs, le travail de l’une était tout aussi important que celui des autres pour la survie du groupe et les membres d’une communauté partageaient de manière égale les fruits du travail collectif. Lorsque les humains se sont tournés vers la production agricole, il y a environ 10 000 ans, un surplus (plus que ce qui pouvait être consommé immédiatement) fut rendu possible pour la première fois. Au fil du temps, certains ont accumulé un surplus suffisant pour qu’ils n’aient plus à travailler et ont utilisé leur surplus pour l’offrir en compensation à d’autres (du moins suffisamment pour les garder en vie) afin qu’ils travaillent pour eux, ou pour pouvoir l’échanger contre d’autres marchandises spécialisées; cela représente la division de la société en classes d’exploiteurs et d’exploités. Les origines de l’oppression des femmes se trouvent dans ce changement dans la manière de produire et d’échanger. Étant donné que le travail produisant de la richesse était largement dominé par les hommes, le travail des femmes a perdu sont caractère public. L’institution du mariage naquit afin de contrôler les capacités reproductives des femmes et assurer la paternité des enfants afin que les hommes puissent léguer leur richesse à leurs descendants. Avec le développement de la propriété privée, les femmes furent confinées à la sphère domestique en tant que propriété de leurs maris pendant des milliers d’années, jusqu’au développement du capitalisme.

Le capitalisme a ramené la femme dans la sphère publique, ce qui représente en quelque sorte un pas en avant. En faisant partie de la classe ouvrière, les femmes peuvent s’organiser et demander plus de droits et de libertés que dans les époques passées. Bien sûr, cela varie d’un pays à l’autre dépendamment du niveau de développement et de l’impact du colonialisme et de l’impérialisme. Mais sous le capitalisme, les femmes sont doublement opprimées en tant que travailleuses non payées à la maison et en tant que travailleuses salariées exploitées sur leur lieu de travail. Le capitalisme a besoin du travail non payé dans la sphère domestique afin de reproduire la prochaine génération de travailleur-euses à exploiter. Par ailleurs, l’écart de salaire entre les hommes et les femmes entraîne la diminution des salaires de tout le monde et fait ainsi augmenter les profits des patrons. La classe dirigeante utilise la division de la classe ouvrière selon le genre, la race et selon d’autres différences pour maintenir en place son système d’exploitation et elle utilise son monopole des médias et des autres institutions culturelles pour perpétuer les attitudes discriminatoires et divises. Lorsque cela correspond à leurs intérêts, elle octroie des concessions artificielles à certaines couches de la classe ouvrière pour gagner leur soutien et les retourner contre d’autres couches de travailleur-euses. C’est précisément ce que Barack Obama a fait, se présentant comme un sauveur pour les Étasunien-nes noirs, et c’est ce que la classe dirigeante fait avec Hillary Clinton, la présentant comme une défenseuse des femmes et des enfants.

Lorsque les marxistes affirment que la classe transcende toutes les autres formes d’oppression, nous ne voulons pas dire que cela est la pire oppression en termes de souffrance, ou que la classe ouvrière est en quelque sorte supérieure à d’autres groupes opprimés. Nous voulons dire que tant que nous vivons dans une société où une petite minorité exploite la majorité, aucun groupe opprimé ne peut être réellement émancipé et il y aura toujours des inégalités systémiques. Tous les représentants de cette classe dirigeante minoritaire, quel que soit leur genre, leur race ou leur orientation sexuelle, serviront ultimement leurs intérêts de classe. Sous le capitalisme, la forme primaire d’oppression est l’exploitation du travail salarié, car le fait de payer les travailleur-euses moins que la valeur de leur travail est la base des profits accumulés par les capitalistes. Cela veut dire que la classe ouvrière, qui représente la majorité de la population de la plupart des pays, est dans une position unique à cause de son rôle dans la production capitaliste qui lui permet de paralyser le système.

Cela veut-il dire que les marxistes suggèrent que rien ne peut être fait concernant l’oppression des femmes jusqu’à ce qu’il y ait une révolution socialiste? Certainement pas. Les marxistes se positionnent fermement contre le sexisme, la violence et le traitement discriminatoire envers les femmes, qui, combinés au racisme et aux autres formes de discrimination, ne servent qu’à diviser la classe ouvrière et à nous empêcher de nous unir contre notre oppresseur commun, et qui donc n’ont aucune place au sein du mouvement. Nous soutenons l’action collective venant d’en bas pour prévenir et répondre au sexisme dans les rues, sur les lieux de travail et les campus, incluant des grèves avec des étudiantes et des étudiants, des travailleuses et des travailleurs, ou encore la formation de corps démocratiques redevables pour assurer la sécurité de nos communautés. Ces initiatives doivent être menées par les organisations de la classe ouvrière, par les syndicats étudiants et ouvriers. Les marxistes soutiennent aussi toutes les réformes qui puissent éliminer les barrières auxquelles font face les femmes, telles qu’un système de garderie universel, l’accès aux services de santé sexuelle et l’égalité salariale. Nous en appelons aux organisations de la classe ouvrière pour qu’elles consolident l’unité dans la lutte de classe pour ces réformes et contre toutes les coupures et les attaques dirigées contre les travailleur-euses, qui frappent les femmes de manière disproportionnée. Tout en disant cela, nous soulignons le caractère temporaire des réformes sous le capitalisme. Le capitalisme est dans une période de déclin et nécessite les coupures et l’austérité quand il est en crise. Nous devons lutter pour les réformes tout en les liant constamment au besoin de lutter pour le socialisme.

Malheureusement, les bureaucraties des organisations ouvrières sont souvent responsables de retenir le mouvement en arrière, en en arrivant à des compromis avec le patronat ou l’État afin d’éviter un conflit ouvert et pour protéger leur position privilégiée. Cela est une des raisons pourquoi les politiques bureaucratiques comme la parité entre les genres ne sont pas un outil efficace pour faire avancer la position des femmes. Cela veut surtout dire qu’une minorité de femmes parvient à des postes avantageux tandis que peu est fait pour lutter pour des meilleures conditions pour la majorité des travailleur-euses, dont la moitié sont des femmes. Tandis que la participation plus active de groupes sous-représentés est un développement positif, nos représentants doivent être élus pour leurs politiques et leur capacité à mener une lutte véritable. Il est important de comprendre que les femmes et les autres groupes opprimés ne sont pas opprimés à cause de leur sous-représentation; ils sont sous-représentés à cause de l’oppression systématique de notre société. De manière similaire, les opinions et représentations culturelles sexistes sont un reflet du rôle économique et social que les femmes occupent sous le capitalisme; viser à changer les mentalités sans changer les conditions matérielles de la société ne peut pas en soi éliminer le sexisme. L’accent doit être mis sur la transformation des organisations ouvrières en véritables organes militants qui luttent pour le renversement du capitalisme, pour des conditions qui peuvent réellement émanciper les femmes et tous les groupes exploités et opprimés.

Quelles sont ces conditions? Premièrement, nous devons éliminer le fardeau du travail domestique qui pèse sur les épaules des femmes. Cela ne peut être fait que par la socialisation du travail domestique, soit en fournissant des services de nettoyage, de lavage et de restauration publics, en établissant de longs congés payés pour que les deux parents puissent élever leurs enfants, et en fournissant un système de garderie universel. De plus, nous devons mettre fin à la course aux biens matériels désespérée qui reproduit les attitudes discriminatoires. Tout le monde doit avoir accès à un emploi bien payé, à une éducation postsecondaire gratuite, à un logement, à un système de santé, etc. Voilà les conditions qui peuvent placer les hommes et les femmes sur un terrain matériel égal et permettre aux femmes d’être davantage impliquées dans la vie publique et dans l’administration de la société. Enfin, la propriété collective et le contrôle démocratique des médias, des institutions artistiques et culturelles et du système d’éducation pourraient fournir le contenu culturel permettant de défier les attitudes négatives envers les femmes.

Ces politiques contredisent directement l’impératif du profit du capitalisme et ne peuvent être mises en place qu’en nationalisant les grands leviers de l’économie et en décidant démocratiquement de l’allocation des formidables richesses disponibles au profit de la majorité. Il y a plus qu’assez de ressources dans la société pour que tout le monde puisse avoir un haut niveau de vie, mais ce n’est pas le fait d’élire une femme comme présidente ou première ministre dans un système capitaliste qui pourra nous permettre d’y arriver; c’est par la base, grâce à une lutte de classe unifiée pour le socialisme, qu’on pourra mettre en place une telle société. C’est à travers la lutte que les préjugés et les attitudes discriminatoires vont s’effondrer, les gens prenant ainsi conscience de leurs intérêts communs. La grande majorité d’entre nous est exploitée et opprimée par le capitalisme. Il est dans notre intérêt à tous de s’unir et de lutter non seulement contre l’oppression des femmes, mais aussi contre toutes les formes d’oppression. Seulement sur cette base pouvons-nous atteindre la véritable émancipation des femmes et éliminer toutes les formes d’exploitation une fois pour toutes.