Le 21 mars dernier, les débardeurs du port de Montréal ont rejeté la plus récente offre patronale presque à l’unanimité : 99,71% des membres se sont prononcés contre une offre que l’Association des employeurs maritimes (AEM) a qualifiée de « finale ». Après les sept mois de trêve prenant fin le même jour, les patrons ne montrent pas plus de volonté de négocier que cet été, et aucune concession n’est faite à l’endroit des travailleurs. Tous les recours ont été épuisés; l’heure est venue de préparer une autre grève, et cette fois, de la mener jusqu’au bout.

Retour à la case départ

Le syndicat des débardeurs (SCFP 375) avait conclu une trêve de sept mois avec l’AEM en août 2020 après une grève de 11 jours. L’exécutif syndical acceptait de renoncer au droit de grève pour cette période avec l’objectif d’en arriver à une entente négociée. Qu’est-ce qui a été accompli depuis? 

Les patrons ont déposé une soi-disant offre « finale » entièrement inacceptable. Selon le syndicat, l’offre incorporait 80 demandes patronales et seulement quatre demandes syndicales. Le principal enjeu pour les débardeurs, soit d’avoir des horaires de travail qui ont du bon sens (ils travaillent présentement 19 jours sur 21), n’est pas réglé. Comme l’a dit le président du syndicat, Michel Murray :  « Nos débardeurs vont tomber au combat à travailler 19 jours sur 21, le jour, le soir, la nuit et les fins de semaine. »

Plutôt que de négocier, l’AEM s’est occupée à s’attaquer au droit de grève des débardeurs pendant la trêve. En effet, elle a encore une fois essayé de faire déclarer le port comme étant un service essentiel auprès de la Cour d’appel fédérale, sans succès. Puis, les patrons se sont préparés à ce que le conflit se poursuive, remplissant des entrepôts et prévoyant des itinéraires alternatifs, faisant passer des bateaux par Halifax.

Malheureusement, comme nous le craignions, la trêve n’a pas fait avancer les négos. Les patrons ne sont pas plus désireux de faire des concessions aujourd’hui qu’ils l’étaient cet été. Mais il n’est pas trop tard pour reprendre la grève, et finir le travail en forçant les patrons à reculer. 

Les patrons à l’offensive

Pendant la trêve, l’employeur et le syndicat s’étaient entendus pour ne pas faire de sorties médiatiques au sujet des négos. Bien que les deux partis se soient tenus de respecter cette promesse, la partie patronale ne manque pas d’amis qui, eux, s’époumonnent à salir les travailleurs du port dans les médias depuis des semaines. Le Globe and Mail, le Journal de Québec, Les Affaires, La Presse et d’autres encore; tous se font la voix des patrons « inquiets » de la « menace » d’une grève.

Autre exemple, le 16 mars, l’Association du camionnage du Québec (ACQ), la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, le Conseil du patronat du Québec, la Fédération des chambres de commerce du Québec, la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, et Manufacturiers et Exportateurs du Québec (MEQ) ont envoyé une lettre à la ministre du travail lui demandant d’agir pour que le conflit se règle rapidement. Nul besoin de vous expliquer ce que ce regroupement patronal cherchait ainsi à obtenir. Véronique Proulx, présidente-directrice générale des MEQ l’a plus tard dit clairement : « Les manufacturiers ne sont pas à la table des négociations, mais on est ceux qui ont le plus à perdre… Si on devait se retrouver en situation de grève, c’est sûr qu’on demanderait au gouvernement fédéral d’intervenir avec une loi spéciale. »

Le gouvernement fédéral de Justin Trudeau n’a pas eu besoin de se faire prier par les patrons pour envisager de retirer le droit de grève des débardeurs. Selon La Presse, un plan d’urgence pour éviter une grève est déjà en préparation par le gouvernement. La question d’empêcher la grève a d’ailleurs été abordée dans un appel entre François Legault et Justin Trudeau. Pas de surprise ici : Trudeau a mis fin à la grève des postiers de 2018 avec une loi spéciale, et Legault a systématiquement appelé aux lois spéciales dans chaque grève sérieuse depuis la fondation de la CAQ en 2011.

Face aux préparatifs minutieux des patrons et à leur propagande incessante, il faut que les débardeurs se préparent aussi.

La nécessité de défier les lois spéciales

L’échec de la trêve et le comportement méprisant des patrons montrent clairement qu’on ne peut porter nos espoirs sur la médiation et la négociation « de bonne foi » avec eux. L’AEM ne bouge pas d’un pouce, bien que les compagnies maritimes « font de l’argent comme de l’eau » depuis le début de la pandémie, comme le dit Michel Murray. L’employeur se moque des travailleurs et veut humilier et détruire le syndicat. Retourner en grève est la seule option qu’il reste aux travailleurs du port pour faire reculer l’AEM. Les débardeurs ont le pouvoir de paralyser une grande partie de l’économie et mettre à genoux les patrons en quelques jours.

Mais si nous retournons en lutte, il faut y aller les yeux ouverts : il y a un véritable front commun de patrons qui demande une loi spéciale pour régler le conflit au port et imposer une convention collective insatisfaisante aux débardeurs. Les libéraux, quant à eux, choisiront toujours d’aider leurs amis aux poches profondes et ont déjà signalé qu’ils passeraient une loi spéciale si une grève devait avoir lieu.

Cela fait trop longtemps que ça dure. Il faut absolument mettre fin au cycle de grèves qui se soldent par une loi spéciale. Si on nous enlève le droit de grève dès qu’on l’utilise et que ça marche, alors ce droit ne veut plus rien dire.. Les débardeurs ont une occasion en or de renverser la vapeur en défiant une future loi spéciale. Si nous ne mettons pas notre pied à terre, les patrons continueront de ne prendre aucune négociation au sérieux à l’avenir, sachant qu’une loi spéciale peut toujours leur venir en aide. En décidant de ne pas respecter les lois faites pour détruire le mouvement syndical, les débardeurs enverraient un exemple à suivre au reste du mouvement.

Mais les débardeurs ne peuvent pas vaincre seuls. Les patrons soutiennent leurs amis de l’AEM ouvertement; il faut absolument que les centrales syndicales fassent de même. C’est le devoir des centrales syndicales d’appuyer concrètement et activement les débardeurs dans leur lutte. Les syndicats devraient utiliser leurs grandes ressources pour  organiser des manifestations en solidarité avec les débardeurs. Une aide financière sera aussi nécessaire si une loi spéciale ou des injonctions imposent des amendes salées aux débardeurs. Des grèves de solidarité pourraient être organisées afin de mettre le plus de pression possible et faire plier l’employeur – après tout, des milliers de syndiqués du secteur public ont déjà de tels mandats! Une grève combative avec la solidarité active du reste du mouvement pourrait transformer le mouvement syndical québécois.

Victoire aux débardeurs!