La banqueroute de la direction syndicale en deux déclarations

Alors qu’un nouveau gouvernement de patrons vient d’être élu et que les employeurs ont passé la dernière année à lancer des attaques vicieuses à leurs travailleurs (parlez-en aux lockoutés de l’ABI), on serait en droit de s’attendre à ce que les dirigeants syndicaux se préparent à la bataille. Mais non! Daniel Boyer, de la FTQ, […]

  • Élizabeth Guay et Benoît Tanguay
  • lun. 28 janv. 2019
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Alors qu’un nouveau gouvernement de patrons vient d’être élu et que les employeurs ont passé la dernière année à lancer des attaques vicieuses à leurs travailleurs (parlez-en aux lockoutés de l’ABI), on serait en droit de s’attendre à ce que les dirigeants syndicaux se préparent à la bataille. Mais non! Daniel Boyer, de la FTQ, et Jacques Létourneau, de la CSN, ont récemment tenu des propos honteusement conciliateurs, démontrant leur aveuglement complet devant la situation.

Le président de la FTQ s’est récemment dit prêt à travailler avec la CAQ pour faire du Québec « une société plus juste, plus égalitaire, plus verte et plus démocratique ». Il a affirmé : « Jusqu’à présent, on a une écoute, contrairement à ce qu’on pouvait penser. On pensait qu’on partirait en bataille demain matin, mais on a une bonne réception de la part du gouvernement. Le gouvernement veut nous parler. » Sans blague! C’est un secret de polichinelle que la CAQ souhaite privatiser la SAQ; le plan d’attaques contre les syndicats qui était contenu au programme de la CAQ a seulement été retiré en prévision de la campagne électorale. Il faut être bien naïf pour croire que l’attitude de la CAQ signifie qu’elle est soudainement devenue une amie des travailleurs. Les propos de Boyer font penser à une dinde sur le point d’être enfournée qui se réjouit qu’on la badigeonne de beurre. Entretenir l’illusion que la CAQ sera à l’écoute ne peut que désarmer les travailleurs avant même le début de la bataille qui viendra inévitablement.

Peut-être encore plus navrante est la déclaration du président de la CSN, qui a félicité le Conseil du Patronat du Québec (CPQ) pour ses 50 ans en disant : « Il nous arrive de nous colletailler et de ne pas avoir les mêmes points de vue, mais on s’entend très bien lorsque vient le temps de promouvoir l’emploi, de favoriser de bonnes conditions de travail et d’assurer l’essor économique du Québec. Et s’il y a une chose sur laquelle nous sommes fondamentalement d’accord, c’est bien la nécessité que nos gouvernements mettent en place les mécanismes de dialogue social — avec les organisations syndicales et patronales — pour aborder les questions liées à l’économie et au travail. » Le CPQ est la plus grande association patronale au Québec, la plus directe représentante de la classe capitaliste québécoise. Quelqu’un devrait rappeler à Létourneau que ce même CPQ dont il semble avoir une si haute opinion n’a que du mépris pour le droit de grève de ses membres, comme on a pu le constater en 2017 quand il a demandé à l’Assemblée nationale d’adopter une loi de retour au travail pour mettre fin à la grève de la construction avant même que celle-ci ait commencée. Les travailleurs et les capitalistes ont des intérêts fondamentalement, irréductiblement opposés. Les profits des patrons proviennent directement du travail impayé effectué par les travailleurs, ce que les marxistes appellent la « survaleur ». Plus les travailleurs sont exploités, plus les patrons font des profits, et vice-versa. S’ils sont riches, c’est parce que nous sommes pauvres. Le mouvement syndical est né d’une lutte implacable contre le patronat, et voilà que le dirigeant de la CSN se vante de leurs points en commun!

Aussi pathétiques soient-elles, ces déclarations sont caractéristiques de la mentalité conciliatrice qui règne depuis quelques décennies chez les dirigeants syndicaux québécois. À l’époque de la Révolution tranquille, les syndicats menaient des luttes militantes et sans compromis et n’avaient pas peur d’entrer en grève, voire en grève illégale si nécessaire. Les grandes centrales avaient même adopté des documents résolument anticapitalistes. Ces combats nous ont donné le Code du travail, une hausse importante du niveau de vie de la classe ouvrière et une foule d’autres réformes importantes. Mais l’attitude de plus en plus conciliatrice des dirigeants syndicaux a mené à une stagnation du niveau de vie des travailleurs québécois depuis les années 80. Le leadership a complètement accepté le capitalisme et sa légalité. Les grèves doivent maintenant être aussi peu perturbatrices que possible, et les lois que nous imposent les gouvernements de patrons doivent être respectées coûte que coûte. Cela permet à l’Assemblée nationale, à la botte des capitalistes, de nous enfoncer des lois spéciales dans la gorge dès qu’une grève commence à être efficace. La conséquence est évidemment l’érosion progressive de nos conditions de vie et de travail, et le démantèlement de l’État-providence.

Legault a lui-même admis que son parti est semblable à l’Union nationale de Maurice Duplessis. Avant de régresser dans la Grande noirceur, il est temps que le mouvement ouvrier redécouvre les méthodes combatives qui nous ont permis d’en sortir. Le mouvement a besoin d’une direction à la hauteur des tâches qui s’annoncent.