La CAQ s’apprête à rendre le travail moins sécuritaire et à réduire l’accès des travailleurs à une indemnisation en cas d’accident. Sous couvert de soi-disant « moderniser » le régime de santé et sécurité au travail (SST), elle a déposé le projet de loi 59 le 27 octobre dernier. Il s’agit d’une tentative des patrons d’économiser en sacrifiant la vie des travailleurs. Le mouvement ouvrier doit répliquer contre cette attaque frontale.

Plus de précisions sur le projet de loi sont données à la fin de l’article, mais dans ses grands traits, la loi a pour effet d’augmenter le pouvoir des patrons sur la SST et de rendre plus difficile aux travailleurs de se faire indemniser pour un accident de travail ou une maladie professionnelle. Les médecins responsables de la SST seraient sélectionnés par les patrons, et les accidentés auraient à payer pour une partie de leurs traitements. La réforme va même jusqu’à limiter le droit de retrait préventif des femmes enceintes!

Il faut vraiment avoir du culot pour couper dans la sécurité au travail en pleine pandémie. Si cette dangereuse contre-réforme était adoptée, cela signifierait plus de travailleurs qui se blessent ou qui meurent au travail. Et avec elle, les travailleurs qui se voient sacrifiés sur l’autel du profit se font mettre des bâtons dans les roues lorsque vient le temps de demander un peu d’aide après avoir été mutilé ou traumatisé. Encore une fois, Legault et la CAQ démontrent qu’ils ont un seul maître, le patronat.

Une réforme attendue… par les patrons

Les syndicats québécois attendaient depuis longtemps une réforme positive des lois encadrant notre régime de santé et sécurité. Notamment, seulement 11,6% des travailleurs québécois bénéficient de l’entièreté des mécanismes de préventions prévus par la Loi sur la santé et la sécurité du travail (LSST). De plus, le régime est complètement dépassé en ce qui a trait à la santé mentale, par exemple l’épuisement professionnel et le harcèlement psychologique en milieu de travail, qui sont très difficiles à faire reconnaître comme maladie professionnelle.

Mais ce projet de loi ne vise pas à satisfaire les attentes des syndicats, mais bien celles des patrons. En fait, s’il est loin d’être suffisant pour les travailleurs, le régime de SST québécois reste tout de même le plus coûteux pour les patrons à l’échelle du Canada.

Francis Vailles, chroniqueur de La Presse, explique pourquoi les employeurs y trouvent leur compte :

« Selon une étude de Morneau Shepell, le taux de cotisation des employeurs du Québec [au régime de SST] excède de 35 % celui des entreprises de l’Ontario et de 60 % celui en Alberta. Cet écart impose une facture pour les entreprises du Québec qui dépasse de 640 millions celle de l’Ontario, toute proportion gardée. Et de 1 milliard de dollars celle de l’Alberta. À ce compte, ce ne sont plus les employés qui deviendront malades, ce sont les entreprises qui seront handicapées face à la concurrence, puisqu’elles financent l’entièreté du régime, qui coûte 3 milliards par année. »

Pas étonnant alors que le Conseil du patronat du Québec « salue le dépôt d’un tel projet de loi ».

La crise économique déclenchée par la pandémie n’a fait qu’exacerber la concurrence sur le marché mondial. Pour rester concurrentiels, les patrons doivent toujours couper les coins plus ronds et limiter leurs dépenses associées à la santé et la sécurité des travailleurs. Le libre marché pousse les capitalistes à chercher le plus « cheap » des « cheap labors », et de cette façon, à réaliser le plus de profits possible à partir de la sueur et du sang de la classe ouvrière. En fait, cette contre-réforme est un symptôme du capitalisme en crise.

Le mouvement ouvrier doit riposter!

Nous devons nous organiser pour repousser ce projet de loi. Nos puissantes centrales syndicales ont le pouvoir de faire reculer le gouvernement et ont le devoir de le faire. Comme dirait l’oncle Ben dans Spiderman : « Avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités. » Mais pour l’instant, l’opposition des syndicats se limite à des publicités et des pétitions. Cela ne sera pas suffisant. 

Il faut un plan d’action pour mobiliser largement les travailleurs et forcer la CAQ à annuler sa contre-réforme. Ainsi, il est primordial que nos directions syndicales organisent dès maintenant une escalade des moyens de pression, à commencer par des manifestations de masse. Et si les manifestations ne suffisent pas, il faut une préparation sérieuse, une escalade méticuleusement planifiée pouvant aller jusqu’à la grève pour forcer la CAQ à reculer.

Un excellent exemple de ce qui peut être accompli par la grève nous vient des grutiers. En juin 2018, les grutiers étaient entrés en grève sauvage spontanée pour opposer un nouveau règlement dangereux qui s’attaquait à la formation des grutiers. Leur combativité avait forcé le gouvernement à reculer et les grutiers avaient obtenu gain de cause. Inspirons-nous des grutiers! C’est par de telles méthodes de lutte qu’on peut faire reculer la CAQ.

Au cœur de la santé et de la sécurité au travail, il y a le conflit entre les classes. Sous le capitalisme, les patrons font tout pour que leurs employés aient à travailler plus vite, plus longtemps, et plus fort afin de maximiser leurs profits. La COVID-19 a bien montré que notre santé et sécurité ne seront jamais garanties par les patrons. 

Tout en luttant contre le PL 59, le mouvement ouvrier devrait revendiquer le contrôle ouvrier sur les entreprises. Le président exécutif du conseil d’administration du CPQ, Yves-Thomas Dorval, n’a pas complètement tort lorsqu’il affirme que « l’intervention de quelqu’un dans le milieu de travail, cela relève du milieu de travail et non pas de gens qui sont à l’extérieur ». Il veut évidemment dire que le gouvernement ne devrait pas s’en mêler. Par contre, ce qu’il ne comprend pas, c’est que les « gens qui sont à l’extérieur » sont vraiment les patrons, qui ne travaillent pas et qui ne connaissent rien aux dangers du travail effectué par leurs employés. Le patronat ne devrait pas avoir son mot à dire sur la sécurité en milieu de travail. En matière de SST, ce sont les travailleurs qui devraient avoir le dernier mot. Ce sont eux qui prennent les risques, c’est donc eux qui devraient gérer démocratiquement autant les comités de SST que les milieux de travail, et la société en général.


Note

Parmi les reculs les plus importants du PL 59, nous trouvons :

  • Diminution du nombre de rencontres des comités de santé et de sécurité, et du nombre d’heures du représentant à la prévention;
  • Sélection du médecin responsable des services de santé d’un établissement par les patrons et non plus par les comités de santé et de sécurité;
  • Octroi de l’entièreté des pouvoirs aux patrons pour déterminer le contenu du programme de prévention et du programme de santé, sans aucun avis médical;
  • Détermination des conditions des retraits préventifs des femmes enceintes selon des procédures et des médecins choisis par les patrons au lieu du médecin traitant de l’employé;
  • Modification des délais et augmentation des difficultés pour respecter la procédure de réclamation dans les cas de maladies professionnelles;
  • Addition de plusieurs critères limitatifs pour la reconnaissance des maladies professionnelles, pour l’obtention de la présomption dans le cas d’un accident, permettant d’éviter d’indemniser une grande part des maladies professionnelles comme les surdités;
  • Limitation de l’accès à la réadaptation physique, sociale et professionnelle par l’ajout de multiples règlements;
  • Abolition du droit à la réadaptation physique, programme qui a pour but d’éliminer ou d’atténuer l’incapacité physique à la suite d’une lésion professionnelle;
  • Restrictions au droit à l’assistance médicale (paiement de médicaments, orthèses, prothèses et autres traitements essentiels) et possibilité de faire payer une partie des traitements par les victimes de lésions professionnelles.

Source : Le projet de loi no 59 expliqué en quelques points.