Le 12 décembre dernier, l’exécutif de l’Action démocratique du Québec (ADQ) qui battait dangereusement de l’aile a voté à 85% en faveur d’une fusion officielle avec la toute nouvelle Coalition pour l’avenir du Québec (CAQ) menée de front par l’ex-ministre péquiste François Legault. Ainsi, grâce au bastion adéquiste, la CAQ aura huit membres à l’Assemblée nationale, les quatre ministres restant de l’ADQ et quatre indépendants (soit deux ex-péquistes et deux ex-adéquistes). Du nombre s’est ajouté en janvier l’ex-ministre péquiste François Rebello. La visibilité et les ressources de ce parti seront ainsi augmentées et la classe ouvrière québécoise devrait s’en alarmer.

Dans les dernières années, les patrons québécois ont fait des pieds et des mains pour trouver un parti qui accomplirait ce qu’ils ont si désespérément besoin soit un gouvernement avec les reins solides qui établirait les mesures d’austérité qui permettraient au capitalisme québécois une meilleure côte sur le marché mondial. Que peut faire le mouvement ouvrier pour non seulement évincer Charest, mais aussi pour empêcher les tentatives d’instauration d’un gouvernement populiste de droite?

Depuis plus d’un an, François Legault fait les manchettes au Québec. Après son départ du PQ en 2009, il s’est consacré à la création d’une formation politique qui met de côté le débat national pour se concentrer sur les « problèmes critiques ». L’attitude critique de Legault envers le gouvernement libéral et le PQ ainsi que son message général de changement a fait son chemin dans l’esprit des électeurs québécois qui ont perdu toute confiance face aux partis principaux et face au statuquo du débat entre fédéralisme et souverainisme. Jusqu’à tout récemment, Legault faisait cavalier seul. Malgré tout, pendant une bonne partie de la dernière année, son « parti » a été presqu’en permanence en tête des sondages avec 40 % d’appui. Alors que défend Legault et pourquoi est-il si populaire?

Le Devoir rapport un sondage publié le 21 novembre dernier par Léger Marketing auprès des supporteurs de Legault […] Seulement 9% des répondants soutiendraient réellement le parti pour son programme, ce qui est loin d’être un appui éclatant.

La crise du nationalisme

Dans l’article « Crise au sein de la société québécoise : quel avenir pour Québec solidaire? » parut au début de 2011, nous avons écrit :

« Il y a une immense crise dans la société québécoise. Cette dernière s’est nettement manifestée dans le profond marasme politique qui fait rage actuellement dans la province. L’insatisfaction découlant du désormais méprisé gouvernement libéral a atteint un niveau record. Pourtant, aucun des partis de l’opposition n’a été formellement en mesure de capitaliser ce mécontentement massif. »

Il en va de même dans notre document des Perspectives canadiennes 2011:

«La classe ouvrière est fatiguée du statu quo des allers et venues des fédéralistes et des nationalistes. Les sondages démontrent qu’une majorité se retrouve dans une position « d’entre-deux idéologique » quand il s’agit de cette question, ce qui ne signifie pas qu’ils ne s’en soucient pas, mais qu’ils cherchent de plus en plus une solution de classe à la question nationale.»

Ces prédictions se sont confirmées rapidement avec la vague orange du NPD aux élections fédérales et la désormais popularité de Legault au niveau provinciale. Dans les deux cas, les citoyens sont en quête d’idées qui ne tournent pas autour de la question nationale. Malheureusement, les propositions d’un multimillionnaire tel Legault ne se portent définitivement pas à la défense des intérêts des travailleurs du Québec.

Les origines de la montée de la CAQ sont similaires à celles derrière l’ascension de l’ADQ en 2007 qui alors avait presque devancé les libéraux et relégué le PQ au troisième rang pour la première fois de toute son existence. Le mécontentement face à Charest et ses acolytes a atteint des proportions records et ce, surtout depuis la crise économique de 2008. L’antipathie générale pour les deux partis politiques principaux a atteint une telle ampleur que les Québécois recherchent désespérément une alternative. L’incapacité du PQ nationaliste à s’ériger contre l’ordre du jour d’austérité du Parti libéral a été mise au grand jour avec la crise du nationalisme.

La bourgeoisie (et ses politiciens) nationaliste et fédéraliste confondu a assimilé depuis un temps considérable la gravité de la situation économique du capitalisme au Québec. Plusieurs leaders souverainistes de renom tels Bouchard et Legault ont plaidé pour une unité capitaliste au-delà des frontières de la question nationale. Déjà en 2005, dans le manifeste Pour un Québec lucide, une coalition de politiciens et d’intellectuels menée de front par l’ex-chef du Parti québécois, Lucien Bouchard avait statué :

« Quelques membres de notre groupe sont souverainistes, d’autres croient que le futur du Québec sera mieux assuré dans le Canada. Malgré ces différences, nous sommes certains que, quel que soit le choix des Québécois, les défis que nous avons à affronter restent les mêmes. »

Voici essentiellement la même position adoptée par Legault sur ce point. Cité dans le journal Metro, il a affirmé :

« Les Québécois sont tannés du débat fédéraliste/souverainiste qu’on a depuis 40 ans. Par contre, je crois sincèrement que c’est le début d’une nouvelle ère. Pendant moins une dizaine d’années, le débat va être davantage sur le changement versus le statu quo. »

Il a même invité les ministres libéraux à joindre les rangs de son nouveau parti. La CAQ est la manifestation la plus éloquente de cette tendance.

 

La classe ouvrière en quête d’une alternative

Tout comme la classe au pouvoir, la classe ouvrière québécoise est de moins en moins intéressée par le discours habituel du Parti québécois et du Parti libéral en ce qui concerne l’indépendance. Aux yeux des citoyens de la province, les différences sont infimes entre les libéraux de Jean Charest et les gouvernements péquistes qui ont précédés. Les deux formations politiques ont contribué à la diminution du niveau de vie des travailleurs. Tous deux s’accordent sur le besoin d’augmenter les frais de scolarité, privatiser les services de santé et attaquer les travailleurs du domaine public. Les rares oppositions que le PQ établie à l’austérité sont menées uniquement pour des fins opportunistes.

De la dissension entretenue contre Jean Charest, on pourrait croire le PQ sur le point d’obtenir le pouvoir, ce qui n’est pas le cas. Depuis une dizaine d’années, le PQ ne s’est pas montré à la hauteur de sa tâche d’opposition au Parti libéral et il tombe littéralement en poussière. Au niveau fédéral, le Bloc québécois s’est vu décimé par la vague orange aux dernières élections. Ces facteurs ont permis à Legault de se placer sur l’échiquier politique tel une alternative aux rengaines péquistes et libéraux.

C’est en affirmant que le débat national détourne l’attention des vrais enjeux que Legault a gagné en popularité et qu’il a touché la corde sensible de la majorité des travailleurs québécois qui en ont pâti avec la crise économique et l’austérité des gouvernements successifs. Voilà là la principale raison de l’engouement pour Legault. Il se fait maintenant attaquer de toutes parts pour être à la fois un séparatiste et un fédéraliste, ce qui ne manque pas de nous rappeler la montée de Mario Dumont et l’ADQ.

Nous aurions tort d’accorder la popularité de Legault au compte de ses politiques de droite. Jusqu’à maintenant, Legault est resté assez vague sur son programme et il a voué la plupart de ses sorties dans les médias à des critiques des libéraux et des péquistes. L’ADQ a connu ce même phénomène de popularité en 2007. Après leur avancé, toute l’attention était sur eux et leurs intentions sont devenues plus clairs (augmenter les frais de scolarité, privatiser Hydro-Québec, éliminer les services sociaux…).

Lorsque l’ADQ a été démasqué, sa notoriété a connu un déclin, le parti a été anéanti aux élections et le leader Mario Dumont s’est retiré. Nous pouvons nous attendre à ce que la CAQ connaisse le même sort alors que sa popularité repose sur un désir de changement et non sur l’estime de ses politiques.

Le Devoir rapport un sondage publié le 21 novembre dernier par Léger Marketing auprès des supporteurs de Legault : 32% d’entre eux appuieraient vraisemblablement la CAQ selon des aspirations de changement, 19% apportent leur support au parti par perte d’espoir en les autres partis, 17% s’y rangent par attrait de la nouveauté et finalement, 6% expliquent leur support par une confiance en les forces de François Legault. Seulement 9% des répondants soutiendraient réellement le parti pour son programme, ce qui est loin d’être un appui éclatant.

La fusion de la CAQ et de l’ADQ peut épouvanter la plupart des activistes du mouvement ouvrier, mais elle peut aussi exposer Legault et concrétiser le débat. Après que la fusion ait été approuvée par l’exécutif, Gérard Deltell, leader de l’ADQ, d’après La Presse a dit :

« On est d’accord avec la philosophie de la Coalition qui est de mieux gérer, de s’attaquer à la dette, d’avoir moins de bureaucratie. La Coalition propose l’abolition des commissions scolaires et des agences de santé. Ça vient de chez nous! »

Le populisme de droite de l’ADQ et la CAQ peut jouir d’un certain retentissement grâce à sa nature anti-gouvernementale. Les travailleurs québécois voient les gouvernements de tous les niveaux imposer des coupures et des mesures d’austérité, le tout alors que des politiciens et des bureaucrates séniors continuent d’empocher l’argent durement gagné des travailleurs en gains, profits et bénéfices. Dans cet esprit des choses, un appel pour moins de gouvernement et plus d’efficacité peut faire écho dans la société.

Cependant, la vision de l’ADQ et de la CAQ est d’en finir avec les commissions scolaires et les services sociaux, tous les départements et les services gouvernementaux qui resteraient devraient fonctionner selon le modèle d’une compagnie ou encore être vendus au domaine privé. Ils aspirent à soumettre complètement le système d’éducation aux lois du marché, ce qui sous-entend une augmentation des frais de scolarité et une infiltration des entreprises dans le monde universitaire.

Selon plusieurs perspectives, cette tendance politique est un reflet du mouvement contre les soi-disant travailleurs engraissés (« gravy train ») de Rob Ford, maire de Toronto, ou encore du Tea Party aux États-Unis. La popularité dont disposent ces formations est toutefois fugace lorsqu’ils dévoilent leur ambigüité ou pire encore lorsqu’ils prennent pouvoir. Ils connaissent alors le mépris de la classe ouvrière qui perçoit enfin pour qui ces politiciens se battent vraiment.

 

Les tâches du mouvement ouvrier

La création de la CAQ et la notoriété de Legault sont des menaces pour le mouvement ouvrier. Sous son apparence populiste, la CAQ attaquera les services et les travailleurs du secteur public. Une série d’attaques envers la capacité des travailleurs à s’organiser contre l’ordre du jour des patrons suivra probablement comme nous avons pu être témoin dans la lutte récente des travailleurs au sein d’Air Canada et Poste Canada.

Le défi majeur résulte dans l’incapacité des travailleurs à concevoir une alternative viable aux partis de l’austérité. C’est ce qui explique la gravité de la crise politique. La Tendance marxiste internationale est un collectif reconnu au sein du parti de gauche Québec solidaire. Depuis nos débuts dans cette formation, nous avons expliqué le besoin primordial d’un parti pour représenter la classe ouvrière québécoise. La province n’a jamais connu une telle formation et elle est essentielle pour expulser Charest et bloquer le passage à Legault.

Compte tenu des conditions, les perspectives d’avenir pour Québec solidaire sont prodigieuses. À notre sens, pour profiter pleinement de ces possibilités, il est primordial de se concentrer à la contreproposition d’un programme socialiste solide qui bénéficierait aux travailleurs au lieu des mesures d’austérité mises de l’avant par les partis bourgeois. Ce programme devrait comprendre des réformes telles un revenu minimum garanti, un service de transport en commun et d’éducation gratuits, ainsi que la nationalisation des paliers principaux de l’économie sous un contrôle démocratique.

Les mesures d’austérité qui ont été mises en œuvre n’ont rien à voir avec le néo-libéralisme ou la nature belliqueuse des hommes au pouvoir (ou ceux qui y aspirent). Ce n’est pas une coïncidence si tous les gouvernements quel que soit leur bannière ont poursuivi fondamentalement les même politiques économiques.

Nous avons récemment assisté aux détrônements des soi-disant gouvernements socialistes de Grèce et d’Espagne qui suite à l’implantation de coupures ont connu la chute. C’est parce que le système capitaliste est lui-même un échec et que la classe dominante a besoin d’imposer des mesures d’austérité draconiennes pour restaurer l’équilibre (précaire) de l’économie. Par conséquent, tout parti qui ne rejette pas ce système et ne met pas de l’avant un programme socialiste clair finit avec des économies politiques de droite.

Une chose que Legault et ses compagnons ont compris et qui a fait en sorte de les populariser auprès des Québécois typiques, c’est que les problèmes décisifs dans l’esprit des millions d’électeurs ne sont pas reliés à la question nationale, mais plutôt aux problèmes concrets de la vie quotidienne dans l’austérité et la pire crise économique en 80 ans. Tout parti qui se concentre sur la question nationale est puni par les électeurs.

Legault est vu tel un politicien courageux et honnête qui se joint dans l’arène sans ambition pécuniaire et sans soupçon quant à la corruption. Il a quitté le Parti québécois bien avant la crise qui y siège. Pendant la dernière année, non seulement les figures d’autorité du Bloc et du PQ, mais le nationalisme en général a été grandement altéré. Ceci est perceptible par le fait que ni Québec solidaire ni le déchu Nouveau mouvement pour le Québec (NMQ, créé par Jean-Martin Aussant et d’ex-membres du PQ) n’ont été aptes à décrocher davantage de support au sein de la plus grande crise politique de la province depuis 40 ans. Pourquoi ce support va t-il a un politicien qui a affirmé ouvertement que le débat national est une distraction?

 

Aucune coalition avec le PQ capitaliste! Pour un front uni contre l’austérité !

Malheureusement, Québec solidaire a tendu une perche au PQ agonisant. Vers la fin d’octobre, Amir Khadir, co-porte-parole de QS, a attesté que :

« On peut s’entendre. Si le PQ n’en veut pas, de François Legault et des libéraux, Québec solidaire n’en veut pas non plus. On dit [dans les comtés électoraux] où il y a des libéraux actuellement, on essaie de faire quelque chose. »

C’est parce que le leadership de QS est confu par la question nationale et qu’il voit le PQ comme étant plus progressiste que les libéraux et donc les perçoit tel une meilleure alternative. C’est malgré le fait qu’au congrès de mars 2011, les membres de Québec solidaire ont voté contre une tentative du leadership de passer une résolution proposant un pacte électoral avec le Parti québécois ou le Parti vert.

Aux moments forts du mouvement Occupons Montréal, alors que le PQ s’entredéchirait, Françoise David a été aperçue bras dessus, bras dessous avec les politiciens du PQ et du Bloc lors d’une marche pour l’indépendance. Cet épisode a miné l’autorité de Québec solidaire qui n’a semblé être rien d’autre qu’un suiveur du PQ aux yeux des Québécois.

La vague orange du NPD et la montée de Legault prouvent tous deux que les Québécois cherchent au-delà du débat national. Un grand vide sévit dans la politique québécoise et les possibilités pour Québec solidaire sont énormes si l’on peut pourvoir à une alternative convenable. La Tendance marxiste internationale a proposé un front commun composé du NPD, QS et les syndicats dont le but premier serait une victoire pour QS aux prochaines élections.

Comme nous avons écrit dans notre lettre « Pour un front uni contre l’austérité ! » publiée en août 2011 :

« Dans les élections provinciales à venir, ces trois forces doivent travailler ensemble d’un même pas pour une victoire pour Québec Solidaire et une défaite pour les partis de la droite. Les activistes syndicales et les militants du NPD doivent travailler ensemble pour recréer la vague orange au provincial. »

La menace de Legault est extrêmement grave pour la classe ouvrière du Québec. Le mouvement ouvrier doit s’organiser pour défaire Charest et damer le pion aux tentatives de la droite populiste à s’emparer du pouvoir.