Le 10 novembre n’était rien de moins qu’une journée passionnante pour les étudiantes et étudiants au Québec. C’est plus de 80 syndicats étudiants qui représentent plus de 200 000 membres en grève et environ 30 000 participants qui ont occupé les rues causant des bouchons de circulation au centre-ville de Montréal, qui osera mettre en doute la colère, la volonté de lutter du mouvement?

La lutte contre la hausse des frais de scolarité (1 625$ de plus par an) a même suscité la présence syndicale ouvrière de l’Alliance sociale (la Confédération des syndicats nationaux, Centrale des syndicats du Québec, la Fédération des travailleurs du Québec, etc), ainsi que le soutien de 130 groupes sociaux, d’après un communiqué de presse, et Québec solidaire (le seul parti politique à l’Assemblée nationale qui a constamment soutenu le mouvement).

Malgré la mobilisation massive, le gouvernement québécois a refusé de reculer. Encore pire, le ministère de l’Éducation a dépensé  50 000$ pour un site web de propagande dans une tentative de justification de la hausse des frais de scolarité au lendemain du 10 novembre, une tentative désespérée que l’Association pour une solidarité syndicale étudiante a vite dénoncé, a reporté l’Agence QMI. Le gouvernement est même allé jusqu’à acheter les résultats de recherche sur Google des mots-clés «grève», «ASSÉ», «Fédération universitaire du Québec»… pour rediriger les internautes vers un site gouvernemental.

Cela n’a fait que démontrer la crainte du gouvernement face au mouvement. Donc, il faut mettre plus de pression.

Partout dans le monde, les jeunes et la classe ouvrière se mobilisent. Ni le Canada ni le Québec en sera exempté. Comme toutes les autres luttes à venir cette année et celles des années futures, il va falloir étudier les mouvements du passé. Cependant, il n’est pas nécessaire de chercher très loin pour savoir que l’unité fait la force au sein du mouvement étudiant pour affronter un gouvernement qui défend les intérêts des grandes entreprises et des banques.

La dernière victoire du mouvement étudiant fut suite à la grève de 2005. Le mouvement a admirablement combattu la coupure de 103 millions de dollars des bourses du programme d’aide financière. Côte à côte, les associations membres de l’ASSÉ, de la Fédération étudiante collégiale du Québec, de la FEUQ et celles non-affiliées ont pu mobiliser ensemble afin de guider le mouvement vers une grève générale illimitée. Le mouvement en tant que tel a vu environ 230 000 étudiantes et étudiants en grève à son apogée et une manifestation comptant environ 80 000 individus à Montréal le 16 mars 2005. Si on compare cela au 10 novembre dernier, avant un appel de grève générale illimitée, nous sommes définitivement sur la bonne voie.

Il est clair qu’une grève générale illimitée est requise pour faire plier le gouvernement, mais la prudence est le seul moyen de garantir la victoire. Il y a eu trois autres jours d’action importants dans la dernière vague de hausse : le 1e avril 2010 avec 40 000 étudiants en grève, le 6 décembre 2010 où les manifestations comptaient 60 000 participants et le 31 mars 2011 où 50 000 jeunes se sont massés contre la hausse selon un compte rendu de l’ASSÉ. La journée du 10 novembre 2011 était certes étonnante, mais ce n’est qu’une journée d’action comportant moins que la majorité de la population étudiante. Pour consolider le mouvement, il faut nourrir le dynamisme sans trop l’étirer. En toute sécurité, la prochaine étape, c’est organiser un 10 novembre encore plus imposant !

Plus de cohésion dans le mouvement étudiant

Malheureusement, l’escalade des tactiques ne se fait pas au même rythme sur tous les campus. Plusieurs associations n’ont pas de traditions de mobilisation cohérentes. Ces campus comprennent entre autre les universités Concordia et McGill et certaines facultés de l’Université de Montréal, soit environ 140 000 étudiants et étudiantes. Moins de la moitié de ce nombre étaient en grève et ce, avec moins de succès aux lignes de piquetage. Sans tradition de syndicalisme de combat, leurs militants et militantes apprennent leurs tâches au fur et à mesure; ces campus se font dépasser par le mouvement par la faute des dirigeants syndicaux. Leur exécutif ne font qu’agir à cause des pressions de la base et du mouvement en général, au lieu de prendre les devants. On peut dire la même chose à propos du leadership de la FEUQ et la FECQ qui tirent toujours de la patte. Le rattrapage prendra beaucoup de souffle !

Le plus important, c’est impliquer plus de personne dans le mouvement sur les campus. Cela se fait en mobilisant massivement les étudiants pour une assemblée générale où un débat et un vote sur un mandat de grève ont lieu. L’assemblée générale, étant la plus haute instance décisionnelle, doit être traitée avec le plus grand respect et sera assurée avec un assez grand nombre de participants. Une fois le vote gagné, il doit être suivi d’une aussi forte mobilisation pour la ou les journées d’action et on doit mettre sur pied un comité de grève qui assure la coordination du mouvement de grève, des lignes de piquetage et des autres actions nécessaires votées par les étudiants et étudiantes. Ceci est la priorité de tous les syndicats.

Agir prématurément

La grève générale illimitée est un plan d’action qui est pas mal accepté dans la plupart des campus de l’ASSÉ. On sait que les attaques du gouvernement ne seront pas défaites avec seulement une ou deux journées de grève. Il va falloir une mobilisation étudiante à l’échelle de la province capable de perturber le réseau de l’éducation et capable aussi de se répandre chez les travailleurs et les travailleuses qui détiennent un pouvoir réel sur l’économie. Mais est-ce que ça veut dire qu’il est temps de faire appel à une grève générale illimitée?

Normalement, on réclame cette tactique à l’apogée du mouvement étudiant et non durant son commencement. L’ASSÉ, que l’on peut qualifier comme étant l’avant-garde étudiante d’aujourd’hui, et les syndicats sympathisants risquent de s’aventurer dans un no man’s land tout seul, s’isolant des masses d’étudiants et étudiantes qui viennent de s’introduire au mouvement. L’escalade des tactiques, qui vise à attirer plus d’étudiants et d’étudiantes (activement impliqués dans le processus décisionnel et la mobilisation) dans la lutte, donnera de meilleurs résultats et assurera l’hégémonie du mouvement. Ainsi, l’unité et la menace contre le gouvernement seront préservées.

Lutte anticapitaliste et avant-garde étudiante

Il faut quand même considérer que le mouvement en tant que tel a connu plusieurs succès à travers les décennies, ce qui a permis le maintien des frais de scolarité les plus abordables du continent. Ces succès ont été réalisés grâce aux foulées de la conscience de l’avant-garde étudiante n’ayant pas peur de pointer du doigt le capitalisme qui est responsable des barrières apposées sur l’éducation accessible et de la mauvaise gestion des institutions comme l’a écrit Gabriel Nadeau-Dubois (en fait, sans une mention pour le capitalisme), porte-parole de l’ASSÉ, l’an dernier dans leur journal Ultimatum :

«Cet affrontement, de toute façon, au Québec comme ailleurs dans le monde, dure depuis longtemps déjà. Hausses de frais de scolarité, baisses d’impôts pour les plus riches et les grandes entreprises, coupures massives dans les programmes sociaux, corruption et copinage : les élites politiques et économiques du Québec marchent depuis longtemps main dans la main. Et ce sont toujours les mêmes poches qui se vident, toujours les mêmes qui se remplissent.»

Puisque les patrons, les banquiers et leurs chums au gouvernement nous ont pris les culottes baissées, il faut se contenter de défendre le peu qu’on a pour l’instant, c’est-à-dire bloquer la hausse. Le plus grand défi de l’ASSÉ est de garder l’unité au sein du mouvement sans renoncer à la gratuité scolaire universelle, libre et ce, à tous les niveaux. Le mouvement a aussi besoin de perspectives concrètes amenées par une compréhension des motivations de cette attaque contre les étudiantes et étudiants (ainsi que des attaques perpétrées dans d’autres milieux qui affectent le niveau de vie de la classe ouvrière et des démunis). La raison est la déficience du système capitaliste.

En ce qui concerne l’argumentaire de la gratuité scolaire, c’est une question sociale à laquelle la majorité des étudiantes et étudiants seront en faveur si sa nécessité et sa faisabilité sont bien expliquées. Le mouvement qui est en plein redressement présente de bonnes occasions pour les discussions et l’éducation.

Par ailleurs, les étudiants et étudiantes doivent aussi multiplier les dialogues avec les travailleuses et travailleurs alors qu’ils joindront bientôt le milieu du travail, car la lutte n’est pas seulement pour eux. Et surtout, car il y aura plus de luttes à venir.