Crédit : AFPC/Facebook

Le 1er mai, la plus grande grève pancanadienne du secteur public en 30 ans a pris fin. Après que les 155 000 travailleurs et travailleuses syndiqués à l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) aient passé 12 jours sur les lignes de piquetage, l’équipe de négociation du syndicat a annoncé qu’elle avait conclu une entente de principe avec le gouvernement, ce qu’elle a appelé « un contrat juste et équitable qui surpasse ce que l’employeur avait offert avant le début de la grève ». Toutefois, lorsque les détails de l’entente ont été annoncés, les membres ont exprimé leur frustration et leur déception, car les augmentations salariales ne suivent pas l’inflation et le contrat proposé ne protège pas le droit au télétravail. De plus, l’accord n’a mis fin à la grève que pour les 120 000 employés du Conseil du Trésor, tandis que les 35 000 employés de l’Agence du Revenu du Canada (ARC) doivent maintenant se battre seuls pour faire valoir leurs revendications.  

Aujourd’hui, l’exécutif national du Syndicat de l’emploi et de l’immigration du Canada (SEIC), la plus grande unité syndicale affiliée à l’AFPC, qui représente près de 36 000 employés fédéraux, a annoncé qu’il exhortait ses membres à voter contre l’entente de principe. Il s’agit là d’un développement très progressiste. Non seulement le SEIC devrait encourager ses membres à voter « non », mais cette campagne devrait s’étendre au reste de l’AFPC.

Une entente injuste

Dans le passé, on pouvait s’attendre à ce que les membres d’un syndicat votent conformément à la recommandation de l’équipe de négociation. C’est ainsi que la grève des travailleurs de l’éducation du SCFP en Ontario s’est terminée l’automne dernier ; malgré la colère généralisée des membres, et malgré le fait que la présidente de l’unité de négociation, Laura Walton, ait carrément qualifié l’accord de « pourri » (« badly sucks »), le reste de l’exécutif du syndicat a présenté l’accord comme une victoire, et il a fini par être ratifié.

Il est clair que sous la pression de l’inflation et de la crise générale du capitalisme, les travailleurs ne sont plus disposés à croire sur parole leurs dirigeants lorsqu’ils affirment qu’un mauvais contrat est le meilleur qu’ils puissent obtenir. Bien que les dirigeants de l’AFPC aient présenté l’accord de principe comme étant « équitable », il est loin d’être satisfaisant sur tous les points essentiels. Comme le dit la déclaration du SEIC :

« Alors que nos membres avaient l’impression qu’une entente de trois ans avait été acceptée, c’est plutôt une entente de quatre ans qui a été conclue. Nos membres étaient catégoriquement opposés à une augmentation de 9% sur une durée de trois ans, mais voilà qu’on nous demande d’accepter une augmentation d’un peu moins de 3% par année sur une durée de quatre ans (selon la méthode de calcul utilisée), ce qui désavantage encore plus nos membres face à l’inflation. Par ailleurs, beaucoup de membres croient à tort que le montant forfaitaire de 2 500 $ est une prime à la signature, mais il s’agit en fait d’un montant forfaitaire ouvrant droit à pension qui sera imposable.

De nombreux membres du SEIC étaient également mécontents d’apprendre que le 

projet de libellé sur le télétravail n’inscrit pas le travail à distance dans notre convention collective. Il prévoit plutôt la création de comités ministériels entre le syndicat et l’employeur, qui s’en remettent largement à la bonne foi de l’employeur pour régler les questions liées à l’application de la directive du Conseil du Trésor sur le travail à distance.

En outre, le SEIC n’est pas le seul à vouloir appeler un chat un chat en ce qui concerne l’entente entre le Conseil du Trésor et l’AFPC. Le Front commun au Québec, une alliance des principaux syndicats du secteur public, négocie actuellement ses conventions collectives avec le gouvernement provincial. Le 1er mai, il a annoncé qu’il n’accepterait pas une entente telle que celle de l’AFPC et a parlé pour la première fois d’envisager une grève si l’offre salariale de la CAQ n’était pas suffisante. Le Front commun réclame, entre autres, une indexation des salaires à l’indice des prix à la consommation – c’est la voie à suivre pour tous les travailleurs et travailleuses.

Les travailleurs ne peuvent plus accepter de mauvaises ententes présentées comme des gains, car ils n’en ont tout simplement pas les moyens. Cette situation exercera, et exerce déjà, une pression énorme sur les directions syndicales pour qu’elles mènent la lutte plus loin que par le passé. Comme le montre l’entente de l’AFPC, si elles ne le font pas, elles s’exposent à une révolte des membres.

Pour citer encore une fois le communiqué du SEIC :

« Les membres du SEIC ont fait le travail. Nous nous sommes présentés sur les lieux et nous avons manifesté notre solidarité au premier rang des lignes de piquetage. Cette entente fait fi des années de travail investies par les membres du SEIC, particulièrement les 12 jours passés sur la ligne de piquetage. La grève offrait une occasion historique de faire des gains pour l’ensemble des travailleurs et travailleuses, et nous ne pouvons pas la gaspiller. Nous savons que nos revendications sont justes et nécessaires. Nous ne pouvons pas accepter cette entente. »

Élargissons la campagne pour le « non »!

La campagne pour le « non » du SEIC a le potentiel de créer un précédent extrêmement positif dans le mouvement syndical. C’est ce qu’il reconnaît dans sa déclaration :

« De plus, le SEIC reconnaît l’importance d’être le plus important Élément à la plus grande table de négociation du continent, et il est conscient de l’effet qu’aura cette entente sur l’ensemble des travailleurs et travailleuses. Nous devons faire mieux, pas seulement pour nous, mais pour le mouvement syndical. 

Nos membres exigent un meilleur traitement, et ils ont assez attendu. »

Cependant, pour réussir, il est essentiel que la campagne s’étende au-delà des 36 000 travailleurs que le SEIC représente. Le syndicat doit s’efforcer de diffuser la campagne chez tous les employés fédéraux affiliés à l’AFPC.

De plus, les travailleurs mécontents ne doivent pas attendre que leur exécutif prenne position sur le vote de ratification. En s’organisant en comités de la base avec leurs collègues partageant les mêmes idées, les travailleurs de la base peuvent faire campagne pour un « non » et prendre en main la démocratie syndicale. Ce n’est qu’en s’organisant collectivement que les travailleurs de la base peuvent se mobiliser, et faire avancer la lutte.

Si le « non » l’emporte, les 120 000 travailleurs du Conseil du Trésor doivent retourner sur les piquets et rejoindre les 35 000 travailleurs de l’ARC qui poursuivent leur grève. En acceptant l’entente de principe, l’AFPC a joué le jeu de la stratégie de l’employeur qui consiste à diviser pour mieux régner. Jusqu’à présent, cette stratégie semble avoir réussi : l’offre la plus récente de l’ARC au syndicat est inférieure à celle des travailleurs du Conseil du Trésor, même si leur revendication initiale d’une augmentation salariale de 33% était beaucoup plus élevée que les 13,5% demandés par le reste de l’AFPC. Au sujet de cette récente offre, le président de l’AFPC, Chris Aylward, a déclaré : « Nous ne savons pas pourquoi l’Agence du revenu du Canada joue à ce jeu. » Il devrait être évident que l’ARC pense pouvoir faire une telle offre parce que ses employés n’ont plus 120 000 collègues syndiqués pour les soutenir.

Au cours des dernières décennies, les traditions de solidarité du mouvement syndical ont été sapées, au point qu’il est maintenant courant pour les travailleurs et travailleuses de franchir les piquets de grève des autres. Les travailleurs de l’AFPC ont la possibilité de commencer à inverser la tendance en reprenant la grève jusqu’à ce que les revendications de tous leurs membres soient satisfaites. Les répercussions sur l’ensemble du mouvement syndical seraient grandioses. Cela enverrait un message fort aux patrons et à leur gouvernement : fini le statu quo, les travailleurs n’acceptent plus les miettes!