Les élections municipales au Québec ont été marquées par la retentissante défaite de Denis Coderre à la mairie de Montréal. La mairesse réélue, Valérie Plante de Projet Montréal, a creusé l’écart avec Coderre comparé à leur duel de 2017, passant de 6 à 14% de différence. Les électeurs ont exprimé leur profond dégoût du vieil establishment politique capitaliste que Coderre incarne.

Mais il serait erroné d’y voir un enthousiasme pour Projet Montréal. En fait, Valérie Plante a perdu près de 25 000 votes par rapport à 2017. Ces deux phénomènes en apparence contradictoires reflètent cependant un même processus de désintérêt face aux politiciens du « centre » et de rejet de l’establishment.

Coderre a creusé sa tombe

Denis Coderre est revenu cette année sur la scène municipale après avoir été éjecté en 2017 après un mandat. Il se présentait comme un homme changé, mais il est vite devenu évident qu’on avait affaire au même carriériste au service des promoteurs immobiliers.

Ce sont d’abord ses candidats qui ont montré la vraie nature de son parti Ensemble Montréal, avec des gens comme Antoine Richard, candidat à la mairie de Verdun et spéculateur immobilier s’étant vanté de s’être enrichi avec des « flips », ou encore Demetra Kostaredes, fraudeuse ayant floué des investisseurs.

Mais c’est la dernière semaine de campagne qui a planté les clous dans son cercueil. Après avoir patiné pendant une semaine pour justifier son refus de dévoiler la liste de ses clients lorsqu’il était lobbyiste, il est devenu évident pourquoi il ne voulait pas que cette information se sache. Il a finalement révélé qu’il avait travaillé pour Cogir, un promoteur immobilier accusé de faire des rénovictions. Au milieu d’une grave crise du logement à Montréal, cela ne pouvait que galvaniser le vote anti-Coderre. De plus, il travaillait pour Transcontinental, l’entreprise derrière les Publisacs, qui faisait pression sur la Ville de Montréal pour qu’elle abandonne son projet d’interdire la distribution des Publisacs sauf aux citoyens les demandant expressément. Le conflit d’intérêts n’aurait pu être plus évident.

Les Montréalais se sont aussi souvenus de son passage à la mairie, marqué par des projets aussi grandiloquents que dispendieux et inutiles comme les célébrations du 375 anniversaire de la ville à 1 milliard de dollars ou encore le flop de la formule E et son déficit de 13,6 millions de dollars. Parallèlement à ces dépenses aux frais des contribuables, il avait imposé un régime d’austérité dont les employés de la ville avaient fait les frais par une contre-réforme de leurs retraites et des coupes de 2700 postes. 

Coderre est la personnification de l’establishment détesté. À part les riches et puissants, il n’y a pas beaucoup de gens qui pleureront sa défaite et son départ de la vie politique. 

Bonnet blanc, blanc bonnet

Mais malgré le spectre de Coderre planant sur Montréal, des milliers de supporters de Projet Montréal n’ont pas été assez enthousiasmés pour aller voter. Le taux de participation général a baissé d’environ 4%. 

Il n’est pas difficile de comprendre pourquoi. Plante a mené une campagne à peine différente de celle de Coderre. Ce dernier a passé toute la campagne à agiter l’épouvantail de la violence par armes à feu, misant sur la couverture médiatique sensationnaliste sur la violence entre gangs dans le nord-est de la ville. Denis Coderre s’est saisi de cet enjeu pour promettre de rétablir l’ordre dans une métropole qui ne serait « plus sécuritaire ». Il a promis d’augmenter le budget de la police et d’engager davantage de policiers, et a dénoncé Plante comme la candidate du définancement de la police.

Mais Plante, bien souvent, n’a été qu’un perroquet qui répétait ce que disait Coderre. Cela s’est vu notamment lorsqu’elle a repris exactement la promesse de son adversaire d’embaucher 250 policiers de plus. Elle s’est même vantée d’avoir davantage financé la police que Coderre : « Contrairement à l’administration précédente, on a augmenté le budget du SPVM chaque année depuis quatre ans. Dans notre prochain mandat, on s’engage à maintenir ces budgets et à financer les équipes mises en place. » 

Échec du réformisme

Plante avait été élue en 2017 comme une candidate « progressiste » après des décennies de corruption généralisée à Montréal. La campagne de Projet Montréal cette année, nettement plus à droite qu’en 2017, a représenté la culmination de quatre ans d’échecs et de promesses brisées. 

Le projet de ligne rose de métro qui avait été au cœur de sa campagne de 2017 a été abandonné puis silencieusement retiré de ses engagements pour 2021. 

Dans son budget d’il y a un an, cette mairesse « progressiste » a augmenté le budget de la police de 14 millions de dollars, tout en réduisant le budget du logement de 13 millions de dollars. Elle venait tout juste d’envoyer la police anti-émeute démanteler le campement de la rue Notre-Dame, où s’étaient abrités des gens devenus nouvellement sans-abris avec la COVID-19.

De plus, pendant son mandat, la crise du logement s’est empirée. Son projet de règlement « 20/20/20 », visant à forcer les promoteurs immobiliers à construire des logements sociaux, abordables et familiaux, a fait l’objet d’une forte opposition des promoteurs immobiliers avides de profit. Projet Montréal a alors reculé et fini par adopter un règlement beaucoup plus souple.

La mairesse a également pris le bord des patrons pendant la grève des débardeurs, en appuyant la loi spéciale du gouvernement de Justin Trudeau.

Le verni progressiste de Plante a donc été sérieusement érodé. Elle aurait très bien pu perdre. Mais son adversaire était l’haïssable Coderre, un candidat impopulaire, corrompu, et au service des grands propriétaires et des capitalistes. La gauche modérée ne pourra toutefois pas toujours compter sur la politique du moindre mal.

Turbulences à l’horizon

Les élections municipales reflètent souvent des dynamiques surtout locales, plus que des phénomènes de grande envergure. Cependant, ces élections ont permis de constater une tendance au rejet des candidats de l’establishment, et pas seulement à Montréal.

Plusieurs municipalités, dont Sherbrooke, Québec, Saguenay, Rimouski, Longueuil, ont élu des candidats qui sont superficiellement « différents », qui rompent ouvertement avec la vieille garde de l’hôtel de ville. On le voit à Québec par exemple, avec la défaite de la protégée de Régis Labeaume.

Bien qu’il soit risqué de prédire des élections, ce phénomène pourrait très bien se répéter sur la scène provinciale, si et quand la CAQ sera discréditée aux yeux des travailleurs. Le « vent de changement » au municipal pourrait être le présage d’une montée encore plus importante de Québec solidaire.

Mais qu’est-ce qui attend Valérie Plante et autres maires et mairesses qui supposément rompent avec le statu quo et ont vaincu les candidatures de l’establishment? 

Avec l’inflation galopante et les loyers qui montent en flèche, la crise du capitalisme frappera les travailleurs encore plus fort. Rien n’indique que Valérie Plante va s’attaquer aux promoteurs immobiliers cette fois-ci. Le spectre de l’austérité plane également : la Société de transport de Montréal (STM) est dans le rouge, et Plante n’écarte pas les compressions. Si elle impose l’austérité municipale (ce qu’elle n’a pas eu à faire jusqu’à présent) cela transformera l’indifférence de milliers de gens en colère contre elle et son parti. 

N’ayant aucune intention de mobiliser la classe ouvrière et les pauvres à Montréal et de rompre avec le capitalisme, elle sera forcée de se plier à la logique du système et de faire des concessions aux riches de l’immobilier et d’imposer des coupes impopulaires. 

Et la déception envers la gauche réformiste prépare, à un moment ou à un autre, le retour de la droite à la Coderre. Toute l’histoire du réformisme de gauche au pouvoir le démontre. Nous ne pouvons pas réformer le système capitaliste.

Nous entrons dans une période turbulente. Dans nos quartiers, nos syndicats et nos écoles, il faudra se préparer pour les luttes qui viennent contre l’austérité capitaliste, la hausse des loyers et les mille et une façons dont les capitalistes veulent nous faire porter le fardeau de la crise. Nous devons lutter dès maintenant pour une perspective socialiste et reprendre l’esprit du slogan du Front d’action politique, le parti ouvrier municipal des années 70 à Montréal : « Les salariés au pouvoir! »