Devant la crise climatique, nombreux sont ceux qui recherchent une solution de rechange aux promesses en l’air et aux mesures cosmétiques des partis au pouvoir. Dans ce contexte, Québec solidaire a réussi à devenir un pôle d’attraction, particulièrement auprès de la jeunesse mobilisée pour l’environnement. Malheureusement, le parti pourrait faire un recul important à son prochain congrès à la fin novembre. 

Depuis ses débuts, QS rejette les mesures de capitalisme vert. Le programme du parti est clair en la matière, et s’oppose aux fausses solutions « qui mèneraient vers un maintien du statu quo ». Le programme affirme explicitement que les taxes sur le carbone « frappent surtout les plus pauvres » et que les bourses du carbone « sont des outils d’enrichissement des multinationales, [… ] qui risquent de devenir un nouvel instrument spéculatif ». Tout cela est juste. Ces mesures axées sur le marché sont inefficaces pour s’attaquer aux changements climatiques.

Toutefois, une proposition de la commission politique de QS visant à établir les « principes pour une écofiscalité » qui misent sur l’application de mesures fiscales comme la taxe sur le carbone et la bourse du carbone sera sur la table au prochain congrès. Cette proposition supprimerait du programme le passage sur l’opposition de principe à ces mesures. La Riposte socialiste appelle les membres à voter contre ce recul, et à plutôt voter pour des mesures socialistes pour résoudre la crise climatique.  

L’absurdité des marchés du carbone

Le programme actuel de QS est tout à fait correct dans son opposition aux bourses du carbone. Les marchés de droits à polluer, qu’on parle de bourses du carbone ou de mécanismes de plafonnement et d’échange des droits d’émissions, reposent sur la vente et l’achat par les entreprises de crédits d’émission de gaz à effet de serre. Le fait de devoir payer des droits de polluer inciterait les entreprises à diminuer leurs émissions de GES, et ainsi à développer de nouvelles techniques de production moins polluantes. Dans les faits, cela ne fonctionne pas. 

D’ailleurs, le Québec possède déjà un Système de plafonnement et d’échange de droits d’émissions (SPEDE), qui ne fonctionne pas, comme nous l’apprenait le Journal de Québec : « Depuis 2013, les 100 usines les plus polluantes au Québec ont augmenté leurs émissions de gaz à effet de serre (GES) de 1,93%, soit plus de 396 000 tonnes. Et cette tendance s’accélère. Entre 2016 et 2017, les grands émetteurs de GES ont accru leurs rejets gazeux de 5,31%. » Bien sûr, les défenseurs de l’écofiscalité dans QS affirment que sous un gouvernement solidaire le SPEDE serait différent. Mais le marché a cette fâcheuse tendance à obéir à ses propres lois, sans se soucier du gouvernement au pouvoir! 

Pour permettre d’atteindre des cibles générales de réduction des émissions, la quantité de droits d’émissions présents sur un marché doit généralement diminuer avec le temps. Ce faisant, un phénomène de rareté tend à se créer, ce qui mène à l’augmentation des prix des droits. À cela s’ajoute la spéculation inévitable qui survient sur n’importe quel marché boursier. Tandis que cette spéculation donne l’occasion à certains de faire de bonnes affaires, les entreprises qui sont obligées d’acheter des droits à grand prix refilent ensuite la facture aux travailleurs, en augmentant les prix des marchandises ou en baissant les salaires, par exemple. 

Ce n’est pas tout. Comme les crises cycliques sont dans l’ADN du capitalisme, un ralentissement de la production peut faire diminuer la demande en droits d’émissions – moins de production, moins d’émissions –, poussant les prix à la baisse. Il peut alors devenir plus rentable pour des compagnies de continuer de polluer que de trouver de nouvelles méthodes de production moins polluantes. La question environnementale se voit ainsi complètement soumise aux aléas du marché, en plus d’être source importante d’enrichissement pour certains.  

La proposition de QS mentionne que le système d’écofiscalité « sera élaboré de façon à ne pas permettre la spéculation ou autre moyen qui déréglerait son fonctionnement ». Cela revient à dire qu’on souhaite recourir au marché… mais sans ses mauvais côtés! Il y a de quoi être sceptique sur la faisabilité d’une telle idée. On ne peut avoir le beurre et l’argent du beurre. On retrouve actuellement une panoplie d’exemples de fraudes et de manœuvres de contournement du marché des droits d’émission pour remplir les poches des capitalistes. On n’a qu’à penser à la gigantesque fraude sur les quotas de carbone en France où des milliards de dollars d’euros ont été littéralement volés des coffres publics européens, envolés dans des paradis fiscaux. 

Finalement, le marché du carbone pose le problème de la fiabilité des données sur les émissions. L’entreprise NatureLab en est un bon  exemple. Celle-ci, qui se spécialise dans la vente de crédits de carbone obtenus via des projets de plantation d’arbres, a récemment fait l’objet d’une enquête de La Presse. Il a été révélé qu’une grande quantité des arbres qu’elle avait plantés, qui sont censés capter le carbone dans l’air, étaient déjà morts ou en mauvais état. Ce faisant, la captation de carbone serait vraiment moindre que les prévisions. Dès lors, des individus ou entreprises, pour compenser leur empreinte environnementale, ont acheté à cette compagnie des crédits de carbone, qui ne représentent possiblement que du vent. Combien d’autres situations similaires et scandales de pollution « à la Volkswagen » allons-nous découvrir dans les prochaines années? Parce que le système capitaliste est strictement basé sur les profits, nous ne pouvons compter sur les mécanismes du marché pour résoudre la crise environnementale.

Le mirage de la taxe carbone

Souvent présentée comme le moyen « le plus simple et efficace », l’imposition d’une taxe sur les émissions de gaz à effet de serre est l’option en vogue depuis quelque temps. Taxer la pollution permettrait d’encourager le changement de comportements. Comment pourrions-nous douter de son efficacité? « Un prix global du carbone aiderait à déchaîner les forces du marché et fournir le bon incitatif pour que tous fassent leur part. L’histoire a montré le pouvoir des forces du marché de rendre l’économie moins énergivore, puisque les gens ont trouvé des façons plus efficaces d’utiliser l’énergie. » Ces explications sont celles d’un grand défenseur de la planète… le chef principal de l’énorme pétrolière BP! Et il n’est pas seul; les grandes pétrolières, de même que les sphères de la haute finance, comme le FMI et la Banque mondiale, ont toutes emboîté le pas. 

Ce sont à ses fruits qu’on juge l’arbre, dit le proverbe. Pourquoi donc les grands pollueurs seraient-ils favorables à une taxe sur le carbone? Parce qu’elle n’est pas vraiment contraignante pour eux. Ce n’est qu’un coût de production supplémentaire qui ne s’accompagne d’aucune contrainte de modifier les méthodes de production. Ils payent la taxe, et au surplus, celle-ci permet de « justifier » des augmentations de prix. Autrement dit, la taxe sur le carbone représente une taxe régressive, dont la classe ouvrière et les pauvres payent le plus gros.

Devons-nous même rappeler que c’est une taxe de ce genre qui a déclenché le mouvement des gilets jaunes en France? Emmanuel Macron, le président-banquier, avait eu le culot d’en appeler de la sauvegarde de la planète pour justifier une hausse de la taxe sur l’énergie, qui avait mené à une augmentation du prix du carburant. La classe ouvrière française a refusé de payer davantage, pas parce qu’elle n’a pas une conscience écologique, au contraire. Cependant, les travailleurs de France, comme ceux du Québec, n’ont pour la plupart pas réellement le choix de se déplacer en voiture pour se rendre au travail. Constamment pressurisés par des années d’austérité, ils en ont donc marre de toujours payer la facture pendant que les riches continuent à s’enrichir, et la taxe de Macron a été la goutte qui a fait déborder le vase.

L’exemple de la Colombie-Britannique, souvent présenté comme un succès, permet d’ailleurs de voir les limites de la taxe sur le carbone. Depuis l’entrée en vigueur de la taxe en 2008 par le gouvernement de droite du Parti libéral, les émissions n’ont pas diminué, mais seraient simplement moins grandes de 5 à 15% que ce qu’elles auraient été, selon les estimations, sans l’application de la taxe. Conclusion : les émissions ont augmenté, juste un peu moins qu’avant. Le fait que la taxe ait plafonné à 30 dollars la tonne en 2012 aurait causé cet échec. Pour que la taxe soit efficace, de plus en plus d’experts conçoivent qu’elle doit être très grande. Le FMI a lui-même critiqué la taxe sur le carbone du gouvernement canadien, qui ne serait pas suffisamment grande pour faire un changement significatif. Autrement dit, pour qu’elle soit efficace, la taxe doit être tellement élevée qu’elle en vienne à réduire significativement la capacité d’achat des travailleurs!

C’est vers cette dangereuse direction que pourrait aller QS. On nous dit que le système d’écofiscalité ne se fera pas au détriment des plus pauvres. On peut bien le souhaiter, mais il faut être utopiste pour concevoir qu’une taxe régressive pourrait accomplir quoi que ce soit de progressiste. Le plan d’écofiscalité propose de compenser ce problème en créant un fond pour aider les moins fortunés punis par cette taxe – mais pourquoi punir les travailleurs en premier lieu? Au final, quand on sait que 50% des émissions de carbone à travers le monde sont produits par le 10% le plus riche, et que ce même petit nombre fait l’apologie de la taxe sur le carbone, il faut cesser de jouer à l’autruche! Les vrais pollueurs n’ont pas l’intention de payer, et la taxe sur le carbone est un autre moyen pour eux de nous vider les poches.    

Seule solution : nationalisons!

Les bourses et taxes du carbone ne sont pas des solutions et QS a eu raison jusqu’à maintenant d’y dire non. Changer de perspective en adoptant la soi-disant écofiscalité serait un recul important. Il faut rejeter cette proposition au prochain congrès. 

Manon Massé disait récemment qu’à « un problème exceptionnel [celui de la crise climatique], je pense qu’il faut prendre des moyens exceptionnels ». Elle a raison, et les taxes et marchés du carbone ne sont précisément pas des moyens exceptionnels. La situation climatique est urgente. Nous n’avons pas de temps à perdre. Il n’y a qu’une issue à la crise écologique : sortir du capitalisme. 

La destruction environnementale est la conséquence directe du mode de production capitaliste et son impératif de produire pour le profit coûte que coûte. Une minorité de géants industriels et de banques possèdent actuellement les richesses et les ressources de la société et se fichent bien du sort de la planète. Ils tournent les bourses et taxes sur le carbone à leur avantage et menacent de délocaliser la production si on s’attaque trop à leur portefeuille. Malgré la volonté populaire de faire un changement immédiat, nous sommes impuissants devant les monstres du capital. On ne peut contrôler une économie qu’on ne possède pas. Pour sortir de cette domination des capitalistes, nous avons besoin de mesures socialistes. 

C’est dans cette optique que les militants de La Riposte socialiste ont présenté une résolution pour la nationalisation des grands secteurs de l’économie en prévision du congrès de QS à la fin novembre. Nous devons exproprier ces grands parasites qui dorment sur des montagnes d’argent et des nuages de pollution. En nationalisant les grands secteurs de l’économie et en remettant le contrôle des usines et lieux de travail directement aux travailleurs de manière démocratique (et non à des PDG millionnaires, et selon une structure non démocratique comme à Hydro-Québec), la grande majorité de la société pourra enfin prendre contrôle directement de la production et se donner les moyens financiers et matériels de mettre en place une transition économique. Tout l’argent qui dort dans les coffres des banques en ce moment pourrait être investi dans des énergies vertes tout en assurant de bons emplois syndiqués pour les travailleurs. Nous aurions enfin les ressources pour créer un large réseau de transport en commun gratuit, développer la recherche en technologies vertes et réorganiser la production selon un plan rationnel qui réponde aux besoins sociaux et minimise l’impact sur l’environnement.   

Déjà adoptée par deux associations locales, cette résolution pour la nationalisation est à la fois un barrage aux mesures d’écofiscalité et une solution claire à la crise climatique. Si pour l’instant la proposition a été jugée « non recevable » par le comité synthèse du parti, ne faisant soi-disant « pas partie des sujets du congrès actuel », nous comptons la représenter avec fermeté lors du congrès afin de lutter contre les « principes d’écofiscalité » et défendre la nationalisation sous contrôle ouvrier. Nous invitons les militants de QS à se joindre à nous pour résister au recul, et à aller encore plus loin en mettant de l’avant notre résolution dans leurs associations locales. 


Résolution en faveur de la nationalisation des grands secteurs de l’économie :

Ajouter l’article 1.1 alinéa a) du programme :

C’est le capitalisme qui détruit notre planète. Sa poursuite insatiable du profit est responsable du nivellement vers le bas des standards environnementaux et des conditions de vie de la majorité. Pour nous permettre d’entamer un véritable changement pour la survie de la planète et de l’humanité, un gouvernement solidaire nationalisera les grands secteurs de l’économie afin d’implanter un plan de transition économique sous le contrôle démocratique de la société.